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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/22/2023

ATA/1146/2023 du 17.10.2023 sur JTAPI/620/2023 ( PE ) , PARTIELMNT ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/22/2023-PE ATA/1146/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 17 octobre 2023

1ère section

 

dans la cause

 

A______ recourante
représentée par Me Butrint AJREDINI, avocat

contre

OFFICE CANTONAL DE LA POPULATION ET DES MIGRATIONS intimé

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 5 juin 2023 (JTAPI/620/2023)


EN FAIT

A. a. B______, né le ______ 1966, est arrivé en Suisse en 1989, en qualité de saisonnier, au bénéfice des accords migratoires avec l’ancienne Yougoslavie. Il a été victime d’un accident sur un chantier le 17 décembre 1992. En 1995, il a demandé un permis de séjour pour raisons médicales, qu’il a obtenu en 1996. Par décision du 3 juin 2002 de l’assurance invalidité (ci-après : AI), un taux d’invalidité de 100% lui a été reconnu pour la période du 1er décembre 1993 au 31 octobre 2000 et de 57% depuis le 1er novembre 2000.

B______ s’est marié à C______ au Kosovo, le 13 septembre 1996. En 1998, sa mère, sa sœur et son épouse l’ont rejoint en Suisse et ont été mises au bénéfice de l'admission collective provisoire des déplacés de la guerre en provenance du Kosovo. Elles sont retournées dans leur pays après une année environ.

b. A______, ressortissante kosovare, est née de cette union, à Genève, le ______ 1999.

Ses frères et sœurs sont nés au Kosovo : D______ le ______ 2001, E______ le ______ 2003, F______ le ______ 2005 et G______ le ______ 2006.

c. A______ est venue en Suisse le 30 décembre 2017, six mois après son frère D______ (28 juin 2017), mais six mois avant sa mère et le reste de la fratrie (E______, F______ et G______), arrivés le 30 mai 2018.

d. Le 1er octobre 2002, B______ a demandé une autorisation de séjour pour cas de rigueur. L’office cantonal de la population et des migrations (ci-après : OCPM) l’a préavisée favorablement le 25 août 2015. Par décision du 3 juin 2016, le secrétariat d’État aux migrations (ci-après : SEM) a rejeté la requête et ordonné le renvoi de B______. Le recours de ce dernier a été rejeté par le Tribunal administratif fédéral (ci-après : TAF) le 26 juillet 2017.

Par décision du 11 septembre 2019, l’OCPM a rejeté la demande de régularisation de l’opération « Papyrus » et de regroupement familial, en l’absence d’autorisation de séjour de B______ et du fait qu’il percevait des prestations complémentaires à l’AI.

Par décision du 23 août 2019, le SEM n’est pas entré en matière sur la demande de réexamen de B______. Le recours contre cette décision a été rejeté par le TAF le 6 avril 2020, puis par le Tribunal fédéral le 25 mai 2020. Le 25 novembre 2020, B______ a saisi la Cour européenne des droits de l’homme. Par courrier du 13 juillet 2021, celle-ci a indiqué : « À titre indicatif, la Cour estime que la satisfaction équitable la plus appropriée serait de délivrer au requérant une autorisation de séjour lui permettant de vivre en Suisse. » Par décision du 13 septembre 2021 le SEM a annulé sa décision du 3 juin 2016 et a délivré un permis de séjour à B______.

Le 16 mai 2022, l’OCPM a délivré des autorisations de séjour à C______ et ses deux enfants mineurs, F______ et G______.

Par jugement du 20 décembre 2022, le Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) a admis les recours d’E______ et D______ contre les décisions du 16 mai 2022 refusant la reconsidération de leur situation et reconnu l’existence d’un cas d’extrême gravité, vu les circonstances particulières de la situation. Le SEM leur a délivré leurs autorisations de séjour.

B. a. Le 3 septembre 2020, A______ a déposé un formulaire E de demande de « séjour à Genève pour études, y compris renouvellement » afin de suivre un stage de préapprentissage auprès d’une crèche de la Ville de Carouge (ci-après : la commune). La demande a été transmise à l’office cantonal de l’inspection et des relations de travail (ci-après : OCIRT) qui l’a refusée.

b. Entre mars 2021 et juin 2022, l’OCPM et A______ ont échangé par écrit à plusieurs reprises quant aux intentions de cette dernière en matière de formation.

c. Par décision du 17 novembre 2022, l’OCPM a refusé de délivrer une autorisation de séjour pour études et pour cas de rigueur à A______.

Les conditions d’octroi d’un titre de séjour pour études n’étaient pas remplies. A______ n’avait produit aucune attestation d’immatriculation dans une école en Suisse depuis la fin du pré-stage en octobre 2020. De plus, la présence de ses parents à Genève ainsi que la demande de regroupement familial conduisaient à penser que sa demande d’autorisation de séjour pour études visait en premier lieu à éluder les prescriptions sur les conditions d’admission en Suisse afin de pouvoir y séjourner durablement. En outre, dès lors que le CFC en formation duale qu’elle souhaitait obtenir comportait une partie en emploi, il ne s’agissait pas d’un séjour pour études, mais de l’exercice d’une activité lucrative, laquelle avait été refusée par l’OCIRT le 14 octobre 2020.

Elle ne pouvait se prévaloir de l’art. 44 de la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20), dans la mesure où elle était majeure lorsque son père avait obtenu une autorisation de séjour le 13 septembre 2021 et lors du dépôt de sa demande de permis de séjour pour études le 3 septembre 2020. En l’absence de rapport de dépendance particulière avec son père, elle ne pouvait se prévaloir de l’art. 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101) pour en déduire un droit à séjourner en Suisse.

d. Par jugement du 5 juin 2023, le TAPI a rejeté le recours contre cette décision, confirmant le bien-fondé de la motivation de la décision querellée.

C. a. Par acte du 7 juillet 2023, A______ a interjeté recours devant la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre ce jugement. Elle a conclu à son annulation et à celle de la décision du 17 novembre 2022, à ce qu’il soit ordonné à l’OCPM de lui délivrer une autorisation de séjour, subsidiairement à ce qu’il préavise favorablement la demande d’autorisation auprès du SEM. Préalablement, elle devait être entendue, à l’instar de son père.

Les art. 27 et 30 LEI avaient été violés.

b. L’OCPM a conclu au rejet du recours.

c. Dans sa réplique, la recourante a persisté dans ses conclusions.

d. Lors de l’audience de comparution personnelle des parties, A______ s’est exprimée dans un excellent français.

La procédure devant la Cour européenne était toujours pendante. Elle vivait à Carouge avec ses parents et ses quatre frères et sœurs. Elle était venue en Suisse seule, six mois avant sa mère, car elle souhaitait rejoindre son père. Elle s’occupait de son père pour des tâches administratives, prenait ses rendez-vous de médecin, se déplaçait s’il fallait aller lui chercher ou acheter quelque chose, lui rappelait ses rendez-vous, veillait à la prise de ses médicaments et s’en occupait « H24 ». Sa mère travaillait depuis une année comme « nounou ». Elle pouvait avoir une vie sociale dès que sa mère rentrait du travail, sortir et voir ses amis. Elle essayait de découvrir Genève, des lieux qu’elle n’avait pas encore visités, la bibliothèque, les musées notamment. Elle n’avait plus personne au Kosovo. Tant la famille de son père que celle de sa mère s’étaient établies à l’étranger. Il n’y restait que sa grand‑mère avec laquelle elle n’avait aucun lien. Elle ignorait même où elle vivait. Elle s’était investie à Caritas et à la Croix-Rouge, où elle avait postulé. Suite à la décision de l’OCIRT en 2020, elle n’avait plus pu avoir d’activités rémunérées. Elle avait même dû arrêter son pré-apprentissage à la crèche. Elle avait bénéficié de nombreux conseils et de réunions, tous les trois mois, de H______, responsable de son pré-apprentissage à la crèche et d’un représentant de « Projet Emploi Jeunes » de Carouge qui avaient examiné attentivement ses possibilités de formation pour l’avenir. Elle envisageait notamment de devenir éducatrice et/ou assistante socio-éducative, mais n’avait pas abandonné l’idée de l’apprentissage. Elle était très attachée à sa famille et pensait avoir un rôle très important en aidant, notamment pour les démarches administratives, ses deux parents et, comme aînée de la fratrie, en épaulant chacun des cadets au niveau scolaire, notamment pour leurs devoirs.

Entendu à titre de renseignement, B______ a confirmé le rôle important que jouait sa fille aînée dans l’organisation familiale. Elle assurait notamment les paiements ou des démarches telles que le renouvellement des permis. Précédemment, ces aspects étaient pris en charge par son assistante sociale. Ses enfants avaient très rapidement appris le français. Toute sa famille avait émigré hors du Kosovo, où Erstina se retrouverait seule si elle devait être renvoyée. Cette situation représenterait par ailleurs un risque pour sa sécurité. Il lui serait très difficile de trouver un travail là-bas. Ses parents devraient lui envoyer de l’argent pour manger, la loger et étudier, ce qui serait coûteux. Leur maison de famille était totalement abandonnée et inhabitable depuis des années, notamment en raison d’écoulement d’eau à l’intérieur. À Carouge, la famille avait un appartement de six pièces dans lequel Erstina avait sa propre chambre. Lui-même était à l’AI et travaillait pour « Pro Entreprise sociale » à 50%. Son épouse avait trouvé un emploi, dès réception de son permis.

e. À l’issue de l’audience, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985
- LPA - E 5 10).

2.             La recourante a conclu à son audition et celle de son père. Ceux-ci ayant été entendus lors de l’audience du 5 octobre 2023, cette conclusion est désormais sans objet.

3.             Est litigieux le refus de l’OCPM de préaviser favorablement auprès du SEM l’autorisation de séjour de la recourante et prononçant son renvoi.

3.1 Le 1er janvier 2019 est entrée en vigueur une modification de la LEI et de l'ordonnance relative à l'admission, au séjour et à l'exercice d'une activité lucrative du 24 octobre 2007 (OASA - RS 142.201). Conformément à l'art. 126 al. 1 LEI, les demandes déposées, comme en l'espèce, après le 1er janvier 2019 sont régies par le nouveau droit (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1075/2019 du 21 avril 2020 consid. 1.1).

L'art. 30 al. 1 let. b LEI permet de déroger aux conditions d'admission en Suisse, telles que prévues aux art. 18 à 29 LEI, notamment aux fins de tenir compte des cas individuels d'une extrême gravité ou d'intérêts publics majeurs.

L'art. 31 al. 1 OASA prévoit que pour apprécier l'existence d'un cas individuel d'extrême gravité, il convient de tenir compte notamment de l'intégration du requérant sur la base des critères d’intégration définis à l’art. 58a al. 1 LEI (let. a), de sa situation familiale, particulièrement de la période de scolarisation et de la durée de la scolarité des enfants (let. c), de sa situation financière (let. d), de la durée de sa présence en Suisse (let. e), de son état de santé (let. f) ainsi que des possibilités de réintégration dans l'État de provenance (let. g). Les critères énumérés par cette disposition, qui doivent impérativement être respectés, ne sont toutefois pas exhaustifs, d'autres éléments pouvant également entrer en considération, comme les circonstances concrètes ayant amené un étranger à séjourner illégalement en Suisse (directives LEI, état au 1er janvier 2021, ch. 5.6.12).

Les dispositions dérogatoires des art. 30 LEI et 31 OASA présentent un caractère exceptionnel, et les conditions pour la reconnaissance d'une telle situation doivent être appréciées de manière restrictive (ATF 128 II 200 consid. 4). Elles ne confèrent pas de droit à l'obtention d'une autorisation de séjour (ATF 138 II 393 consid. 3.1 ; 137 II 345 consid. 3.2.1). L'autorité doit néanmoins procéder à l'examen de l'ensemble des circonstances du cas d'espèce pour déterminer l'existence d'un cas de rigueur (ATF 128 II 200 consid. 4 ; 124 II 110 consid. 2 ; ATA/38/2019 du 15 janvier 2019 consid. 4c ; directives LEI, ch. 5.6).

La reconnaissance de l'existence d'un cas d'extrême gravité implique que l'étranger concerné se trouve dans une situation de détresse personnelle. Parmi les éléments déterminants pour la reconnaissance d'un cas d'extrême gravité, il convient en particulier de citer la très longue durée du séjour en Suisse, une intégration sociale particulièrement poussée, une réussite professionnelle remarquable, la personne étrangère possédant des connaissances professionnelles si spécifiques qu'elle ne pourrait les mettre en œuvre dans son pays d'origine ou une maladie grave ne pouvant être traitée qu'en Suisse (arrêt du Tribunal fédéral 2A.543/2001 du 25 avril 2002 consid. 5.2).

Bien que la durée du séjour en Suisse constitue un critère important lors de l'examen d'un cas d'extrême gravité, elle doit néanmoins être examinée à la lumière de l'ensemble des circonstances du cas particulier et être relativisée lorsque l'étranger a séjourné en Suisse de manière illégale, sous peine de récompenser l'obstination à violer la loi (ATF 130 II 39 consid. 3 ; arrêt du Tribunal fédéral 2D_13/2016 du 11 mars 2016 consid. 3.2).

Un étranger peut, exceptionnellement et à des conditions restrictives, déduire un droit à une autorisation de séjour, s'il existe un rapport de dépendance particulier entre lui et un proche parent, par exemple en raison d'une maladie ou d'un handicap, si le proche aidant ou le proche aidé est au bénéfice d'un droit de séjour en Suisse (ATF 144 II 1 consid. 6.1 ; 137 I 154 consid. 3.4.2 ; 129 II 11 consid. 2).

Aux termes de l'art. 96 al. 1 LEI, les autorités compétentes tiennent compte, en exerçant leur pouvoir d'appréciation, des intérêts publics, de la situation personnelle de l'étranger ainsi que de son intégration.

3.2 Il y a abus du pouvoir d’appréciation lorsque l’autorité se fonde sur des considérations qui manquent de pertinence et sont étrangères au but visé par les dispositions légales applicables, ou lorsqu’elle viole des principes généraux du droit tels que l’interdiction de l’arbitraire, l’inégalité de traitement, le principe de la bonne foi et le principe de la proportionnalité (ATF 143 III 140 consid. 4.1.3).

3.3 En l’espèce, il n’est pas contesté que la recourante séjourne en Suisse depuis le 31 décembre 2017, soit depuis presque cinq ans au moment de la décision litigieuse de l’OCPM le 17 novembre 2022. Arrivée trois mois après ses 18 ans, la recourante s’est inscrite à des cours de français afin de s’intégrer. Dès 2019, elle a travaillé dans une teinturerie/pressing, puis a occupé diverses fonctions dans un commerce de détail (conseil à la clientèle, étiquetage, rangement de rayons notamment). Dès 2019, elle a participé à de nombreux stages d’orientation/expérimentation, organisés par « Projets emploi jeunes » de la Ville de Carouge. La recourante a ainsi travaillé comme gestionnaire de commerce de détail pendant plusieurs semaines, a participé à une mise sous pli pour les Transports publics genevois, à l’organisation d’une fondue chinoise pour la protection civile, à la récupération de livres dans le cadre d’une manifestation, à la mise sous pli de factures pour les restaurants scolaires, à l’aide à la mise en place et au débarrassage pour la soirée des 18 ans de la commune, aux cafés/croissants de la journée internationale des personnes âgées, à la mise en place et à l’accueil des enfants pour la semaine du goût, à la mise sous pli pour le service culturel, au « service et au lien » avec les aînés lors du goûter de Noël pour les nonagénaires, à la lecture d’histoires lors de la manifestation « chapiteau enchanté », à la livraison de courses à une particulière à la demande de la commune, au déplacement de matériel stocké dans une cave, à la mise en place et l’encadrement d’un « château » lors des 50 ans de l’école des Promenades, et comme assistante socio‑éducative dans une crèche pendant plusieurs mois, notamment. Elle avait ainsi obtenu une place de pré-apprentissage dans la commune pour la période du 17 août 2020 au 16 août 2021. Elle a toutefois dû cesser cette activité en octobre 2020 à la suite de la décision défavorable du service de la
main-d’œuvre étrangère au motif, notamment, que l’ordre de priorité n’avait pas été respecté. Sa responsable a toutefois attesté que la recourante leur avait donné entière satisfaction et que l’ensemble de ses collègues et elle-même étaient persuadés qu’elle deviendrait une excellente professionnelle. La recourante a ainsi fait preuve d’une indéniable volonté d’intégration et de formation.

Elle est de surcroît manifestement appréciée lorsqu’elle exerce une activité, au vu de l’attestation élogieuse de la directrice de la crèche et du nombre de missions que la commune lui a confiées, notamment pour des tâches relationnelles, qu’il s’agisse de jeunes ou de personnes âgées.

Elle n’a pas de poursuites, pas de casier judiciaire et ne dépend pas de l’aide sociale, ses parents subvenant à ses besoins. Sa connaissance de la langue française est excellente comme elle en a témoigné lors de l’audience devant la chambre de céans. Elle indique avoir une vie sociale et sortir avec ses amis lorsque l’organisation de la famille le lui permet et occupe ses loisirs à approfondir ses connaissances du lieu qui l’accueille puisqu’elle se rend régulièrement à la bibliothèque ou va découvrir des musées, ce qui confirme sa volonté de s’intégrer. À cela s’ajoute qu’elle est manifestement un soutien utile tant à ses parents, s’agissant de toutes les démarches administratives, notamment en français, ainsi qu’un appui logistique tant pour son père, dans la gestion de son handicap, que pour ses frères et sœurs, notamment pour leur suivi scolaire.

La recourante soutient qu’un retour au Kosovo n’apparaît pas envisageable. Arrivée en Suisse à l'âge de 18 ans, elle a certes passé toute son enfance, son adolescence et une bonne partie de sa vie d’adulte au Kosovo. Elle en connaît donc les us et coutumes et en maîtrise la langue. Toutefois, elle n’y a plus aucune famille ni aucun logement. L’entier de sa famille nucléaire, à savoir ses parents et ses quatre frères et sœurs, réside à Genève, au bénéfice d’autorisations de séjour. Elle se retrouverait ainsi seule au Kosovo, sans le soutien de sa famille proche pour se réintégrer dans une situation beaucoup plus délicate que ses compatriotes. Le dossier ne contient aucune demande de visa pour le Kosovo, mais confirme que la famille est partie à l’étranger, les seules demandes de visas portant sur des visites à une tante en Allemagne. Dans le jugement du 20 décembre 2022, concernant D______, le TAPI a notamment retenu que « le renvoi du recourant signifierait qu'il n'aurait sur place plus aucun soutien familial pour faire face à ses assez probables difficultés de réintégration. L'ensemble des membres de sa famille résident en effet actuellement en Suisse et par jugement séparé de ce jour, le tribunal admet également le recours de sa sœur, E______, contre la décision de l'OCPM du 16 mai 2022, de sorte que seule sa sœur aînée, Erstina, ne bénéficie pas d'autorisation pour demeurer en Suisse. ». Ce jugement ainsi que celui concernant sa sœur, dont la motivation sur ce point est identique, n’ont pas fait l’objet de recours. Rien ne justifie en conséquence de ne pas retenir qu’à l’instar de ses frère et sœur, le renvoi de la recourante signifierait qu'elle « n'aurait sur place plus aucun soutien familial pour faire face à ses assez probables difficultés de réintégration ».

Or, le père de la recourante a sollicité une autorisation de séjour pour cas de rigueur le 1er octobre 2002 alors qu’elle n’était âgée que de trois ans. Ce n’est que quatorze ans plus tard que la décision de refus du SEM lui a été notifiée, étant rappelé que ce refus faisait suite à un préavis positif de l’OCPM le 25 août 2015. Il ne ressort pas du dossier que le père de la recourante serait intervenu auprès des autorités cantonales entre 2002 et 2015 pour obtenir leur détermination sur sa demande de permis. Dans ces conditions, il ne pourrait pas tirer argument des lenteurs de l’administration (arrêt du Tribunal fédéral 2C_477/2020 du 17 juillet 2020 consid. 3 où le délai de 7 ans avait été jugé incompatible avec le principe de la célérité). Toutefois, d’une part l’attitude de son père ne peut être imputée et reprochée à la recourante. D’autre part, ce silence n’a pas été sanctionné par la Cour européenne des droits de l’homme qui a considéré, dans son courrier du 13 juillet 2021, qu’un permis devait être délivré au père de la recourante.

Par décision du 13 septembre 2021, le SEM a annulé son refus du 3 juin 2016 et a délivré au père de la recourante l’autorisation de séjour sollicitée. Outre la longueur pour le moins inhabituelle de la procédure, puisqu’il aura fallu 19 ans à l’intéressé pour obtenir une réponse favorable à sa requête du 1er octobre 2002 et le fait que ce revirement fait suite à un courrier de la Cour européenne des droits de l’homme, il n’est pas possible de déterminer comment la procédure se serait déroulée, notamment pour l’épouse et les enfants, si une décision favorable avait été rendue plus rapidement. Alors qu’il n’était père que de deux enfants en bas âge au moment du dépôt de sa requête, ceux-là ont atteint la majorité pendant la longue procédure judiciaire qui s’est pour partie résolue devant la Cour européenne des droits de l’homme. Ainsi, s’il avait obtenu l’autorisation de séjourner au moment où il l’avait requise, la recourante aurait pu bénéficier du regroupement familial puisque la famille n’aurait probablement pas attendu si longtemps pour s’installer en Suisse. Pour ce motif, le recours de son père devant la Cour européenne des droits de l’homme demeure d’ailleurs pendant. Le père de la recourante aurait en tous les cas pu solliciter un regroupement familial en 2016 alors que ses cinq enfants étaient mineurs et vivaient encore au Kosovo avec son épouse. Cet historique est un élément important du dossier de la recourante et doit être pris en compte dans l’appréciation de sa situation. Ainsi, si aujourd’hui les parents et quatre de leurs enfants ont obtenu des autorisations de séjour, la situation de la fille aînée de la famille doit être analysée à l’aune de ce contexte très particulier, dans sa globalité, ce que l’autorité intimée n’a pas fait, violant les art. 30 al. 1 let. b et 96 LEI, et a commis un abus de son pouvoir d’appréciation en niant que les conditions de l’art. 30 al. 1 let. b n’étaient pas remplies au vu notamment de la durée du séjour, de la volonté de formation de la recourante, de son intégration, de son excellente connaissance du français, mais surtout de l’impossibilité de retourner au Kosovo et du contexte historique précité.

Le recours sera en conséquence partiellement admis et la cause renvoyée à l’autorité intimée afin qu’elle soumette le dossier de la recourante au SEM avec un préavis positif.

Vu ce qui précède, il n’est pas nécessaire d’analyser le grief de violation de
l’art. 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101) ni celui d’une éventuelle violation de l’art. 27 LEI.

4.             Vu l’issue du litige, il ne sera pas perçu d’émolument (art. 87 al. 1 LPA). Une indemnité de procédure de CHF 1'000.- sera allouée à la recourante qui obtient gain de cause, à la charge de l’autorité intimée (art. 87 al. 2 LPA).

 

 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 7 juillet 2023 par A______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 5 juin 2023 ;

au fond :

l’admet partiellement ;

annule la décision de l’office cantonal de la population et des migrations du 17 novembre 2022 ainsi que le jugement du Tribunal administratif de première instance du 5 juin 2023 ;

renvoie le dossier à l’office cantonal de la population et des migrations pour suite à donner au sens des considérants ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ;

alloue une indemnité de procédure de CHF 1'000.- à A______, à la charge de l’État de Genève ;

dit que les éventuelles voies de recours contre le présent arrêt, les délais et conditions de recevabilité qui leur sont applicables, figurent dans la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), dont un extrait est reproduit ci-après. Le mémoire de recours doit être adressé au Tribunal fédéral suisse, av. de Lausanne 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Butrint AJREDINI, avocat de la recourante, à l'office cantonal de la population et des migrations, au Tribunal administratif de première instance ainsi qu'au secrétariat d'État aux migrations.

Siégeant : Valérie LAUBER, présidente, Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, Fabienne MICHON RIEBEN, juges.


 

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

J. PASTEUR

 

 

la présidente siégeant :

 

 

V. LAUBER

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :

 

 

 

 


 

Extraits de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110)
consultable sur le site: http://www.admin.ch/ch/f/rs/c173_110.html

Recours en matière de droit public
(art. 82 et ss LTF)

Recours constitutionnel subsidiaire
(art. 113 et ss LTF)

Art. 82 Principe

Le Tribunal fédéral connaît des recours :

a. contre les décisions rendues dans des causes de droit public ;

Art. 83 Exceptions

Le recours est irrecevable contre :

c. les décisions en matière de droit des étrangers qui concernent :

1. l’entrée en Suisse,

2. une autorisation à laquelle ni le droit fédéral ni le droit international ne donnent droit,

3. l’admission provisoire,

4. l’expulsion fondée sur l’art. 121, al. 2, de la Constitution ou le renvoi,

5. les dérogations aux conditions d’admission,

6. la prolongation d’une autorisation frontalière, le déplacement de la résidence dans un autre canton, le changement d’emploi du titulaire d’une autorisation frontalière et la délivrance de documents de voyage aux étrangers sans pièces de légitimation ;

d. les décisions en matière d’asile qui ont été rendues :

1. par le Tribunal administratif fédéral,

2. par une autorité cantonale précédente et dont l’objet porte sur une autorisation à laquelle ni le droit fédéral ni le droit international ne donnent droit ;

Art. 89 Qualité pour recourir

1 A qualité pour former un recours en matière de droit public quiconque :

a. a pris part à la procédure devant l’autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire ;

b. est particulièrement atteint par la décision ou l’acte normatif attaqué, et

c. a un intérêt digne de protection à son annulation ou à sa modification.

Art. 95 Droit suisse

Le recours peut être formé pour violation :

a. du droit fédéral ;

b. du droit international ;

c. de droits constitutionnels cantonaux ;

d. de dispositions cantonales sur le droit de vote des citoyens ainsi que sur les élections et votations populaires ;

e. du droit intercantonal.

Art. 100 Recours contre une décision

1 Le recours contre une décision doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les 30 jours qui suivent la notification de l’expédition complète.

______________________________________________

Art. 113 Principe

Le Tribunal fédéral connaît des recours constitutionnels contre les décisions des autorités cantonales de dernière instance qui ne peuvent faire l’objet d’aucun recours selon les art. 72 à 89.

Art. 115 Qualité pour recourir

A qualité pour former un recours constitutionnel quiconque :

a. a pris part à la procédure devant l’autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire et

b. a un intérêt juridique à l’annulation ou à la modification de la décision attaquée.

Art. 116 Motifs de recours

Le recours constitutionnel peut être formé pour violation des droits constitutionnels.

Art. 100 Recours contre une décision

1 Le recours contre une décision doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les 30 jours qui suivent la notification de l’expédition complète.

___________________________________________

 

Recours ordinaire simultané (art. 119 LTF)

1 Si une partie forme contre une décision un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire.

2 Le Tribunal fédéral statue sur les deux recours dans la même procédure.

3 Il examine les griefs invoqués selon les dispositions applicables au type de recours concerné.