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A/66/2024

ATA/485/2024 du 16.04.2024 ( FORMA ) , ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/66/2024-FORMA ATA/485/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 16 avril 2024

1re section

 

dans la cause

 

A______ recourant
représenté par Me F______, avocat et curateur

contre

UNIVERSITÉ DE GENÈVE intimée



EN FAIT

A. a. A______ (ci-après : l’étudiant), né le ______ 1977, a obtenu, en 2000, un Master en ingénierie microtechnique et a effectué une thèse de doctorat au B______ Institute of Technology. Il a été professeur adjoint à la C______ School où il a participé à la création d’un département sur les médias interactifs et enseigné notamment le physical computing, la fabrication « digitale », l’art des nouveaux médias et les arts vivants.

b. Il souffre de troubles psychiques, soit d’une probable schizophrénie ou psychose.

ba. Selon un bilan détaillé du 24 mars 2023 établi par D______, psychologue spécialisée en neuropsychologie FSP « le tableau cognitif est actuellement d’intensité légère affectant la sphère attentionnelle, exécutive comportementale et socio-émotionnelle, chez un patient présentant par ailleurs un Haut Potentiel Intellectuel. Si les difficultés mises en évidence dans le présent bilan (signe dysexécutif comportemental, difficultés socio-émotionnelles) s’inscrivent dans le cadre du spectre de de la schizophrénie et des troubles psychotiques fortement suspectés chez ce patient (selon ses dires et en l’absence de rapport à disposition), une contribution du traumatisme crânien subi à l’adolescence n’est néanmoins pas écartée. En effet, le patient a subi à l’âge de 13 - 14 ans un traumatisme crânien important avec, à l’IRM cérébrale effectuée en 2019, des signes de lésion séquellaire probablement post-traumatique au niveau du gyrus fronto orbitaire ayant de ce fait pu impacter le développement au niveau de son comportement et des capacités socio-émotionnelles et relationnelles et pouvant contribuer au tableau cognitif ».

Un trouble du spectre de l’autisme sans déficience intellectuelle (selon les critères du DSM 5 et dans la CIM-10 syndrome d’Asperger) est aussi évoqué mais considéré comme peu probable par la praticienne.

Elle relève toutefois qu’ « en l’absence d’une hétéroanamnèse fiable et détaillée couvrant l’ensemble du développement et permettant de mettre en lumière certaines temporalités d’apparition des diverses difficultés, il est actuellement difficile de faire la part des choses ».

bb. Selon un certificat médical établi le 4 janvier 2024 par la docteure E______, psychiatre et psychothérapeute FMH, experte certifiée dans l’appréciation de la capacité du travail, l’étudiant présente des troubles attentionnels, de planification et de gestion de ses questions administratives.

c. Par ordonnance du 18 février 2021, le Tribunal de protection de l’adulte et de l’enfant (ci-après : TPAE) a institué une curatelle de représentation et de gestion en faveur de l’étudiant, a désigné Me F______ aux fonctions de curateur (ci-après : le curateur), lui a confié les tâches de représenter l’intéressé dans ses rapports avec les tiers, en particulier en matière d’affaires administratives et juridiques, de gérer ses revenus et biens, ainsi que d’administrer ses affaires courantes. Il a autorisé le curateur à prendre connaissance de la correspondance de l’étudiant et a pris acte de l’engagement de ce dernier de prendre à sa charge le montant des honoraires du curateur.

d. Par décision du 21 avril 2021, l’office cantonal des assurances sociales (ci-après : OCAS) a accordé à l’étudiant une rente d’assurance invalidité (ci-après : AI), basée sur un degré d’invalidité de 100%. L’intéressé perçoit en sus des prestations complémentaires à hauteur de CHF 2’354.- mensuels.

e. L’étudiant s’est marié le 8 mars 2019 et séparé le 22 mai 2019. De cette union est née Iris, le 20 mars 2019. L’enfant a été provisoirement placée auprès de sa grand‑mère maternelle en raison de l’état de santé de ses deux parents de 2021 à juin 2023, date depuis laquelle elle vit avec sa mère en France. Une procédure en fixation du droit de visite du père est pendante devant les tribunaux d’Annecy.

B. a. L’étudiant s’est inscrit à la faculté de psychologie et des sciences de l’éducation (ci‑après : la faculté) de l’Université de Genève (ci-après : l’université) en septembre 2020. Pendant l’année scolaire 2022/2023, il effectuait sa troisième année en vue de l’obtention d’un Baccalauréat universitaire en psychologie (ci‑après : le Baccalauréat).

b. Par décision du 27 septembre 2023, la doyenne de la faculté (ci-après : la doyenne) a prononcé l’élimination de l’étudiant du programme d’études de Baccalauréat. Il n’avait obtenu que 36 crédits au lieu du minimum de 42 au terme de sa troisième année d’études, en raison de son absence à certains examens.

c. L’étudiant a fait opposition le 25 octobre 2023. Il sollicitait une dérogation afin de pouvoir terminer son Baccalauréat durant l’année académique 2023/2024. Il avait mal calculé ses crédits alors qu’il avait prévu d’obtenir son diplôme en quatre ans (2020 – 2024). Il décrivait sa situation familiale. Il avait comme projet d’obtenir une Maîtrise puis un doctorat en psychologie. S’il était éliminé, il devrait continuer ses études en France « ce qui serait assez compliqué, [lui] ferait perdre du temps alors qu’[il avait] déjà 46 ans ». Il espérait pouvoir compter sur la clémence de l’université, avait apprécié ses années d’études et souhaitait bénéficier de la bienveillance de l’institution.

d. Par décision du 21 novembre 2023 la doyenne a rejeté l’opposition. Les éléments portés à la connaissance de la commission d’opposition, soit une mauvaise compréhension du règlement, la situation familiale et l’activité professionnelle de l’étudiant, ne présentaient pas le caractère exceptionnel nécessaire à une dérogation aux dispositions réglementaires.

C. a. Par décision du 24 novembre 2023, l’étudiant a été exmatriculé de l’université.

b. Le 8 janvier 2024, le curateur a formé opposition à la décision du 24 novembre 2023.

D. a. Le 8 janvier 2024, sous la plume de son curateur, l’étudiant a interjeté recours devant la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la décision d’élimination du Baccalauréat. Il a conclu à son annulation, sa réintégration au programme d’études du Baccalauréat et, préalablement, à la restitution de l’effet suspensif au recours. Il devait être autorisé à suivre les cours du semestre de printemps 2024 ainsi qu’à s’inscrire et effectuer les examens de la session.

Il a notamment produit le bilan neuropsychologique établi par D______. Ne trouvant pas de travail à la hauteur des diplômes précédemment obtenus, il avait souhaité se reconvertir. Il avait obtenu de bons résultats depuis le début de son cursus mais avait mal calculé le nombre de crédits à valider lors de la troisième année de bachelor. Il avait fait opposition à la décision sans l’aide d’un conseil juridique ni même de son curateur et n’y avait pas évoqué son état de santé.

Les principes de proportionnalité et d’égalité avaient été violés à l’instar de la loi fédérale sur l’élimination des inégalités frappant les personnes handicapées du 13 décembre 2002 (loi sur l’égalité pour les handicapés, LHand – RS 151.3).

b. L’université a conclu au rejet de la requête en restitution de l’effet suspensif.

c. Par décision sur mesures provisionnelles du 12 février 2024, la chambre administrative a autorisé l’étudiant à suivre les cours du semestre de printemps 2024 du bachelor jusqu’à droit jugé au fond et a convoqué les parties à une audience de comparution personnelle.

d. L’université a conclu au rejet du recours. L’étudiant ne contestait pas qu’il devait acquérir un minimum de 42 crédits par année d’études sous peine d’élimination. La capacité d’organisation faisait partie des compétences attendues d’un étudiant briguant un titre universitaire. Or, non seulement le recourant avait connaissance du minimum de crédits nécessaires, mais il avait pris le soin de faire vérifier par le secrétariat des étudiants, en mars 2023, son programme de cours et d’examens pour sa troisième période de Baccalauréat. Il n’était dès lors pas crédible lorsqu’il affirmait avoir mal compris le règlement d’études. Il n’avait par ailleurs pas sollicité de mesures de compensation pour atténuer les désavantages consécutifs à un trouble, notamment psychique. Son curateur n’était pas non plus intervenu. Son élimination n’était pas exclusivement due à des difficultés organisationnelles causées par une maladie grave. Il avait d’ailleurs réussi sa deuxième période de baccalauréat.

e. Une audience s’est tenue le 7 mars 2024.

ea. La conseillère académique a précisé plusieurs notions mentionnées sur le relevé de notes. Elle concevait qu’il puisse être « un petit peu difficile à lire ». L’étudiant avait suivi un nombre correct de cours en 2022/2023, mais il ne s’était pas présenté à suffisamment d’examens. La faculté ignorait l’existence d’une curatelle jusqu’à la décision d’élimination. Elle avait rencontré l’étudiant notamment en mars 2023 et lui avait proposé un passage à temps partiel, soit la réussite de 30 crédits au lieu de 42, s’étant rendue compte qu’il rencontrait des difficultés. Elle avait envisagé cette possibilité pour le second semestre quand bien même, usuellement, cela se pratiquait pour l’année entière. Elle lui avait expliqué que la production d’un certificat médical serait nécessaire. Il lui avait toutefois répondu que « cela irait comme cela » et qu’il continuerait à plein temps. En mars 2023, il avait évoqué des problèmes familiaux. Elle n’avait toutefois appris la gravité de ceux-ci qu’après son élimination. Elle l’avait conseillé pour la formulation de son opposition que l’étudiant n’avait toutefois pas suffisamment étayée. Il n’avait notamment pas fait ressortir que, de son point de vue, la situation était exceptionnelle. Si, en mars 2023, elle avait su que l’intéressé avait un curateur, elle aurait pu lui suggérer de diminuer le nombre de crédits ou aménager son cursus en lui proposant, par exemple, de prendre un ou plusieurs semestres de congé. Elle aurait aussi pu lui proposer de s’adresser au « service des besoins particuliers » de l’université, lequel épaule les étudiants en fonction de leurs troubles. Des mesures, telles que du temps supplémentaire pour les examens ou le passage d’examens dans une salle à effectif réduit, pouvaient par exemple être offertes dans le cas de trouble déficit d’attention-hyperactivité (TDA-H). Elle n’avait jamais eu à traiter avec des curateurs ou des tuteurs. Elle travaillait beaucoup avec le « rapport de situation », qu’elle annotait et discutait avec les étudiants. Tel avait aussi été le cas avec A______.

eb. Le juriste représentant la faculté a précisé que, informée de la situation, la doyenne avait décidé de maintenir la décision. L’étudiant avait fait une lecture biaisée du règlement. Par souci d’égalité de traitement, la faculté considérait que la décision d’élimination était fondée.

ec. L’étudiant a indiqué qu’il avait effectivement préféré ne pas se présenter à certains examens au motif qu’il souhaitait faire un bon résultat et estimait ne pas être suffisamment prêt. De manière générale, s’il ne se sentait pas prêt à l’examen, il ne se présentait pas. Les examens étaient quasiment tous des QCM. Il était parfois possible de réussir avec de la chance alors qu’il préférait aller au fond des choses et réussir en ayant bien compris. Il avait toutefois fait un mauvais calcul car il ne s’était pas rendu compte qu’il n’obtiendrait pas le total nécessaire de crédits. Ceci lui avait été rappelé dans un échange de courriels en mars 2023. Il n’avait toutefois pas calculé ses crédits lorsqu’il s’était présenté aux sessions de juin et de septembre 2023. Il avait « eu une intuition globale » que cela devait « jouer » mais le compte n’y était pas. Il lui arrivait de faire appel à son curateur, environ cinq fois par mois, en général par courriel, surtout pour des problèmes financiers. Le fait que la curatelle soit payante le freinait. Il s’était heurté à la difficulté d’être un étudiant âgé et n’avait que peu de contacts avec les autres universitaires. Ceci était d’autant plus vrai qu’il était un des rares hommes. Il avait eu le même problème en 2e année. Une étudiante l’avait « sauvé » : elle lui avait montré ses résultats, « ce qui était pourtant quelque chose de relativement intime », et s’était rendue compte qu’il allait lui manquer des crédits.

ed. Son avocate, de la même étude que le curateur, a rappelé que l’étudiant avait prévu de faire son bachelor en quatre ans. S’il était possible de faire 36 crédits en 4e année, il était possible, dans l’esprit de l’étudiant, de faire aussi 36 crédits en 3e, sans que cela conduise à son exclusion. L’étudiant avait tendance à ne pas faire spontanément appel à son curateur. Il s’était toujours débrouillé seul pour ce qui concernait l’université. Le curateur avait appris l’élimination de son pupille à réception des notes. Il avait pensé qu’il était capable de faire l’opposition avec l’aide de la conseillère académique et qu’il mettrait en avant ses difficultés médicales. Les administrations n’étaient pas forcément au courant de l’existence de la curatelle puisque le courrier de son pupille était simplement dévié à l’Étude. Le curateur n’était pas intervenu plus tôt car l’intéressé était très intelligent, qu’il avait les capacités d’obtenir de bonnes notes et qu’il n’y avait pas eu de problème. La curatelle portant sur la gestion, l’administration et la représentation, il lui importait de lui laisser une certaine autonomie et liberté. Le mandat représentait une activité hebdomadaire régulière qui portait principalement sur les aspects administratifs et financiers. Il était erroné de parler d’égalité de traitement avec les autres étudiants au vu de la situation particulière du recourant. Si celui-ci devait être réintégré, son curateur suivrait son cursus universitaire et veillerait à ce qu’il se présente aux examens.

f. Dans ses observations finales, l’université a rappelé que le règlement n’offrait aucune marge d’appréciation en l’absence des crédits nécessaires. L’étudiant était capable de lire, de comprendre et de respecter des énoncés de consignes d’examen. Il était donc à même de comprendre et de suivre une règle simple figurant dans son règlement d’études, indépendamment de toutes difficultés organisationnelles liées au trouble psychique dont il se prévalait. Admettre son argument reviendrait à lui accorder un blanc-seing pour se livrer à sa propre interprétation de toutes les dispositions du règlement d’études. L’existence d’aménagements en faveur des étudiants n’était pas pertinente. Le passage en études à temps partiel n’aurait pas permis de garantir une lecture conforme de règlement par l’intéressé, pas plus que la présence de celui-ci aux examens auxquels il était inscrit. Un flou demeurait quant à savoir si l’étudiant ne s’était pas présenté à certains examens en raison du fait qu’il pensait pouvoir se limiter à 36 crédits ou parce qu’il ne s’estimait pas suffisamment prêt pour obtenir de bons résultats comme il l’avait indiqué en audience. Dans les deux hypothèses, il n’était pas possible d’établir un lien de causalité entre les difficultés organisationnelles alléguées par l’intéressé en lien avec sa maladie et le motif de son élimination. De même, il était problématique que les effets perturbateurs d’une maladie connue de l’étudiant et de son curateur soient évoqués « après coup », soit après une élimination. Le curateur avait notamment connaissance de l’étendue du trouble en cause.

g. Dans ses ultimes observations, l’étudiant, sous la plume de son curateur, a critiqué une approche rigoriste du cas d’espèce par l’université. Elle ne prenait pas en compte la situation exceptionnelle de l’intéressé ni ne se penchait sur les rapports médicaux établis par les psychologues et psychiatres. Il n’avait pas réussi, six mois après avoir été conseillé, à surpasser ses difficultés d’organisation et à obtenir le nombre de crédits indispensables à la poursuite de son cursus universitaire. Le curateur n’avait pas jugé ses troubles comme de nature à affecter le bon déroulement du cursus universitaire de son pupille. En cas de réintégration, le curateur suivrait les études de son pupille dans le but de s’assurer qu’aucune irrégularité ne vienne à nouveau retarder l’obtention du bachelor. En outre, une demande portant sur la possibilité d’aménagements dans la gestion du cursus pourrait être envisagée.

h. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

i. Le contenu des pièces sera détaillé en tant que de besoin dans la partie en droit du présent arrêt.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10 ; art. 43 al. 2 de la loi sur l’université du 13 juin 2008 - LU - C 1 30 ; art. 91 du statut de l’Université du 28 juillet 2011 (ci-après : statut) ; art. 36 al. 1 du règlement relatif à la procédure d’opposition au sein de l’université du 16 mars 2009 - RIO - UNIGE ; art. 19 al. 2 du règlement du baccalauréat universitaire en psychologie entrée en vigueur le 14 septembre 2020 [ci-après : RE]).

2.             Le recours est dirigé contre la décision d’élimination du recourant du baccalauréat universitaire en psychologie.

3.             Selon l’art. 61 LPA, le recours peut être formé pour violation du droit y compris l’excès et l’abus du pouvoir d’appréciation (al. 1 let. a) et pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (al. 1 let. b). Les juridictions administratives n’ont pas compétence pour apprécier l’opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (al. 2).

Il y a en particulier abus du pouvoir d'appréciation lorsque l'autorité se fonde sur des considérations qui manquent de pertinence et sont étrangères au but visé par les dispositions légales applicables, ou lorsqu'elle viole des principes généraux du droit tels que l'interdiction de l'arbitraire, l’égalité de traitement, le principe de la bonne foi et le principe de la proportionnalité (ATF 143 III 140 consid. 4.1.3).

4.             L’intéressé est notamment soumis à la LU, au statut, au RIO-UNIGE et au RE.

4.1 La formation du baccalauréat universitaire en psychologie a pour but de permettre l’acquisition des bases des différents domaines de la psychologie (art. 2.1 RE). La durée maximale des études est de dix semestres, sous peine d’élimination), sauf dérogation de la doyenne (art. 8.2 RE). Cette dernière peut accorder une dérogation à cette durée si l’étudiant désire faire des études à temps partiel. Le délai d’études est adapté en conséquence mais ne doit pas dépasser 12 semestres (art. 8.3 RE).

4.2 Le cursus est organisé en trois périodes d’études successives. Chaque période correspond à un volume d’études équivalant à une année d’études à plein temps (60 crédits ; art. 10.1 RE). L’inscription aux enseignements vaut automatiquement comme inscription à la session d’examens qui suit immédiatement la fin de cet enseignement (art. 13 al. 2 RE). L’étudiant qui échoue à la première tentative de validation est automatiquement réinscrit à la session d’août – septembre qui suit (art. 13 al. 4 RE). En cas d’absence à un examen non excusé pour de justes motifs, l’étudiant reçoit la note « 0 absence » et est automatiquement inscrit pour cet examen la session suivante (art. 16 al. 3 RE).

4.3 L’étudiant dispose de deux tentatives pour l’évaluation de chaque enseignement, réparties sur les trois sessions d’examens de l’année académique correspondante (janvier-février ; mai-juin et août-septembre ; art. 14 al. 4 RE). En cas de réinscription de remplacement d’un enseignement échoué, l’étudiant bénéficie alors de deux tentatives pour valider l’enseignement, sous réserve du respect des délais d’études (art. 15 al. 6 RE).

4.4 L’étudiant doit acquérir un minimum de 42 crédits par année d’études sous peine d’élimination, à moins que la somme des crédits restant à acquérir pour la période concernée ne soit inférieure à 42 crédits. L’étudiant inscrit à temps partiel doit acquérir un minimum de 30 crédits par année d’études sous peine d’élimination, à moins que la somme des crédits restant acquérir pour la première période propédeutique, la deuxième période ou la troisième période ne soit inférieure à 30 crédits (art. 15 al. 1 RE).

4.5 L’étudiant qui n’obtient pas un minimum de 42 crédits au terme d’une année d’études, à moins que la somme des crédits restant à acquérir pour la période concernée ne soit inférieure à 42, est éliminé du baccalauréat universitaire en psychologie (art. 18 al. 1 RE).

4.6 En l’espèce, il n’est pas contesté que l’étudiant devait obtenir 42 crédits aux terme de l’année d’études, ce qu’il n’a pas atteint. À ce titre, la décision d’élimination est fondée en application de l’art. 18 al. 1 RE.

5.             Le recourant fait état d’une situation exceptionnelle.

5.1 À teneur de l’art. 58 al. 3 du statut, l’étudiant qui échoue à un examen ou à une session d’examens auxquels il ne peut plus se présenter en vertu du règlement d’études est éliminé (let. a). La décision d’élimination est prise par le doyen de l’unité principale d’enseignement et de recherche, lequel tient compte des situations exceptionnelles (art. 58 al. 4 du statut).

L’art. 18 al. 4 RE a la même teneur.

5.2 Selon la jurisprudence, l’admission d’une situation exceptionnelle doit se faire avec restriction. Il en va de l’égalité de traitement entre tous les étudiants s’agissant du nombre de tentatives qu’ils sont autorisés à effectuer pour réussir leurs examens. N’est ainsi exceptionnelle que la situation particulièrement grave et difficile pour l’étudiant, ce tant d’un point de vue subjectif qu’objectif. Les effets perturbateurs doivent avoir été dûment prouvés par l’étudiant et être en lien de causalité avec l’événement. Les autorités facultaires disposent dans ce cadre d’un large pouvoir d’appréciation, dont l’autorité de recours ne censure que l’abus. La chambre de céans n’annule donc le prononcé attaqué que si l’autorité intimée s’est laissée guider par des motifs sans rapport avec l’examen ou d’une autre manière manifestement insoutenable (ATF 136 I 229 consid. 6.2 ; ATA/250/2020 du 3 mars 2020).

Ont ainsi été considérées comme des situations exceptionnelles le décès d’un proche s’il est établi qu’il a causé un effet perturbateur en lien de causalité avec l’échec de l’étudiant, de graves problèmes de santé ou encore l’éclatement d’une guerre civile avec de très graves répercussions sur la famille de l’étudiant. En revanche, des difficultés financières, économiques ou familiales ainsi que l’obligation d’exercer une activité lucrative en sus des études ne constituent pas des circonstances exceptionnelles, même si elles représentent une contrainte. Ces difficultés sont certes regrettables, mais font partie d’une réalité commune à de très nombreux étudiants (ATA/281/2021 du 2 mars 2021 ; ATA/459/2020 du 7 mai 2020 consid. 5b ; ATA/250/2020 du 3 mars 2020 consid. 4b et les références citées).

5.3 En l’espèce, le recourant est sous curatelle pour des raisons de santé. À teneur du certificat médical établi le 4 janvier 2024 par la Dre E______, le patient présente des troubles attentionnels, de planification et de gestion de ses questions administratives. Il ressort surtout du bilan détaillé d’D______, psychologue spécialisée en neuropsychologie FSP que le tableau cognitif est actuellement d’intensité légère affectant la sphère attentionnelle, exécutive comportementale et socio émotionnelle, chez un patient présentant par ailleurs un Haut Potentiel Intellectuel. Si les difficultés mises en évidence dans le présent bilan (signe dysexécutif comportemental, difficultés socio‑émotionnelles) s’inscrivent dans le cadre du spectre de la schizophrénie et des troubles psychotiques fortement suspectés chez ce patient (selon ses dires et en l’absence de rapport à disposition), une contribution du traumatisme crânien subi à l’adolescence n’est néanmoins pas écartée. En effet le patient a subi à l’âge de 13 - 14 ans un traumatisme crânien important avec à l’IRM cérébrale effectuée en 2019 des signes de lésion séquellaire probablement post-traumatique au niveau du gyrus fronto orbitaire ayant de ce fait pu impacter le développement au niveau de son comportement et des capacités socio-émotionnelles et relationnelles et pouvant contribuer au tableau cognitif. Un trouble du spectre de l’autisme sans déficience intellectuelle (selon les critères du DSM 5 et dans la CIM-10 syndrome d’Asperger) est aussi évoqué mais considéré comme peu probable par la praticienne. Elle relève toutefois qu’ « en l’absence d’une hétéroanamnèse fiable et détaillée couvrant l’ensemble du développement et permettant de mettre en lumière certaines temporalités d’apparition des diverses difficultés, il est actuellement difficile de faire la part des choses ».

L’université ignorait l’existence tant des problèmes médicaux que de la curatelle. Toutefois la conseillère a indiqué en audience s’être rendu compte, en mars 2023, que l’étudiant rencontrait des difficultés. Elle lui avait alors proposé notamment d’effectuer le second semestre de la troisième période à temps partiel, ce que l’intéressé avait décliné.

En audience, la conseillère a précisé n’avoir jamais eu de situation d’étudiant sous curatelle. Elle a de même indiqué que si elle avait connu la situation du recourant, deux « niveaux » d’aide auraient pu lui être proposés. Outre le passage à temps partiel susmentionné n’exigeant l’obtention que de 30 crédits au lieu de 42, elle aurait pu lui suggérer de diminuer le nombre de crédits à obtenir ou aménager son cursus en lui proposant, par exemple, de prendre un ou plusieurs semestres de congé. Elle lui aurait de surcroît proposé de prendre contact avec le « service des besoins particuliers » de l’université lequel épaule les étudiants en fonction de leurs troubles. Des solutions ciblées ou en tous les cas favorisant le cursus de l’étudiant auraient ainsi pu lui être proposées, la conseillère évoquant, en cas de TDA-H, la possibilité d’avoir du temps supplémentaire lors des examens ou de passer ceux-ci dans une salle à effectif réduit par exemple.

Ainsi, si l’université avait connu les difficultés de l’étudiant, des solutions auraient été proposées afin d’éviter l’élimination.

L’étudiant était inscrit à un nombre de cours suffisants. Les problèmes se sont posés par la non présentation de l’intéressé à des examens en juin et en septembre 2023. Il a manifestement manqué à l’étudiant quelqu’un pour attirer son attention sur les conséquences de son absence à certains examens. Si certes le point avait été fait en mars 2023, notamment de façon très détaillée sur le « rapport de situation », l’étudiant n’était pas ou plus conscient des implications de son absence aux examens. Il était ainsi notamment parti de l’idée, fausse, que si la validation de 36 crédits était possible en quatrième année, elle le serait aussi en troisième. Compte tenu de ce qui précède et contrairement à ce que soutient l’université, la problématique ne peut être résumée à une seule « mauvaise lecture » du règlement. L’étudiant a d’ailleurs indiqué s’être déjà heurté à cette difficulté en deuxième année et avoir été « sauvé » par une autre étudiante qui avait attiré son attention sur les contingences administratives. L’étudiant évoque toutefois qu’elle avait pu le faire en voyant son relevé de notes, ce qu’il trouvait relever d’une certaine « intimité ». Cette remarque confirme le peu de proximité du recourant avec les autres étudiants, sans qu’il puisse être exclu que cette situation ait un lien avec son trouble.

Il ressort du dossier que l’étudiant n’évoque pas volontiers ses troubles et les difficultés qu’il rencontre, ce que la gestion de son opposition, seul, tend à confirmer. De même, il ne s’est pas ouvert de ses difficultés auprès de la conseillère, pourtant dévouée dans les conseils qu’elle lui a prodigués en mars 2023. Pour des raisons non pertinentes, l’étudiant a souhaité gérer seul son parcours universitaire, encouragé dans cette voie par son curateur, soucieux de le laisser « maître » de sa formation, jusque-là gérée sans difficultés à sa connaissance, et pour laquelle il est établi que l’étudiant a les capacités intellectuelles. Cette approche ne peut être reprochée au curateur au vu du mandat, limité, qui lui a été confié.

Il en ressort que l’étudiant n’était manifestement pas apte à gérer et à comprendre les conséquences de ses choix de se présenter, ou non, aux examens. La question de savoir si l’absence était due à la volonté de l’étudiant de ne se présenter qu’aux examens dont il maitrisait parfaitement la matière ou à sa conviction que 30 crédits pouvaient suffire n’est pas déterminante, dès lors qu’il n’avait en tous les cas pas conscience du risque d’être éliminé. Cette issue était aisément évitable si l’entourage du recourant avait connu les risques. L’absence de conscience des risques étant liée à ses troubles, elle entre dans le champ de protection voulu par la mesure de curatelle.

Il en résulte que le RE ne peut trouver une application stricte induisant, en l’absence de 42 crédits annuels, l’élimination de l’étudiant. Contrairement à ce que soutient l’université, cette solution ne viole pas le principe de l’égalité de traitement, la situation de l’étudiant étant particulière, qu’il s’agisse des troubles présentés, de la protection dont il aurait dû bénéficier notamment entre mars et septembre 2023, de la protection qui lui a manqué de par sa propre attitude et sa pudeur à évoquer ses difficultés, sans qu’il puisse lui en être tenu rigueur au vu des troubles, de ses capacités intellectuelles à suivre la formation, ce que les parties ne contestent pas et que les résultats obtenus tendent à confirmer, à l’instar du bilan médical produit. Compte tenu des éléments précités, la situation de l’étudiant n’est pas comparable à celle des autres étudiants et mérite un traitement différent.

En ne tenant pas compte de ces circonstances particulières, au sens des art. 58 al. 4 du statut et 18.4 RE, la doyenne a abusé de son pouvoir d’appréciation.

Dans ces conditions, le recours sera admis et la décision d’élimination de l’étudiant de la faculté annulée.

6.             Vu l’issue du litige, il ne sera pas perçu d’émolument (art. 87 al. 1 LPA) et une indemnité de procédure de CHF 1’500.- sera allouée au recourant qui y a conclu, à la charge de l’université (art. 87 al. 2 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 8 janvier 2024 par A______ contre la décision de l’Université de Genève du 21 novembre 2023 ;

au fond :

l’admet ;

annule la décision du 21 novembre 2023 ;

ordonne à l’Université de Genève de réimmatriculer A______ en faculté de psychologie et des sciences de l’éducation ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ;

alloue une indemnité de procédure de CHF 1’500.- à A______ à la charge de l’Université de Genève ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral :

- par la voie du recours en matière de droit public ;

- par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les art. 113 ss LTF, s’il porte sur le résultat d’examens ou d’autres évaluations des capacités, en matière de scolarité obligatoire, de formation ultérieure ou d’exercice d’une profession (art. 83 let. t LTF) ;

le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me F______, curateur et avocat du recourant, ainsi qu’à l’Université de Genève.

Siégeant : Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, présidente, Jean-Marc VERNIORY, Eleanor McGREGOR, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

J. PASTEUR

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. PAYOT ZEN-RUFFINEN

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :