Aller au contenu principal

Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/3722/2022

ATA/181/2024 du 06.02.2024 sur JTAPI/701/2023 ( LCI ) , REJETE

Recours TF déposé le 19.04.2024, 1C_230/2024
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3722/2022-LCI ATA/181/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 6 février 2024

3ème section

 

dans la cause

 

A______ SA recourante
représentée par Me Lionel HALPERIN, avocat

contre

DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE - OAC

DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE – OCEAU

représentée par Me Samuel BRÜCKNER, avocat

OFFICE FÉDÉRAL DES ROUTES intimés

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 22 juin 2023 (JTAPI/701/2023)


EN FAIT

A. a. Le 28 avril 2021, le Conseil d'État a déposé devant le Grand Conseil un projet de loi modifiant les limites de zones sur le territoire des communes de B______ et de C______ (création d’une zone industrielle et artisanale, d’une zone sportive et d’une zone de verdure, destinées à un port pour les embarcations professionnelles et à l’aménagement d’une zone de délassement au lieu-dit « D______ ») et modifiant partiellement le périmètre de protection générale des rives du lac (art. 1). Cette loi a été adoptée par le Grand Conseil le 25 février 2022 et est entrée en vigueur le 30 avril 2022 (loi n° 12'969).

b. A______ SA (ci-après : A______), active dans l'immobilier et dont les administrateurs sont E______ et F______ et G______, est propriétaire de la parcelle n° 2'120 de la commune de C______, sise ______, route H______, sur laquelle sont notamment édifiés une villa avec piscine et un port privé.

c. Le 18 mai 2021, le département du territoire (ci-après : le département), soit pour lui l'office cantonal de l’eau (ci-après : OCEau), a déposé une requête en autorisation de démolir des « constructions existantes, exutoire et conduite D______, rive actuelle et topographie – abattage d'arbres » concernant les parcelles nos 1'438, 1'566 et 1'729 de la commune de C______, et les parcelles nos 3'058, 3'164 et 3'521 de la commune de B______, requête enregistrée sous la référence M 1______.

d. Le même jour a été déposée une requête en autorisation de construire portant sur l'« aménagement du site du D______ (plage/port/accès à l'eau/renaturation), la construction d'un bâtiment d'ateliers et une base de loisirs avec buvette, des pompes à chaleur et panneaux solaires en toiture et l'abattage d'arbres », concernant les mêmes parcelles et enregistrée sous la référence DD 2______.

À l'appui de la demande d'autorisation était annexée une notice explicative exposant notamment les objectifs, savoir, à l'échelle du canton, de libérer la Rade à l'aval du jet d'eau, de créer un port pour les entreprises lacustres et d'opérer la mise en conformité légale du site. À l'échelle du site, il s'agissait de maintenir les activités en place, d'améliorer l'accès à l'eau et de reconfigurer l'embouchure du D______ aujourd'hui canalisée (p. 6). Le site du D______ avait été identifié dans le cadre de l’étude préliminaire de localisation et de morphologie des aménagements lacustres (EPLMAL) conduite par le canton en 2014, qui proposait une vision coordonnée et qui détaillait les mesures ou les principes d'aménagement énoncés dans la fiche C3______ du PDCn 2030 concernant la gestion des rives et des usages lacustres (p. 7). Les surfaces de renaturation intégrées au projet étaient composées de la renaturation de l'embouchure du ruisseau du D______, de la création de deux îles pour les oiseaux et de la renaturation de la rive du D______ (p. 40).

e. Dans le cadre de l’instruction de la requête en autorisation de construire, les rapports, observations et préavis suivants ont notamment été recueillis :

-          le 30 avril 2021, un rapport d'expert acoustique, sous-indice H01, réalisé par le bureau I______, qui a conclu de ses résultats que les immissions sonores des installations fixes du projet respectaient les valeurs de planification de l'ordonnance sur la protection contre le bruit du 15 décembre 1986 (OPB - RS 814.41) à l'emplacement des fenêtres les plus exposées du voisinage et a rappelé qu'aucun degré de sensibilité au bruit n'était attribué à l'emplacement de la villa la plus exposée, au ______, route H______, les résultats étant comparés aux exigences du DSII pour ce point ;

-          en mai 2021, un rapport d'impact sur l'environnement (ci-après : RIE) établi par J______ SA, proposant des mesures de protection cherchant à limiter au maximum les impacts du projet, des mesures de reconstitution visant à réparer les impacts temporaires, et des mesures de remplacement, dans le cadre d'impacts irréversibles, qui visaient à compenser ces derniers. Après avoir listé les domaines de l'environnement pour lesquels l'impact du projet était légèrement négatif en phase de réalisation mais nul en phase d'exploitation, les domaines de l'environnement pour lesquels l'impact du projet était légèrement négatif à négatif en phase de réalisation mais pour lesquels des mesures étaient mises en œuvre pour limiter et compenser les impacts, les domaines de l'environnement pour lesquels l'impact du projet était négatif en phase de réalisation et d'exploitation mais pour lesquels des mesures étaient mises en œuvre pour compenser ces impacts et les domaines de l'environnement pour lesquels le projet n'induisait pas d'impact, le rapport concluait que les mesures de minimisation et de compensation prévues et intégrées au projet permettaient de répondre aux exigences légales en vigueur, recommandant toutefois vivement de mettre en place un suivi des mesures de compensation du domaine nature. La renaturation de la rive avec l'aménagement d'une grève naturelle, remplaçant les enrochements en place, permettait la création d'habitats favorables à la faune et était considérée comme un gain écologique important. Le projet était réalisable dans son ensemble du point de vue environnemental. Aucun impact négatif déterminant et pour lequel aucune mesure ne pourrait être raisonnablement envisagée n'a été identifié. La faisabilité environnementale du projet était donc confirmée (pp. 156 et 157) ;

-          le 18 mai 2021, une étude hydraulique complémentaire, mandatée par le service du lac, de la renaturation des cours d'eau et de la pêche (ci-après : SLRP) à la demande de A______ et réalisée par le bureau d'étude K______ Sàrl, pour étudier les éventuels impacts du nouveau port sur celui de la parcelle n° 2'120, plus particulièrement le comportement des vagues de bise et de vent à proximité du port de la parcelle n° 2'120, ainsi que l'évolution du risque d'ensablement de ce port ;

-          le 11 juin 2021, la commission consultative de la diversité biologique (ci-après : CCDB) a émis un préavis favorable à la dérogation au sens de l'art. 13 al. 2 de la loi sur la protection générale des rives du lac du 4 décembre 1992 (LPRLac - L 4 10), avec souhait que les bâtiments soient construits en majorité avec du bois indigène ;

-          le 1er juillet 2021, la commission d'urbanisme a émis un préavis favorable en saluant la grande qualité du projet qui s'inscrivait dans la continuité d'une valorisation et de l'accessibilité publique des rives du lac, tout en traitant les fonctionnalités et contraintes portuaires, notamment pour l'entretien et le parcage des batelleries ;

-          le 5 juillet 2021, l’office de l’urbanisme (SPI) a émis un préavis favorable sans observations ;

-          le 12 août 2021, les communes de C______ et de B______ ont émis un préavis favorable avec souhaits ;

-          le 14 septembre 2021, la commission des monuments, de la nature et des sites (ci-après : CMNS) a émis un préavis favorable avec dérogations et sous conditions, sous l'angle des art. 15 de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05), et 1 de la loi sur la protection des monuments, de la nature et des sites du 4 juin 1976 (LPMNS - L 4 05), les art. 6 à 13 LPRLac et à la dérogation à l'art. 15 de la loi sur les eaux du 5 juillet 1961 (LEaux-GE - L 2 05). Suite à la présentation du dossier par les requérants et le mandataire, ainsi que la mise en relation de cette requête avec la procédure de modification de zone en cours, la commission a remarqué une nette amélioration du projet répondant à l'ensemble des points importants qu'elle avait mis en avant dans son précédent préavis. Le mariage réussi entre D______ et les îles en était la preuve. Elle a néanmoins demandé que plusieurs conditions soient expressément remplies dans le cadre des réserves d'exécutions afin d'aboutir à un projet exemplaire pour les bords du lac Léman. L'intégration des éléments bâtis devait permettre à cet ensemble de se fondre dans le grand paysage ;

-          le 16 novembre 2021, l'OCEau a émis un préavis favorable aux dérogations aux art. 15 al. 3 LEaux-GE et 41c de l'ordonnance sur la protection des eaux du 28 octobre 1998 (OEaux - RS 814.201) et 39 de la loi fédérale sur la protection des eaux du 24 janvier 1991 (LEaux - RS 814.20), sous conditions ;

-          le 25 novembre 2021, le service de l’environnement et des risques majeurs (ci‑après : SERMA) a demandé des pièces complémentaires et une modification de projet, préconisant onze points de modification en lien avec la protection de la flore, de la faune, des arbres isolés et des îles ;

-          en janvier 2022, le RIE d’J______ SA, modifié suite au préavis du SERMA du 25 novembre 2021, demandant des modifications du projet, faisant état des impacts permanents et les mesures de minimisation et de compensation de ces impacts, et confirmant la faisabilité environnementale du projet ;

-          le 15 mars 2022, l’office cantonal de l’agriculture et de la nature (ci-après : OCAN) a rendu un préavis liant favorable avec dérogation à l'art 22 de la loi fédérale sur la protection de la nature et du paysage du 1er juillet 1966 (LPN - RS 451), constatant la réalisation des conditions de son alinéa 2 et après pesée des intérêts, autorisait la destruction temporaire et définitive de la végétation riveraine du périmètre du projet, sous conditions, notamment de réaliser l'ensemble des mesures de minimisation, de reconstitution, de remplacement et de compensation conformément au RIE, au plus tard l'année qui suit la fin des travaux ;

-          le 5 avril 2022 le SERMA a demandé des pièces complémentaires ;

-          le 20 juin 2022, le SERMA a préavisé favorablement la demande, avec dérogations et conditions, synthétisant les différents préavis, notamment celui de l’OCEau, favorable à une dérogation à l'art. 39 LEaux, au motif que le projet améliorait la qualité écologique du rivage sur le site de la plage du D______ ;

-          le 29 juin 2022, A______ a formulé des observations, faisant valoir que le projet serait source de pollutions, visuelle, sonore et olfactive, de risques d'ensablement pour son port et une violation de l'art. 39 LEaux quant aux remblais ;

-          la réponse du 27 juillet 2022 du SLRP invitant l'office des autorisations de construire (ci-après : OAC) à écarter ces observations, relevant l'absence des problématiques soulevées par A______ ;

-          un erratum relatif au RIE de juillet 2022, visant à préciser la synthèse chiffrée de l'impact du projet sur les milieux lacustres et riverains du RIE de janvier 2022, faisant état d'une surface perdue (impact négatif) de 30'060 m2, de surface rendue (suite aux compensations et améliorations environnementales intégrées au projet) de 14'900 m2, soit un bilan positif à hauteur de 1'210 m2 ;

-          le 19 septembre 2022, après examen des observations du 22 juillet 2002 émises par le SLRP répondant aux observations de A______ du 29 juin 2022, le SERMA a indiqué que son précédent préavis demeurait valable et a précisé qu'il corroborait intégralement les arguments avancés par le SLRP quant à la justification du projet et ses spécifications (notamment l'île artificielle et la quantité de remblayage) et a considéré que les conclusions de l'étude hydraulique complémentaire réalisée par le bureau K______ Sàrl sur les risques d'ensablement du port n'appelaient aucun commentaire. Le projet respectait bien le régime de zone résultant de la loi n° 12'969 en force et de la LPRLac.

f. Par décisions du 11 octobre 2022, l'OAC a délivré les deux autorisations sollicitées M 1______ et DD 2______.

 

 

 

 

 

 

 

 


parcelle de la recourante

Situation actuelle

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Projet

 

B. a. Par acte du 20 novembre 2022, A______ a recouru auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) contre ces décisions, concluant principalement à leur annulation et demandant préalablement la restitution de l'effet suspensif, le tout sous suite de frais et dépens.

Elle était propriétaire de la parcelle jouxtant directement, au sud, le périmètre concerné par le projet litigieux, à proximité du site du D______.

Le département aurait dû faire application des art. 14 et 15 LCI car le projet de construction serait source de pollutions visuelle, sonore et olfactive massives. La CMNS n'avait pas examiné l'emprise de la digue sud de 218 m perpendiculaire à la rive, respectivement la nature et le dimensionnement des îles artificielles.

La dérogation à l'art. 15 LEaux-GE ne respectait pas les conditions fixées par cette disposition au regard de l'impact du projet sur le milieu lacustre.

Le projet violait par ailleurs l'art. 39 LEaux en tant qu'il n'avait pas été conçu comme ayant vocation à améliorer le rivage et qu'il pourrait être érigé en un autre lieu sans que des remblais d'une ampleur équivalente fussent nécessaires. Il appartenait à l'autorité de démontrer l'absence de lieu alternatif sur lequel le projet pourrait être réalisé sans remblais. Or aucune analyse de ce type n'avait été effectuée ou mise à jour, le projet reposant directement sur l'étude EPLMAL de 2014, insuffisante en lien avec l'accueil des barges des entreprises de travaux lacustres. Par ailleurs, le périmètre concerné était situé à proximité d'un échangeur autoroutier, ce qui ne pouvait être considéré comme une zone largement bâtie. Troisièmement, la condition relative à l'intérêt public prépondérant du projet n'était pas réalisée et enfin, nonobstant les mesures de compensation prévues, l'impact quantitatif du remblayage prévu sur l'écosystème lacustre devait être qualifié de majeur, de sorte que les remblais envisagés n'étaient pas strictement nécessaires au but poursuivi.

b. Le 13 janvier 2023, l'OAC a conclu à l'irrecevabilité du recours formé contre la décision M 1______ et au rejet, dans la mesure de sa recevabilité, du recours formé contre la décision DD 2______.

Le recours ne pouvait remettre en cause l'affectation du périmètre du D______ tel que défini par la loi n° 12'969, soit les aspects traités dans le cadre de la modification de zone (et de la LPRLac) comme l'attestait notamment le traitement de l'opposition de A______ par le Grand Conseil, selon l'art. 5 de ladite loi.

Aucun des préaviseurs consultés n'avait relevé l'émergence d'un quelconque inconvénient grave pour le voisinage. Le SERMA avait été très critique et minutieux dans son analyse et les conditions fixées dans son préavis du 20 juin 2022 attestaient également de la finesse de son analyse et des exigences élevées qu'il avait imposées afin d'assurer que le projet soit des plus qualitatifs. Tout grief d'ordre comportemental s'avérait prématuré. Le SLRP, dans son courrier du 27 juillet 2022, avait produit des images de synthèse du projet de port, installations mobiles comprises, qui avait été transmis au SERMA qui avait maintenu son précédent préavis, attestant de l'absence d'atteinte esthétique. Au vu de l'orientation de la parcelle de A______, la perception du port serait relativement minime. C'était ainsi à juste titre que le département n'avait pas fait usage de l'art. 15 LCI dans le cas d'espèce.

S'agissant de la violation de l'art. 39 LEaux, A______ s'était déjà prévalue de ce grief dans le cadre de son opposition à la modification de zone, de sorte que le TAPI était renvoyé à cet égard à la réponse qui y avait été apportée. Par ailleurs, la localisation du site avait déjà été déterminée au stade de la modification de la zone et ne pouvait dès lors être remise en cause à ce stade. Par ailleurs, les environs, tout comme le site lui-même, étaient déjà bâtis, sachant que D______ lui-même s'avérait également être historiquement une émanation humaine liée à son utilisation comme site de stockage des remblais émanant de la réalisation de l'autoroute et sa sortie voisine. Les intérêts prépondérants poursuivis par le présent projet (regroupement des barges, renaturation et compensations, amélioration de la zone de baignade, port de plaisance) étaient quant à eux multiples et principalement d'intérêts publics. Enfin, il ne s'avérait aucunement envisageable d'atteindre les objectifs visés autrement qu'en réalisant le projet litigieux dans la configuration finalement retenue, validée par le SERMA, de sorte que toutes les conditions de l'art. 39 LEaux étaient réalisées. Partant, il y avait lieu de considérer que l'art. 15 LEaux-GE était également respecté.

c. Par décision du 9 janvier 2023, après avoir obtenu la détermination des parties intimées, le TAPI a dit que le recours avait effet suspensif et a réservé la suite et le sort des frais jusqu'à droit jugé au fond.

d. Le 13 janvier 2023, l'OCEau a conclu au rejet du recours.

Les motifs d'intérêt public ayant conduit au dépôt des demandes d'autorisations de construire et de démolir, qui existaient tant à l'échelle du D______ que du canton, étaient, en particulier, explicités dans le document intitulé « notice explicative » produite en annexe à la demande d'autorisation. Les opérations de renaturation autorisées portaient sur trois volets, à savoir la renaturation de l'embouchure du D______, la création de deux îles pour les oiseaux et la renaturation de la rive du D______ et du lac. Dans le cadre de l'amélioration des accès à l'eau, les enrochements artificiels actuels seraient remplacés par une grève à fort potentiel pour la faune et la flore lacustres. Les résultats de l'EPLMAL avaient été intégrés au Schéma de protection, d'aménagement et de gestion des eaux (SPAGE) Lac‑Rhône-Arve. Le site du D______ était mentionné comme permettant l'aménagement d'une infrastructure appropriée pour les embarcations des entreprises lacustres permettant de libérer la Rade et cette localisation avait été intégrée au PDCn 2030 (plan et fiche C3______) qui prévoyait la création d'un port à cet emplacement. Simultanément à l'adoption des zones d'affectation en février 2022, le secteur avait fait l'objet d'une planification spéciale intégrée au plan annexé à la LPRLac, comprenant comme secteurs principaux le port, les loisirs, la baignade et la renaturation. Ainsi qu'il ressortait de l'exposé des motifs à l'appui de la PL 12'969, la notice d'impact sur l'environnement (ci-après : NIE) avait notamment établi que le projet respectait la législation fédérale sur les eaux, ainsi que le droit s'agissant des constructions sur les rives. Au final, les experts étaient arrivés à la conclusion que le projet ne porterait que des atteintes limitées à l'environnement, lesquelles pouvaient faire l'objet de compensation dans le cadre du projet lui-même, notamment par la création de deux îles. Ces conclusions avaient été agréées par les services cantonaux spécialisés. En conséquence, le processus d'adoption de la modification de zone avait compris une véritable pesée des intérêts en présence pour aboutir à la conclusion que le projet pouvait être réalisé.

Le projet était conforme aux instruments de planification applicables au secteur, les autorités ayant procédé à une planification tant de l'affectation des parcelles concernées qu'à une planification spéciale directement liée au projet. Les autorisations de construire et de démolir respectaient par ailleurs les législations fédérales et cantonales sur la protection des eaux.

Il ne pouvait être question de nuisances excessives ou d'enjeux d'esthétique en lien avec le projet.

e. Le 27 février 2023, A______ a persisté dans ses conclusions.

L'intérêt public évoqué par l'OAC consistant en un « décombrement de la Rade » était pour le moins vague et les autres intérêts évoqués étaient purement théoriques.

L'OCEau passait entièrement sous silence le projet de 2014, consécutif à l'EPLMAL, totalement différent et notablement plus petit, qui démontrait que des variantes étaient possibles mais qu'elles n'avaient pas été dûment étudiées et encore moins retenues. Sa réponse confirmait une vision administrative purement genevoise, inconciliable avec le droit fédéral : les remblais, et donc la destruction des milieux existants, n'étaient pas autorisés par principe sous réserve de mesures de compensation. Ils étaient strictement interdits, sauf autorisation exceptionnelle, les conditions fixées par la LEaux n'étant pas remplies en l'espèce.

f. Par jugement du 22 juin 2023, le TAPI a déclaré irrecevable le recours contre la décision M 1______ du 11 octobre 2022 et a rejeté le recours interjeté le 9 novembre 2022 par A______ contre la décision DD 2______ du même jour.

Les images de synthèse du projet attestaient de l'absence d'atteinte esthétique. L’étude acoustique attestait que le projet répondait aux exigences en matière de protection contre le bruit. On ne voyait pas en quoi les équipements et les activités prévues seraient de nature à engendrer des nuisances olfactives. Le projet n'induirait pas d'inconvénients graves ou durables au sens de l'art. 14 LCI. Le grief relatif à l'art. 15 LCI était également écarté.

La localisation du site avait déjà été déterminée au stade de la modification de zone et ne pouvait être remise en cause. Les remblayages étaient bien destinés à des constructions. La construction envisagée était située en zone bâtie. Constituaient autant d’intérêts publics prépondérants exigés par la loi le désencombrement de la Rade, la rationalisation et un regroupement en un seul site mieux situé des surfaces occupées pour l'amarrage des barges sises au nord et au sud de Q______, la mutualisation des infrastructures portuaires et des milieux naturels permettant de limiter au maximum l'impact sur le milieu, la renaturation du site du D______ par l'aménagement d'îles pour les oiseaux, la renaturation de l'embouchure du D______ et l'aménagement d'une grève naturelle, l'amélioration de la zone baignade et du parc public notamment par la réalisation d'équipements publics, l'amélioration de la circulation pour les PMR et l'accès au lac, la création d'infrastructures portuaires pour les sports nautiques et l'installation d'une école de voile dans la base loisirs.

La réalisation du projet permettait de concrétiser une amélioration des accès à l'eau pour la population tant sur le site lui-même que sur le pourtour de la Rade par la libération des quais. Il ressortait également du dossier que les îles aux oiseaux, outre la plus-value écologie, permettraient également de protéger le port contre les vagues en condition de bise et avaient ainsi pour objectif de lier la fonction de défense contre les vagues à la création de milieux naturels lacustres.

La validité du résultat du RIE, qui avait conclu à un bilan environnemental positif, avait été confirmée par les services spécialisés. Le projet aboutissait à une amélioration significative du milieu lacustre, de sorte que ses impacts avaient été considérés comme positifs malgré la réalisation de remblais. Par ailleurs, aucune espèce sensible et aucun milieu naturel de valeur particulière n'avait été identifié et l'emplacement était imposé par sa destination. Dans ces conditions, les atteintes à l'environnement n'apparaissaient pas sévères et feraient l'objet de mesures de compensation. Tant la CMNS que l'OCeau s’étaient prononcés favorablement aux dérogations prévues, respectivement, aux art. 39 et 15 al. 3 LEaux.

C. a. Par acte remis au greffe le 25 août 2023, A______ a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre ce jugement, concluant à son annulation ainsi qu’à l’annulation de la décision globale d’autorisation de construire DD 2______. Préalablement, l’effet suspensif devait être restitué au recours.

L’étude ELPMAL identifiait un autre secteur approprié, soit le site de Q______, ainsi que trois sites complémentaires, et prévoyait la réalisation d’études ultérieures. Une telle étude n’avait jamais été menée, notamment en lien avec la problématique des remblais. L’OCEau n’avait donc pas démontré qu’aucun autre lieu n’était possible pour l’implantation, de sorte que l’exception de l’art. 39 al. 2 LEaux n’était pas réalisée et que les remblais ne pouvaient être autorisés.

La seconde condition de l’art. 39 al. 2 LEaux, d’une construction dans une zone bâtie, n’était pas non plus remplie. Le territoire en question était situé au-delà de la ville et s’ouvrait sur la partie périurbaine de la rive droite du lac.

Les intérêts publics invoqués n’étaient pas prépondérants. Des plages publiques avaient été agrandies ou créées ailleurs depuis l’étude EPLMAL.

L’objectif pouvait être atteint autrement. Le volume prévu pour les remblais était 14 fois supérieur au seuil prévu par l’ordonnance relative à l’étude de l’impact sur l’environnement du 19 octobre 1988 (OEIE ‑ RS 814.011). La dimension des aménagements, notamment du port, n’avait jamais été justifiée. L’intimé aurait dû envisager des variantes et s’appuyer sur une étude indépendante. Le TAPI n’avait pas examiné l’étude EPLMAL. Le RIE avait été modifié trois fois pour présenter un bilan positif en vue d’un éventuel recours. L’indépendance de ses auteurs était sujette à caution. L’impact du remblayage sur l’écosystème était majeur. Il pouvait être répondu aux besoins publics par des mesures plus respectueuses du milieu protégé. Les remblais n’étaient pas absolument nécessaires.

b. Le 27 septembre 2023, l’OCAN a conclu au rejet du recours.

c. Le 19 octobre 2023, l’OCEau a conclu au rejet du recours.

d. Le 20 novembre 2023, A______ a persisté dans ses conclusions et son argumentation.

e. L’office fédéral des routes ne s’est pas déterminé.

f. Le 21 novembre 2023, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

g. Il sera revenu en tant que de besoin dans la partie en droit sur les arguments et pièces produits par les parties.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

2.             La recourante se plaint d’une violation de l’art. 39 LEaux. Les remblais destinés à la création de deux îles artificielles au large du port n’auraient pu être autorisés.

2.1 Selon l’art. 39 LEaux, il est interdit d’introduire des substances solides dans les lacs, même si elles ne sont pas de nature à polluer l’eau (al. 1). L’autorité cantonale peut autoriser le remblayage (a) pour des constructions qui ne peuvent être érigées en un autre lieu et qui sont situées dans une zone bâtie, lorsque des intérêts publics prépondérants l’exigent et que l’objectif visé ne peut pas être atteint autrement ou (b) s’il permet une amélioration du rivage (al. 2). Les remblayages doivent être réalisés le plus naturellement possible; la végétation riveraine détruite doit être remplacée (al. 3).

2.2 Selon le message à l’appui de la LEaux, « cette disposition a notamment pour objet la protection de la frange de rivage baignée par les eaux d'un lac. Les propriétés particulières de cette zone (oxygénation optimale, importants écarts de température, bonne photosynthèse, forte action des vagues et croissance des plantes) permettent la dégradation de la plus grande partie des apports naturels ou artificiels de polluants. En d'autres termes, il s'agit là de la zone d'épuration du lac. Elle abrite en outre la majeure partie du monde animal ou végétal du lac. Le cas échéant, c'est là qu'ont lieu les échanges avec une nappe phréatique. Ainsi on ne saurait utiliser les lacs comme une aire de décharge. Il ne faut pas que l'atterrissement soit accéléré artificiellement. On ne connaît pas encore l'influence des matières déposées au fond des lacs sur le jeu des courants. Normalement, le matériau déposé se désintègre, mettant ainsi les frayères en danger. Cette remarque s'applique également à l'embouchure des rivières et des ruisseaux. Il n'est donc pas possible de prévoir des exceptions pour les matériaux provenant des dépotoirs à alluvions. On ne saurait comparer un apport artificiel de substances avec le dépôt et la sédimentation de substances solides amenées par les crues, processus auxquels le cours d'eau s'est adapté. Comme exemple d'exception au sens du 2e alinéa, on peut mentionner l'aménagement, sur la rive d'un lac, d'un chemin public qu'il serait impossible de réaliser ailleurs. » (FF 1987 1166-1167).

2.3 Les plans d’affectation généraux, soit les plans de zones, sont en principe adoptés par le Grand Conseil (art. 15 ss de la loi d'application de la loi fédérale sur l'aménagement du territoire du 4 juin 1987 - LaLAT - L 1 30).

Aux termes de l’art. 47 al. 1 de l’ordonnance sur l’aménagement du territoire du 28 juin 2000 (OAT - RS 700.1), l’autorité qui établit les plans d’affectation fournit à l’autorité cantonale chargée d’approuver ces plans (art. 26 al. 1 de la loi fédérale sur l’aménagement du territoire du 22 juin 1979 - LAT - RS 700), un rapport démontrant leur conformité aux buts et aux principes de l’aménagement du territoire (art. 1 et 3 LAT), ainsi que la prise en considération adéquate des observations émanant de la population (art. 4 al. 2 LAT), des conceptions et des plans sectoriels de la Confédération (art. 13 LAT), du plan directeur (art. 8 LAT) et des exigences découlant des autres dispositions du droit fédéral, notamment de la législation sur la protection de l’environnement.

Le rapport de conformité au sens de l'art. 47 al. 1 OAT doit notamment démontrer que les plans d'affectation sont conformes aux exigences découlant de la législation fédérale sur la protection de l'environnement; il s'agit d'un instrument permettant de réaliser la coordination matérielle entre le droit de l'environnement et le droit de l'aménagement du territoire requise à l'art. 25a LAT. Ce rapport dit de conformité doit en principe se prononcer concrètement sur les questions d'équipement, de bruit et de protection de l'air liées aux modifications proposées. L'étendue de l'examen auquel doit procéder l'autorité de planification varie toutefois selon le degré de précision du plan. Ainsi, lorsque la modification de la planification a lieu en vue d'un projet précis et détaillé qui doit être mis à l'enquête ultérieurement, l'autorité doit contrôler à ce stade si celui-ci peut être réalisé de manière conforme aux exigences de la législation fédérale sur la protection de l'environnement; dans les autres cas, elle doit être convaincue qu'un développement de la zone peut se faire de manière conforme à ces exigences moyennant, le cas échéant, des aménagements à définir dans la procédure d'autorisation de construire. Ce rapport est non seulement destiné à l'autorité cantonale d'approbation au sens de l'art. 26 LAT, mais il sert également d'instrument de contrôle aux instances de recours (arrêt du Tribunal fédéral 1C_565/2020 du 4 mars 2022 consid. 6.1).

Le Tribunal fédéral a admis que l'exposé des motifs accompagnant le projet de loi du Conseil d'État et le rapport de la commission d'aménagement du canton chargée de l'examen de la loi valant plan d’affectation peuvent faire office de rapport selon l'art. 47 OAT (arrêts du Tribunal fédéral 1C_288/2022 du 9 octobre 2023 consid. 3.4 et 1P.547/1993 du 11 novembre 1994 consid. 4).

2.4 Le projet de loi PL 12'969 du 28 avril 2021 « modifiant les limites de zones sur le territoire des communes de B______ et de C______ (création d'une zone industrielle et artisanale, d'une zone sportive et d'une zone de verdure, destinées à un port pour les embarcations professionnelles et à l'aménagement d'une zone de délassement au lieu-dit « D______ ») et modifiant partiellement le périmètre de protection générale des rives du lac » a été adopté par le Grand Conseil le 25 février 2022. Aucun recours n’a été formé.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


2.5 Selon l’exposé des motifs du 28 avril 2021 (https://ge.ch/grandconseil /data/texte/PL12969.pdf), l’ensemble du site avait été créé en remblais sur le lac à l’époque de la construction de l’autoroute A1 et n’avait depuis lors pas fait l’objet d’un quelconque plan de zones. La parcelle n° 1’566 accueillait le parking et les installations liés aux activités nautiques de plaisance déployées sur le site du D______, ainsi qu’une partie du parc du même nom. Les parcelles nos 3’058 et 3’164 constituaient le reste du parc. Les accès au lac et les enrochements étaient situés sur les parcelles nos 1’729 et 3’521, qui délimitaient les portions du lac bordant les communes respectives. Enfin, la parcelle n° 1’567 était occupée par la boucle permettant d’accéder au passage sous-voie qui assurait une possibilité de rebroussement sur la route de H______, notamment pour accéder au village de L______.

Le projet de loi était lié à un projet d’aménagement spécifique mené dans le cadre notamment du réaménagement de O______, initié en lien avec le projet de port et de plage des M______ (M______) : libérer O______ des installations lacustres qui n’y étaient pas indispensables. Les barges utilisées pour les travaux lacustres étaient stationnées au pied du Jet d’eau, le long du quai marchand. L’emplacement avait un caractère historique et était utilisé de la sorte par défaut, le canton ne disposant pas d’autre endroit adéquat pour de tels amarrages. La situation était peu pratique pour les entreprises qui avaient toutes leurs dépôts sur la rive droite et devaient ainsi organiser leurs travaux en tenant compte des difficultés d’accès au centre-ville et également d’une forte présence du public dans un secteur très touristique. Ces activités pourraient trouver leur place sur le site du D______, qui bénéficiait d’un accès routier adéquat et de l’espace nécessaire à une sécurisation des zones de travail, notamment pour le grutage.

Les travaux envisagés permettaient de planifier des opérations de renaturation. D’une part, l’exutoire du D______ serait déplacé pour être remonté jusqu’en amont du site de mise à l’eau, de sorte à ce que D______ ne s’écoule pas dans les eaux du port lui-même. Ce déplacement permettrait une remise à ciel ouvert du dernier tronçon du D______. D’autre part, à une cinquantaine de mètres au large du site de mise à l’eau et de l’embouchure du D______, seront créées deux îles artificielles. Ces îles offriront une protection supplémentaire à la rive, en particulier pour garantir la stabilité de l’embouchure renaturée du D______, et constitueraient simultanément des points de repos, de nourrissage et de reproduction pour l’avifaune aquatique (éventuellement accompagnées de la création voisine de hauts fonds).

La capitainerie cantonale avait identifié de longue date le site du D______ comme pouvant présenter un potentiel d’aménagement tant pour la baignade que pour la création d’un port. Une étude de faisabilité avait été menée en 2011 et avait confirmé le potentiel du site. Afin de préciser le cadre d’action, une étude d’avant‑projet d’aménagement en vue d’une modification de limites de zones sur le site du D______ avait été réalisée trois ans après. Le rapport final de novembre 2014 avait en particulier identifié les contraintes en matière d’aménagement du territoire et celles liées au foncier. Il avait abouti à la conclusion qu’un nouvel aménagement avait sa place au D______ et a proposé différentes variantes à cet effet.

Dans le cadre des études préliminaires à la réalisation du projet de port et de plage des M______ (ci-après : M______), un diagnostic complet des accès à l’eau existants dans le canton et des besoins auxquels il était nécessaire de répondre avait été élaboré dans le cadre d’une étude préliminaire de localisation et de morphologie des aménagements lacustres (EPLMAL) en 2014. Cette étude avait notamment identifié les besoins en matière d’amarrage des barges pour travaux lacustres. Elle avait également démontré que le site du D______ présentait les caractéristiques pour y répondre afin de libérer O______ de ces embarcations. Les résultats de cette étude avaient été intégrés au schéma de protection, d’aménagement et de gestion des eaux (ci-après : SPAGE) N______, adopté le 8 octobre 2014 par le Conseil d’État.

Une première étude d’avant-projet d’aménagement intégrant les résultats de l’EPLMAL pour le site du D______ avait ensuite été effectuée. Le rapport final, daté de février 2017, détaillait le projet de construction destiné à répondre aux besoins identifiés. Il comprenait, outre la création du port professionnel et l’amélioration de la zone de loisirs, la réalisation d’une île destinée à l’avifaune qui faisait également office de protection des installations portuaires.

Les enquêtes techniques et publiques avaient montré que la disposition du premier avant-projet engendrait un certain nombre de problèmes. Principalement, la disposition prévue ne garantissait pas une protection suffisante du port par toute situation météorologique et ne permettait pas de répondre de manière adéquate à l’ensemble des besoins des utilisateurs. En particulier, les services de l’État chargés de l’entretien des ports et du faucardage n’auraient pas bénéficié des installations nécessaires et qui leur faisaient défaut. Par ailleurs, un accès suffisant pour les poids lourds n’était pas garanti et l’emplacement des installations, notamment de grutage, ne permettait pas leur utilisation rationnelle et efficace par les entreprises. Il était également apparu que la disposition de l’île n’était pas optimale, sa proximité avec la zone de baignade et de loisirs ne lui offrant pas la tranquillité nécessaire à son occupation par l’avifaune. Compte tenu des remarques formulées dans le cadre des phases d’enquêtes technique et publique, l’avant-projet avait été remanié pour aboutir aux implantations proposées par le projet de loi.

L’art. 39 LEaux était respecté. Faute de pouvoir procéder à un dragage pour garantir le tirant d’eau nécessaire aux embarcations, il serait nécessaire de reporter quelque peu la ligne de rive vers le large : le quai serait ainsi accostable pour toutes les embarcations Les digues de protection du port devraient par ailleurs être réalisées par remblais, pour des motifs de stabilité et de résistance aux vagues et intempéries. Au total, environ 5'400 m2 de fond lacustre seraient occupés par les remblais nécessaires pour le port et ses ouvrages de protection, ainsi que 1’100 m2 pour les accès à l’eau.

La recherche de sites alternatifs avait déjà été effectuée dans le cadre de l’étude préliminaire EPLMAL qui avait conduit à l’identification du site du D______ comme présentant les meilleures qualités pour accueillir les nouvelles installations.

S’agissant de l’intérêt public prépondérant, le projet était inscrit dans le PDCn 2030 et dans sa mise à jour adopté par le Grand Conseil le 10 avril 2019, mais également dans le SPAGE N______. Matériellement, l’idée de regrouper sur un seul site l’ensemble des positions d’amarrage pour les entreprises de travaux lacustres répondait aux préoccupations de plusieurs politiques publiques identifiées par le SPAGE N______ 36 : il s’agissait de libérer le site de O______, de sorte à permettre la revitalisation du fond lacustre par la recolonisation des plantes aquatiques, comme cela a du reste été identifié, s’agissant des estacades et corps‑morts destinés à la navigation de plaisance, à titre de mesures de compensation pour le M______.

La concentration des entreprises lacustres sur le site du D______ aurait des effets bénéfiques, grâce à la bonne accessibilité (auto)routière du port, permettant d’éviter le trafic dans l’hyper centre urbain. Le projet permettrait aux entreprises lacustres, qui disposent toutes de leurs dépôts et bases à terre sur la rive droite à proximité du D______, d’accéder plus facilement à leurs embarcations. Elles n’auraient ainsi plus à se rendre sur la rive gauche et au centre-ville pour accéder au quai marchand, respectivement au quai de P______ pour accéder aux embarcations qui y étaient amarrées.

L’ajout de quelques places d’amarrage pour les bateaux de loisir répondait à une demande consignée depuis plusieurs années par les planifications directrices communale. Le projet ne tendait pas à créer un port industriel à vocation de transport de marchandises par voie lacustre mais bien à fournir un emplacement d’amarrage dimensionné sur la base d’une appréciation prudente des besoins. Le nombre de places d’amarrage pour les embarcations des entreprises lacustres résultait d’un inventaire précis effectué dans le cadre de l’ELPMAL 2014 et ensuite intégré au SPAGE N______.

Les études menées dans le cadre de la NIE avaient montré qu’aucune espèce protégée n’était présente dans le périmètre du projet. Les espèces recensées dans le cadre de la NIE et des études préliminaires sont fréquentes dans le Léman. Enfin, les herbiers, à cet emplacement, étaient de faible densité. Dès lors, la NIE retenait qu’au regard du gain écologique escompté lié à la diversification des milieux, le projet n’aurait qu’un impact faible sur les herbiers existants et que les mesures de compensation proposées, notamment la création d’îles artificielles et la renaturation de l’embouchure du D______ étaient adéquates. Ces interventions créeraient plus de 5’700 m2 de milieux lacustres et riverains dont des milieux à haute valeur écologique actuellement absents du secteur, tant pour la flore que pour la faune. Le projet aurait, hors mesures de compensation, également des effets positifs sur la flore lacustre, de sorte que la notice retenait des impacts faibles à neutres à ce sujet.

2.6 La fiche C3______ du PDCn 2030, intitulée « gérer les divers usages du lac et de ses rives » et approuvée par la Confédération le 18 janvier 2021 (https://ge.ch/geodata/SIAMEN/PDCn_maj1/PDCn_02_Schema_fichesC_CH.pdf), ne prévoit que deux projets : le M______ – réalisé – et la zone portuaire et amélioration de l’accès à l’eau du D______.

Elle relève, s’agissant des infrastructures au bénéfice de la population, que celles‑ci sont nombreuses, mais qu’il manque une vue d’ensemble. Des installations vétustes et/ou mal adaptées aux besoins, ainsi que l’émergence de nouvelles demandes, vont amener les instances et acteurs concernés à devoir arbitrer entre les projets et investissements à mener et à fixer des priorités pour l’utilisation parcimonieuse d’un espace public sur une rive non extensible. La vue d’ensemble sera aussi utile pour préciser l’exploitation (entretien, surveillance, etc.) et coordonner les actions entre les collectivités publiques concernées. Les infrastructures portuaires ou de loisirs nautiques étant dispersées et/ou désuètes, une réflexion devra être menée sur des solutions de regroupement et de modernisation. Les questions d’accès aux rives – dont le principe du libre accès selon la LAT – et d’exploitation de la navigation comme moyen de transport rendent encore plus complexe la coordination des usages par des contraintes ou des exigences de sécurité incontournables.

S’agissant des fonctions écologiques, des rives naturelles servent d’habitat à une multitude d’espèces animales et végétales spécifiques et constituent des couloirs écologiques qui relient entre eux différents espaces naturels. Associées à un milieu aquatique de qualité, elles forment un espace très riche pour la biodiversité. Elles sont de plus des éléments marquants du paysage souvent très prisés par la population. Plus des deux tiers des rives lacustres genevoises étant artificialisés, chaque opportunité de recréer une grève et des berges avec une végétation naturelle devrait être saisie, en particulier aux embouchures des rivières. Cependant, comme une partie importante des rives se situe en milieu urbain, une réflexion devra être menée afin de concilier les enjeux environnementaux, les exigences liées à la protection du patrimoine et les fonctions urbaines et déterminer les critères d’une politique durable du paysage lacustre.

2.7 En l’espèce, la recourante soutient que les conditions cumulatives prévues à l’art. 39 al. 2 let. 1 LEaux ne sont pas réalisées.

2.7.1 Elle fait valoir tout d’abord que d’autres lieux d’implantation, tel le port de Q______, envisagés par le rapport EPLMAL du 15 juillet 2014, n’auraient pas été pris en compte. Le rapport EPLMAL a certes noté que pour les entreprises lacustres, les sites du D______, entièrement propriété de l’État de Genève, et de Q______ présentaient des caractéristiques favorables à l’accueil de ces activités. Mais des études complémentaires étaient en cours sur ce point au moment de la présentation du PL 11'925 du 1er juin 2016 (https://ge.ch/grandconseil/data/texte/PL11925.pdf) modifiant la LPRLac en vue de la réalisation de la M______, lesquelles études déboucheraient le moment venu sur une procédure spécifique. Le rapport EPLMAL ne mentionnait Q______ que pour les activités artisanales. Il ressort du PL 12'969 du 28 avril 2021 cité plus haut que le rapport EPLMAL a été pris en compte en ce qu’il identifiait le site du D______ comme présentant les caractéristiques pour répondre aux besoins en accès à l’eau pour libérer O______. Toutefois, l’exposé des motifs ajoute que des études ultérieures, notamment le rapport final de 2017 portant sur l’avant-projet d’aménagement, avait détaillé un projet comprenant, outre la création du port professionnel et l’amélioration de la zone de loisirs, la réalisation d’une île destinée à l’avifaune qui faisait également office de protection des installations portuaires.

La recourante critique le critère en faveur du site du D______ tiré de la présence de villas au voisinage du site de Q______. Le site d’information du territoire genevois (ci-après : SITG) montre cependant une différence notable entre les rives de Q______, occupées sans interruption par des villas si ce n’est une modeste bande côtière, et celles du D______, gagnées sur le lac par les imposants remblais de l’autoroute, bordées côté terre par la bretelle autoroutière et formant un intervalle consistant entre deux zones villas.

La recourante déplore l’absence d’analyses ultérieures. Or, la NIE de mai 2019 procède à une analyse complète de l’impact du projet. La comparaison sur le SITG entre les sites du D______ et de Q______ montre pour le surplus que la surface nécessaire aux aménagements planifiés pour l’accueil des barges et des autres activités n’est simplement pas disponible sur la rive gauche, à tout le moins sans remblais massifs, et que les accès routiers ne sont pas comparables.

Le grief tenant aux implantations alternatives tombe ainsi à faux, à supposer qu’il puisse encore être soulevé au stade de l’autorisation globale de construire objet du présent litige, la question de l’implantation et de ses motifs ayant été décidée le 25 février 2022 de manière définitive, aucun recours n’ayant été formé contre la loi 12'969.

2.7.2 La recourante fait valoir ensuite que les installations ne seraient pas situées en « zone bâtie » au sens de la législation sur l’aménagement du territoire.

Toutefois, il ressort du SITG que la parcelle n° 1'566 comporte déjà trois constructions. Le site du projet se trouve pour sa plus grande partie en zone industrielle et artisanale et en zone sportive, le reste étant en zone de verdure. Il est bordé au nord et au sud de villas en zone 5 et à l’ouest par la bretelle autoroutière puis une zone de développement 3.

Il n’y a pas lieu que la zone soit « largement bâtie » comme le soutient la recourante. Il suffit qu’elle apparaisse bâtie comme en l’espèce. Le fait que l’emplacement se situe au-delà de la ville, s’ouvre sur la « partie périurbaine de la rive droite du lac » et soit sensiblement plus éloigné du centre-ville que le M______ est sans pertinence, étant observé que la rive droite alterne sur la portion comprenant le site du projet des zones 5, 4A, 4B protégée et 3 de développement.

Le grief, pour peu qu’il soit recevable au stade de l’autorisation globale de construire, sera écarté.

2.7.3 La recourante semble discuter l’existence d’un intérêt public prépondérant.

Celui-ci a été ébauché dans la fiche C3______ du PDCn 2030 et détaillé dans le projet de loi. La recourante ne saurait être suivie lorsqu’elle soutient que le projet serait destiné principalement à quatre entreprises privées. Elle reconnaît elle-même qu’il réserve un emplacement jusque-là manquant aux activités étatiques de faucardage, un espace aux Mouettes genevoises, soit une compagnie de transports en commun, et enfin un espace à la capitainerie, soit un service de l’État.

Cela étant, le regroupement et l’amarrage dans un port abrité de barges indispensables, auparavant disséminées sur le petit lac et dont l’amarrage était l’objet de contentieux récurrents, constitue un intérêt public majeur. La création de places d’amarrage à attribuer aux plaisanciers répond également à un intérêt public, compte tenu de la pénurie sévissant dans ce secteur. Enfin, la base de loisirs et l’accès au lac répondent à un besoin croissant dans un canton où l’accès public effectif au lac n’est dans les faits que très faiblement garanti. La création de la M______, sur la rive gauche, ne suffit de toute évidence pas pour répondre à la demande, contrairement à ce que semble croire la recourante.

Le grief, pour autant qu’il soit recevable au stade de l’autorisation globale de construire, sera écarté.

2.7.4 La recourante conteste enfin que l’objectif du projet ne puisse être atteint autrement. Selon elle, les besoins ne justifieraient pas les atteintes au milieu naturel.

Les critiques qu’elle soulève relativement à la dimension du port et à sa nécessité ont été pour l’essentiel traitées avec le grief précédent. Même si le nombre des places d’amarrage destinées aux entreprises avait été arrêté en fonction des besoins exprimés par ces dernières, comme semble le penser la recourante, cette manière de procéder ne serait pas blâmable s’agissant de regrouper dans un port clos toutes les barges jusqu’ici disséminées sur le Petit Lac et dont les autorisations d’amarrage devraient expirer avec l’ouverture du nouveau port. Et le fait qu’il s’agit d’entreprises privées n’atténue en rien l’intérêt public à libérer le Petit Lac de l’entreposage permanent des barges.

Le volume exact des remblais nécessaires ne saurait constituer isolément, soit compte non tenu de leur destination, un critère pour juger de leur impact environnemental. Le fait qu’ils dépassent le seuil déterminant la nécessité d’une étude d’impact est sans pertinence puisque celle-ci a précisément été établie.

Le fait que le RIE ait été modifié ne permet pas d’inférer, comme semble le suggérer la recourante, que les modifications auraient eu pour but de dresser un bilan positif en vue d’une éventuelle procédure de recours. Le rapport a été établi par un spécialiste indépendant de l’OCEau.

La recourante n’expose pas en quoi le RIE, sa commande ou son effectuation ne seraient pas conformes à l’OEIE ou aux art. 10a à 10c de la loi fédérale sur la protection de l’environnement du 7 octobre 1983 (loi sur la protection de l’environnement, LPE - RS 814.01), qui règlent l’EIE et le RIE.

La recourante déplore une perte définitive du milieu naturel sur une surface de 2.3 ha et une modification permanente de ce milieu sur 6.5 ha, ainsi qu’une perte de surface d’habitats piscicoles notable. Le RIE a pourtant (pp. 72 s.) examiné de manière détaillée les impacts sur la nature des installations prévues, et notamment des remblayages destinés à construire les îles. Il a pris en compte les pertes de surface et d’espace. Il a constaté qu’aucune espèce protégée n’était présente sur le périmètre du projet, ce qui lui a paru cohérent en l’absence de biotope favorable (p. 77). Il a jugé les impacts temporaires sur la faune aquatique dus aux travaux faibles (p. 80). Il a prédit une augmentation spécifique de la richesse des herbiers dans l’enceinte portuaire et la création de petites surfaces de grèves et de milieux riverains d’herbacés d’intérêt par les travaux de renaturation du D______ (pp. 81‑82). La création d’une lagune par les îles devrait permettre la création d’environ 4'000 m2 d’herbiers supplémentaires. La perte de surfaces d’herbiers apparaît ainsi, selon le RIE, faible au vu des surfaces existantes dans le secteur et du gain écologique escompté de la diversification des milieux (p. 82). La création d’îles artificielles (grèves et roselières) et la renaturation de l’embouchure du D______ sont à même de compenser les impacts liés au projet en raison de leur haute valeur écologique et de leur rareté à l’échelle du Petit Lac. Dans un contexte d’expansion importante des herbiers ces dernières décennies, le bilan global devrait, selon le RIE, s’avérer nettement positif avec un accroissement significatif de la diversité en milieux et espèces au sein du périmètre (p. 83). Le rapport met enfin en valeur des exemples d’îles similaires créées dans les cantons de Vaud et Neuchâtel.

Il résulte de ce qui précède que les remblais ont essentiellement pour but d’améliorer le bilan environnemental des installations prévues, par la création d’îles et d’une lagune favorables à la diversité des espèces.

Les griefs de la recourante, pour autant qu’ils soient recevables au stade de l’autorisation globale de construire, seront écartés.

3.             La recourante ne critique pas le jugement du TAPI en ce qu’il déclare irrecevable son recours contre l’autorisation de démolir M 1______.

Entièrement mal fondé, le recours sera rejeté.

Vu le rejet du recours, les conclusions préalables en restitution de l’effet suspensif sont devenues sans objet.

4.             Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 2’000.- sera mis à la charge de la recourante (art. 87 al. 1 LPA), et aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 25 août 2023 par A______ SA contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 22 juin 2023 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 2’000.- à la charge de A______ SA ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Lionel HALPERIN, avocat de la recourante, au département du territoire - OAC, à Me Samuel BRÜCKNER, avocat du département du territoire - OCEau, au Tribunal administratif de première instance ainsi qu'à l'office fédéral de l'environnement (OFEV), à l'office fédéral du développement territorial (ARE) et à l'office fédéral des routes (OFROU).

Siégeant : Claudio MASCOTTO, président, Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, juge, Louis PEILA, juge suppléant.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. SCHEFFRE

 

 

le président siégeant :

 

 

C. MASCOTTO

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :