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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2847/2022

ATA/1355/2023 du 19.12.2023 ( AMENAG ) , ADMIS

Recours TF déposé le 07.02.2024, 2C_90/2024
Descripteurs : DROIT FONCIER RURAL;EXPLOITATION AGRICOLE;PARTAGE SUCCESSORAL;BÂTIMENT D'EXPLOITATION AGRICOLE;BÂTIMENT D'HABITATION(EXPLOITATION AGRICOLE)
Normes : LDFR.1; LDFR.2; LDFR.6.al1; LDFR.7; LaLDFR.3a; LDFR.11.al1; LDFR.17.al1; ODFR.2.al1
Résumé : Décision de la CFA excluant des bâtiments de l'entreprise agricole du recourant rendue sur demande de la notaire chargée de l'inventaire civil de la succession de la mère de ce dernier. Les bâtiments en cause sont nécessaires à l'entreprise agricole. Recours admis.
En fait
En droit

république et

canton de genève

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2847/2022-AMENAG ATA/1355/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 19 décembre 2023

 

dans la cause

 

A______ recourant
représenté par Me Mattia DEBERTI, avocat

contre

COMMISSION FONCIÈRE AGRICOLE

B______ intimées
représentée par Me Claire BOLSTERLI, avocate


EN FAIT

A. a. A______ et B______ sont les enfants de feu C______, décédée le ______ 2020.

b. C______ était propriétaire des bâtiments érigés sur les deux parcelles contiguës nos 420 et 4'232 de la commune de D______, sises en zone 4B protégée. La parcelle no 420 comporte le bâtiment no 180 tandis que la parcelle no 4'232 comprend trois bâtiments, nos 179, 2'635 et 2'636. Selon le registre foncier, ces quatre bâtiments sont des bâtiments d'habitation à un seul logement chacun.

Elle était également propriétaire d'autres parcelles et bâtiments, dont les bâtiments sis sur les parcelles nos 5'833 (bâtiments nos 1'173 et 1'787), 11'012 (adjacente aux parcelles nos 420 et 4'232 ; bâtiments nos 184, 185, 867 et 1'413) et 11'014 (bâtiments nos 183 et 1'429) de la même commune.

B. a. Par requête du 30 juin 2021, Maître E______, notaire commise par le Tribunal de protection de l'adulte et de l'enfant aux fins de procéder à l'inventaire civil de la succession de C______, a demandé à la commission foncière agricole (ci-après : CFA) de déterminer quels immeubles bâtis au sein du domaine viticole de la défunte étaient indispensables à l'exploitation viticole, devant être estimés à leur valeur de rendement, et lesquels ne l'étaient pas, devant être estimés à leur valeur vénale.

b. Lors de sa séance du 9 novembre 2021, la CFA a transmis le calcul des unités de main-d'œuvre standard (ci-après : UMOS) à la notaire, l'a invitée à lui faire part des éventuels éléments de preuve justifiant de sortir l'un ou l'autre des immeubles ou bâtiments de l'entreprise agricole et a dit qu'une expertise à la valeur de rendement serait ordonnée une fois définis les immeubles et bâtiments compris dans l'entreprise agricole.

Les immeubles et bâtiments propriétés de C______ totalisaient 2.77 UMOS, de sorte que la totalité des immeubles et bâtiments étaient présumés former une entreprise agricole.

c. Les 2 et 16 décembre 2021 ainsi que 4 janvier 2022, A______ a notamment confirmé auprès de la notaire que les bâtiments des parcelles nos 420 et 4'232 étaient affectés à l'entreprise agricole.

Le bâtiment no 2'635 n'était pas uniquement dévolu à son habitation. L'ouverture entre celui-ci et le bâtiment no 179 existait déjà. Seules deux pièces supplémentaires, un bureau et une chambre, avaient été prises sur ce bâtiment. Pour le reste, le bâtiment no 2'635 était affecté à du stockage de matériel lié à la production viticole de l'entreprise. L'arrière du toit abritait l'ancien pressoir.

La bâtiment no 180 était utilisé, jusqu'au décès de sa mère, pour loger les vendangeurs et conviendrait parfaitement, après des travaux de rafraîchissement, à loger des employés de l'entreprise. Il avait besoin de trois logements pour ses employés. Il avait également besoin de logements pour les 18 vendangeurs et pour les travailleurs saisonniers. Tout le rez-de-chaussée était utilisé depuis de nombreuses années pour entreposer le stock tampon du magasin et des commandes Internet, procéder à la mise en carton du vin ainsi que la livraison de marchandises au transporteur.

d. Les 10 et 23 décembre 2021, B______ a demandé à la notaire que notamment les bâtiments des parcelles nos 420 et 4'232 soient considérés comme non nécessaires à l'entreprise agricole et comme n'en faisant pas partie.

Le bâtiment no 2'635 abritait un logement comprenant un salon, un bureau, deux chambres, une cuisine, une salle de bains, une buanderie et une cave. L'ouverture entre les bâtiments nos 2'635 et 179 avait été condamnée dès 1964. Le logement était alors occupé par sa mère, son père, son frère et elle-même. Elle l'avait ensuite loué à sa mère de 1996 à 2015, pour y vivre avec son époux et leurs deux enfants. En 2015, son frère s'était approprié les lieux en réunissant les deux bâtiments, dans le seul but d'agrandir son lieu de vie. Ce n'était qu'en 2015 que le stockage de matériel lié à la production viticole avait commencé. Cette double maison villageoise de treize pièces au total ne pouvait pas être considérée comme nécessaire à l'exploitation de l'entreprise agricole. L'ancien pressoir était désaffecté et inutilisé depuis plus de 20 ans. Le bâtiment no 2'636 était inoccupé depuis plusieurs années. Le magasin de vente de vin n'y avait été créé qu'en 2017. Au vu de l'occupation récente des parties des bâtiments nos 2'635 et 2'636, ces derniers n'étaient pas nécessaires à l'exploitation de l'entreprise agricole. Son frère ne pouvait raisonnablement s'approprier de manière unilatérale des parties de bâtiments et y disperser du matériel professionnel, au motif qu'il les utiliserait dans le cadre de son activité, alors que la grande majorité de la surface restait inoccupée.

Le bâtiment no 180, de trois étages sur rez-de-chaussée, était également inoccupé depuis plusieurs années. La plupart des viticulteurs de la région ne logeaient plus leurs employés pour les vendanges. Il n'était pas nécessaire à l'entreprise agricole.

e. Le 2 février 2022, la CFA a procédé à un transport sur place, illustré par des photographies.

La parcelle no 420 comprenait un bâtiment de logement, soit le bâtiment no 180, de trois étages sur rez-de-chaussée. La CFA n'avait pas visité les deuxième et troisième étages, inoccupés et inutilisés. Le rez-de-chaussée et le premier étage comprenaient une dizaine de pièces inoccupées en raison de dégâts d'eau. La salle à manger était utilisée, avant le sinistre, comme espace de dégustation.

L'arrière de la parcelle no 4'232 était composé, d'une part, d'un grand hangar, soit l'arrière du bâtiment no 2'635, fortement endommagé, et non affecté à une utilisation quelconque, et, d'autre part, d'une grange, soit l'arrière du bâtiment no 2'636, à l'intérieur duquel étaient entreposés deux enjambeurs. L'avant de la parcelle était composé d'une maison d'habitation, de plus d'une dizaine de pièces, occupées par A______ et sa famille, d'un magasin au rez-de-chaussée et d'espaces de stockage.

f. Le 29 avril 2022, B______ a relevé que l'avant de la parcelle no 4'232 était composé en réalité d'une double maison d'habitation. A______ avait en effet relié le bâtiment no 179 au bâtiment no 2'635 en janvier 2016, date avant laquelle lui et sa famille habitaient uniquement le premier des deux bâtiments. Cette double maison d'habitation comportait deux cuisines équipées et deux salles de bains. Jusqu'en décembre 2015, le bâtiment no 2'635 abritait un logement individuel de sept pièces qu'elle-même louait à sa mère depuis 1996. Les deuxième et troisième étages étaient inoccupés depuis plusieurs années. Le hangar à l'arrière du bâtiment no 2'635 était un espace entièrement désaffecté sans lien avec une quelconque activité agricole. La CFA avait à juste titre constaté que l'intégralité du bâtiment no 180 était inutilisée dans le cadre de l'entreprise.

g. Le même jour, A______ a souligné que l'avant de la parcelle no 4'232 comprenait une maison d'habitation, un bureau pour l'entreprise, trois pièces de stockage des matières premières et un laboratoire de dégustation et bureau. La parcelle no 420 comprenait un bâtiment avec un seul logement (no 180) divisé en deux parties sur des niveaux différents. La première partie (ci-après : la partie A) était composée de deux (et non trois) étages sur rez-de-chaussée et la seconde (ci‑après : la partie B) d'un étage sur rez-de-chaussée côté rue et de deux étages sur rez-de-chaussée côté cour. Les deux parties communiquaient grâce à une porte intérieure. Le deuxième étage de la partie A, indépendant du logement, était accessible par un escalier extérieur. La salle à manger de la partie A était utilisée avant le sinistre survenu en 2020 comme espace de dégustation. Jusqu'en 2019, avant le sinistre, les trois chambres de la partie A étaient utilisées pour les saisonniers. L'ensemble du rez-de-chaussée de la partie B était destiné au stockage du vin et il y était réalisé toutes les expéditions de vins grâce à son accessibilité pour les transporteurs. Le premier étage de la partie B comportait deux chambres côté rue, une salle de bain, une buanderie et un grenier. Les chambres étaient également utilisées avant le sinistre pour les saisonniers. Ceux-ci devraient nécessairement être logés dans ce bâtiment pour les vendanges de 2022.

h. Par décision du 5 juillet 2022, la CFA a notamment dit que les immeubles bâtis des parcelles nos 420 et 4'232 de D______ ne faisaient pas partie de l'entreprise agricole de feu C______.

Les terrains agricoles et viticoles compris dans la succession dépassaient, à eux seuls, 0.6 UMOS. Partant, et compte tenu des bâtiments présents dans la succession et nécessaires à l'exploitation, il s'agissait d'une entreprise agricole.

C. a. Par acte du 7 septembre 2022, A______ a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre cette décision, concluant à son annulation dans la mesure où elle disait que les immeubles bâtis nos 420 et 4'232 ne faisaient pas partie de l'entreprise agricole, à ce qu'il soit dit que ces immeubles bâtis faisaient partie de l'entreprise agricole et à l'allocation d'une indemnité de procédure. Il a également conclu, subsidiairement, à un transport sur place si les constatations de la CFA devaient être considérées comme lacunaires.

Il appartenait uniquement à la CFA de déterminer quelle était l'affectation des différents bâtiments édifiés sur les biens-fonds dépendant de la succession qui se trouvaient en zone à bâtir. Si ces bâtiments comportaient des locaux utilisés pour l'exploitation agricole, le biens-fonds sur lequel ils étaient implantés était, dans sa totalité, compris dans l'entreprise agricole. La notion de nécessité sur laquelle s'était fondée la CFA n'avait aucun fondement légal. Une entreprise dont la taille excédait le minimum nécessaire à la reconnaissance d'une entreprise agricole conservait son statut d'entreprise agricole et l'ensemble des immeubles, bâtiments et installations utilisés pour son exploitation étaient compris dans cette entreprise. La distinction opérée par la CFA était d'autant moins justifiée qu'une partie des locaux sis dans les bâtiments des parcelles nos 420 et 4'232 était affectée à l'usage agricole. Ce n'était que lorsqu'il s'agissait d'estimer la valeur des biens-fonds et bâtiments inclus dans une entreprise agricole qu'une distinction était faite entre des unités de logement nécessaires à l'exploitation et des unités de logements excédentaires, mais non en amont, dans la définition des immeubles, bâtiments et installations faisant partie de l'entreprise. Sur la base des constatations effectuées lors du transport sur place, la CFA devait considérer que les bâtiments des parcelles nos 420 et 4'232 faisaient partie de l'entreprise agricole.

b. Par réponse du 2 novembre 2022, la CFA a conclu à la confirmation de sa décision.

L'exclusion des bâtiments des deux parcelles en cause de l'entreprise agricole faisait suite à une appréciation d'experts en matière agricole, laquelle reposait sur un transport sur place, sur les éléments du dossier et sur les informations fournies par les parties.

A______ n'avait pas démontré en quoi la parcelle bâtie no 4'232 était nécessaire à son exploitation agricole. Il avait de plus indiqué avoir l'intention de déménager, avec sa famille, dans le bâtiment no 1'173 de la parcelle no 5'833. Il n'avait donc de son propre aveu pas besoin des bâtiments nos 179 et 2'635 à titre de logement pour son compte. Le possible emménagement de son fils dans ces deux bâtiments, dans l'hypothèse où il reprendrait l'entreprise agricole, n'y changeait rien, l'appréciation de la CFA devant se fonder sur la situation prévalant au jour du décès de C______ pour définir les bâtiments compris dans l'entreprise agricole.

La CFA n'avait pas été convaincue que la parcelle bâtie no 420 était nécessaire à l'exploitation agricole. Au jour du décès de C______ et toujours au jour de la réponse, le bâtiment n'était pas utilisé, ce qui démontrait l'absence de nécessité à l'entreprise agricole.

c. Le même jour, B______ a conclu au rejet du recours et à la condamnation de son frère aux dépens.

La CFA avait à juste titre retenu le critère de la nécessité pour déterminer quelles parcelles appartenaient à l'entreprise agricole. Le critère de la simple utilisation ne relevait ni de la loi, ni de la doctrine. Les parcelles nos 420 et 4'232 étaient situées en dehors de la zone à bâtir. Toutes deux abritaient des bâtiments qui avaient eu d'emblée une destination d'habitation et étaient donc objectivement inappropriées à un usage agricole.

Le bâtiment no 180 avait constitué pendant des décennies le logement de leurs grands-parents. Le rez-de-chaussée et le premier étage comprenaient une dizaine de pièces inoccupées en raison des dégâts d'eau. Les deuxième et troisième étages étaient inoccupés et inutilisés depuis de nombreuses années et n'avaient pas servi à loger des vendangeurs depuis très longtemps. La salle à manger du rez-de-chaussée n'était plus utilisée comme espace de dégustation depuis 2017. La parcelle no 420 n'avait jamais eu d'affectation agricole.

La partie du bâtiment no 2'635 située à l'avant de la parcelle no 4'232 se composait d'une maison d'habitation villageoise de sept pièces, dont deux se situaient au premier étage du bâtiment no 2'636, habitée par elle-même, son frère et ses parents jusqu'en 1976 puis elle-même, son mari et leurs enfants de 1996 à 2015. Le rez‑de‑chaussée du bâtiment no 2'635, séparé du bâtiment no 179 depuis 1964, avait longtemps abrité un local commercial, soit un magasin de tabac. Son frère habitait dans le bâtiment no 179 depuis 1993. La parcelle no 4'232 n'avait jamais eu de vocation agricole. Les deuxième et troisième étages du bâtiment no 2'635 étaient inoccupés et inutilisés depuis des années. Le rez-de-chaussée du bâtiment no 2'636 était utilisé depuis 2017 comme magasin et espace de dégustation pour les clients, ce qui constituait un usage très récent qui ne pouvait emporter l'affectation agricole du bâtiment. La parcelle no 11'012 abritait un bureau, un laboratoire/local technique utilisés comme tels jusqu'en 2017 ainsi que des logements pour les employés. La parcelle no 11'014 abritait un ancien studio désaffecté, une grange ainsi qu'un bâtiment servant au logement des employés. Ces parcelles avaient été reconnues comme faisant partie de l'entreprise agricole, de sorte qu'elles pouvaient être utilisées par son frère comme espace de vente, espace de bureau et pour le stockage des marchandises. La dispersion récente de l'activité de son frère était constitutive d'abus de droit et relevait d'un manque d'organisation qui ne pouvait lui être imputé. La parcelle no 4'232 ne faisait pas partie de l'entreprise agricole au jour du décès de leur mère et n'était pas nécessaire à l'entreprise agricole.

d. Par réplique du 7 décembre 2022, A______ a persisté dans son recours.

Jusqu'au 31 décembre 2016, lui-même et sa mère étaient co-exploitants du domaine. La cession avait eu lieu le 1er janvier 2017. S'agissant du bâtiment no 180, la fuite d'eau avait été récemment réparée, de sorte que les pièces avaient pu à nouveau être occupées pour y loger des employés saisonniers durant les vendanges 2022. La salle à manger avait été utilisée comme espace de dégustation jusqu'en 2016 inclus. Le deuxième étage accessible depuis l'escalier extérieur n'était plus utilisé depuis environ 20 ans. Le rez-de-chaussée de la partie nord était utilisé depuis 1988 comme local de stockage des vins en bouteille, climatisé et équipé de rayonnages métalliques (capacité d'environ 20'000 bouteilles). Il avait reçu l'ordre, de l'office des autorisations de construire, de libérer le local qu'il utilisait pour entreposer des casiers de bouteilles sur la parcelle no 11'068.

Il vivait avec sa famille dans le bâtiment no 179 depuis 1989. En janvier 2016, il avait simplement enlevé un panneau en contreplaqué qui condamnait la liaison entre les bâtiments nos 179 et 2'635, pour bénéficier de deux pièces supplémentaires. En 2017, sa mère l'avait autorisé à utiliser le reste des pièces du bâtiment no 2'635 à des fins professionnelles. Cela coïncidait avec le moment où il reprenait le domaine agricole et y introduisait de nouvelles manières de travailler, entraînant un besoin d'espaces supplémentaires. Les bâtiments nos 179 et 2'635 n'avaient jamais été utilisés comme double maison d'habitation, mais en partie à des fins privées et en partie à des fins professionnelles. Les photographies du transport sur place montraient les pièces à usage professionnel : laboratoire de dégustation et bureau, deux pièces non chauffées dans le bâtiment no 2'635 et pièce chauffée qui contenait les étiquettes autocollantes dans le bâtiment no 179.

Le bâtiment no 2'636 était entièrement utilisé à des fins agricoles. La grange abritait trois enjambeurs. Le côté rue abritait des palettes de carton où, après étiquetage, seraient placées les bouteilles de vin. Le local de vente avec arrière-boutique était trop petit pour servir d'espace de dégustation. Il y avait également un bureau pour l'entreprise.

Aucune de ces utilisations agricoles était non nécessaire à l'entreprise agricole. Les bâtiments avaient eu dès l'origine une affectation agricole (étable, grange, ensemble rural). La définition de la zone agricole en aménagement du territoire ne relevait pas du droit foncier rural et n'était pas pertinente.

e. Par duplique du 18 janvier 2023, B______ a persisté dans ses conclusions.

L'usage professionnel de certaines pièces était récent et ne correspondait pas à la destination réelle des bâtiments nos 179 et 2'635, utilisés depuis des décennies comme logements. La destination agricole originelle des bâtiments nos 180 et 2'636 n'était pas contestée, ni leur valeur patrimoniale, mais seul l'usage des bâtiments au moment du décès de sa mère était pertinent. Il y avait double emploi des bâtiments en cause avec ceux des parcelles nos 11'012 et 11'014 et son frère avait annoncé son intention de déménager dans la villa, comprenant deux caves pouvant servir pour le stockage, de la parcelle no 5'833, comprenant également un hangar viticole.

Le 20 février 2023, A______ a relevé que le bâtiment no 185 de la parcelle nos 11'012 était en réalité affecté au stockage de tout le matériel de la cave d'élevage des vins. Les réaménagements effectués dans les bâtiments litigieux avaient pour but de séparer clairement les espaces privés et professionnels. Le bâtiment no 184 n'avait plus de toit sur une large partie et ne pouvait être utilisé pour le stockage sauf à effectuer des travaux lourds et onéreux. Les suggestions d'utilisation faites par sa sœur, non applicables pour des raisons objectives, démontraient une méconnaissance du métier et des besoins.

f. Le 12 septembre 2023 a eu lieu une audience de comparution personnelle.

Selon A______, le bâtiment no 180 avait conservé sa disposition d'origine. L'appartement sur deux niveaux le composant avait longtemps été utilisé comme logement au sein des anciennes générations de la famille. Dès 1991, y était hébergé l'ensemble du personnel de l'été et des vendanges, soit 15 à 20 personnes. En 2020, en raison du Covid, il n'avait pas été possible faire venir les saisonniers, ni d'héberger les travailleurs ensemble. En 2021, une partie des saisonniers engagés disposaient de camping-cars, et l'autre était logée dans le bâtiment no 185 sur la parcelle no 11'012, bâtiment disposant d'un chauffage et d'une douche et suffisamment grand pour le nombre de personnes à loger. Depuis septembre 2022, le problème de la fuite d'eau avait été réglé et les travailleurs saisonniers avaient à nouveau été logés dans le bâtiment no 180. En 2022, le bâtiment no 185 avait servi à loger un ouvrier employé à l'année ainsi que sa famille. De 1993 à 2017, un espace de dégustation existait dans la salle à manger, au rez-de-chaussée, côté rue. En 2017, l'activité de dégustation avait été déplacée dans un local plus moderne et plus avenant, dans le bâtiment no 2'636. De manière continue depuis les années 1980, le stock de vin nécessaire à la vente directe et aux expéditions ou aux revendeurs était entreposé au rez-de-chaussée du bâtiment no 180. Au deuxième étage, deux chambres sur trois avaient été restaurées pour héberger du personnel, dans les années 1970. Ces chambres avaient encore été utilisées en 2022 et il était prévu qu'elles le soient à l'avenir, selon les besoins.

Le bâtiment no 2'636 était une grange servant au stockage des enjambeurs (entreposage et hivernage, sauf s'ils étaient en réparation) et du matériel pour la cave, déjà à l'époque de son père et encore aujourd'hui. Depuis le départ de la famille de sa sœur, l'espace, abrité des intempéries, était également utilisé pour y entreposer des palettes de cartons de six bouteilles.

Lui-même et sa famille avaient vécu dans le bâtiment no 179 d'avant 1990 à deux mois auparavant, moment de son déménagement dans la maison de ses parents (bâtiment no 1'173 de la parcelle no 5'833). Sa fille, active dans l'entreprise agricole, et qui auparavant habitait dans une chambre au-dessus de la boutique dans le bâtiment no 2'636, occupait désormais l'appartement du bâtiment no 179, avec son époux (cinq pièces, salle de bains comprise). Les autres pièces restaient, depuis 2017, affectées au stockage des étiquettes, des cartons, des emballages pour les fêtes, de la décoration, des bouchons en verre, des affiches.

Le bâtiment no 2'635 comportait depuis 2017 un bureau, une salle de dégustation technique et deux pièces de stockage. Le but était de rationaliser et de concentrer les activités dans le même périmètre, où se trouvait également la boutique et un « drive ».

Ils avaient dû transférer dans le bâtiment no 185 du matériel stocké jusque-là dans la cave du bâtiment no 867 de la même parcelle, devenue trop exiguë. C'était donc par nécessité que le bureau et le laboratoire avaient été transférés dans le bâtiment nos 2'635-2'636. Les locaux dont sa sœur déplorait la sous-utilisation ou la non‑utilisation étaient des locaux ouverts, qui n'avaient jamais été adaptés à la conservation du vin ou du matériel d'emballage. Les stocks de matière sèche étaient fluctuants et les achats devaient se faire en grande quantité pour bénéficier de bons prix, ce qui expliquait le besoin de place.

B______ a précisé que seul le premier étage du bâtiment no 180 avait été affecté à l'hébergement des vendangeurs dès 1993 et que c'était une fuite d'eau importante en 2019 qui avait imposé le déplacement des saisonniers dans un autre bâtiment en 2020. L'eau n'avait été rétablie qu'en septembre 2022. Le bâtiment no 180 abritait au deuxième étage un appartement et au troisième étage, une petite chambre. Deux des trois chambres avaient effectivement servi à loger du personnel.

Il y avait toujours eu les enjambeurs dans le bâtiment no 2'636, en plus d'un ramassis de vieilles choses.

Jusqu'en 1976, elle avait habité avec son frère et leurs parents l'appartement qui se trouvait dans le bâtiment no 2'635 et qui possédait deux chambres dans le bâtiment no 2'636. Elle avait ensuite loué cet appartement pendant 19 ans, jusqu'en décembre 2015. Son frère avait ensuite rouvert le passage depuis le bâtiment no 179, lequel était resté fermé de 1964 à 2016, et avait occupé tout l'appartement du bâtiment no 2'635, en plus du bâtiment no 179.

Un bureau et un laboratoire d'analyses existaient déjà dans le bâtiment no 185, installés par leur père à la demande de son frère, et d'ailleurs reconnu par la CFA pour admettre l'usage agricole du bâtiment et de la parcelle. Déplacer ce laboratoire et le bureau dans les bâtiments nos 2'635 et 2'636 relevait ainsi du choix de son frère et non d'une nécessité.

Il y avait un niveau sur rez-de-chaussée dans le bâtiment no 2'636 et trois étages sur rez-de-chaussée dans le bâtiment no 2'635, dont les deux derniers restaient inoccupés depuis 1976. Une grande partie de cet espace n'était donc pas exploitée. Lors du transport sur place avec la CFA, les anciennes chambres de ses enfants (photos 32 et 33) n'étaient pas exploitées rationnellement et du matériel y était réparti sans ordre ni organisation, de sorte que l'espace n'est pas rentabilisé.

Il y avait beaucoup d'espaces vides et inutilisés sur la parcelle no 11'012, notamment le bâtiment no 867 dont l'espace, une grange, située au-dessus de la cave occupant le rez-de-chaussée, n'est pas exploité. Le bâtiment no 184, qui n'était que partiellement couvert, était inoccupé lors du transport sur place. Quant au bâtiment no 1'429 de la parcelle voisine no 11'014, la grange au premier étage et rez‑de‑chaussée et l'espace studio étaient laissés à l'abandon, inutilisés depuis des années.

Des bouteilles étaient entreposées depuis 1980 dans l'immeuble no 180. Elles n'occupaient toutefois que 90 m2 d'une parcelle de 252 m2.

g. Les 24 et 25 octobre 2023, B______ et A______ ont chacun maintenu leur position, dont le bien-fondé était confirmé par les éléments recueillis lors de l'audience.

h. Sur ce, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 88 al. 1 de la loi fédérale sur le droit foncier rural du 4 octobre 1991 - LDFR - RS 211.412.11 ; art. 13 de la loi d'application de la LDFR du 16 décembre 1983 - LaLDFR - M 1 10 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2.             Le recourant conclut subsidiairement à le tenue d'un transport sur place.

2.1 Tel qu’il est garanti par l’art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d’être entendu comprend notamment le droit pour la personne intéressée de produire des preuves pertinentes, d’obtenir qu’il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes, de participer à l’administration des preuves essentielles ou, à tout le moins, de s’exprimer sur son résultat lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre. Il n'empêche toutefois pas l'autorité de mettre un terme à l'instruction lorsque les preuves administrées lui ont permis de former sa conviction et que, procédant à une appréciation anticipée des preuves qui lui sont encore proposées, elle a la certitude que ces dernières ne pourraient pas l'amener à modifier son opinion (ATF 145 I 167 consid. 4.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_359/2022 du 20 avril 2023 consid. 3.1 et les références citées).

2.2 En l'espèce, le dossier comprend les différentes prises de position des parties, tant celles formulées durant la procédure devant l'autorité intimée que celles versées à la procédure devant la chambre administrative, avec les éléments produits à leur appui. Celles-ci ont par ailleurs pu développer leur point de vue également lors de l'audience de comparution personnelle. Le procès-verbal du transport sur place effectué par l'autorité intimée accompagné des photographies prises à cette occasion figure en outre au dossier, en plus des pièces produites par chacune des parties, ces éléments s'ajoutant à ceux figurant sur le système d'information du territoire genevois (ci-après : SITG).

L'ensemble de ces éléments permettent et suffisent à la chambre administrative pour trancher le litige en toute connaissance de cause. Il ne sera par conséquent pas donné suite à la demande, subsidiaire, de transport sur place du recourant.

3.             Le litige porte sur la conformité au droit de la décision de l'autorité intimée en tant qu'elle constate que les immeubles bâtis nos 420 et 4'232 ne font pas partie de l'entreprise agricole.

4.             Le recourant affirme que les bâtiments des parcelles nos 420 et 4'232 feraient partie de l'entreprise agricole.

4.1 La LDFR a pour but notamment d’encourager la propriété foncière rurale et en particulier de maintenir des entreprises familiales comme fondement d’une population paysanne forte et d’une agriculture productive, orientée vers une exploitation durable du sol, ainsi que d’améliorer les structures (art. 1 al. 1 let. a LDFR).

4.2 La LDFR s'applique aux immeubles agricoles isolés ou aux immeubles agricoles faisant partie d'une entreprise agricole qui sont situés en dehors d'une zone à bâtir au sens de l'art. 15 de la loi fédérale sur l’aménagement du territoire du 22 juin 1979 (LAT - RS 700 ; let. a) et dont l'utilisation agricole est licite (let. b ; art. 2 al. 1 LDFR). La LDFR s’applique en outre aux immeubles et parties d’immeubles comprenant des bâtiments et installations agricoles, y compris une aire environnante appropriée, qui sont situés dans une zone à bâtir et font partie d’une entreprise agricole (let. a), aux forêts qui font partie d’une entreprise agricole (let. b), aux immeubles situés en partie dans une zone à bâtir, tant qu’ils ne sont pas partagés conformément aux zones d’affectation (let. c) et aux immeubles à usage mixte, qui ne sont pas partagés en une partie agricole et une partie non agricole (let. d ; art. 2 al. 2 LDFR).

4.3 Est agricole l’immeuble approprié à un usage agricole ou horticole (art. 6 al. 1 LDFR).

Par entreprise agricole, on entend une unité composée d’immeubles, de bâtiments et d’installations agricoles qui sert de base à la production agricole et qui exige, dans les conditions d’exploitation usuelles dans le pays, au moins une UMOS. Le Conseil fédéral fixe, conformément au droit agraire, les facteurs et les valeurs servant au calcul de l'UMOS (art. 7 al. 1 LDFR). Pour apprécier s’il s’agit d’une entreprise agricole, on prendra en considération les immeubles assujettis à la LDFR (art. 2 LDFR ; art. 7 al. 3 LDFR). Doivent, en outre, être pris en considération les conditions locales (let. a), la possibilité de construire des bâtiments manquants nécessaires à l’exploitation ou de transformer, rénover ou remplacer ceux qui existent, lorsque l’exploitation permet de supporter les dépenses correspondantes (let. b), les immeubles pris à ferme pour une certaine durée (let. c ; art. 7 al. 4 LDFR). Une entreprise mixte est une entreprise agricole lorsqu’elle a un caractère agricole prépondérant (art. 7 al. 5 LDFR).

À Genève, les entreprises agricoles d’une taille égale ou supérieure à 0.6 UMOS sont soumises aux dispositions sur les entreprises agricoles (art. 3A LaLDFR).

Pour qu'une entreprise agricole soit reconnue comme telle, il faut tout d'abord la présence cumulative d'immeubles (a), de bâtiments (b) et d'installations agricoles (c) qui doivent former une unité (d). De plus, ces éléments doivent servir de base à la production agricole (e) et leur exploitation doit exiger, dans le canton de Genève, au moins 0.6 UMOS (ATF 135 II 313 consid. 5 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_1034/2019 et 2C_1035/2019 du 8 juillet 2020 consid. 4.2).

Les bâtiments agricoles sont ceux servant, d'une part, à l'habitation et, d'autre part, à l'exploitation, par exemple les locaux techniques, granges et étables (ATF 135 II 313 consid. 5.2.1 ; 121 III 75 consid. 3c ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_1034/2019 et 2C_1035/2019 précité consid. 4.4.1)

Les éléments principaux des bâtiments et des installations agricoles doivent être convenables (ATF 82 II 4 consid. 2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_1034/2019 et 2C_1035/2019 précité consid. 4.4.1). Pour juger si tel est le cas, seuls devraient être pris en compte les besoins normaux au regard des standards prévalant dans le monde agricole. La condition de l'existence de bâtiments d'exploitation, posée pour pouvoir qualifier un domaine d'entreprise agricole, doit être considérée comme remplie même si des réparations sont nécessaires et s'il y a lieu de compléter les bâtiments existants. À cet égard, l'aménagement ou la rénovation d'un bâtiment doit être économiquement supportable. Il faut pour cela prendre en considération uniquement les revenus agricoles créés par l'entité concernée, comme l'impose l'art. 7 al. 4 let. b LDFR, et non des apports extérieurs (héritage, donation, etc.). Les experts jouent un rôle primordial dans cette appréciation. Quant aux locaux d'exploitation, ils doivent être adaptés au type d'agriculture choisi ainsi qu'à l'étendue de l'entreprise (ATF 135 II 313 consid. 5.2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_1034/2019 et 2C_1035/2019 précité consid. 4.4.1).

L'exploitation doit former une unité tant sous l'angle économique que géographique. Il faut en principe qu'une seule personne gère et dirige la totalité des immeubles agricoles avec les mêmes moyens humains, financiers et matériels depuis un centre d'exploitation. En outre, les bâtiments et installations, avec les terres qui y sont rattachées, formant le domaine agricole, doivent être propres à constituer le centre d'existence du paysan et de sa famille et la base de l'exploitation de l'entreprise agricole (ATF 135 II 313 consid. 5.3.1 ; 110 II 304 consid. 2a ; 107 II 375 consid. 2c/bb ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_1034/2019 et 2C_1035/2019 précité consid. 4.4.1).

La détermination de ce qu'une entreprise doit posséder pour une exploitation rationnelle est souvent affaire de spécialistes. Les conséquences liées à cette appréciation sont très importantes. En effet, admettre, par exemple, la nécessité d'une étable tout en constatant son absence peut aboutir à dénier à l'ensemble la qualité d'entreprise agricole, avec tout ce que cela peut impliquer, au plan administratif. Estimer que des bâtiments ne sont pas nécessaires à l'existence de l'entreprise peut aussi aboutir à les en exclure, à autoriser leur cession indépendante et à les grever au-delà des limites de charges encore prévues par la loi, pour autant qu'ils soient incorporés à la zone à bâtir (Yves DONZALLAZ, Le droit foncier rural et les exploitations viticoles au regard du statut de l'entreprise agricole, RDAF 2008 121, ch. 1.5 ; Yves DONZALLAZ, Traité de droit agraire suisse : droit public et droit privé, tome II, 2006, n. 2535). Dans ce cadre, l'avis des experts est important (ATF 135 II 313 consid. 5.2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_1034/2019 et 2C_1035/2019 précité consid. 4.4.3).

Des indices de la nécessité de bâtiments et d'installations agricoles, en particulier de logements, sont en premier lieu fournis par la doctrine et la jurisprudence relative à l'art. 16 LAT. Dans cette loi également, ce qui est exigé correspond à une appréciation objective qui se fonde sur les besoins d'une exploitation familiale normale, indépendamment de la situation momentanée. L'approche coordonnée avec la LAT permet de définir ce qui, de manière impérative, doit exister pour permettre la gestion rationnelle de l'entreprise. Cette loi, dans l'interprétation qui lui était donnée jusqu'alors, était pourtant très restrictive. On ne saurait cependant omettre de relever que ce minimum nécessaire qu'elle autorisait de bâtir en zone agricole ne correspondait pas toujours à l'équipement optimal auquel pourrait prétendre l'agriculteur. En ce sens, les objectifs de la LAT et deux de la LDFR ne sont pas parfaitement coordonnés. La jurisprudence a ainsi parfois fait abstraction du caractère nécessaire pour substituer à ce critère celui de l'utilité potentielle (Yves DONZALLAZ, Traité de droit agraire suisse, n. 2536 à 2538).

S'agissant des bâtiments d'habitation, seuls devraient être pris en compte les besoins normaux au regard des standards prévalant dans le monde agricole. Ceux-ci comprennent les locaux permettant de loger la main d'œuvre nécessaire à l'exploitation, c'est-à-dire l'exploitant et sa famille ainsi que les ouvriers. On y incorpore aussi très souvent l'habitation destinée à la génération précédente. Pour qu'une seconde habitation puisse être intégrée dans l'entreprise agricole, il faut en principe qu'elle soit en relation étroite avec cette dernière, par exemple qu'elle serve au logement des employés (Yves DONZALLAZ, Traité de droit agraire suisse, n. 2549 à 2551).

4.4 Si une entreprise agricole se trouve dans la succession, chaque héritier peut demander qu'elle lui soit attribuée dans le partage successoral s'il veut l'exploiter lui-même et s'il paraît apte à le faire (art. 11 al. 1 LDFR). L’entreprise agricole est imputée à la valeur de rendement sur la part de l’héritier qui exploite lui-même (art. 17 al. 1 LDFR).

L'entreprise agricole de l'art. 11 LDFR est celle décrite à l'art. 7 al. 1 à 4 LDFR (Yves DONZALLAZ, Commentaire de la LDFR, 1991, n. 11 ; Benno STUDER in Christoph BANDLI et al., Le droit foncier rural, Commentaire de la LDFR, 1998, n. 1 ad art. 11). Elle comprendra donc des bâtiments d'habitation et d'exploitation, des installations et des immeubles agricoles. Il faut que ces éléments soient en relation directe avec l'entreprise agricole pour y être intégrés. C'est en fonction des règles déterminant le champ d'application de la LDFR que les questions spécifiques, telle celle de la maison de maître incorporée dans une succession, doivent être tranchées (Yves DONZALLAZ, Commentaire de la LDFR, n. 11).

Les dispositions pour l’estimation de la valeur de rendement agricole figurent à l’annexe. Les principes suivants s’appliquent : en ce qui concerne les entreprises agricoles, le sol, les bâtiments d’exploitation, les bâtiments alpestres, le logement du chef d’exploitation et les chambres des salariés nécessaires pour l’activité agricole sont estimés conformément aux dispositions agricoles du guide d’estimation ; les constructions ou parties de constructions qui servent à des activités accessoires proches de l’agriculture sont estimées sur la base des résultats d’exploitation conformément à la description dans le guide d’estimation ; les logements en sus du logement du chef d’exploitation et les bâtiments destinés aux activités accessoires non agricoles sont estimés selon les dispositions non agricoles (let. a), en ce qui concerne les immeubles agricoles, le sol, les bâtiments d’exploitation et les bâtiments alpestres sont estimés conformément aux dispositions du guide d’estimation ; les logements, éléments du bâti et autres bâtiments destinés à des activités accessoires non agricoles doivent être estimés selon les dispositions non agricoles (let. b ; art. 2 al. 1 de l'ordonnance sur le droit foncier rural du 4 octobre 1993 - ODFR - RS 211.412.110).

4.5 Dans un cas dans lequel les parties s'opposaient sur la question de savoir si les immeubles se trouvant dans la succession constituaient ou non une entreprise agricole et si, par conséquent, les dispositions successorales de la LDFR s’appliquaient, plutôt que celles du Code civil suisse du 10 décembre 1907 (CC - RS 210), le Tribunal fédéral a retenu qu’étant donné que, selon l'art. 11 LDFR, seules les entreprises agricoles se trouvant dans la succession sont prises en compte, la qualité d'entreprise doit en principe déjà exister au moment de la dévolution successorale et ne pas se développer seulement dans le futur (par exemple par le biais d'un achat). Pour l'évaluation du droit à l'attribution, c'est donc en principe le moment de la dévolution successorale qui est déterminant, sachant que dans le cadre de l'art. 7 al. 4 let. b LDFR notamment, les possibilités d'investissement doivent être prises en compte dans une mesure limitée. Dans le cas litigieux, la communauté héréditaire existait toutefois depuis des décennies, raison pour laquelle le décès du défunt en 1929 ne pouvait plus guère entrer en ligne de compte comme moment déterminant pour l'examen de la qualité d'entreprise. Le Tribunal fédéral a laissé indécise la question de savoir quel moment était déterminant dans une situation de départ comme celle de l'espèce, et s'il fallait notamment se baser sur la date de la demande de partage, puisqu’il s’agissait d'une période antérieure à son arrêt du 22 juillet 2004, par lequel la qualité d'entreprise des immeubles agricoles faisant partie de la succession avait été définitivement niée (arrêt du Tribunal fédéral 5A_140/2009 du 6 juillet 2009 consid. 2.3).

En principe, dessiner les contours de l'entreprise agricole dans un cas concret ne peut se faire qu'en fonction de l'état actuel du patrimoine considéré. L'entreprise est constituée d'un ensemble d'éléments qui doivent être simultanément présents. Il s'agit de la règle de l'unité temporelle de l'entreprise agricole. C'est dès lors au moment du décès qu'il faudra analyser la composition des biens du de cujus pour procéder à une attribution préférentielle (Yves DONZALLAZ, Traité de droit agraire suisse, n. 2692).

5.             En l'espèce, il convient préalablement de constater que l'existence de l'entreprise agricole est établie et n'est pas contestée. Ce qui est litigieux est l'appartenance des bâtiments de deux parcelles en cause à ladite entreprise.

5.1 La CFA a retenu que la parcelle bâtie no 420 ne faisait pas partie de l'entreprise agricole au jour du décès de la mère du recourant et de l'intimée et qu'elle n'était pas nécessaire à l'entreprise agricole. Dans sa réponse, elle a indiqué avoir retenu que le bâtiment no 180, de trois étages sur rez-de-chaussée, n'était pas utilisé depuis de nombreuses années, ce qui démontrait qu'il n'était pas nécessaire à l'entreprise agricole.

Or, lors de l'audience de comparution personnelle devant la chambre de céans, le recourant et l'intimée ont tous deux confirmé que ce bâtiment avait servi à héberger les vendangeurs depuis le début des années 1990, ce qui avait été interrompu en 2020 et 2021 en raison de dégâts d'eau, ensuite réparés. Le recourant a démontré que les réparations avaient été effectuées en septembre 2022, comme l'établit la facture de l'entreprise sanitaire mandatée pour réparer la fuite d'eau et rétablir l'eau dans le bâtiment produite le 20 février 2023. Le recourant indique ainsi avoir à nouveau utilisé ce bâtiment pour loger des vendangeurs en 2022, l'intimée ne pouvant confirmer ou infirmer cette déclaration mais ayant vu de la lumière. Ainsi, les constatations de l'autorité intimée selon lesquelles ce bâtiment ne serait plus utilisé depuis plusieurs années, fondées sur les déclarations de l'intimée qu'elle a elle-même contredites lors de sa comparution personnelle, sont erronées. Au moment du décès de la mère du recourant et de l'intimée, le bâtiment no 180 était temporairement inutilisé en raison des dégâts d'eau, mais était déjà alloué à l'hébergement des vendangeurs depuis de nombreuses années, destination qu'il a ensuite retrouvée.

Par ailleurs, le recourant a également établi, par photographies, que le bâtiment no 180 abrite un local de stockage isolé et bénéficie d'une installation de climatisation, ce que l'intimée reconnaît implicitement en affirmant que l'occupation à des fins de stockage de 90 m2 d'un bâtiment d'une surface de 236 m2 ne suffisait pas à justifier l'attribution du bâtiment à l'entreprise agricole.

Par conséquent, si le bâtiment no 180 était, au moment du décès de la mère du recourant et de l'intimée, temporairement inutilisé, comme l'a constaté la CFA lors du transport sur place, il s'agissait d'une inutilisation temporaire due à des dégâts d'eau et le bâtiment était utilisé depuis des années pour loger des vendangeurs et pour stocker des bouteilles de vin, utilisation qu'il était appelé à retrouver une fois les dégâts d'eau réparés.

L'intimée affirme néanmoins que d'autres bâtiments reconnus comme faisant partie de l'entreprise agricole pouvaient loger les vendangeurs et servir au stockage, de sorte que le bâtiment no 180 ne serait pas nécessaire à l'exploitation de l'entreprise agricole. Les bâtiments désignés par l'intimée correspondent à une grange (bâtiment no 1'429 de la parcelle no 11'014) et un bâtiment dont l'autorité intimée a constaté que le toit avait été enlevé en raison du risque statique (bâtiment no 184 de la parcelle no 11'012), lesquels ne paraissent pas propre au stockage de bouteilles de vin, et à une cave déjà utilisée pour stocker des cuves (bâtiment no 867 de la parcelle no 11'012). Ces bâtiments ne peuvent donc pas servir au stockage de bouteilles. Par ailleurs, l'entreprise agricole comprend en effet déjà des bâtiments affectés au logement du personnel, soit les bâtiments nos 183 de la parcelle no 11'014 et 185 de la parcelle no 11'012. Le fait que le bâtiment no 180 est utilisé depuis le début des années 1990 comme logement pour les vendangeurs démontre cependant sa nécessité à cet effet.

Au vu de ce qui précède, il doit être considéré que le bâtiment no 180 est nécessaire à l'entreprise agricole, dont il fait partie. Le grief sera admis quant à ce bâtiment.

5.2 La CFA a retenu que l'immeuble bâti no 4'232 ne faisait pas partie de l'entreprise agricole au jour du décès de la mère du recourant et de l'intimée et qu'il n'était pas nécessaire à l'entreprise agricole. Dans sa réponse, elle a indiqué que le recourant n'avait pas démontré en quoi cette parcelle bâtie était nécessaire à son exploitation agricole, d'autant plus qu'il avait expliqué avoir l'intention de déménager, avec sa famille, dans le bâtiment no 1'173 de la parcelle no 5'833.

Toutefois, l'autorité intimée a également rappelé qu'elle devait se fonder sur la situation au jour du décès de la mère du recourant et de l'intimée pour définir les bâtiments compris dans l'entreprise agricole.

Or, en 2020, le recourant habitait avec sa famille dans le bâtiment no 179, communiquant depuis 2016 avec le bâtiment no 2'635, constituant la grande maison d'habitation située à l'avant de la parcelle dont la CFA a constaté l'existence lors du transport sur place. Il n'a déménagé que deux mois avant l'audience de comparution personnelle devant la chambre de céans, en 2023. Les bâtiments nos 179 et 2'635 servaient donc, en 2020, à l'habitation de l'exploitant de l'entreprise agricole, soit le recourant et sa famille. L'existence du bâtiment no 1'173 n'exclut pas la nécessité du bâtiment no 179, puisqu'il s'agissait du bâtiment dans lequel vivait la défunte, soit la génération précédente au sens de la doctrine précitée, en tant que tel compris dans l'entreprise agricole. Par ailleurs, l'intimée a admis que le bâtiment no 2'636 comprenait une grange qui abritait depuis des années des enjambeurs, dont la présence a pu être constatée par l'autorité intimée lors du transport sur place. Il est encore établi, conformément aux constatations effectuées lors dudit transport sur place, que ce bâtiment comporte un magasin de vente du vin produit par l'entreprise agricole, ce que l'intimée ne conteste du reste pas.

Au vu de ce qui précède, il doit être considéré qu'au jour du décès de la mère du recourant et de l'intimée, la parcelle bâtie no 4'232 était nécessaire à l'entreprise agricole et en faisait partie, contrairement à ce qu'a retenu l'autorité intimée. Le grief sera donc également admis.

Dans ces circonstances, le recours sera admis. La décision de l'autorité intimée sera annulée en tant qu'elle constate que les immeubles bâtis nos 420 et 4'232 ne font pas partie de l'entreprise agricole et il sera dit que ceux-ci font partie de ladite entreprise.

6.             Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 1'000.- sera mis à la charge de B______ (art. 87 al. 1 LPA). Une indemnité de procédure de CHF 1'000.- sera allouée à A______, dont CHF 500.- à la charge de B______ et CHF 500.- à la charge de l’État de Genève (art. 87 al. 2 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 7 septembre 2022 par A______contre la décision de la commission foncière agricole du 5 juillet 2022 ;

au fond :

l'admet ;

annule la décision de la commission foncière agricole du 5 juillet 2022 en tant qu'elle dit que les immeuble bâtis nos 420 et 4'232 ne font pas partie de l'entreprise agricole ;

dit que les immeuble bâtis nos 420 et 4'232 font partie de l'entreprise agricole ;

met un émolument de CHF 1'000.- à la charge de B______ ;

alloue une indemnité de procédure de CHF 1'000.- à A______, dont CHF 500.- à la charge de B______ et CHF 500.- à la charge de l'État de Genève ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les 30 jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Mattia DEBERTI, avocat du recourant, à la commission foncière agricole, à Me Claire BOLSTERLI, avocate de l'intimée, à l'office fédéral de la justice ainsi qu'à l'office fédéral de l'agriculture.

Siégeant : Florence KRAUSKOPF, présidente, Jean-Marc VERNIORY, Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, Cédric-Laurent MICHEL, Claudio MASCOTTO, juges.

 

 

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. HÜSLER ENZ

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. KRAUSKOPF

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :