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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1340/2023

ATA/351/2024 du 07.03.2024 ( EXPLOI ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1340/2023-EXPLOI ATA/351/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 7 mars 2024

1ère section

 

dans la cause

 

A______ recourante
représentée par Me Albert RIGHINI et Me François ROD, avocats

contre

SERVICE DE POLICE DU COMMERCE ET DE LUTTE CONTRE LE TRAVAIL AU NOIR intimé

_________



EN FAIT

A. a. A______ exploite un bar-restaurant (ci-après : l'établissement ) sous l'enseigne « B______ » sis C______ à Genève.

b. Selon un rapport établi le 25 octobre 2022 par la police municipale, suite au contrôle effectué le 14 octobre 2022 à 21h07 au sein de l'établissement, il a notamment été constaté que la porte de ce dernier était « grande ouverte » et le bruit de la musique y provenant était clairement audible depuis l'extérieur. L'exploitation de cet établissement était ainsi de nature à engendrer des inconvénients pour le voisinage.

c. Le 19 décembre 2022, le service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir (ci-après : PCTN) a communiqué à A______ le rapport de police, l’a informée qu’il envisageait de lui infliger une amende administrative conformément à l’art. 65 de la loi sur la restauration, le débit de boissons, l’hébergement et le divertissement du 19 mars 2015 (LRDBHD - I 2 22), et l'a invitée à formuler ses observations.

d. Le 11 janvier 2023, A______ a exposé que la porte d'entrée de l'établissement était ouverte lorsque des clients l'empruntaient, ce qui pouvait arriver plus souvent aux périodes de forte affluence. Un portier s'occupait de filtrer les clients et derrière cette porte ouverte, il y avait un rideau de tissu épais qui empêchait le froid d'entrer et protégeait aussi contre le bruit. Il était donc exagéré de reprocher que l'établissement était exploité de manière à engendrer des inconvénients graves pour le voisinage.

e. Par décision du 6 mars 2023, le PCTN a reproché à A______ d'avoir commis une infraction à l'art. 24 al. 2 LRDBHD cum 44 al. 3 du règlement d'exécution de la loi sur la restauration, le débit de boissons, l'hébergement et le divertissement du 28 octobre 2015 (RRDBHD - I 2 22.01) et lui a infligé une amende de CHF 400.- conformément à l’art. 65 LRDBHD.

Les explications que A______ avait données n’étaient pas propres à remettre en cause les constatations faites par les services de police le 25 octobre 2022 qui avaient, selon la jurisprudence cantonale, valeur probante sauf si des éléments permettaient de s'en écarter.

B. a. Par acte remis à la poste le 21 avril 2023, A______ a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre cette décision, concluant à son annulation.

Aucune faute ne pouvait lui être reprochée. Elle avait exploité son établissement de façon à ne pas engendrer d'inconvénients pour le voisinage. La diffusion du bruit de musique de l'établissement à l'extérieur, qui aurait été constatée par un agent de police, aurait eu lieu uniquement durant la très brève période durant laquelle la porte d'entrée de l'établissement avait été ouverte par des clients pour permettre leur entrée, respectivement leur sortie de cet établissement. La porte d'entrée était en effet équipée d'un ferme-porte automatique lui permettant de se refermer immédiatement après le passage des clients, de sorte qu'elle ne demeurait jamais en position ouverte après le passage d'un client. L'agent de police qui aurait constaté la diffusion d'un bruit de musique à l'extérieur de l'établissement reconnaissait d'ailleurs que cette diffusion n'avait eu lieu que durant un très bref instant puisqu'elle avait uniquement eu lieu à 21h07. Il ne pouvait dès lors être exigé d'elle de séquestrer les clients à l'intérieur de son établissement en leur interdisant d'utiliser la porte d'entrée pour un sortir, ce qui aurait constitué une infraction pénale réprimée par l'art. 183 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0). Le cas échéant, il conviendrait de retenir qu'elle se trouvait dans un état de nécessité licite au sens de l'art. 17 CP.

Pour le surplus, la diffusion du bruit de musique de l'établissement à l'extérieur de celui-ci durant un très bref instant ne pouvait pas être de nature à engendrer des inconvénients pour le voisinage, premièrement en raison de la très faible durée de cette diffusion, deuxièmement, du fait que l'établissement était équipé d'un limitateur de niveau sonore permettant de garantir, en tout temps, le respect des normes d'immissions sonores et, troisièmement, parce que cette diffusion avait eu lieu très peu de temps après 21h, soit en dehors de la période de repos nocturne.

Aussi, l'autorité avait procédé à une constatation inexacte des faits et notamment violé les art. 24 al. 2 LRDBHD, 44 RDBHD, 1 de la loi pénale genevoise du 17 novembre 2006 (LPG - E 4 05) et 17 et 47 CP.

A l'appui du recours étaient notamment annexés : une attestation du 15 avril 2023 établie par D______, employé en tant que portier au sein de l'établissement « B______ », déclarant que la porte d'entrée dudit établissement est équipée d'un ferme-porte automatique, que l'établissement était équipé d'un limitateur de niveau sonore et que le hall d'entrée était équipé d'un rideau d'isolation. Il avait personnellement assisté au contrôle de police du 14 octobre 2022 et que suite au passage des clients, la porte s'est automatiquement refermée par l'action du ferme-porte automatique et qu'elle n'avait ainsi pas été maintenue ouverte plus longtemps que nécessaire pour le passage de ces clients; une photographie du limitateur de niveau sonore installé dans l'établissement ; une photographie du dispositif de ferme-porte automatique et une du rideau de porte protégeant l'entrée de l'établissement.

b. Le 25 mai 2023, le PCTN a conclu au rejet du recours.

Les agents assermentés avaient constaté un bruit excessif émanant de l'établissement exploité par la recourante, audible depuis l'extérieur et qui était de nature à déranger le voisinage.

c. La recourante n'ayant pas fait usage de son droit à la réplique, les parties ont été informées le 4 août 2023 que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

2.             La recourante conclut préalablement à l'audition de D______ en qualité de témoin.

2.1 Tel qu'il est garanti par l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d'être entendu comprend notamment le droit pour l'intéressé d'offrir des preuves pertinentes et d'obtenir qu'il y soit donné suite (ATF 132 II 485 consid. 3.2 ; 127 I 54 consid. 2b). Ce droit ne s'étend qu'aux éléments pertinents pour l'issue du litige et n'empêche pas le juge de renoncer à l'administration de certaines preuves et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, s'il acquiert la certitude que celles-ci ne l'amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 138 III 374 consid. 4.3.2 ; 131 I 153 consid. 3). En outre, il n'implique pas le droit d'être entendu oralement, ni celui d'obtenir l'audition de témoins (ATF 134 I 140 consid. 5.3 ; 130 II 425 consid. 2.1).

2.2 En l’espèce, la recourante n'expose pas en quoi serait utile l'audition de D______, étant précisé que le contenu de l'attestation qu'il a établie figurant au dossier n'est en soi pas contesté par l'intimé. La chambre de céans considère ainsi que le témoignage sollicité n'est pas utile pour trancher le litige, si bien qu'il ne sera pas donné suite à cette demande d’instruction.

3.             Le litige a pour objet le bien-fondé de l’amende de CHF 400.- infligée par la décision du PCTN du 6 mars 2023.

3.1 La LRDBHD, entrée en vigueur le 1er janvier 2016, a pour but de régler les conditions d’exploitation des entreprises vouées à la restauration et/ou au débit de boissons à consommer sur place, à l’hébergement, ou encore au divertissement public (art. 1 al. 1 LRDBHD).

Elle vise à assurer la cohabitation de ces activités avec les riverains, notamment par leur intégration harmonieuse dans le tissu urbain, et à développer la vie sociale et culturelle et sa diversité, dans le respect de l’ordre public, en particulier la tranquillité, la santé, la sécurité et la moralité publiques (art. 1 al. 2 LRDBHD).

En vertu de l’art. 24 LRDBHD, l’exploitant doit veiller au maintien de l’ordre dans son établissement, qui comprend le cas échéant sa terrasse, et prendre toutes les mesures utiles à cette fin (al. 1). Il doit exploiter l’entreprise de manière à ne pas engendrer d’inconvénients pour le voisinage (al. 2).

L'art. 44 al. 3 RRDBHD prévoit pour sa part que l'exploitant doit exploiter l’entreprise de manière à ne pas engendrer d’inconvénients pour le voisinage.

À teneur de l’art. 60 LRDBHD, le département est l’autorité compétente pour décider des mesures et sanctions relatives à l’application de la loi. Sont réservées les dispositions spéciales de la loi qui désignent d’autres autorités, de même que les mesures et sanctions prévues par d’autres lois et règlements qui relèvent notamment des domaines visés à l’art. 1 al. 4 LRDBHD (al. 1). Tout rapport établi par la police, ou par tout autre agent de la force publique habilité à constater les infractions à la LRDBHD, est transmis sans délai au département (al. 2).

3.2 De jurisprudence constante, la chambre administrative accorde généralement valeur probante aux constatations figurant dans un rapport de police, établi par des agents assermentés (ATA/625/2021 du 15 juin 2021 consid. 3d et les références citées; ATA/897/2018 du 4 septembre 2018 consid. 7f), sauf si des éléments permettent de s’en écarter.

3.3 Aux termes de l’art. 65 LRDBHD intitulé « amendes administratives », en cas d’infraction à ladite loi et à ses dispositions d’exécution, ainsi qu’aux conditions des autorisations, le département peut infliger une amende administrative de CHF 300.- à CHF 60'000.- en sus du prononcé de l’une des mesures prévues aux art. 61, 62 et 64, respectivement à la place ou en sus du prononcé de l’une des mesures prévues à l'art. 63 LRDBHD (al. 1). Si l’infraction a été commise dans la gestion d’une personne morale, d’une société en commandite, d’une société en nom collectif ou d’une entreprise en raison individuelle, la sanction de l’amende est applicable aux personnes qui ont agi ou auraient dû agir en son nom. La personne morale, la société ou le propriétaire de l’entreprise individuelle répondent solidairement des amendes. La sanction est applicable directement aux sociétés ou entreprises précitées lorsqu’il n’apparaît pas de prime abord quelles sont les personnes responsables (al. 2).

3.4 Les amendes administratives prévues par les législations cantonales sont de nature pénale, car aucun critère ne permet de les distinguer clairement des contraventions pour lesquelles la compétence administrative de première instance peut, au demeurant, aussi exister (ATA/1158/2019 du 19 juillet 2019 consid. 3 ; ATA/12/2015 du 6 janvier 2015 et les références citées ; Pierre MOOR/Étienne POLTIER, Droit administratif : les actes administratifs et leur contrôle, vol. 2, 2011, ch. 1.4.5.5 p. 160 s).

L’autorité qui prononce une amende administrative ayant le caractère d’une sanction doit également faire application des règles contenues aux art. 47 ss CP ; principes applicables à la fixation de la peine ; par renvoi de l’art. 1 let. a LPG; ATA/1158/2019 précité consid. 5b ; ATA/1457/2017 du 31 octobre 2017 consid.  7a). Il est ainsi nécessaire que le contrevenant ait commis une faute, fût-ce sous la forme d’une simple négligence (Ulrich HÄFELIN/Georg MÜLLER/Felix UHLMANN, Allgemeines Verwaltungsrecht, 6ème éd., Zürich-Bâle-Genève 2006, p. 252, n. 1179).

3.5 Par ailleurs, l’amende doit respecter le principe de la proportionnalité (art. 36 al. 3 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 - Cst. - RS 101). Il y a lieu de tenir compte de la culpabilité de l’auteur et de prendre en considération, notamment, les antécédents et la situation personnelle de ce dernier (art. 47 al. 1 CP). La culpabilité est, notamment, déterminée par la gravité de la lésion ou de la mise en danger du bien juridique concerné, par le caractère répréhensible de l’acte, par les motivations et les buts de l’auteur et par la mesure dans laquelle celui-ci aurait pu éviter la mise en danger ou la lésion, compte tenu des circonstances (art. 47 al. 2 CP ; ATA/217/2024 du 14 février 2024 consid. 3.7 ; ATA/1158/2019 précité consid. 5b ; ATA/1457/2017 précité consid. 7b).

Le PCTN jouit d’un large pouvoir d’appréciation pour fixer le montant de l’amende. La juridiction de céans ne le censure qu’en cas d’excès ou d’abus (ATA/1158/2019 précité consid. 5b ; ATA/331/2018 du 10 avril 2018 consid. 8b et les références citées).

3.6 En l’espèce, le PCTN s’est fondé sur le rapport de police du 25 octobre 2022, laquelle a constaté que le 14 octobre 2022 à 21h07, la porte de l'établissement en question était « grande ouverte » et le bruit de la musique en provenant était clairement audible depuis l'extérieur. Elle a retenu que l'exploitation de cet établissement était ainsi de nature à engendrer des inconvénients pour le voisinage.

La recourante conteste cette appréciation en soutenant notamment que l'établissement est équipé d'un limitateur de niveau sonore permettant de garantir en tout temps, le respect des immissions sonores, et que la porte est elle-même équipée d'un ferme-porte automatique de sorte qu'elle ne peut être maintenue ouverte plus longtemps que nécessaire pour le passage de ces clients. Elle ne saurait être suivie, ces éléments étant sans pertinence en tant que la diffusion de musique excessive a été constatée à l'extérieur de l'établissement, alors que ladite porte était ouverte. Le fait que la diffusion de musique en cause ait eu lieu en dehors de la « période de repos » n'y change rien, l'infraction à l'art. 24 al. 2 LRDBH pouvant être commise quelle que soit l'heure.

Conformément à cette disposition, la recourante devait veiller à ce que la porte d'entrée de son établissement ne reste pas trop longtemps ouverte en raison des allers et venues de ses clients, de façon à ne pas causer d'émissions de bruit excessif de nature à engendrer d’inconvénients pour le voisinage. Aussi, son argumentation selon laquelle il ne pouvait lui être exigé de séquestrer les clients à l'intérieur de son établissement en leur interdisant d'utiliser la porte d'entrée pour en sortir, et que le cas échéant, elle se trouvait dans un état de nécessité licite au sens de l'art. 17 CP en permettant de préserver la liberté personnelle et de mouvement de ses clients, ne convainc pas.

Il ressort de ce qui précède que les explications données par la recourante dans ses écritures ne sont pas propres à remettre en cause les constatations faites par des agents assermentés, de sorte que ces dernières sont prises en considération de manière prépondérante dans l’appréciation des preuves faite par la chambre administrative. Le grief lié à l'absence de faute sera donc rejeté.

C’est ainsi sans abus ni excès de son pouvoir d’appréciation et après avoir correctement établi les faits que le PCTN a conclu qu’une infraction à l’art. 24 al. 2 LRDBHD avait été commise, de sorte que le principe de l'amende est fondé.

Enfin, la recourante ne conteste pas en soi le montant de l'amende qui se trouve au demeurant dans la partie très basse de la fourchette prévue à l'art. 65 LRDBH précité. Elle ne fait au demeurant pas état de difficultés pécuniaires particulières qui l'empêcheraient de s’acquitter d’un tel montant, lequel n'apparait pas disproportionné.

Mal fondé, le recours sera rejeté.

4.             La recourante, qui succombe, supportera un émolument de CHF 500.- (art. 87 al. 1 LPA). Vu l’issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 21 avril 2023 par A______ contre la décision du service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir du 6 mars 2023 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 500.- à la charge de A______ ;

dit qu’aucune indemnité de procédure n’est allouée ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral suisse, av. du Tribunal fédéral 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Albert RIGHINI et Me François ROD, avocats de la recourante, ainsi qu'au service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir.

Siégeant : Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, présidente, Claudio MASCOTTO, Michèle PERNET, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

N. GANTENBEIN

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. PAYOT ZEN-RUFFINEN

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :