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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1848/2023

ATA/1072/2023 du 28.09.2023 ( EXPLOI ) , REJETE

Recours TF déposé le 25.10.2023, rendu le 18.12.2023, RETIRE, 2C_592/2023
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1848/2023-EXPLOI ATA/1072/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 28 septembre 2023

1ère section

 

dans la cause

 

A______ recourant
représenté par Me Michael LAVERGNAT, avocat

contre

DIRECTION GÉNÉRALE DU DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE, DE LA RECHERCHE ET DE L'INNOVATION intimée
représentée par Me Stephan FRATINI, avocat

_________



EN FAIT

A. a. A______ (ci-après : l’exploitant) exploite, en raison individuelle, le café restaurant « B______ » à ______.

b. Le 3 février 2021, l’exploitant a déposé une demande pour cas de rigueur dans le contexte de la pandémie de Covid-19. Son chiffre d’affaires (ci-après : CA) avait été de CHF 490'000.- en 2018, CHF 457'000.- en 2019 et CHF 0.- en 2020.

Le CA réalisé sur les douze mois précédant la demande d’aide était de
CHF 290'000.- et les coûts totaux (ci-après : CT) 2020, incluant le salaire du chef d’entreprise, hors impôts et taxes, s’élevaient à CHF 265'000.-.

c. L’exploitant n’a pas déposé de demande d’aide financière pour la période de fermeture du 4 février au 30 mai 2021.

d. Il a déposé une demande d’aide financière pour le second semestre 2021.

B. a. Par décision du 9 mars 2021, en application de la loi 12'863 relative aux aides financières extraordinaires de l’État destinées aux entreprises particulièrement touchées par la crise économique ou directement par les mesures de lutte contre l’épidémie de coronavirus pour l’année 2021 (ci-après : aLAFE‑2021), il a bénéficié d’une aide financière de CHF 91'604.70, considérant un CA de CHF 0.-, des CT de CHF 289'186.- et des coûts fixes (ci-après : CF) de CHF 107'180.- pour l’année 2020.

b. Par décision du 8 juin 2022, en application de la loi 12'938 relative aux aides financières extraordinaires de l’État destinées aux entreprises particulièrement touchées par la crise économique ou directement par les mesures de lutte contre l’épidémie de coronavirus pour l’année 2021 (ci-après : LAFE-2021), le département a refusé d’octroyer une aide financière à l’exploitant pour le second semestre 2021, l’aide accordée dépassant déjà le plafond de 20% du CA moyen des exercices 2018 et 2019. Par ailleurs, l’entreprise avait enregistré un bénéfice durant le semestre en question.

c. Par décision du 17 janvier 2023, le département a ordonné la restitution par l’exploitant de CHF 83'032.20, soit la différence entre l’aide octroyée (CHF  91'604.70) et le montant auquel l’entreprise pouvait prétendre pour le début de l’année 2021, soit CHF 8'572.50.

Le CA 2020 s’élevait à CHF 320'406.23 et non à CHF 0.- comme annoncé, les CF à CHF 102'566.96 et non à CHF 107'180.- alors que les CT s’élevaient à CHF 283'690.46 et non à CHF 289'186.-. Les CT étant inférieurs au CA, l’entreprise avait enregistré un bénéfice. Elle n’était dès lors pas éligible à une aide pour « perte économique » pour 2020.

Elle pouvait toutefois bénéficier de l’aide pour « cas de rigueur » sous l’angle de la fermeture de l’entreprise pour la période du 1er janvier au 3 février 2021. Celle-ci correspondait au CT de l’entreprise en 2020, calculée au prorata du nombre de jours, à compter du 1er janvier 2021, pendant lesquelles l’activité avait été totalement ou partiellement interdite. Était déduite de ce montant la part des CF couverts par le CA réalisé pendant la période de fermeture 2021, conformément à l’art. 9 du règlement 12'938. Au vu du CA de CHF 2'258.26 pour la période concernée en 2021, ladite aide s’élevait à CHF 8'572.50.

d. Par décision du 9 mai 2023, le département a rejeté la réclamation formée par l’exploitant contre cette décision.

C. a. Par acte du 31 mai 2023, l’exploitant a interjeté recours devant la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : chambre administrative). Il a conclu à l’annulation des décisions des 17 janvier et 9 mai 2023. Préalablement, le département devait produire l’intégralité du dossier en sa possession.

Son droit d’être entendu avait été violé, à l’instar du principe de la légalité et de la proportionnalité. Les faits avaient été constatés de façon inexacte.

b. Le département a conclu au rejet du recours.

c. Dans sa réplique, l’exploitant persisté dans ses conclusions. C’était par erreur qu’il avait mentionné CHF 0.- au titre de CA dans sa requête. L’administration aurait dû aisément reconnaître cette faute, la case portant sur le CA des douze derniers mois mentionnant CHF 290'000.-. Au moment de l’octroi de l’aide, il n’avait pas cherché à comprendre les calculs, incompréhensibles, de l’administration. Au printemps 2021, il avait été victime d’une forme aiguë et longue du Covid-19 et s’était retrouvé dans le coma, aux soins intensifs, puis en rééducation.

d. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

e. Les arguments des parties seront repris en tant que de besoin dans la partie en droit du présent arrêt.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2.             Le litige porte sur la demande de remboursement du montant de CHF 83'032.20.

3.             Dans un premier grief, l’exploitant se plaint d’une violation de son droit d’être entendu. L’autorité intimée ne lui aurait pas adressé de courrier pour l’informer de son intention de demander la restitution du montant et lui permettre ainsi de faire valoir sa position. Le recourant serait par ailleurs dans l’impossibilité de comprendre la décision entreprise, n’ayant pas de copie du formulaire de demande remplie en ligne.

3.1 Le droit d’être entendu comprend notamment le droit pour l’intéressé de s’exprimer sur les éléments pertinents avant qu’une décision ne soit prise touchant sa situation juridique, d’avoir accès au dossier, de produire des preuves pertinentes, d’obtenir qu’il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes et de participer à l’administration des preuves essentielles ou à tout le moins de s’exprimer sur son résultat, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 145 I 73 consid. 7.2.2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_507/2021 du 13 juin 2022 consid. 3.1). Il n’empêche pas l’autorité de mettre un terme à l’instruction lorsque les preuves administrées lui ont permis de se forger une conviction et que, procédant de manière non arbitraire à une appréciation anticipée des preuves qui lui sont encore proposées, elle a la certitude qu’elles ne pourraient pas l’amener à modifier son opinion (ATF 145 I 167 consid. 4.1).

3.2 En l’espèce, il était loisible au recourant de solliciter la consultation de son dossier, voire de lever copie de sa demande initiale, ce qu’il ne soutient avoir ni demandé ni a fortiori fait.

Il a été informé qu’un contrôle était en cours et a été invité à fournir des renseignements lors d’un échange de courriels des 7 et 12 octobre 2022. Il ne peut en conséquence invoquer une violation de son droit d’être entendu.

Dans sa réplique, il a fait état de calculs « abscons et impénétrables [qui n’étaient] ni expliqués ni motivés ». Son argumentation porte sur le montant des CF 2020 en CHF 102'566.96. Si certes, ce montant aurait pu être détaillé, le recourant ne s’en est toutefois jamais plaint avant son ultime écriture. Dans ces conditions, il ne peut être reproché à l’autorité intimée un défaut de motivation sur ce montant, celui-ci apparaissant pour la première fois dans la décision du 17 janvier 2023 en page 2. Par ailleurs, la différence avec le chiffre de CHF 107'180.- annoncé par le recourant est sans incidence sur l’issue du litige.

4.             Le recourant se plaint d’une violation du principe de la légalité. Il relève qu’est considérée comme indûment perçue la participation financière utilisée à d’autres fins que la couverture des frais fixes tels que précisés à l’art. 3 de la loi 12'938. Or, il aurait utilisé l’aide pour couvrir les frais fixes durant les cinq mois de fermeture de son établissement en 2021 et les 104 jours en 2020. Le département se limiterait toutefois à ne retenir que 34 jours. Ce raisonnement serait d’autant plus incompréhensible que le recourant se serait vu refuser une aide au second semestre 2021 au motif qu’il aurait déjà atteint le plafond. Par ailleurs, il aurait été imposé fiscalement sur l’aide financière perçue.

4.1 Le 25 septembre 2020, l’Assemblée fédérale a adopté la loi fédérale sur les bases légales des ordonnances du Conseil fédéral visant à surmonter l’épidémie de
Covid-19 (loi Covid-19 - RS 818.102). Celle-ci prévoit que la Confédération peut, à la demande d’un ou de plusieurs cantons, soutenir les mesures de ces cantons pour les cas de rigueur destinées aux entreprises (art. 12 al. 1). Il y a cas de rigueur au sens de l’al. 1 si le chiffre d’affaires annuel de l’entreprise est inférieur à 60% de la moyenne pluriannuelle. La situation patrimoniale et la dotation en capital globales doivent être prises en considération, ainsi que la part des CF non couverts (art. 12 al. 1bis loi Covid-19).

Le 25 novembre 2020, le Conseil fédéral a adopté l’ordonnance concernant les mesures pour les cas de rigueur destinées aux entreprises en lien avec l’épidémie de Covid-19 (Ordonnance Covid-19 cas de rigueur ; ci-après : l’ordonnance Covid‑19 ou OMCR-20 ; RS 951.262).

4.2 La République et canton de Genève a mis en place différentes aides financières en faveur des entreprises en lien avec l'épidémie de Covid-19 : certaines reprennent les conditions de l’Ordonnance Covid-19 et pour lesquelles le canton bénéfice d'une participation financière de la Confédération au sens de cette ordonnance ; d'autres, purement cantonales, ne bénéficient pas du soutien financier de la Confédération, faute pour les entreprises concernées de remplir les critères de l’Ordonnance Covid‑19.  

4.2.1 Le 29 janvier 2021, le Grand Conseil a adopté l’aLAFE-2021.

La loi a pour but de limiter les conséquences économiques de la lutte contre l'épidémie Covid-19 pour les entreprises sises dans le canton de Genève conformément à la loi et à l’Ordonnance Covid-19 (art. 1 al. 1), en atténuant les pertes subies par les entreprises dont les activités avaient été interdites ou réduites en raison même de leur nature entre le 1erjanvier et le 31 décembre 2021 (art. 1
al. 2), et en soutenant par des aides cantonales certaines entreprises ne remplissant pas les critères de l’Ordonnance Covid-19en raison d’une perte de chiffre d’affaires insuffisante et qui ne couvrent pas leurs coûts fixes dans les limites prévues à l’art. 12 (art. 1 al. 3 aLAFE-2021).

L’art. 3 aLAFE-2021 décrit les bénéficiaires. À teneur de l’al. 1, peuvent prétendre à une aide les entreprises : a) qui, en raison des mesures prises par la Confédération ou le canton pour endiguer l'épidémie de Covid-19, doivent cesser totalement ou partiellement leur activité selon les modalités précisées dans le règlement d'application de la présente loi ; ou b) dont le chiffre d'affaires a subi une baisse substantielle selon les dispositions de l'ordonnance fédérale concernant les mesures pour les cas de rigueur destinées aux entreprises en lien avec l'épidémie de
Covid-19, du 25 novembre 2020 ; c) dont la baisse de chiffre d'affaires enregistrée se situe entre 25% et 40% et qui ne couvrent pas leurs coûts fixes.

Selon le règlement d’application de la loi 12’863 du 3 février 2021 (ci-après : aRAFE-2021), pour l’indemnisation des établissements dans l’activité avait été totalement partiellement interdite en parenthèse prévue par la section du dérèglement), le montant de l’indemnité correspondait aux coûts fixes de l’entreprise en 2020, calculées au prorata du nombre de jours à compter du 1er janvier 2021, pendant lesquelles l’activité avait été totalement partiellement interdite (art. 9 al. 1 aRAFE-2021).

4.2.2 Le 30 avril 2021, le Grand Conseil a adopté la LAFE-2021, qui a abrogé l’aLAFE-2021 (art. 23), tout en en reprenant le dispositif pour l’essentiel.

L’art. 4 al. 1 let. c LAFE-2021 reprend la condition de l’art. 3 al. 1 let. c aLAFE-2021. La modification de cet alinéa intervenue par la loi 12'991 du 2 juillet 2021 est sans pertinence pour l’issue du présent litige.

4.3 La participation financière indûment perçue doit être restituée sur décision du département (art. 16 al. 1 aLAFE-2021 et 17 al. 1 LAFE-2021).

4.4 En l’espèce, il ressort des états financiers définitifs de l’exploitant pour 2020 un bénéfice de CHF 54'209.-. En conséquence, l’entreprise ne remplit plus les conditions de l’art. 3 let. c aLAFE d’une aide pour cas de rigueur pour la prise en charge de frais non couverts. Les conditions d’éligibilité à l’aide n’étant pas remplies, la question de l’utilisation du montant est sans pertinence.

L’exploitant ayant dû fermer son établissement en 2020 et 2021, il remplit toutefois la condition de l’art. 3 let. a aLAFE. Les calculs effectués dans le cas d’espèce, pour l’année 2021, portaient sur la période du 1er janvier au 3 février 2021 soit 34 jours. En l’absence de demande pour la période du 4 février au 30 mai 2021, le calcul sur 34 jours apparaît conforme à la disposition précitée.

La taxation fiscale de l’aide financière perçue en application de l’aLAFE ou de la LAFE n’est pas pertinente pour l’issue du présent litige. Elle pourra faire l’objet d’un traitement ultérieur par l’administration compétente en fonction de l’issue de la présente procédure.

Par ailleurs, et quand bien même le détail des chiffres retenus par l’autorité aurait été judicieux, la différence des CT 2020 de quelque CHF 6'000.-, entre
CHF 283'690.- et 289'186.-, est sans incidence sur l’existence du bénéfice et donc l’absence de droit à une aide financière pour 2020, impliquant le remboursement de la totalité de l’aide perçue pour l’année en question.

Le recourant a reconnu n’avoir pas déposé de demande d’aide financière pour la période du 4 février au 31 mai 2021. Il ne peut dès lors ni être indemnisé pour cette période ni revendiquer qu’elle soit prise en compte pour le décompte des jours de fermeture de son établissement. C’est en conséquence à bon droit que le département a effectué le calcul pour 2021 sur 34 jours et considéré que l’exploitant avait droit à une aide de CHF 8'572.50, montant venant en déduction de l’aide de CHF 91'604.70 perçue. Les autres bases de calcul du montant de CHF 8'572.50 ne sont pas contestées.

5.             Dans un ultime grief, le recourant se plaint d’une violation du principe de la proportionnalité.

5.1 Le principe de la proportionnalité, garanti par l’art. 5 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), se compose des règles d’aptitude – qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé – , de nécessité – qui impose qu’entre plusieurs moyens adaptés, l’on choisisse celui qui porte l’atteinte la moins grave aux intérêts privés – et de proportionnalité au sens étroit – qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l’administré et le résultat escompté du point de vue de l’intérêt public (ATF 140 I 218 consid. 6.7.1 ; 136 IV 97 consid. 5.2.2).

5.2 En l’espèce, on peine à discerner en quoi la décision ne respecterait pas le principe de la proportionnalité, dès lors que l’administration n’a aucun pouvoir d’appréciation ni quant au principe de la restitution ni quant à sa quotité.

C’est ainsi de manière conforme à la loi que le département a réclamé le remboursement de l’aide à hauteur de CHF 83'032.20.

Entièrement mal fondé, le recours sera rejeté.

6.             Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 500.- sera mis à la charge de A______ (art. 87 al. 1 LPA). Aucune indemnité de procédure ne sera allouée
(art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 31 mai 2023 par A______ contre la décision de la direction générale du développement économique, de la recherche et de l'innovation du 9 mai 2023 ;

au fond :

le rejette ;

met à la charge de A______ un émolument de CHF 500.- ;

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Michael LAVERGNAT, avocat du recourant, ainsi qu'à Me Stephan FRATINI, avocat de la direction générale du développement économique, de la recherche et de l'innovation.

Siégeant : Valérie LAUBER, présidente, Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, Fabienne MICHON RIEBEN, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

P. HUGI

 

 

la présidente siégeant :

 

 

V. LAUBER

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

la greffière :