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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3499/2022

ATA/1236/2023 du 14.11.2023 sur JTAPI/441/2023 ( PE ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3499/2022-PE ATA/1236/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 14 novembre 2023

1ère section

 

dans la cause

 

A______, agissant en son nom et celui de ses filles mineures B______ et C______ recourantes
représentées par Me Pierre OCHSNER, avocat

contre

OFFICE CANTONAL DE LA POPULATION ET DES MIGRATIONS intimé

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 25 avril 2023 (JTAPI/441/2023)


EN FAIT

A. a. Ressortissante marocaine née le ______ 1985, A______ a épousé le 8 juillet 2015 au Maroc D______, ressortissant marocain né le ______ 1971, lequel est au bénéfice d’un permis d’établissement en Suisse depuis le 6 mai 2003, pays dans lequel il est arrivé le 24 août 1997. D______ réside à Genève depuis lors et a déposé, en fin d’année 2022, une demande de naturalisation ordinaire.

b. De l’union entre A______ et D______ sont nées au Maroc B______ le ______ 2016 et C______ le ______ 2021. Toutes les deux ont la nationalité marocaine.

B. a. Le 15 décembre 2021, A______ a déposé auprès de l’ambassade de Suisse au Maroc une demande de visa de long séjour pour elle-même et ses filles en vue du regroupement familial avec D______. Ce dernier en a fait de même, précisant que la demande n’avait pas pu être faite plus tôt en raison d’une « situation instable ».

b. À la demande de l’office cantonal de la population et des migrations (ci-après : OCPM), D______ a précisé que la demande de regroupement familial n’avait pas pu être déposée plus tôt car il n’avait pas les moyens financiers suffisants pour entretenir sa famille en raison de la crise sanitaire liée au Covid-19, qui avait perturbé l’économie, et du fait qu’il avait été au bénéfice des prestations de l’Hospice général (ci-après : l’hospice) jusqu’au 31 octobre 2021. Il entretenait une relation forte avec son épouse et ses enfants et se rendait au Maroc pour les voir tous les quatre à cinq mois, pour une durée d’une à deux semaines. Il était en outre à la recherche d’un logement convenable pour accueillir sa famille.

Il a transmis à l’OCPM :

- une attestation de l’hospice du 13 janvier 2022 selon laquelle il avait bénéficié de prestations d’aide financière du 1er février 2014 au 31 octobre 2021 ;

- un décompte global de l’office cantonal des poursuites au 7 mars 2022 faisant état de cinq actes de défaut de biens pour un montant de CHF 8'326.60 ainsi qu’un extrait du registre des poursuites du 21 avril 2022 selon lequel il ne faisait l’objet d’aucune poursuite mais de quatre actes de défaut de biens pour un montant de CHF 6'900.70 ;

- un courrier de l’administration fiscale cantonale (ci-après : AFC-GE) attestant du rachat de sept actes de défaut de bien pour un montant de CHF 5'700.- ;

- des fiches de salaire pour le mois d’avril 2022 d’un montant de CHF 4'524.25 et pour les mois de décembre 2021 à février 2022 pour un montant mensuel net oscillant entre CHF 1'413.54 et CHF 2'310.27.

c. Le 25 mai 2022, l’OCPM a informé D______ de son intention de refuser l’octroi d’une autorisation d’entrée et de séjour en faveur de A______ et de ses filles.

Les conditions d’un regroupement familial n’étaient pas remplies, en l’absence de logement approprié pour accueillir la famille. Les demandes relatives à A______ et à l’enfant B______ avaient en outre été déposées hors délai, aucune raison familiale majeure ne justifiant un regroupement familial différé. L’intérêt supérieur de l’enfant C______ ne commandait pas non plus un regroupement familial, puisqu’il en résulterait une séparation avec sa mère et sa sœur et que son père ne serait pas en mesure de l’élever seul, compte tenu de son activité professionnelle.

d. Le 27 mai 2022, D______ a transmis à l’OCPM un contrat de sous-location portant sur un appartement de trois pièces pour un loyer mensuel de CHF 1'645.- à compter du 1er juin 2022.

e. Par décision du 21 septembre 2022, l’OCPM a refusé d’octroyer à A______ et à ses filles B______ et C______ une autorisation d’entrée et de séjour en Suisse, reprenant les mêmes motifs que ceux figurant dans son courrier du 25 mai 2022.

C. a. Par acte du 21 octobre 2022, A______, agissant en son nom et en celui de ses filles B______ et C______, a recouru auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) contre cette décision.

La décision litigieuse reposait sur des faits manifestement inexacts et violait le principe de la proportionnalité. Percevant un salaire mensuel d’environ
CHF 5'000.-, son époux louait un appartement de trois pièces suffisamment grand pour accueillir sa famille, avec laquelle il entretenait quotidiennement des liens forts et à laquelle il rendait visite tous les quatre à cinq mois durant une à deux semaines. En raison de difficultés financières antérieures dues à des complications médicales, son époux avait dû recourir à l’aide sociale et faisait l’objet d’actes de défaut de biens. Il était toutefois à présent financièrement autonome et remboursait progressivement ses dettes. Elle avait appris le français durant sa scolarité au Maroc, tout comme ses filles.

La demande de regroupement familial était tardive, sauf pour C______. Des raisons familiales majeures justifiaient toutefois un regroupement familial différé. Ainsi, au regard de ses difficultés financières dues à sa situation médicale, D______ n’avait pas été en mesure de déposer une demande plus tôt, étant précisé que le coût de la vie au Maroc était inférieur à celui de la Suisse, ce qui justifiait également que la famille reste dans ce pays. La situation sanitaire liée au Covid-19 avait entraîné la fermeture des frontières du Maroc et empêché le dépôt d’une demande de regroupement familial.

La recourante a notamment produit :

- un certificat médical du 7 juin 2022 selon lequel D______ était connu pour des « douleurs anales invalidantes en postopératoire » depuis avril 2012 réopérées en 2014, et pour des douleurs invalidantes à l’épaule gauche depuis juillet 2018 traitées par plusieurs infiltrations et opérées en octobre 2019. En raison de douleurs chroniques mais supportables à l’épaule, il devait prendre un antalgique trois fois par jour ;

- un contrat de travail de durée indéterminée en faveur de D______ en qualité de serveur/responsable de salle à compter du 1er septembre 2021 moyennant un salaire horaire brut total de CHF 28.85.

b. Par jugement du 25 avril 2023, le TAPI a rejeté le recours.

Il n’y avait pas lieu d’ordonner une comparution personnelle des parties ni de procéder à l’audition de D______, le dossier contenant suffisamment d’éléments pour trancher le litige.

Le délai pour requérir le regroupement familial était tardif pour A______ et B______. Tel n’était pas le cas pour C______, qui, en raison de son jeune âge, nécessitait toutefois une prise en charge totale, que son père ne pouvait assumer en raison de son activité lucrative, étant précisé que la recourante n’avait pas évoqué la possibilité d’un regroupement familial uniquement en faveur de celle-ci.

Il n’existait pas de raisons personnelles majeures. Puisque la condition de l’indépendance financière était prévue par la loi, il n’était pas possible de se prévaloir de son absence pour prolonger le délai légal applicable au regroupement familial. Rien n’indiquait en outre que la dépendance à l’aide sociale de D______, d’une durée de plus de sept ans, résultait de son état de santé. Par ailleurs, des circonstances affectant l’ensemble de la population, comme la situation sanitaire, ne pouvaient pas non plus justifier l’octroi d’une autorisation fondée sur des raisons familiales majeures, étant précisé que rien n’empêchait A______ de déposer une demande de regroupement familial.

La recourante et ses filles avaient passé leur vie au Maroc et aucun changement important de circonstances n’était intervenu qui aurait justifié leur déplacement éventuel en Suisse. Lorsqu’elle avait épousé D______, A______ n’ignorait pas que ce dernier habitait en Suisse et qu’il lui faudrait un permis pour faire ménage commun avec son mari. Le fait de vivre dans deux pays différents découlait ainsi d’un choix de vie, dans lequel les époux avaient persisté après la naissance de leurs filles, et ce notamment pour des raisons financières. Le fait que D______ ait entamé une procédure de naturalisation n’y changeait rien et n’indiquait pas qu’il lui serait impossible de retourner au Maroc pour vivre avec sa famille.

La décision litigieuse ne consacrait pas non plus de violation du droit conventionnel, puisque la recourante et ses filles ne disposaient d’aucun droit à obtenir un titre de séjour en Suisse. En tout état de cause, elles pouvaient continuer à entretenir des relations à distance avec D______ et bénéficier de ses visites régulières.

D. a. Par acte du 26 mai 2023, A______, agissant pour elle-même et ses filles B______ et C______, a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre ce jugement, concluant préalablement à son audition et à celle de ses filles, ainsi qu’à celle de D______, principalement à l’annulation du jugement entrepris et à l’octroi des autorisations de séjour requises, subsidiairement au renvoi de la cause à l’OCPM pour nouvelle décision au sens des considérants.

Le jugement entrepris reposait sur des faits manifestement inexacts et violait le principe de la proportionnalité. Le TAPI avait retenu que D______ était un père absent qui ne se préoccupait pas du bien-être de ses enfants, ce qui était faux puisqu’il entretenait des liens forts et quotidiens avec sa famille, étant précisé qu’un regroupement familial partiel n’avait pas été demandé pour ne pas séparer les enfants de leur mère. D______ disposait à présent d’un appartement en son propre nom, était financièrement indépendant et remboursait ses dettes.

Malgré la tardiveté de la demande, un regroupement familial différé demeurait possible. En l’absence de ressources, il aurait été vain de demander le regroupement familial plus tôt, si bien qu’il était plus avantageux de faire vivre la famille au Maroc. Les problèmes de santé de D______ étaient liés à ses problèmes financiers, dont la fin correspondait à la situation sanitaire, lors de laquelle le Maroc avait fermé ses frontières, ce qui avait compliqué un éventuel regroupement familial avant fin 2021.

Elle a notamment produit :

- un contrat de bail à loyer conclu par D______ à compter du 1er mars 2023 portant sur un appartement de trois pièces pour un loyer mensuel de CHF 1'750.- ;

- des fiches de salaire de D______ pour les mois de février, mars et avril 2023 indiquant un salaire net de respectivement CHF 3'859.25, CHF 3'776.85 et CHF 3'846.65 ;

- une attestation selon laquelle la grossesse de A______ avait été à haut risque entre le 24 août 2020 et le 14 avril 2021.

b. Le 3 juillet 2023, l’OCPM a conclu au rejet du recours, se référant à sa décision et au jugement du TAPI.

c. Le 2 août 2023, la recourante a persisté dans son recours.

Sa relation avec son époux était prépondérante sous tous les angles. Ce dernier avait en outre attendu d’être financièrement indépendant pour déposer une demande, pensant ainsi ne pas la prétériter. Il était donc paradoxal qu’on lui reproche à présent son manque de moyens financiers malgré une situation stable et un logement convenable qui permettait d’accueillir de manière décente sa famille. Une fois en Suisse, où les enfants seraient scolarisés, elle pourrait trouver un travail, de sorte à assurer la pérennité financière de la famille.

d. Sur quoi, la cause a été gardée à juger, ce dont les parties ont été informées.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

2.             La recourante sollicite son audition ainsi que celle de D______.

2.1 Garanti à l’art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d’être entendu comprend notamment le droit pour l’intéressé d’offrir des preuves pertinentes, d’obtenir qu’il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes et de participer à l’administration des preuves essentielles lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 145 I 73 consid. 7.2.2.1). Le juge peut cependant renoncer à procéder à des mesures d’instruction lorsque les preuves administrées lui ont permis de forger sa conviction et que, procédant à une appréciation anticipée des preuves qui lui sont encore proposées, il a la certitude que ces dernières ne pourraient l’amener à modifier son opinion (ATF 145 I 167 consid. 4.1). Le droit d’être entendu découlant de
l’art. 29 Cst. ne garantit pas, de façon générale, le droit d’être entendu oralement (ATF 140 I 68 consid. 9.6.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_67/2023 du 20 septembre 2023 consid. 3.1) ni celui d’obtenir l’audition de témoins (ATF 130 II 425 consid. 2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_521/2022 du 26 avril 2023consid. 4.2).

2.2 En l’espèce, la recourante a eu l’occasion d’exposer ses arguments et de produire les pièces qu’elle jugeait nécessaires pour appuyer son recours, tant devant le TAPI que devant la chambre de céans. Elle n’explique pas en quoi les auditions sollicitées seraient de nature à apporter des éléments utiles à l’issue du litige. Pour les mêmes raisons, il n’y a pas non plus lieu de procéder à l’audition de son époux, dont les explications figurent dans ses écritures, de même que les pièces relatives à sa situation. Il ne sera donc pas donné suite à la demande de la recourante, et un éventuel grief de violation du droit d’être entendu par le TAPI sera en tant que de besoin écarté, pour les mêmes motifs.

3.             Le litige a trait au refus de l’autorité intimée d’octroyer à la recourante et à ses filles mineures une autorisation d’entrée et de séjour au titre du regroupement familial avec D______, lequel dispose d’une autorisation d’établissement en Suisse.

3.1 Le recours peut être formé pour violation du droit y compris l’excès et l’abus du pouvoir d’appréciation (art. 61 al. 1 let. a LPA), ainsi que pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (art. 61 al. 1 let. b LPA). Les juridictions administratives n’ont pas compétence pour apprécier l’opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (art. 61 al. 2 LPA), non réalisée en l’espèce.

3.2 La loi fédérale sur les étrangers et l’intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20) et ses ordonnances d’exécution, en particulier l’ordonnance relative à l’admission, au séjour et à l’exercice d’une activité lucrative du 24 octobre 2007 (OASA - RS 142.201), règlent l’entrée, le séjour et la sortie des étrangers dont le statut juridique n’est pas réglé par d’autres dispositions du droit fédéral ou par des traités internationaux conclus par la Suisse (art. 1 et 2 LEI), ce qui est le cas pour les ressortissants du Maroc.

3.3 Au terme de l’art. 43 LEI, le conjoint étranger du titulaire d’une autorisation d’établissement ainsi que ses enfants célibataires étrangers de moins de 18 ans ont droit à l’octroi d’une autorisation de séjour et à la prolongation de la durée de validité aux conditions cumulatives suivantes : ils vivent en ménage commun avec lui (let. a) ; ils disposent d’un logement approprié (let. b) ; ils ne dépendent pas de l’aide sociale (let. c) ; ils sont aptes à communiquer dans la langue nationale parlée au lieu de domicile (let. d) ; la personne à l’origine de la demande de regroupement familial ne perçoit pas de prestations complémentaires annuelles au sens de la loi fédérale sur les prestations complémentaires à l’AVS et à l’AI du 6 octobre 2006 (LPC - RS 831.30) ni ne pourrait en percevoir grâce au regroupement familial (let. e).

Le regroupement familial doit être demandé dans les cinq ans. Pour les enfants de plus de 12 ans, le regroupement doit intervenir dans un délai de douze mois (art. 47 al. 1 LEI). Pour les membres de la famille d’étrangers, les délais commencent à courir lors de l’octroi de l’autorisation de séjour ou lors de l’établissement du lien familial (art. 47 al. 3 let. b LEI). Selon le texte clair de l’art. 47 al. 1 LEI, le délai est respecté si la demande de regroupement familial est déposée avant son échéance (ATA/1109/2023 du 10 octobre 2023 consid. 2.2 et les références citées). Les délais fixés par la législation sur les personnes étrangères ne sont pas de simples prescriptions d’ordre, mais des délais impératifs, dont la stricte application ne relève pas d’un formalisme excessif (arrêt du Tribunal fédéral 2C_285/2015 du 23 juillet 2015 consid. 2.3).

Passé ce délai, le regroupement familial différé n’est autorisé que pour des raisons familiales majeures (art. 47 al. 4 LEI). Les limites d’âge et les délais prévus à l’art. 47 LEI visent à permettre une intégration précoce et à offrir une formation scolaire en Suisse aussi complète que possible (ATF 133 II 6 consid. 5.4 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_1176/2016 du 26 juillet 2017 consid. 4.2.). Les délais prévus à l’art. 47 LEI ont également pour objectif la régulation de l’afflux d’étrangers (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1/2017 du 22 mai 2017 consid. 4.1.2). Ces buts étatiques légitimes sont compatibles avec la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101 ; ATF 142 II 35 consid. 6.1).

3.4 En l’espèce, il n’est pas contesté que le délai de cinq ans dont disposait la recourante pour demander le regroupement familial pour elle-même et pour B______ est arrivé à échéance sans avoir été utilisé, puisque la demande a été déposée le 15 décembre 2021 alors qu’elle devait l’être jusqu’au 7 juillet 2020 pour la recourante dont le mariage date du 8 juillet 2015 et jusqu’au 3 août 2021 pour B______. Leur demande est dès lors tardive.

La recourante soutient qu’il ne lui était pas possible de déposer une demande de regroupement familial plus tôt en raison de la situation financière de son époux puis de la situation sanitaire, ce qui, en d’autres termes, constituerait un cas de force majeure. Elle ne saurait toutefois être suivie sur ce point. Outre le fait que l’on ne saurait admettre que les délais prévus à l’art. 47 LEI soient repoussés jusqu’à l’amélioration de la situation financière du regroupant, la situation sanitaire liée au Covid-19 ne l’empêchait pas de déposer une demande auprès de l’ambassade de Suisse au Maroc, comme il l’a fait le 15 décembre 2021, pas plus le fait que sa deuxième grossesse ait été déclarée à risque, puisque rien ne l’empêchait de la déposer avant celle-ci ou d’envoyer sa demande par courrier à l’ambassade. Dans ces conditions, l’autorité intimée et l’instance précédente étaient fondées à constater que le délai de l’art. 47 al. 1 LEI était échu et que la requête devait être traitée comme une demande de regroupement familial différé, autorisé uniquement en présence de raisons familiales majeures.

Pour C______, âgée de 2 ans et demi, bien que la demande de regroupement familial la concernant ait été déposée dans le délai légal de l’art. 47 LEI, c’est à juste titre que le TAPI a considéré qu’un regroupement partiel en sa seule faveur ne serait pas dans son intérêt. En effet, outre le fait que la recourante ne conclut pas à un tel regroupement partiel, celui-ci conduirait à la séparer de sa mère et de sa sœur, avec lesquelles elle a toujours vécu, pour vivre avec son père, avec qui elle n’entretient pas des liens aussi forts, puisqu’elle ne l’a vu, depuis sa naissance, qu’à raison d’une à deux semaines tous les quatre à cinq mois, comme l’a indiqué la recourante. Une telle séparation serait d’autant moins bénéfique à son bien-être et à son développement qu’il ne ressort pas du dossier que son père serait en mesure d’assurer sa prise en charge et de s’occuper d’elle au quotidien, en raison de l’exercice de son activité lucrative, étant précisé que la recourante n’a pas démontré que des solutions de garde seraient en mesure de pallier les absences de son époux.

4.             Aussi convient-il d’examiner si des raisons familiales majeures justifient un regroupement familial différé pour la recourante et sa fille aînée, seule hypothèse dans laquelle la recourante et ses deux filles pourraient voir leurs requêtes acceptées.

4.1 L’art. 75 OASA précise que des raisons familiales majeures sont données lorsque le bien de l’enfant ne peut être garanti que par un regroupement familial en Suisse, mais cette disposition ne dit rien quant à ces raisons pour le conjoint. Contrairement au libellé de l’art. 75 OASA, ce n’est pas exclusivement l’intérêt supérieur de l’enfant qui doit être pris en compte, mais plutôt l’ensemble des circonstances pertinentes du cas d’espèce, parmi lesquelles figure l’intérêt de l’enfant à maintenir des contacts réguliers avec ses parents (arrêt du Tribunal fédéral 2C_882/2022 du 7 février 2023 consid. 4.1 et les références citées). La seule possibilité de voir la famille réunie ne constitue pas une raison familiale majeure. Ainsi, lorsque la demande de regroupement est effectuée hors délai et que la famille a vécu séparée volontairement, d’autres raisons sont nécessaires (ATF 146 I 185 consid. 7.1.1 et les références citées).

Le fait que le regroupant n’ait pas réussi dans les délais à remplir les conditions pour le regroupement familial, notamment sur le plan financier, ne constitue en principe pas une raison majeure au sens de l’art. 47 al. 4 LEI (arrêt du Tribunal fédéral 2C_690/2021 du 18 mars 2022 consid. 5.2). En revanche, il existe selon la jurisprudence une raison majeure au sens de l’art. 47 al. 4 LEI lorsque la prise en charge d’un enfant dans son pays d’origine n’est plus garantie, à la suite par exemple du décès ou de la maladie de la personne qui s’en occupait (arrêt du Tribunal fédéral 2C_865/2021 du 2 février 2022 consid. 3.4). Lorsque le regroupement familial est demandé en raison de changements importants des circonstances à l’étranger, il convient toutefois d’examiner s’il existe des solutions alternatives permettant à l’enfant de rester dans son pays. De telles solutions correspondent en effet en principe mieux au bien-être de l’enfant, parce qu’elles permettent d’éviter que celui-ci ne soit arraché à son milieu et à son réseau de relations de confiance (arrêt du Tribunal fédéral 2C_882/2022 précité consid. 4.2). Une telle alternative doit être d’autant plus sérieusement envisagée et soigneusement examinée que l’âge de l’enfant est avancé et que la relation avec le parent vivant en Suisse n’est pas (encore) trop étroite (arrêt du Tribunal fédéral 2C_281/2023 du 11 octobre 2023 consid. 4.4). Cela vaut à plus forte raison lorsqu’un enfant a toujours vécu dans son pays d’origine avec l’un de ses parents et que le parent en question pourra continuer à s’occuper de lui (arrêt du Tribunal fédéral 2C_865/2021 précité consid. 3.4).

4.2 D’une façon générale, il ne doit être fait usage de l’art. 47 al. 4 LEI qu’avec retenue (ATF 146 I 185 consid. 7.1.1).

Les raisons familiales majeures pour le regroupement familial hors délai doivent cependant être interprétées d’une manière conforme au droit fondamental au respect de la vie familiale (art. 13 Cst. et 8 CEDH ; ATF 146 I 185 consid. 7.1.1 et les arrêts cités), le fait de refuser un droit de séjour à un étranger dont la famille se trouve en Suisse pouvant porter atteinte à cette garantie (ATF 139 I 330 consid. 2.1). Pour autant, les liens familiaux ne sauraient conférer de manière absolue, en vertu de l’art. 8 CEDH, un droit d’entrée et de séjour, une ingérence dans l’exercice de ce droit étant possible aux conditions de l’art. 8 par. 2 CEDH. À cet égard, les règles internes relatives au regroupement familial (art. 42 ss et art. 47 LEI) constituent un compromis entre, d’une part, la garantie de la vie familiale et, d’autre part, les objectifs de limitation de l’immigration (arrêt du Tribunal fédéral 2C_882/2022 précité consid. 4.3 et les références citées).

4.3 La question de savoir si, dans un cas d’espèce, les autorités compétentes sont tenues d’accorder une autorisation de séjour fondée sur l’art. 8 CEDH doit donc être résolue sur la base d’une pesée de tous les intérêts publics et privés en présence (ATF 137 I 284 consid. 2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_325/2019 du 3 février 2020 consid. 3.1). Dans la pesée des intérêts, il faut aussi tenir compte de l’intérêt fondamental de l’enfant (art. 3 de la Convention relative aux droits de l’enfant du 20 novembre 1989 - CDE - RS 0.107) à pouvoir grandir en jouissant d’un contact étroit avec ses parents (ATF 144 I 91 consid. 5.2), étant précisé que, sous l’angle du droit des étranger, cet élément n’est pas prépondérant par rapport aux autres et que l’art. 3 CDE ne fonde pas une prétention directe à l’octroi ou au maintien d’une autorisation (arrêt du Tribunal fédéral 2C_865/2021 précité consid. 3.7).

S’agissant d’un regroupement familial, il convient également de tenir compte dans la pesée des intérêts des exigences auxquelles le droit interne soumet celui-ci. Il n’est en effet pas concevable que, par le biais de l’art. 8 CEDH, une personne étrangère qui ne dispose, en vertu de la législation interne, d’aucun droit à faire venir sa famille proche en Suisse, puisse obtenir des autorisations de séjour pour celle-ci sans que les conditions posées par les art. 42 ss LEI ne soient réalisées (ATF 146 I 185 consid. 6.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_865/2021 précité consid. 3.7).

4.4 En l’espèce, selon la recourante, la situation financière de son époux constituerait une raison familiale majeure au sens de l’art. 47 al. 4 LEI. Elle ne saurait toutefois être suivie sur ce point. En effet, la situation financière et de logement de la famille ne peuvent constituer, selon la jurisprudence, une telle raison familiale majeure qu’à titre exceptionnel (arrêt du Tribunal fédéral 2C_882/2022 précité consid. 4.6 et les références citées). Le regroupant doit ainsi tout mettre en œuvre pour créer en temps utile les conditions au regroupement familial (arrêt du Tribunal fédéral 2C_690/2021 précité consid. 5.4), ce que l’époux de la recourante n’apparaît pas avoir fait, étant rappelé qu’il a bénéficié de prestations d’aide financière de l’hospice du 1er février 2014 au 31 octobre 2021, soit durant plus de sept ans, et qu’il fait l’objet de plusieurs actes de défaut de biens. Il ne ressort pas non plus du dossier, comme l’allègue la recourante sans le démontrer, que cette situation serait due à l’état de santé de son époux, en l’absence de certificats médicaux faisant état de graves problèmes l’ayant empêché d’exercer une activité lucrative pendant plus de sept ans. Ainsi, la prise d’une activité lucrative par l’époux de la recourante dès fin 2021 ainsi que l’emménagement de ce dernier dans un appartement de trois pièces à compter du 1er juin 2022 ne constituent pas des raisons familiales majeures.

La recourante se prévaut de la situation sanitaire liée au Covid-19, qui l’aurait empêchée de déposer sa demande dans le délai requis. L’on ne voit toutefois pas en quoi cette situation serait constitutive d’une raison familiale majeure, dès lors qu’elle ne l’empêchait pas de déposer sa demande à l’ambassade de Suisse au Maroc, indépendamment de la question de la fermeture des frontières. La recourante ne peut pas non plus se prévaloir du fait que sa deuxième grossesse ait été déclarée à risque, puisque rien ne l’empêchait de déposer sa demande avant, à tout le moins de l’envoyer par la poste, étant rappelé que le délai pour déposer une telle demande avait commencé à courir, la concernant, dès son mariage, soit en 2015 déjà.

La recourante ne peut pas non plus se prévaloir d’un changement important des circonstances à l’étranger. Rien n’indique en effet que de tels événements seraient survenus et que sa prise en charge ou celle de ses enfants ne serait plus garantie, ce qu’elle n’allègue du reste pas. Au contraire, il ressort du dossier que la recourante, âgée de 36 ans, continue de vivre au Maroc, comme elle l’a toujours fait, avec ses filles, dont elle s’occupe depuis leur naissance. En 2015, lors de son mariage, elle n’ignorait pas non plus que, pour vivre auprès de son époux, il lui faudrait entreprendre des démarches pour bénéficier d’un titre de séjour en Suisse, ce qu’elle n’a toutefois pas fait, pas plus que son époux. Le fait de vivre dans deux pays différents à la suite de la célébration de leur mariage résulte ainsi d’un choix de vie, dans lequel la recourante et son époux ont persisté après la naissance de leur fille B______, comme l’a du reste confirmé la recourante en indiquant que, d’un point de vue financier, il était plus avantageux qu’elle reste au Maroc avec ses filles, où le coût de la vie est moins élevé qu’en Suisse.

Dans ce cadre, le désir de voir les membres de la famille réunis en Suisse ne constitue pas, selon la jurisprudence susmentionnée, une raison familiale majeure. En outre, rien n’empêche la recourante et ses filles de continuer à entretenir des relations avec D______ comme ils l’ont toujours fait, non seulement en se parlant quotidiennement mais également au moyen de visites de ce dernier au Maroc, ce qui est du reste conforme au droit conventionnel étant donné l’absence de droit à obtenir un titre de séjour en Suisse. Il importe également peu que l’époux de la recourante ait initié une procédure de naturalisation ordinaire, qui ne l’empêche pas de rendre visite à sa famille au Maroc. Enfin, c’est également à juste titre que le TAPI a considéré que la décision litigieuse était conforme au bien des enfants B______ et C______ pour les mêmes motifs.

Il s’ensuit que les conditions restrictives du regroupement familial différé selon l’art. 47 al. 4 LEI et 75 OASA ne sont pas réunies pour la recourante et sa fille B______, de sorte que c’est à juste titre que l’autorité intimée a refusé le regroupement familial déposé en leur faveur ainsi qu’en faveur de C______, ce qu’a confirmé le TAPI.

Mal fondé, le recours sera par conséquent rejeté.

5.             Vue l’issue du litige, un émolument de CHF 400.- sera mis à la charge de la recourante, qui succombe (art. 87 al. 1 LPA), et aucune indemnité de procédure ne sera accordée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 26 mai 2023 par A______, agissant en son nom et celui de ses filles mineures B______ et C______, contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 25 avril 2023 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 400.- à la charge de A______ ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que les éventuelles voies de recours contre le présent arrêt, les délais et conditions de recevabilité qui leur sont applicables, figurent dans la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), dont un extrait est reproduit ci-après. Le mémoire de recours doit être adressé au Tribunal fédéral suisse, av. du Tribunal fédéral 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Pierre OCHSNER, avocat des recourantes, à l'office cantonal de la population et des migrations, au Tribunal administratif de première instance ainsi qu'au secrétariat d'État aux migrations.

Siégeant : Valérie LAUBER, présidente, Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, Eleanor McGREGOR, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. SCHEFFRE

 

 

la présidente siégeant :

 

 

V. LAUBER

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :

 

 

 

 


 

Extraits de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110)
consultable sur le site: http://www.admin.ch/ch/f/rs/c173_110.html

Recours en matière de droit public
(art. 82 et ss LTF)

Recours constitutionnel subsidiaire
(art. 113 et ss LTF)

Art. 82 Principe

Le Tribunal fédéral connaît des recours :

a. contre les décisions rendues dans des causes de droit public ;

Art. 83 Exceptions

Le recours est irrecevable contre :

c. les décisions en matière de droit des étrangers qui concernent :

1. l’entrée en Suisse,

2. une autorisation à laquelle ni le droit fédéral ni le droit international ne donnent droit,

3. l’admission provisoire,

4. l’expulsion fondée sur l’art. 121, al. 2, de la Constitution ou le renvoi,

5. les dérogations aux conditions d’admission,

6. la prolongation d’une autorisation frontalière, le déplacement de la résidence dans un autre canton, le changement d’emploi du titulaire d’une autorisation frontalière et la délivrance de documents de voyage aux étrangers sans pièces de légitimation ;

d. les décisions en matière d’asile qui ont été rendues :

1. par le Tribunal administratif fédéral,

2. par une autorité cantonale précédente et dont l’objet porte sur une autorisation à laquelle ni le droit fédéral ni le droit international ne donnent droit ;

Art. 89 Qualité pour recourir

1 A qualité pour former un recours en matière de droit public quiconque :

a. a pris part à la procédure devant l’autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire ;

b. est particulièrement atteint par la décision ou l’acte normatif attaqué, et

c. a un intérêt digne de protection à son annulation ou à sa modification.

Art. 95 Droit suisse

Le recours peut être formé pour violation :

a. du droit fédéral ;

b. du droit international ;

c. de droits constitutionnels cantonaux ;

d. de dispositions cantonales sur le droit de vote des citoyens ainsi que sur les élections et votations populaires ;

e. du droit intercantonal.

Art. 100 Recours contre une décision

1 Le recours contre une décision doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les 30 jours qui suivent la notification de l’expédition complète.

______________________________________________

Art. 113 Principe

Le Tribunal fédéral connaît des recours constitutionnels contre les décisions des autorités cantonales de dernière instance qui ne peuvent faire l’objet d’aucun recours selon les art. 72 à 89.

Art. 115 Qualité pour recourir

A qualité pour former un recours constitutionnel quiconque :

a. a pris part à la procédure devant l’autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire et

b. a un intérêt juridique à l’annulation ou à la modification de la décision attaquée.

Art. 116 Motifs de recours

Le recours constitutionnel peut être formé pour violation des droits constitutionnels.

Art. 100 Recours contre une décision

1 Le recours contre une décision doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les 30 jours qui suivent la notification de l’expédition complète.

___________________________________________

 

Recours ordinaire simultané (art. 119 LTF)

1 Si une partie forme contre une décision un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire.

2 Le Tribunal fédéral statue sur les deux recours dans la même procédure.

3 Il examine les griefs invoqués selon les dispositions applicables au type de recours concerné.