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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/316/2023

ATA/1254/2023 du 21.11.2023 sur JTAPI/720/2023 ( PE ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/316/2023-PE ATA/1254/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 21 novembre 2023

1ère section

 

dans la cause

 

A______, agissant pour son compte et celui de ses filles mineures B______ et C______ recourantes

contre

OFFICE CANTONAL DE LA POPULATION ET DES MIGRATIONS intimé

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 26 juin 2023 (JTAPI/720/2023)


EN FAIT

A. a. A______, née le ______1991, est ressortissante du Sénégal.

b. Le 30 septembre 2010, elle a épousé D______, né le ______1980, titulaire d’une autorisation de séjour à Genève.

c. De cette union sont nées B______, le ______2012 au Sénégal, et C______, le ______ à Almeria (Espagne).

B. a. Le 15 décembre 2020, A______ a déposé auprès de l’office cantonal de la population et des migrations (ci-après : OCPM) une demande de regroupement familial pour ses deux filles et elle-même. Elle était arrivée à Genève le 7 août 2020 avec ces dernières pour rejoindre son époux. Tous habitaient dans l’appartement de deux pièces loué par celui-ci à E______.

b. Par lettres des 14 avril et 14 septembre 2021, l’OCPM a invité A______ à lui communiquer son acte de mariage et l’acte de naissance de B______, légalisés par l’ambassade de Suisse à Dakar, les justificatifs des revenus du couple, les intentions professionnelles en Suisse d’A______ et promesses éventuelles d’embauche avec justificatifs à l’appui, son curriculum vitae (ci-après : CV), avec copies de diplômes, ainsi que tout éventuel titre de séjour obtenu en Espagne. Le logement de deux pièces n’étant pas convenable pour une famille de quatre personnes, elle était priée de remettre une copie du bail à loyer avec la mention de sa surface, ainsi que la preuve de recherches d’un logement plus grand.

c. Par lettre du 9 mai 2022, l’OCPM a informé A______ de son intention de refuser sa demande et de prononcer son renvoi de Suisse, de même que de ses filles. Les documents d’état civil dûment légalisés par l’ambassade de Suisse à Dakar n’étant pas parvenus à l’OCPM, les liens d’état civil n’étaient pas confirmés. Les documents permettant d’évaluer la situation financière de la famille et son évolution probable, ainsi que les exigences de logement convenable faisaient également défaut. Un délai de 30 jours lui était imparti pour faire valoir son droit d’être entendue.

d. Le 23 mai 2022, D______ a confirmé avoir reçu la lettre de l’OCPM du 9 mai 2022 et entamé toutes les démarches au Sénégal. Toutefois, l’ambassade de Suisse à Dakar l’ayant informé que les documents relatifs au certificat de mariage ne pouvaient pas être établis dans le délai imparti, il en sollicitait une prolongation pour les produire dans leur intégralité.

e. Le 5 août 2022, l’OCPM a imparti à D______ et son épouse un ultime délai au 30 septembre 2022 pour fournir les informations et pièces manquantes.

f. Par courrier reçu par l’OCPM le 22 septembre 2022, D______ a indiqué que les réponses du Sénégal s’avéraient très lentes et que l’ambassade de Suisse à Dakar lui avait fixé un rendez-vous sur place au 25 octobre 2022, de sorte qu’il sollicitait une nouvelle prolongation de délai.

g. L’OCPM s’est adressé à l’ambassade de Suisse à Dakar, qui lui a répondu, par courriels des 24, 25 et 28 novembre 2022, avoir reçu le 17 octobre 2022 pour légalisation l’acte de mariage des époux AD______. Cette légalisation imposait un rendez-vous des intéressés à Dakar. Toutefois, si le requérant était en Suisse, il pouvait mandater une tierce personne pour venir déposer les actes.

h. Par décision du 3 janvier 2023, l’OCPM a confirmé son refus d’octroi d’une autorisation de séjour en faveur d’A______ et de ses deux filles et prononcé leur renvoi de Suisse.

Les revenus du foyer se composaient de l’allocation de chômage de D______, de l’ordre de CHF 2'500.- à CHF 2'800.- nets par mois. Son délai cadre courait jusqu’au 30 avril 2023. Il ressortait de l’échange de courriels avec l’ambassade de Suisse à Dakar que D______ l’avait contactée pour la première fois le 16 septembre 2022, soit un an et cinq mois après sa première demande de justificatifs. L’acte de naissance de B______ n’avait pas été transmis pour légalisation. Malgré les nombreux délais accordés, il n’avait reçu aucun éventuel titre de séjour obtenu en Espagne par A______ et ses filles, ni CV détaillé, ni diplômes, ni preuves de recherches d’emploi, ni renseignements sur ses intentions professionnelles en Suisse, ni sur la superficie du logement qu’occupait la famille.

Ces informations et documents faisant ainsi défaut, les conditions d’octroi des autorisations de séjour sollicitées au titre de regroupement familial n’étaient pas remplies.

C. a. Par acte du 31 janvier 2023, agissant en son nom et en celui de ses filles B______ et C______, A______ a interjeté recours auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) contre cette décision, concluant principalement à la suspension de la procédure pour lui permettre de fournir les documents nécessaires. Subsidiairement, elle a conclu à l’admission du recours et à l’annulation de la décision attaquée.

En octobre 2022, son petit frère s’était rendu à l’ambassade de Suisse à Dakar pour faire légaliser l’acte de mariage et l’acte de naissance de B______. C______ étant née en Espagne, son acte de naissance (joint au recours) n’avait pas besoin d’être légalisé. Le 9 décembre 2022, son époux avait conclu un « contrat de travail pour travailleurs occasionnels avec horaires irréguliers (travail sur appel improprement dit) » avec la société E______ en qualité de chauffeur VTC (Véhicule de Transport avec Chauffeur). L’emploi de son époux devrait permettre d’améliorer leur situation financière. Le 13 janvier 2023, l’OCPM leur avait transmis l’acte de mariage légalisé.

Elle recherchait activement un travail. Cela s’avérait toutefois compliqué, dès lors qu’elle devait s’occuper de sa fille âgée de 3 ans. B______, âgée de 11 ans, était scolarisée en cinquième primaire. Les preuves de recherche d’un appartement plus spacieux et l’acte de naissance espagnol de C______ avaient déjà été fournis à l’OCPM. Elle reconnaissait avoir tardé à envoyer certains documents, mais ceux manquants résultaient aussi des lenteurs de la représentation suisse à Dakar à légaliser l’acte de naissance de B______.

L’OCPM justifiait principalement son refus sur le fait que les justificatifs requis n’avaient pas été produits à temps. Le renvoi serait disproportionné compte tenu du fait que la demande d’autorisation de séjour pour regroupement familial reposait sur un droit à vivre ensemble en famille.

b. L’OCPM a conclu au rejet du recours et s’est opposé à la suspension de son instruction.

Sur les documents sollicités à plusieurs reprises, seul l’acte de mariage légalisé avait été fourni. Le contrat conclu par D______ avec E______ ne permettait pas d’avoir une idée concrète des revenus pouvant être effectivement dégagés. La production des fiches de salaire des mois de janvier à mars 2023 serait utile.

c. A______ n’a pas fait usage de son droit à la réplique.

d. Le TAPI a rejeté le recours par jugement du 26 juin 2023.

L’OCPM n’avait pas donné son accord à la suspension et les autres motifs de suspension n’étaient pas réalisés, étant précisé qu'A______ n’avait déposé aucune pièce supplémentaire devant le TAPI.

À défaut d’avoir fourni les renseignements et documents justificatifs nécessaires à l’examen de la demande de regroupement familial, A______ ne pouvait se voir délivrer une autorisation de séjour pour elle et ses deux filles à ce titre. Seul l’acte de mariage légalisé avait été transmis à l’OCPM. Quand bien même la procédure de légalisation prendrait un certain temps, les époux avaient tardé à entreprendre les démarches nécessaires auprès de l’ambassade suisse à Dakar.

A______ n’avait pas jugé utile de verser à la procédure des fiches de paie de son époux pour les mois de janvier à mars 2023, comme requis par l’OCPM. Malgré les nombreuses prolongations de délai accordées, elle n’avait fourni aucun renseignement sur ses qualifications, expériences et intentions professionnelles.

Dès lors, à défaut de données concrètes sur les revenus de la famille et compte tenu des faibles perspectives d’emploi d’A______, il était vraisemblable que les revenus de son époux ne suffiraient pas à couvrir les dépenses d’une famille de quatre personnes sans l’aide de l’assistance publique.

À cela s’ajoutait que la famille occupait un logement de deux pièces, cuisine comprise, qui ne pouvait être considéré comme approprié pour une famille de quatre personnes. Sans précisions d’A______ sur ce point, il y avait lieu de considérer que les démarches entreprises pour la recherche d’un appartement de quatre ou cinq pièces étaient restées infructueuses.

En l’absence d’autorisation de séjour leur permettant de demeurer en Suisse, le renvoi d’A______ et de ses deux filles avait été prononcé à juste titre. Il n'apparaissait pas que l'exécution de cette mesure ne serait pas possible, pas licite ou qu'elle ne pourrait être raisonnablement exigée.

D. a. A______ a formé recours contre ce jugement, pour son compte et celui de ses filles B______ et C______, par acte expédié le 28 août 2023 à la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative). Elle a conclu à l’annulation dudit jugement et à ce qu’il soit donné une suite favorable à sa demande de regroupement familial.

Le principe de proportionnalité ancré à l’art. 36 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst - RS 101) avait été violé dans le cadre de l’application de l’art. 44 de la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20). Les art. 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101) et 3 de la Convention relative aux droits de l'enfant, conclue à New York le 20 novembre 1989, approuvée par l'Assemblée fédérale le 13 décembre 1996. Instrument de ratification déposé par la Suisse le 24 février 1997 (CDE - RS 0.107) avaient également été violés.

Les faits avaient évolué depuis le jugement, puisqu’elle était en possession de l’acte de naissance apostillé pour B______. Avec son mari, ils entreprenaient toutes les démarches pour trouver un appartement plus grand. Leur situation financière devrait « rapidement s’améliorer ces prochaines années ». Une fois C______ scolarisée, il lui serait plus facile de trouver un emploi à plein temps. Ce serait un déracinement pour B______ de quitter la Suisse alors qu’elle était scolarisée à Genève depuis trois ans et s’était parfaitement intégrée à l’école. Cela nuirait à son bon développement. L’acte de naissance de celle-ci était désormais apostillé, de sorte que la procédure devait être retournée soit au TAPI soit à l’OCPM pour nouvelle décision en tenant compte de cette nouvelle pièce.

Le TAPI n’avait pas tenu compte de leur présence en Suisse depuis trois ans.

b. L’OCPM a conclu au rejet du recours, constatant que la situation des recourantes n’avait pas évolué depuis le prononcé de sa décision. Les conditions de l’art. 44 LEI n’étaient toujours pas réalisées.

c. Les recourantes n’ont pas fait usage de leur droit à la réplique dans le délai imparti à cet effet.

d. Les parties ont été informées, le 3 novembre 2023, que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a et 63 al. 1 let. b de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2.             L’objet du litige est le refus de l’OCPM de délivrer aux trois recourantes une autorisation de séjour pour regroupement familial et sa confirmation par le TAPI.

2.1 Le 1er janvier 2019, est entrée en vigueur une modification de la loi fédérale sur les étrangers du 16 décembre 2005 (LEtr), devenue la LEI, étant précisé que la plupart des dispositions de la LEI sont demeurées identiques.

2.2 La LEI et ses ordonnances d'exécution, en particulier l’ordonnance relative à l'admission, au séjour et à l'exercice d'une activité lucrative du 24 octobre 2007 (OASA - RS 142.201), règlent l’entrée, le séjour et la sortie des étrangers dont le statut juridique n’est pas réglé par d’autres dispositions du droit fédéral ou par des traités internationaux conclus par la Suisse (art. 1 et 2 LEI), ce qui est le cas pour les ressortissants du Sénégal.

2.3 Selon l’art. 44 LEI, le conjoint étranger du titulaire d’une autorisation de séjour ainsi que ses enfants célibataires étrangers de moins de 18 ans peuvent obtenir une autorisation de séjour et la prolongation de celle-ci, notamment, s’ils vivent en ménage commun avec lui (let. a), disposent d’un logement approprié (let. b) et ne dépendent pas de l’aide sociale (let. c).

2.4 S’agissant de la condition de disposer d’un logement approprié (art. 44 al. 1 let. b LEI, il faut que le logement suffise pour tous les membres de la famille. Une partie des autorités cantonales compétentes en matière d’étrangers se fonde sur le critère du nombre de pièces (nombre de personnes - 1 = taille minimale du logement ; SEM, Directives et commentaires, Domaine des étrangers, état au 1er janvier 2021 [ci-après : Directives LEI], ch. 6.1.4).

2.5 Le regroupement familial suppose par ailleurs que la famille ne dépende pas de l'aide sociale, étant précisé que cette dépendance doit être examinée non seulement à la lumière de la situation actuelle, mais en tenant compte de son évolution probable. Il convient en outre de tenir compte des capacités financières de tous les membres de la famille sur le plus long terme (ATF 137 I 351 consid. 3.9).

2.5.1 À teneur des directives et commentaire du SEM, les moyens financiers doivent permettre aux membres de la famille de subvenir à leurs besoins sans dépendre de l'aide sociale (art. 44 al. 1 let. c LEI). Les moyens financiers doivent au moins correspondre aux normes édictées par la Conférence suisse des institutions d'action sociale (ci-après : normes CSIAS). Les cantons sont libres de prévoir des moyens supplémentaires permettant de garantir l'intégration sociale des étrangers. Les éventuels revenus futurs ne doivent en principe pas être pris en compte. Ce principe ressort notamment du fait que les membres de la famille du titulaire d'une autorisation de séjour à l'année qui sont entrés en Suisse au titre du regroupement familial n'ont pas droit à l'octroi d'une autorisation de séjour. Lorsqu'une autorisation de séjour est malgré tout délivrée, les intéressés ont droit à l'exercice d'une activité lucrative. C'est pourquoi un éventuel revenu futur peut, à titre exceptionnel, être pris en compte lorsque ce revenu peut selon toute vraisemblance être généré à long terme (poste de travail sûr et réel et possibilité effective d'exercer une activité lucrative compte tenu de la situation familiale ; SEM, Directives et commentaires, Domaine des étrangers, état au 1er janvier 2021 [ci-après : Directives LEI], ch. 6.4.1.3).

2.5.2 Le regroupement familial visant à réunir une même famille, il faut prendre en compte la disponibilité de chacun de ses membres à participer financièrement à cette communauté et à réaliser un revenu. Celui-ci doit toutefois être concret et vraisemblable et, autant que possible, ne pas apparaître purement temporaire (ATF 139 I 330 consid. 4.1 = RDAF 2014 I 447 [rés.] ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_1019/2018 du 11 décembre 2018 consid. 3.2.2).

2.5.3 Le Tribunal administratif fédéral (ci-après : TAF) a déjà eu l'occasion de relever qu'en principe il ne paraît pas justifié d'exiger un revenu allant au-delà des normes CSIAS et d'appliquer ainsi d'autres critères que ceux pris en compte lors de l'octroi de prestations sociales (arrêts du TAF F-7288/2014 du 5 décembre 2016 consid. 5.3.2 ; E-98/2013 du 21 mars 2013 consid. 4.5).

2.5.4 La notion d'aide sociale au sens de l'art. 44 let. c LEI doit être interprétée dans un sens technique. Elle comprend l'aide sociale traditionnelle et les revenus minima d'aide sociale, à l'exclusion des prestations d'assurances sociales, comme les indemnités de chômage, les prestations complémentaires à l'AVS et à l'AI, les allocations familiales ou la réduction des primes d'assurance-maladie (arrêt du Tribunal fédéral 2C_268/2011 du 22 juillet 2011 consid. 6.2.2 et les références citées ; arrêt du TAF F-7288/2014 précité consid. 5.3.3).

2.5.5 Pour le canton de Genève, les normes CSIAS renvoient à la loi sur l'assistance publique du 19 septembre 1980 qui a été abrogée et remplacée par la loi sur l'insertion et l'aide sociale individuelle du 22 mars 2007 (LIASI - J 4 04) et son règlement d'exécution du 25 juillet 2007 (RIASI - J 4 04.01). La prestation mensuelle de base s'élève, pour une personne, à CHF 986.-. Ce montant est multiplié par 2,14 pour une famille de quatre personnes (art. 2 al. 1 let. c RIASI).

2.6 L'étranger est tenu de collaborer à la constatation des faits et en particulier de fournir des indications exactes et complètes sur les éléments déterminants pour la réglementation du séjour (art. 90 al. 1 let. a LEI ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_161/2013 du 3 septembre 2013 consid. 2.2.1). Il est tenu de fournir sans retard les moyens de preuves nécessaires ou s’efforcer de se les procurer dans un délai raisonnable (art. 90 al. 1 let. b LEI).

2.6.1 Selon la jurisprudence, l'art. 90 LEI met un devoir spécifique de collaborer à la constatation des faits déterminants à la charge de l'étranger ou des tiers participants (arrêts du Tribunal fédéral 2C_787/2016 du 18 janvier 2017 consid. 3.1 et 2C_777/2015 du 26 mai 2016 consid. 3.3, non publié in ATF 142 I 152).

2.6.2 En procédure administrative, la constatation des faits est gouvernée par le principe de la libre appréciation des preuves (ATF 139 II 185 consid. 9.2 ; 130 II 482 consid. 3.2). Le juge forme ainsi librement sa conviction en analysant la force probante des preuves administrées et ce n’est ni le genre, ni le nombre des preuves qui est déterminant, mais leur force de persuasion (ATA/730/2023 du 4 juillet 2023 consid. 5.2 et les arrêts cités).

3.             En l’espèce, le logement familial est composé de deux pièces, cuisine comprise, de sorte que la condition du logement approprié prescrite par l'art. 44 let. b LEI n’est pas remplie s'agissant d'un ménage composé de quatre personnes. Si la recourante indique qu’elle est à la recherche d’un logement plus grand, elle ne produit aucun document sur ce point, ce qui est la situation prévalant depuis le dépôt de la demande d’autorisation pour regroupement familial.

S’y ajoute que comme justement retenu par le TAPI, le revenu de l’époux de la recourante n’est pas déterminé ni déterminable, dans la mesure où selon les documents les plus récents versés à la procédure, il était au bénéfice d’un contrat sur appel improprement dit du 9 décembre 2022. La recourante n’a toutefois produit aucune fiche de salaire depuis le début de l’année 2023, nonobstant l’invitation de l’OCPM à le faire dans sa réponse au recours devant le TAPI et le constat par cette instance que la recourante ne s’était pas exécutée. Toujours est-il que la situation de l’époux de la recourante n’est pas stable, étant rappelé qu’il s’est auparavant trouvé au chômage, le délai cadre ayant couru jusqu’au 30 avril 2023.

La recourante ne réalise aucun revenu. Elle ne soutient pas avoir commencé à chercher une activité rémunérée, expliquant au contraire qu’elle doit s’occuper de sa deuxième fille, âgée de 4 ans. Toutefois, le fait d’avoir à s’occuper d’un enfant de 4 ans n’est pas un empêchement absolu à une activité lucrative, fût-ce à temps partiel. Elle n’a produit aucun des documents requis de longue date par l’OCPM en lien avec les formations suivies et emplois qu’elle aurait eus avant son arrivée en Suisse. On ignore donc tout de son employabilité.

Dans ces conditions, le groupe familial pourrait prochainement dépendre de l’aide sociale, d’autant plus s’il devait emménager dans un appartement plus spacieux et partant au loyer plus important. Il y a donc lieu d'émettre un pronostic défavorable au terme duquel les recourantes sont et continueront à être à même de subvenir à leurs besoins et ne dépendront pas, ou du moins pas de façon durable, à l'aide sociale, conformément à l'art. 44 let. c LEI.

Au surplus, au stade du recours, la recourante n’a toujours rien indiqué ni a fortiori fourni de document quant aux circonstances de son séjour en Espagne, notamment le statut administratif qu’elle y aurait eu, étant rappelé que sa seconde fille y est née en septembre 2019.

La production devant la chambre de céans d’une copie de l’acte de naissance de sa fille aînée muni d’une apostille du 14 juin 2023 ne change rien au fait que les conditions d’un regroupement familial requises par l’art. 44 al. 1 let.b et c ne sont pas réalisées.

4.             Les recourantes se prévalent des art. 8 CEDH et 3 CDE.

4.1 Aux termes de l'art. 8 CEDH, toute personne a notamment droit au respect de sa vie privée et familiale. Un étranger peut se prévaloir de l'art. 8 CEDH pour s'opposer à l'éventuelle séparation de sa famille. Pour qu'il puisse invoquer la protection de la vie familiale découlant de cette disposition, l'étranger doit entretenir une relation étroite et effective avec une personne de sa famille ayant le droit de résider durablement en Suisse (ATF 139 I 330 consid. 2.1 ; 137 I 284 consid. 1.3).

Les relations familiales qui peuvent fonder un droit à une autorisation sont avant tout les rapports entre époux ainsi qu'entre parents et enfants mineurs vivant ensemble (ATF 135 I 143 consid. 1.3.2).

Le droit au respect de la vie privée et familiale garanti par l'art. 8 par. 1 CEDH n'est toutefois pas absolu. Une ingérence dans l'exercice de ce droit est possible selon l'art. 8 par. 2 CEDH, pour autant qu'elle soit prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui. La mise en œuvre d'une politique restrictive en matière de séjour des étrangers constitue un but légitime au regard de cette disposition conventionnelle (ATF 137 I 284 consid. 2.1; 135 I 153 consid. 2.2.1).

Le refus d'octroyer une autorisation de séjour (ou d'établissement) fondé sur l'art. 8 par. 2 CEDH ne se justifie que si la pesée des intérêts à effectuer dans le cas d'espèce fait apparaître la mesure comme proportionnée aux circonstances (ATF 139 I 145 consid. 2.2 ; 135 II 377 consid. 4.3). Cette condition correspond aux exigences de l'art. 96 LEI (ATF 137 I 284 consid. 2.1).

4.2 L’art. 8 CEDH n’emporte pas une obligation générale pour un État de respecter le choix par des immigrants de leur pays de résidence et d’autoriser le regroupement familial sur le territoire de ce pays (ACEDH Ahmut c. Pays-Bas, 28 novembre 1996, Rec. 1996-VI, req. n° 21702/93, § 67) ; il ne consacre pas le droit de choisir l'endroit le plus approprié à la poursuite de la vie familiale (DCEDH Adnane c. Pays-Bas, du 6 novembre 2011, req. n° 50568/99 ; Mensah c. Pays-Bas, du 9 octobre 2001, req. n° 47042/99). Dans une affaire qui concerne la vie familiale aussi bien que l’immigration, l’étendue des obligations pour l’État d’admettre sur son territoire des proches de personnes qui y résident varie cependant en fonction de la situation particulière des personnes concernées et de l’intérêt général (ACEDH Osman c. Danemark, du 14 juin 2011, req. n° 38058/09, § 54 ; Abdulaziz, Cabales et Balkandali c. Royaume-Uni, du 28 mai 1985, série A n° 94, § 67 et 68).

Les facteurs à prendre en considération dans ce contexte sont la mesure dans laquelle le refus d’autorisation entrave la vie familiale, l’étendue des liens que les personnes concernées ont avec l’État contractant en cause, la question de savoir s’il existe ou non des obstacles insurmontables à ce que la famille vive dans le pays d’origine d’une ou plusieurs des personnes concernées et celle de savoir s’il existe des éléments touchant au contrôle de l’immigration ou des considérations d’ordre public pesant en faveur d’une exclusion de l’étranger (ACEDH Rodrigues da Silva et Hoogkamer c. Pays-Bas, Rec. 2006-I, req. n° 50435/99, § 39 ; DCEDH Margoul c. Belgique, du 15 novembre 2011, req. n° 63935/09).

Une autre considération importante consiste à savoir si la vie familiale a été créée à un moment où les personnes impliquées étaient conscientes que le statut de l'une d’elles vis-à-vis des services de l'immigration était tel que la pérennité de la vie familiale dans l'État hôte serait dès le départ précaire : lorsque tel est le cas, le renvoi du membre étranger de la famille ne sera qu'exceptionnellement incompatible avec l'art. 8 CEDH (ACEDH M.A. c. Danemark du 9 juillet 2021, req. n° 6697/18, § 134 ; Antwi et autres c. Norvège du 14 février 2012, req. n° 26940/10, § 89 ; Nunez précité, § 70).

4.3 Dans le cadre de l'examen de la proportionnalité de la mesure (art. 8 par. 2 CEDH, art. 96 LEI et art. 13 cum art. 36 Cst.), il faut aussi tenir compte de l'intérêt fondamental de l'enfant (art. 3 CDE) à pouvoir grandir en jouissant d'un contact étroit avec ses deux parents (ATF 143 I 21 consid. 5.5.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_1050/2016 du 10 mars 2017 consid. 5.1 ; 2C_520/2016 du 13 janvier 2017 consid. 4.2 et les arrêts cités; aussi arrêt de la CourEDH El Ghatet c. Suisse du 8 novembre 2016 [requête n° 56971/10], par. 27 s. et 46 s.), étant précisé que, sous l'angle du droit des étrangers, cet élément n'est pas prépondérant par rapport aux autres (ATF 143 I 21 consid. 5.5.1 ; 139 I 315 consid. 2.4 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_1050/2016 du 10 mars 2017 consid. 1 ; 2C_997/2015 du 30 juin 2016 consid. 4.3 ; 2C_497/2014 du 26 octobre 2015 consid. 5.1) et que l'art. 3 CDE qui le protège ne saurait fonder une prétention directe à l'octroi ou au maintien d'une autorisation (ATF 140 I 145 consid. 3.2 ; 139 I 315 consid. 2.4 s. ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_1050/2016 du 10 mars 2017 consid. 5.1 ; 2C_165/2016 du 8 septembre 2016 consid. 5.3).

4.4 Aux termes de l'art. 9 § 3 CED, « les États parties veillent à ce que l'enfant ne soit pas séparé de ses parents contre leur gré, à moins que les autorités compétentes ne décident, sous réserve de révision judiciaire et conformément aux lois et procédures applicables, que cette séparation est nécessaire dans l'intérêt supérieur de l'enfant [...] ». Aucune prétention directe à l'octroi d'une autorisation de droit des étrangers ne peut toutefois être déduite des dispositions de la CDE (ATF 126 II 377 consid. 5 ; 124 II 361 consid. 3b).

5.             En l’espèce, il est constant que les recourantes font ménage commun avec leur époux respectivement leur père, lequel est au bénéfice d’une autorisation de séjour. La question de l’effectivité de liens affectifs et économiques ne pose pas problème. Toutefois, comme retenu par la jurisprudence précitée, l’art. 8 CEDH n’emporte pas une obligation générale pour un État de respecter le choix par des immigrants de leur pays de résidence et d’autoriser le regroupement familial sur le territoire de ce pays, autrement dit ne consacre pas le droit de choisir l'endroit le plus approprié à la poursuite de la vie familiale.

Quant à l’art. 3 CDE, il ne saurait fonder une prétention directe à l'octroi ou au maintien d'une autorisation. S’agissant de l’intérêt supérieur des filles de la recourante à ne pas être séparées de leur père qui resterait en Suisse, il ne fonde comme ressortant également de la jurisprudence pas de prétention directe à l’octroi d’une autorisation de séjour.

La recourante n’est arrivée en Suisse qu’en août 2020 et n’y travaille pas. Sa fille âgée de 11 ans est scolarisée en primaire depuis au plus tôt la rentrée scolaire 2020‑2021 et celle âgée de 4 ans ne l’est pas encore. L’intégration de ces enfants à cet âge et après un séjour d’un peu plus de trois ans n’est pas encore déterminante. Ces dernières ne devraient pas rencontrer de difficultés particulières pour s’adapter à leur nouvel environnement, accompagnées à tout le moins par leur mère si leur père choisissait de demeurer en Suisse.

Ainsi c’est conformément au droit et sans abuser de son pouvoir d’appréciation que l’OCPM a refusé de délivrer des autorisations de séjour pour regroupement familial aux trois recourantes. C’est donc à juste titre que le TAPI a confirmé cette décision.

6.             6.1 Selon l'art. 64 al. 1 let. c LEI, l'autorité compétente rend une décision de renvoi ordinaire à l'encontre d'un étranger auquel l'autorisation de séjour est refusée ou dont l'autorisation n'est pas prolongée. Elle ne dispose à ce titre d'aucun pouvoir d'appréciation, le renvoi constituant la conséquence du rejet d'une demande d'autorisation.

6.2 En l’occurrence, dès lors qu'il a, à juste titre, refusé l’octroi d’une autorisation de séjour aux recourantes, l’intimé devait prononcer leur renvoi. Pour le surplus, les recourantes n'allèguent pas que le retour dans leur pays d’origine serait impossible, illicite ou inexigible au regard de l’art. 83 LEI, et le dossier ne laisse pas apparaître d’éléments qui tendraient à démontrer le contraire.

7.             Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 400.- sera mis à la charge des recourantes, soit d’A______ qui agit pour son compte et celui de ses filles, et aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 1 et 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 28 août 2023 par A ______ pour son compte ainsi que celui de ses filles B______ et C______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 26 juin 2023 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 400.- à la charge d’A______ ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que les éventuelles voies de recours contre le présent arrêt, les délais et conditions de recevabilité qui leur sont applicables, figurent dans la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), dont un extrait est reproduit ci-après. Le mémoire de recours doit être adressé au Tribunal fédéral suisse, av. du Tribunal fédéral 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à A______, à l’office cantonal de la population et des migrations, au Tribunal administratif de première instance ainsi qu'au secrétariat d'État aux migrations.

Siégeant : Valérie LAUBER, présidente, Cédric-Laurent MICHEL, Claudio MASCOTTO, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

M. MICHEL

 

 

la présidente siégeant :

 

 

V. LAUBER

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :

 

 

 

 


 

Extraits de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110)
consultable sur le site: http://www.admin.ch/ch/f/rs/c173_110.html

Recours en matière de droit public
(art. 82 et ss LTF)

Recours constitutionnel subsidiaire
(art. 113 et ss LTF)

Art. 82 Principe

Le Tribunal fédéral connaît des recours :

a. contre les décisions rendues dans des causes de droit public ;

Art. 83 Exceptions

Le recours est irrecevable contre :

c. les décisions en matière de droit des étrangers qui concernent :

1. l’entrée en Suisse,

2. une autorisation à laquelle ni le droit fédéral ni le droit international ne donnent droit,

3. l’admission provisoire,

4. l’expulsion fondée sur l’art. 121, al. 2, de la Constitution ou le renvoi,

5. les dérogations aux conditions d’admission,

6. la prolongation d’une autorisation frontalière, le déplacement de la résidence dans un autre canton, le changement d’emploi du titulaire d’une autorisation frontalière et la délivrance de documents de voyage aux étrangers sans pièces de légitimation ;

d. les décisions en matière d’asile qui ont été rendues :

1. par le Tribunal administratif fédéral,

2. par une autorité cantonale précédente et dont l’objet porte sur une autorisation à laquelle ni le droit fédéral ni le droit international ne donnent droit ;

Art. 89 Qualité pour recourir

1 A qualité pour former un recours en matière de droit public quiconque :

a. a pris part à la procédure devant l’autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire ;

b. est particulièrement atteint par la décision ou l’acte normatif attaqué, et

c. a un intérêt digne de protection à son annulation ou à sa modification.

Art. 95 Droit suisse

Le recours peut être formé pour violation :

a. du droit fédéral ;

b. du droit international ;

c. de droits constitutionnels cantonaux ;

d. de dispositions cantonales sur le droit de vote des citoyens ainsi que sur les élections et votations populaires ;

e. du droit intercantonal.

Art. 100 Recours contre une décision

1 Le recours contre une décision doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les 30 jours qui suivent la notification de l’expédition complète.

______________________________________________

Art. 113 Principe

Le Tribunal fédéral connaît des recours constitutionnels contre les décisions des autorités cantonales de dernière instance qui ne peuvent faire l’objet d’aucun recours selon les art. 72 à 89.

Art. 115 Qualité pour recourir

A qualité pour former un recours constitutionnel quiconque :

a. a pris part à la procédure devant l’autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire et

b. a un intérêt juridique à l’annulation ou à la modification de la décision attaquée.

Art. 116 Motifs de recours

Le recours constitutionnel peut être formé pour violation des droits constitutionnels.

Art. 100 Recours contre une décision

1 Le recours contre une décision doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les 30 jours qui suivent la notification de l’expédition complète.

___________________________________________

 

Recours ordinaire simultané (art. 119 LTF)

1 Si une partie forme contre une décision un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire.

2 Le Tribunal fédéral statue sur les deux recours dans la même procédure.

3 Il examine les griefs invoqués selon les dispositions applicables au type de recours concerné.