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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3921/2023

ATA/171/2024 du 06.02.2024 sur JTAPI/1438/2023 ( PE ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3921/2023-PE ATA/171/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 6 février 2024

 

dans la cause

 

A______ recourant

contre

OFFICE FÉDÉRAL DE LA DOUANE ET DE LA SÉCURITÉ DES FRONTIÈRES - OFDF intimé

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 20 décembre 2023 (JTAPI/1438/2023)


EN FAIT

A. a. A______, né le ______ 1995, est de nationalité tunisienne.

b. Il réside en France avec B______, ressortissante française qu'il a épousée le 21 octobre 2023.

B. a. Dans la soirée du 15 novembre 2023, A______ a fait l'objet d'un contrôle à la frontière. Il n'avait pas de pièce d'identité ni de document de voyage sur lui.

b. Par décision du 15 novembre 2023, l’office fédéral de la douane et de la sécurité des frontières (ci-après : OFDF) a rendu une décision de renvoi de Suisse et de l’espace Schengen à l’encontre de A______.

Cette décision, qui se référait à l'art. 64 de la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20), indiquait qu'un recours pouvait être interjeté à son encontre devant le Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) « dans le délai de cinq jours ouvrables à compter de sa notification ». Elle a été remise en mains propres à A______ le jour même à 22h50.

C. a. Par acte remis à un bureau de poste français le 21 novembre 2023, et – à teneur du suivi des envois de la Poste française – entré sur le territoire suisse le 24 novembre 2023, A______ a interjeté recours contre la décision précitée.

b. Le 29 novembre 2023, le TAPI a accusé réception du recours de A______, l'informant notamment que celui-ci apparaissait manifestement tardif et lui donnant la possibilité de le retirer d’ici le 18 décembre 2023 s'il n'entendait pas poursuivre la procédure.

c. A______ n'a pas donné suite à ce courrier.

d. Par jugement du 20 décembre 2023, le TAPI a déclaré le recours irrecevable pour cause de tardiveté.

L'art. 64 al. 3 LEI prévoyait un délai de recours de cinq jours. Ledit délai était arrivé à échéance le 22 novembre 2023 (sic), et A______ avait « posté son acte de recours le 23 novembre 2023, lequel n'[était] par ailleurs parvenu à un bureau de poste suisse que le lendemain ». Le recours était ainsi manifestement tardif, et aucun élément ne laissait supposer la survenance d'un cas de force majeure ayant pu l'empêcher d'agir à temps.

D. a. Par acte déposé le 30 janvier 2024, A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre le jugement précité, concluant principalement à ce qu'il soit « infirmé », à l'annulation de la décision de renvoi du 15 novembre 2023, et subsidiairement à ce que cette dernière soit limitée au territoire suisse.

Le TAPI retenait le caractère tardif de son recours. Or, il habitait sur le territoire français, si bien que les délais d'envoi postal s'en trouvaient nécessairement allongés. Il n'avait pas déposé son recours à la poste le 23 novembre 2023, mais deux jours plus tôt, comme en attestait le récépissé de la Poste française qu'il joignait. Le fait que l'envoi ne soit parvenu au TAPI que le 24 novembre 2023 ne relevait pas de sa compétence. En l'absence de contrôles frontaliers dans l'Espace Schengen, un courrier déposé à un bureau de poste français devait avoir en matière de respect du délai de recours la même valeur que s'il avait été déposé en Suisse.

Sur le fond, la décision de renvoi devait être annulée car elle ne prenait pas en compte sa situation matrimoniale et administrative, puisqu'il était désormais marié à une ressortissante française et en attente d'un titre de séjour, ayant eu un rendez‑vous à cet effet à la préfecture de la Haute-Savoie le 11 janvier 2024.

b. Sur ce, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable de ces points de vue (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

Se pose néanmoins la question de la compétence du TAPI et de la chambre de céans, la décision à l'origine du litige ayant été rendue par une autorité fédérale.

1.1 En effet, en principe, la procédure administrative cantonale s'applique à la prise de décisions par les autorités administratives et les juridictions administratives cantonales (art. 1 al. 2, 5 et 6 al. 1 LPA), tandis que la procédure administrative fédérale s'applique à la prise de décisions par les autorités administratives fédérales (art. 1 al. 1 et 2 de la loi fédérale sur la procédure administrative du 20 décembre 1968 - PA - RS 172.021), avec recours auprès du Tribunal administratif fédéral (art. 31 de la loi sur Tribunal administratif fédéral du 17 juin 2005 - LTAF - RS 173.32).

1.2 En l'espèce toutefois, l'autorité administrative a agi sur délégation du canton de Genève.

Le département fédéral de justice et police (ci-après : DFJP) réglemente l'exécution des contrôles des personnes aux frontières extérieures et intérieures (art. 31 al. 1 de l'ordonnance sur l'entrée et l'octroi de visas du 15 août 2028 - OEV - RS 142.204). Selon l'art. 31 al. 2 OEV, les cantons et le corps des gardes-frontière effectuent le contrôle des personnes aux frontières ; ce dernier mène cette activité soit dans le cadre de ses tâches ordinaires, soit en application des accords conclus entre le département fédéral des finances (ci-après : DFF) et les cantons (art. 9 al. 2 LEI et art. 97 de la loi sur les douanes du 18 mars 2005 - LD - RS 631.0). Les cantons peuvent habiliter le corps des gardes-frontière à rendre et à notifier la décision de renvoi visée à l'art. 64 al. 1 let. a et b LEI ; une telle compétence est attribuée à celui-ci par le canton de Genève à teneur d'un accord, entré en vigueur le 1er janvier 2014, sur la collaboration entre la police genevoise et le corps des gardes-frontière, respectivement l'AFD, conclu le 26 août 2013 entre le Conseil d'État et le Ministère public, d'une part, et la Confédération suisse, représentée par le DFF, d'autre part (ci-après : l'accord ; consultable sous https://www.silgeneve.ch/legis/program/ books/zacc/doc/2043.pdf). Le champ d'application dudit accord s'étend à toute mesure permettant d'améliorer la sécurité intérieure (art. 1 al. 1 in fine de l'accord). La délégation des décisions de renvoi au sens de l'art. 64 LEI est expressément mentionnée (art. 19 de l'accord cum annexe 3).

Dès lors que la compétence de l'autorité intimée est déléguée par le canton de Genève, il y a lieu de retenir que la LPA et la LOJ s'appliquent au présent cas, le TAPI et la chambre de céans étant compétents pour statuer sur les recours y relatifs. Ce point de vue est du reste partagé par le secrétariat d'État aux migrations (ci‑après : SEM ; JTAPI/499/2020 du 15 juin 2020 consid. 6 en fait).

1.3 Cela étant, lorsqu'un recours porte sur un jugement d'irrecevabilité, seules sont recevables les conclusions tendant à l'annulation du jugement et au renvoi de la cause pour examen au fond (arrêts du Tribunal fédéral 2C_1156/2018 du 12 juillet 2019 consid. 1.4 ; 1C_573/2022 du 13 mars 2023 consid. 1 ; ATA/561/2023 du 30 mai 2023 consid. 1.3 ; ATA/330/2023 du 28 mars 2023 consid. 3c). Les conclusions tendant à l'annulation de la décision de renvoi ou à la limitation de celle-ci à l'étendue du territoire suisse sont dès lors irrecevables.

2.             Le litige porte ainsi sur le caractère tardif ou non du dépôt du recours par-devant le TAPI.

2.1 Sous la note marginale « décisions de renvoi », l’art. 64 al. 1 LEI prévoit que les autorités compétentes rendent une décision de renvoi ordinaire à l’encontre (a) d’un étranger qui n’a pas d’autorisation alors qu’il y est tenu, (b) d’un étranger qui ne remplit pas ou ne remplit plus les conditions d’entrée en Suisse et (c) d’un étranger auquel une autorisation est refusée ou dont l’autorisation, bien que requise, est révoquée ou n’est pas prolongée après un séjour autorisé. L’art. 64
al. 3 LEI prévoit que la décision visée à l’al. 1, let. a et b peut faire l’objet d’un recours dans les cinq jours ouvrables suivant sa notification ; celui-ci n’a pas d’effet suspensif.

2.2 S’agissant d’un acte soumis à réception, telle une décision ou une communication de procédure, la notification est réputée faite au moment où l’envoi entre dans la sphère de pouvoir de son destinataire (Pierre MOOR/Étienne POLTIER, Droit administratif, vol. 2, 3e éd., 2011, p. 302-303 n. 2.2.8.3). Il suffit que celui‑ci puisse en prendre connaissance (ATF 118 II 42 consid. 3b p. 44 ; 115 Ia 12 consid. 3b p. 17).

2.3 Les délais commencent à courir le lendemain de leur communication ou de l’événement qui les déclenche (art. 17 al. 1 LPA). Les écrits doivent parvenir à l’autorité ou être remis à son adresse, à un bureau de poste suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse au plus tard le dernier jour du délai avant minuit (art. 17 al. 4 LPA). En cas d'envoi à un bureau de poste à l'étranger, c'est en principe la date de réception par la juridiction administrative qui fait foi (ATA/774/2016 du 13 septembre 2016 consid. 4).

2.4 Les cas de force majeure sont réservés, conformément à l’art. 16 al. 1
2e phr. LPA. Tombent sous cette notion les événements extraordinaires et imprévisibles qui surviennent en dehors de la sphère d’activité de l’intéressé et qui s’imposent à lui de façon irrésistible (SJ 1999 I 119 ; ATA/1229/2023 du 14 novembre 2023 consid. 2.2).

2.5 Les délais de réclamation et de recours fixés par la loi sont des dispositions impératives de droit public. Ils ne sont, en principe, pas susceptibles d’être prolongés (art. 16 al. 1 1re phr. LPA), restitués ou suspendus, si ce n’est par le législateur lui-même. Celui qui n’agit pas dans le délai prescrit est forclos et la décision en cause acquiert force obligatoire (SJ 2000 I 22 consid. 2 p. 24 ; ATA/1157/2019 du 19 juillet 2019 consid. 2a). Le strict respect des délais légaux se justifie pour des raisons d’égalité de traitement et n’est pas constitutif de formalisme excessif (ATF 142 V 152 consid. 4.2 in fine ; ATA/1229/2023 précité consid. 2.5).

2.6 En l'espèce, le recourant fait valoir qu'il a déposé son acte de recours au TAPI à la Poste française le 21 novembre 2023 et non le 23 novembre 2023. Cela ne lui est toutefois d'aucun secours, car le délai de recours de cinq jours venait à échéance non pas le 22 novembre 2023, comme mentionné par le TAPI, mais le lundi 20 novembre 2023 puisque la décision litigieuse a été notifiée au recourant le 15 novembre 2023 – ce qu'il ne conteste à juste titre pas, la décision contenant sa signature ainsi que la date et l'heure de réception – et que le délai de recours a commencé à courir le jeudi 16 novembre 2023. De plus, le recourant se méprend en prenant comme argument sa résidence en France et en prétendant, sans base légale ou jurisprudentielle aucune, que le fait que la France et la Suisse soient toutes deux membres de l'Espace Schengen aurait pour conséquence que le dépôt dans un bureau de poste français devrait équivaloir à celui opéré dans un bureau de poste suisse. Ainsi, en choisissant de poster son recours en France, le recourant a pris le risque que ce soit le jour de réception par la juridiction, ou à tout le moins le jour de la prise en charge de l'acte par la Poste suisse, qui fasse foi pour le dépôt de son recours. Dans tous les cas de figure, son recours est tardif puisque déposé à la poste le 21 novembre 2023.

Par ailleurs, les éléments mis en avant dans le recours ne constituent nullement des cas de force majeure, si bien que la tardiveté du dépôt du recours devant le TAPI ne peut qu'être confirmée.

Il s'ensuit que le recours, manifestement mal fondé, sera rejeté, sans autre acte d'instruction conformément à l'art. 72 LPA.

3.             Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 200.- sera mis à la charge du recourant, qui succombe (art. 87 al. 1 LPA), et il ne sera pas alloué d’indemnité de procédure (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

rejette, dans la mesure où il est recevable, le recours interjeté le 30 janvier 2024 par A______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 20 décembre 2023 ;

met à la charge de A______ un émolument de CHF 200.- ;

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité de procédure ;

dit que les éventuelles voies de recours contre le présent arrêt, les délais et conditions de recevabilité qui leur sont applicables, figurent dans la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), dont un extrait est reproduit ci-après. Le mémoire de recours doit être adressé au Tribunal fédéral suisse, av. du Tribunal fédéral 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à A______, à l'office fédéral de la douane et de la sécurité des frontières - OFDF, au Tribunal administratif de première instance, ainsi qu'au secrétariat d'État aux migrations.

Siégeant : Claudio MASCOTTO, président, Jean-Marc VERNIORY, Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, Eleanor McGREGOR, juges, Louis PEILA, juge suppléant.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. SCHEFFRE

 

 

le président siégeant :

 

 

C. MASCOTTO

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :

 

 

 

 


 

Extraits de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110)
consultable sur le site: http://www.admin.ch/ch/f/rs/c173_110.html

Recours en matière de droit public
(art. 82 et ss LTF)

Recours constitutionnel subsidiaire
(art. 113 et ss LTF)

Art. 82 Principe

Le Tribunal fédéral connaît des recours :

a. contre les décisions rendues dans des causes de droit public ;

Art. 83 Exceptions

Le recours est irrecevable contre :

c. les décisions en matière de droit des étrangers qui concernent :

1. l’entrée en Suisse,

2. une autorisation à laquelle ni le droit fédéral ni le droit international ne donnent droit,

3. l’admission provisoire,

4. l’expulsion fondée sur l’art. 121, al. 2, de la Constitution ou le renvoi,

5. les dérogations aux conditions d’admission,

6. la prolongation d’une autorisation frontalière, le déplacement de la résidence dans un autre canton, le changement d’emploi du titulaire d’une autorisation frontalière et la délivrance de documents de voyage aux étrangers sans pièces de légitimation ;

d. les décisions en matière d’asile qui ont été rendues :

1. par le Tribunal administratif fédéral,

2. par une autorité cantonale précédente et dont l’objet porte sur une autorisation à laquelle ni le droit fédéral ni le droit international ne donnent droit ;

Art. 89 Qualité pour recourir

1 A qualité pour former un recours en matière de droit public quiconque :

a. a pris part à la procédure devant l’autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire ;

b. est particulièrement atteint par la décision ou l’acte normatif attaqué, et

c. a un intérêt digne de protection à son annulation ou à sa modification.

Art. 95 Droit suisse

Le recours peut être formé pour violation :

a. du droit fédéral ;

b. du droit international ;

c. de droits constitutionnels cantonaux ;

d. de dispositions cantonales sur le droit de vote des citoyens ainsi que sur les élections et votations populaires ;

e. du droit intercantonal.

Art. 100 Recours contre une décision

1 Le recours contre une décision doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les 30 jours qui suivent la notification de l’expédition complète.

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Art. 113 Principe

Le Tribunal fédéral connaît des recours constitutionnels contre les décisions des autorités cantonales de dernière instance qui ne peuvent faire l’objet d’aucun recours selon les art. 72 à 89.

Art. 115 Qualité pour recourir

A qualité pour former un recours constitutionnel quiconque :

a. a pris part à la procédure devant l’autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire et

b. a un intérêt juridique à l’annulation ou à la modification de la décision attaquée.

Art. 116 Motifs de recours

Le recours constitutionnel peut être formé pour violation des droits constitutionnels.

Art. 100 Recours contre une décision

1 Le recours contre une décision doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les 30 jours qui suivent la notification de l’expédition complète.

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Recours ordinaire simultané (art. 119 LTF)

1 Si une partie forme contre une décision un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire.

2 Le Tribunal fédéral statue sur les deux recours dans la même procédure.

3 Il examine les griefs invoqués selon les dispositions applicables au type de recours concerné.