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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1070/2023

ATA/1017/2023 du 19.09.2023 ( DIV ) , PARTIELMNT ADMIS

Descripteurs : PROTECTION DES DONNÉES;DONNÉES PERSONNELLES;VIDÉOSURVEILLANCE;GARDIEN DE PRISON;ÉTABLISSEMENT PÉNITENTIAIRE
Normes : LIPAD.49
Résumé : Admission du recours pour déni de justice au motif que le département compétent n’a pas statué dans le délai imparti par la loi, après la recommandation du préposé à la protection des données et à la transparence, dans le cadre d’une demande relative à l’utilisation de « bodycam » dans les établissements pénitentiaires, en violation de l’art. 49 LIPAD. Qualité de partie reconnue au gardien de prison et à l’association syndicale, parties recourantes.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1070/2023-DIV ATA/1017/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 19 septembre 2023

 

dans la cause

 

A______
et
B______ recourants
représentés par Me Romain JORDAN, avocat

contre

DÉPARTEMENT DES INSTITUTIONS ET DU NUMÉRIQUE intimé



EN FAIT

A. a. B______ est gardien de prison depuis plusieurs années, vice-président de l’A______ (ci-après : A______) et président du groupe « C______ » de l’A______.

b. L’A______ est une association au sens des art. 60 ss du Code civil suisse du
10 décembre 1907 (CC - RS 210), ayant son siège à Genève et pour but statutaire de veiller à la défense des conditions de travail et salariales de ses membres. Elle représente les intérêts de membres issus de trois groupes principaux (D______, C______ et E______) et d’un représentant de la société des retraités de la police.

B. a. Sur demande de B______, informé de l’usage à venir de bodycam, ou caméra piéton, au sein de la prison F______, le directeur général de l’office cantonal de la détention (ci-après : OCD) de l’ancien département de la sécurité, de la population et de la santé, devenu entre-temps le département des institutions et du numérique (ci-après : le département), lui a transmis, le 11 mai 2021, la directive n° 5.04 (ci-après : la directive) de l’OCD sur l’utilisation des bodycams, dont l’entrée en vigueur était prévue pour le 1er juin 2021, avec quelques explications relatives aux bases légales et au fait qu’il ne serait pas nécessaire de consulter le préposé à la protection des données et à la transparence (ci-après : PPDT).

b. Selon la directive, le système de bodycam permet de couvrir l’événement dans l’action à l’intérieur des locaux ne disposant pas de système de vidéosurveillance en enregistrant tant l’image que le son (ch. 1). Elle s’applique aux établissements de l’OCD pourvus de bodycams, soit la prison F______, l’établissement fermé G______, celui de H______ et l’établissement de I______. Elle s’adresse aux directions et aux cadres de ces établissements ainsi qu’à l’ensemble du personnel « appelé à utiliser une bodycam ».

La directive décrit le matériel déployé, l’utilisation de la bodycam (ch. 3), le cas particulier de la fouille d’une personne détenue, nécessitant une mise à nu en deux temps (ch. 4), le déchargement des bodycams sur le système d’enregistrement et extraction des séquences, l’accès à ces systèmes et la transmission des données enregistrées.

La directive prévoit l’utilisation systématique de la bodycam pour quatre types de situations planifiées : l’extraction d’une cellule d’une personne détenue récalcitrante ou présentant un danger pour le personnel ou elle-même ; la mise en cellule forte ; la mise en cellule de soins intensifs (CSI de H______) ; l’intervention dans le cadre d’une médication sous contrainte selon une procédure spécifique. La directive règle aussi l’utilisation de la bodycam en dehors de ces situations.

Concernant la fouille d’une personne détenue nécessitant une mise à nu en deux temps, la directive indique que le porteur de la bodycam veille à ne pas filmer le sexe de la personne détenue ainsi que la poitrine s’il s’agit d’une femme. Le porteur de la bodycam place sa main sur l’objectif de la caméra durant ce moment de la fouille en deux temps ou se place de manière à garantir l’invisibilité des parties du corps précitées. En aucun cas la bodycam ne doit être éteinte lors de cette opération. Une fois la personne rhabillée, le porteur de la bodycam retire sa main de l’objectif ou se replace pour poursuivre l’enregistrement de la scène. Toutefois, dans le cas où la personne détenue s’agite au point de mettre en péril la sécurité du personnel présent (perte de maîtrise de la sécurité), le porteur de la bodycam peut intervenir immédiatement en renfort de ses collègues même si cela implique un risque de filmer les parties intimes de la personne détenue.

c. Informé que l’A______ n’était pas favorable au déploiement de bodycams au sein des établissements pénitentiaires genevois, le directeur juridique de l’OCD a, le
26 mai 2021, invité le président du syndicat à en discuter le 15 juin 2021 avec le directeur général de l’OCD.

d. Le 9 juin 2021, l’A______ a demandé à l’OCD d’ouvrir une procédure administrative au sens de l’art. 4A de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10) au sujet de la mise en fonction des bodycams afin de constater, en l’état du droit, l’illicéité de cette pratique et de faire cesser immédiatement sa mise en œuvre. Il doutait de l’existence de bases légales suffisantes pour justifier pareille obligation au personnel de la prison, sans évoquer les droits des personnes détenues.

e. Interpellé par une prise de position étayée de l’A______ du 7 décembre 2021, l’OCD lui a, le 18 mai 2022, communiqué les bases légales et les raisons à l’origine de la mise en place de bodycams au sein des prisons genevoises. Les intérêts en jeu étaient importants puisqu’il s’agissait non seulement de protéger les membres du personnel pénitentiaire d’accusations infondées, mais également de dissuader les personnes détenues de s’en prendre physiquement à eux dans les zones visées par la directive, qui étaient hors de portée des caméras. L’emploi des bodycams représentait une atteinte limitée aux droits des membres du personnel compte tenu d’une utilisation ciblée et maîtrisée. Le PPDT serait informé du traitement par l’OCD des données récoltées à l’aide des bodycams. Un bilan au terme d’une période d’essai de six mois était proposé.

f. Le 13 juin 2022, l’A______ a interpellé le PPDT au sujet de l’introduction des bodycams au sein des établissements pénitentiaires genevois, lui signalant que le personnel n’avait jamais été consulté à ce sujet. Elle lui a demandé de faire cesser immédiatement cette pratique qu’elle jugeait illicite.

g. L’A______ a, le lendemain, renouvelé auprès de l’OCD sa requête tendant à faire constater l’illicéité de l’usage des bodycams au sens de l’art. 4A LPA et à faire cesser immédiatement son utilisation.

h. Le PPDT a rendu son avis le 10 octobre 2022, concluant à ce que l’OCD élabore un projet de base légale relative à l’utilisation de bodycams dans les établissements pénitentiaires genevois.

i. Le 12 octobre 2022, l’A______ a sollicité du conseiller d’État alors en charge du département de mettre fin immédiatement à l’utilisation des bodycams et de procéder à la destruction de toute éventuelle donnée recueillie. Elle n’était pas, par principe, opposée au port et à l’usage de ces dispositifs, mais ses modalités devaient être soigneusement examinées et discutées en sus du fondement légal nécessaire. Elle lui a également demandé de faire part, dès le début, du groupe de travail à mettre en place à ce sujet. Une copie de ce courrier était adressée à l’OCD.

j. En l’absence de réponse du département, malgré la relance du 18 octobre 2022, l’A______ et B______, son vice-président et président du groupe « C______ », ont, par acte du 14 novembre 2022, déposé un recours pour déni de justice auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) en concluant à la suspension immédiate de l’usage des bodycams dans les établissements pénitentiaires genevois, au constat de déni de justice par le conseiller d’État du département et au renvoi de la cause auprès de ce dernier pour rendre, dans les dix jours dès le prononcé de l’arrêt sous la menace de la peine prévue à l’art. 292 Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0), une décision, sujette à recours, constatant l’illicéité de l’emploi des bodycams dans lesdits établissements.

k. Le 29 novembre 2022, le PPDT a informé l’A______ que le département avait pris note de la nécessité d’adopter une base légale plus précise dans les meilleurs délais et qu’il allait œuvrer dans ce sens.

l. À la question posée le 30 novembre 2022 par l’A______ de savoir si le traitement, en cours, des données en lien avec les bodycams était conforme au droit, le PPDT a, le 9 décembre 2022, répondu en rappelant à l’A______ son avis rendu le 10 octobre 2022 et l’intention susmentionnée du département, de sorte qu’il considérait que celui-ci avait suivi son avis. Lui répondre directement à sa question reviendrait à court-circuiter la procédure prévue par la loi sur l’information du public, l’accès aux documents et la protection des données personnelles du 5 octobre 2001 (LIPAD ‑ A 2 08), notamment l’art. 49 LIPAD qu’il l’invitait à suivre si elle voulait faire valoir des prétentions conformément aux art. 47 ss LIPAD. Elle devait ainsi s’adresser d’abord à la responsable LIPAD du département ; il appartenait ensuite à cette dernière de solliciter une recommandation écrite du PPDT.

m. Le 9 décembre 2022, l’A______ a, sur cette base, saisi ladite responsable du département en lui demandant de mettre immédiatement fin au système des bodycams et de constater la violation des droits des fonctionnaires concernés protégés par la LIPAD. Divers échanges entre eux s’en sont suivis, l’A______ priant le 20 février 2023 la responsable de statuer sur sa demande qui n’avait rien à voir avec la procédure introduite devant la chambre administrative, entre-temps jugée.

C. a. Par arrêt du 14 février 2023 (ATA/147/2023), la chambre administrative a partiellement admis le recours de B______ et renvoyé la cause au conseiller d’État en charge du département en lui enjoignant de rendre, dans un délai de trente jours dès l’entrée en force de l’arrêt, une décision relative à la légalité de l’utilisation des bodycams dans les établissements pénitentiaires genevois.

Elle a déclaré irrecevable le recours de l’A______, faute de qualité pour recourir. Cette dernière n’avait ni précisé le nombre de membres concernés par le port des bodycams, ni démontré qu’une grande majorité de ses membres était touchée par leur utilisation des bodycams. Elle avait au contraire indiqué que la problématique concernait uniquement ses membres qui étaient agents de C______, les caméras n’étant utilisées que dans quatre établissements pénitentiaires.

Concernant l’articulation entre les procédures fondées respectivement sur l’art. 4A LPA et l’art. 49 LIPAD, la chambre administrative a précisé que, bien que tendant vers le même objectif, il s’agissait de deux procédures distinctes, la procédure LIPAD visant plus spécifiquement la protection des données personnelles de la personne l’invoquant. Dès lors, la procédure LIPAD, dont le département avait été saisi après le recours pour déni de justice fondé sur l’art. 4A LPA, ne rendait pas sans objet la procédure de recours relative à cette disposition-ci.

Cet arrêt a été notifié le 20 février 2023 aux recourants et par courrier interne au département qui l’a reçu le 21 février 2023.

D. a. Par acte mis à la poste le 22 mars 2023, l’A______ et B______ ont formé recours pour déni de justice auprès de la chambre administrative « contre le refus du [département] de statuer sur [leurs] prétentions en constatation et en cessation du traitement illicite des données du Personnel du Corps de Police » en prenant diverses conclusions. Les conclusions prises à titre superprovisionnel et provisionnel ont été respectivement rejetées les 24 mars et 2 mai 2023.

Ils ont en outre conclu préalablement à la production, par le département, du dossier complet concernant leur requête ; principalement au constat du « déni de justice commis par la responsable juridique départementale du [département] », à celui du caractère illicite de l’emploi des bodycams dans les établissements pénitentiaires genevois et à ce qu’il soit mis fin à l’emploi des bodycams dans ces établissements ; et subsidiairement à ce qu’il soit ordonné à l’autorité intimée, sous la menace de la peine prévue à l’art. 292 CP, de rendre, dans les dix jours suivant le prononcé de l’arrêt, une décision sujette à recours constatant l’illicéité et mettant fin à l’emploi des bodycams dans lesdits établissements.

Malgré les demandes des 31 janvier et 20 février 2023 de statuer, le département ne l’avait, un mois plus tard, toujours pas fait. Dès lors et compte tenu du traitement quotidien illicite de données sur lequel l’autorité intimée refusait de statuer et en vertu des art. 47 al. 1 et 49 LIPAD et 29 al. 1 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), ils n’avaient pas d’autre choix que de recourir pour déni de justice. L’A______ représentait la quasi-totalité des gardiens concernés par le système bodycams, ce qu’elle proposait de prouver par audition des parties en sus de la liste des membres de ses instances dirigeantes. Elle se devait d’agir à ce stade pour éviter l’extension ultérieure de cette mesure à toutes les professions exercées par ses membres. Ils fondaient l’illicéité du traitement des données lié aux bodycams sur l’avis du 10 octobre 2022 du PPDT, plus précisément sur l’absence d’une base légale spéciale à ce sujet dans la loi sur l’organisation des établissements et le statut du personnel pénitentiaires du 3 novembre 2016 (LOPP ‑ F 1 50) et sur une atteinte potentiellement très importante à la sphère privée des personnes détenues, relevée dans ledit avis. Leur requête n’avait pas été traitée avec célérité et aucune décision sur leurs prétentions n’avait été rendue, en violation des al. 2 respectivement al. 6 de l’art. 49 LIPAD.

b. Le 5 juin 2023, le département a conclu principalement à la radiation de la cause, subsidiairement, à l’irrecevabilité du recours et, plus subsidiairement, au rejet de toutes les conclusions des recourants.

Les recourants n’avaient pas de droit à obtenir une décision puisqu’au moment du dépôt du recours, le PPDT n’avait pas rendu de recommandation dans le cadre de la procédure LIPAD. Ils n’avaient en outre plus d’intérêt à agir depuis le prononcé de la décision du 8 mai 2023, le recours étant devenu sans objet sur ce point. Sur le fond, les atteintes alléguées à la personnalité, si elles devaient être établies, seraient limitées de sorte qu’il se demandait si leur degré de gravité justifierait une protection juridique in casu. Il rappelait au surplus les faits exposés ci-après.

Le 29 mars 2023, le conseiller d’État du département avait transmis à l’A______
l’avant-projet de loi modifiant la loi sur la police, contenant aussi des modifications de la LOPP et de la loi sur les agents de la police municipale, les contrôleurs municipaux du stationnement et les gardes auxiliaires des communes du 20 février 2009 (LAPM - F 1 07), en lui fixant un délai au 14 avril 2023 pour faire parvenir ses observations. Ces modifications concernaient l’utilisation des caméras portatives au sein des établissements pénitentiaires ainsi que par la police et les agents municipaux, celle des caméras embarquées par ces deux derniers et une clarification de l’emploi de la vidéosurveillance dans les locaux abritant les services de police et de police municipale. L’A______ y avait répondu par courriel du 13 avril 2023.

Concernant la requête des recourants fondée sur l’art. 49 LIPAD, le département, saisi d’un doute quant à son bien-fondé, l’avait transmise, le 4 avril 2023, au PPDT. Celui-ci avait rendu, le 26 avril 2023, une recommandation invitant le département à examiner la qualité pour agir de B______ et à finaliser le projet de base légale concernant l’utilisation de bodycams dans les prisons. Vu l’ATA/147/2023 précité l’enjoignant de rendre une décision relative à la légalité de l’utilisation des bodycams sur la base de l’art. 4A LPA et distinguant cette procédure de celle prévue à l’art. 49 LIPAD, le conseiller d’État du département avait, par décision du 8 mai 2023, estimé que le déploiement de bodycams dans les établissements pénitentiaires genevois reposait sur une base légale suffisante, soulignant notamment l’intérêt du personnel pénitentiaire à être filmé dans des situations à risque de violences à leur encontre afin de prévenir celles-ci. Le 17 mai 2023, les recourants avaient confirmé au département avoir la qualité pour agir dans le cadre de la demande fondée sur l’art. 49 LIPAD, notamment pour l’A______ en sa qualité d’association syndicale non consultée dans le cadre du processus de mise en place des bodycams et de représentante d’une « écrasante » majorité du personnel pénitentiaire directement visé. Ils avaient alors transmis au département trois rapports des 12 et 14 mars et 29 avril 2023, signés par B______ en tant que responsable d’étage dans des incidents ayant abouti à la mise en cellule forte de détenus, avec usage de bodycam. Selon ces rapports, B______ n’avait ni ordonné ni effectué le visionnement, ni fouillé le détenu. Il avait été informé du comportement des détenus et était intervenu dans un cas auprès du détenu, à la demande de celui-ci.

Le 5 juin 2023, le département avait remis ces trois rapports au PPDT en l’invitant à donner la suite utile à la procédure fondée sur l’art. 49 LIPAD, considérant qu’ils ne mettaient pas en évidence la présence de B______ lors de l’utilisation des bodycams, et en l’informant avoir consulté l’A______ dans le cadre du projet de base légale encadrant l’emploi de bodycams. Il était ainsi difficile de savoir si et dans quelle mesure B______ avait été atteint par l’utilisation de bodycam lors desdits incidents. Même à considérer que cela pût être le cas, que ce soit pour ce dernier ou pour les autres personnes présentes, les atteintes liées au déploiement de bodycam seraient manifestement limitées, de sorte que la décision du conseiller d’État précitée du 8 mai 2023 demeurait fondée.

c. Les recourants ont persisté dans leurs conclusions.

La responsable LIPAD du département, qu’ils avaient interpellée le 9 décembre 2022, avait transmis la requête au PPDT le 4 avril 2023 seulement, soit près de quatre mois plus tard, ce qui n’était pas conforme aux exigences de célérité posées par l’art. 49 al. 2 LIPAD. Même à considérer que le recours eût perdu son objet, ils avaient obtenu gain de cause, l’autorité intimée ayant agi uniquement après le dépôt de leur recours, de sorte qu’elle devait être condamnée aux frais et dépens.

d. Puis, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1.             Les recourants se plaignent de l’absence de décision au sens de l’art. 49 al. 6 LIPAD par le département concernant leur requête du 9 décembre 2022.

1.1 Le recours pour déni de justice ou retard injustifié a été interjeté devant la juridiction compétente (art. 132 al. 1 phr. 1 et al. 2 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 4 LPA).

1.2 Il peut être déposé en tout temps par une partie si l’autorité concernée ne donne pas suite rapidement à la mise en demeure prévue à l’art. 4 al. 4 LPA (art. 62
al. 6 LPA). Lorsqu’une autorité mise en demeure refuse sans droit de statuer ou tarde à se prononcer, son silence est assimilé à une décision (art. 4 al. 4 LPA).

1.3 Ont qualité de partie les personnes dont les droits ou les obligations pourraient être touchés par la décision à prendre, ainsi que les autres personnes, organisations ou autorités qui disposent d'un moyen de droit contre cette décision (art. 7 LPA).

1.3.1 L'art. 111 al. 1 de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005
(LTF - RS 173.110) dispose que la qualité de partie à la procédure devant toute autorité cantonale précédente doit être reconnue à quiconque a qualité pour recourir devant le Tribunal fédéral. Le droit cantonal doit définir la qualité de partie conformément à l'art. 89 LTF : il peut la concevoir de façon plus large, mais pas de façon plus étroite (ATF
139 II 233 consid. 5.2.1 ; 138 II 162 consid. 2.1.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_781/2021 du 22 septembre 2022 consid. 4.1.1). Le droit genevois ne conçoit pas la qualité pour recourir de façon plus large que l'art. 89
al. 1 LTF.

1.3.2 Selon l'art. 89 al. 1 let. c LTF, auquel correspond l'art. 60 al. 1 let. b LPA, la qualité pour recourir est reconnue à toute personne qui dispose d'un intérêt digne de protection à demander la modification ou l'annulation de la décision attaquée. L'intérêt digne de protection suppose que la personne qui l'invoque soit touchée de manière directe, concrète et dans une mesure et avec une intensité plus grandes que la généralité des administrés ; l'intérêt invoqué - qui peut être un intérêt de pur fait - doit se trouver, avec l'objet de la contestation, dans un rapport étroit, spécial et digne d'être pris en considération (ATF 143 II 506 consid. 5.1). Ces exigences visent à éviter l'action populaire (ATF 137 II 40 consid. 2.3). L'intérêt digne de protection doit en outre être actuel et pratique (ATF 142 I 135 consid. 1.3). Cet intérêt pratique peut être de nature économique, matérielle ou idéale (arrêt du Tribunal fédéral 2C_98/2023 du 14 juin 2023 consid. 6.3).

1.3.3 Selon l’art. 89 al. 2 let. d LTF, ont aussi qualité pour recourir devant le Tribunal fédéral les personnes, organisations et autorités auxquelles une autre loi fédérale accord un droit de recours. En matière de protection de la santé des travailleurs, l’employeur est tenu de prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger la santé et l’intégrité personnelle des travailleurs (art. 6 al. 1 de la loi fédérale sur le travail dans l'industrie, l'artisanat et le commerce du 13 mars 1964 - LTr - RS 822.11, disposition applicable aux administrations cantonales en vertu de l’art. 3a let. a LTr). Dans ce cadre, l’art. 58 LTr donne également la qualité pour recourir contre les décisions des autorités cantonales et fédérales, prises en exécution de la LTr (cf. art. 41 LTr), aux associations des employeurs et des travailleurs intéressés.

Par ailleurs, il convient de rappeler le droit d’information et de consultation des travailleurs et de leurs représentants sur les affaires concernant les questions relatives à la protection de la santé (art. 48 al. 1 let. a LTr), le droit d’être consulté comprenant le droit d’être entendu sur ces affaires et d’en débattre avant que l’employeur ne prenne une décision, ainsi que le droit d’obtenir communication des motifs de la décision prise lorsque les objections soulevées par les travailleurs ou leurs représentants dans l’entreprise n’ont pas été prises en considération, ou qu’elles ne l’ont été que partiellement (art. 48 al. 2 LTr).

1.4 En l’espèce et à l’instar de ce qui a déjà été jugé dans l’ATA/147/2023 précité relatif au déni de justice en lien avec l’art. 4A LPA, B______ exerce la fonction d’agent de C______ dans un établissement pénitentiaire dans lequel l’utilisation des bodycams a été introduite. Il est ainsi susceptible d’être directement et concrètement touché dans un intérêt à tout le moins de fait par l’usage de cet outil, notamment en cas d’intervention impromptue auprès d’un détenu lors d’une mise en cellule forte comme celle relatée dans un des trois rapports transmis au département le 17 mai 2023, puisqu’il pourrait alors être filmé et/ou enregistré. Cet intérêt se trouve étroitement lié à l’objet du présent litige, à savoir l’absence du prononcé d’une décision au sens de l’art. 49 al. 6 LIPAD, loi dont l’un des buts est de protéger les droits fondamentaux des personnes quant aux données personnelles les concernant (art. 1 al. 2 let. b LIPAD). L’allégation selon laquelle il n’aurait pas la qualité pour agir comme l’avance l’autorité intimée, à l’appui de la recommandation du PPDT du 26 avril 2023, ne permet pas à cette dernière de s’abstenir de le constater dans une décision sujette à recours, sous peine d’enfreindre la garantie de l’accès au juge ancré à l’art. 29a Cst. et de priver le recourant de la seule instance de recours dont il jouit in casu.

Quant à la qualité de partie de l’A______, en tant que représentante du personnel pénitentiaire, elle peut en l’espèce lui être reconnue sur la base de la disposition spéciale prévue à l’art. 58 LTr. En effet, l’une des raisons invoquées par l’autorité intimée pour mettre en place les bodycams, notamment dans le courrier de l’OCD du 18 mai 2022 et dans la décision du département du 8 mai 2023, est de protéger le personnel pénitentiaire de violences à leur encontre par les personnes détenues dans des zones situées hors de portée des caméras déjà installées. En outre, du point de vue de la protection juridique, une décision générale est assimilée aux décisions administratives individuelles quant à la possibilité d’interjeter un recours direct contre elles (arrêt du Tribunal fédéral 2C_429/2021 du 16 décembre 2021 consid. 1.1 concernant le port obligatoire du masque au cycle d’orientation ; ATA/320/2022 du 29 mars 2022 consid. 5 et 6 concernant l’obligation de présenter un certificat Covid-19 pour accéder aux locaux de l’université). L’art. 58 LTr est ainsi susceptible de trouver application et constitue un moyen de droit à disposition de l’A______ en tant qu’association veillant à la défense des conditions de travail de ses membres dont fait partie le personnel pénitentiaire.

Le recours est donc recevable.

2.             Les recourants, et en particulier l’A______, ont demandé à être entendus afin de prouver que celle-ci représente la quasi-totalité des gardiens affectés par le système litigieux des bodycams et qu’elle dispose ainsi de la qualité pour agir.

2.1 Le droit d'être entendu garanti par l'art. 29 al. 2 Cst. comprend notamment le droit pour l'intéressé d'obtenir qu'il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes, de participer à l'administration des preuves essentielles ou à tout le moins de s'exprimer sur son résultat, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre. L'autorité peut cependant renoncer à procéder à des mesures d'instruction lorsque les preuves administrées lui ont permis de former sa conviction et que, procédant d'une manière non arbitraire à une appréciation anticipée des preuves qui lui sont encore proposées, elle a la certitude que ces dernières ne pourraient l'amener à modifier son opinion (ATF 145 I 167 consid. 4.1 et les références citées).

2.2 En l’espèce et compte tenu de ce qui précède, l’audition des parties sollicitée n’a pas d’influence sur l’issue du litige, de sorte qu’il y est renoncé.

3.             Il convient d’examiner si le département a commis un déni de justice.

3.1 En vertu de l’art. 47 al. 1 LIPAD, toute personne physique ou morale de droit privé peut, à propos des données la concernant, exiger des institutions publiques qu’elles s’abstiennent de procéder à un traitement illicite (let. a) ; mettent fin à un traitement illicite et en suppriment les effets (let. b) ; constatent le caractère illicite du traitement (let. c). Toute requête fondée sur les art. 44, 47 ou 48 doit être adressée par écrit au responsable chargé de la surveillance de l’organe dont relève le traitement considéré (art. 49 al. 1 LIPAD).

Le responsable saisi traite la requête avec célérité (art. 49 al. 2 phr. 1 LIPAD). S’il n’entend pas faire droit intégralement aux prétentions du requérant ou en cas de doute sur le bien-fondé de celles-ci, il transmet la requête au préposé cantonal avec ses observations et les pièces utiles (art. 49 al. 4 LIPAD). Le préposé cantonal instruit la requête de manière informelle, puis il formule, à l’adresse de l’institution concernée et du requérant, une recommandation écrite sur la suite à donner à la requête (art. 49 al. 5 LIPAD). L’institution concernée statue alors par voie de décision dans les 10 jours sur les prétentions du requérant. Elle notifie aussi sa décision au préposé cantonal (art. 49 al. 6 LIPAD).

3.2 En l’espèce, le département, dont la responsable LIPAD avait été saisie le 9 décembre 2022 et mise en demeure de statuer les 31 janvier, puis le 20 février 2023, n’a pas, au moment du dépôt du présent recours le 22 mars 2023, ni statué sur la requête des recourants du 9 décembre 2022, ni sollicité le PPDT au sujet de cette dernière, ce qui a été fait le 4 avril 2023. Le PPDT a formulé une recommandation écrite le 26 avril 2023 à l’attention du département qui avait alors dix jours pour rendre une décision au sens de l’art. 49 al. 6 LIPAD.

Or, seule la décision du 8 mai 2023 a été rendue par le département. Celle-ci est expressément limitée à la mise en œuvre du droit à une décision au sens de
l’art. 4A LPA, en application de l’ATA/147/2023 précité. Dès lors, en l’absence de toute autre décision du département consécutive à la recommandation du PPDT du 26 avril 2023, la chambre de céans ne peut que constater un déni de justice commis par le département compte tenu de l’art. 49 al. 6 LIPAD. Cette disposition impose à l’institution concernée de rendre une décision dans un délai de dix jours après la recommandation du PPDT, une mise en demeure à cet effet n’étant ainsi pas nécessaire. La question de savoir si les recourants disposent de la qualité pour agir ou de la qualité de personne concernée au sens des art. 44 ss LIPAD doit être tranchée en premier lieu par le département, sous peine de les priver de la seule instance de recours dont ils disposent en l’espèce, en contradiction avec
l’art. 29a Cst.

En conséquence, le recours sera partiellement admis et la cause retournée au département pour qu’il rende une décision concernant la requête des recourants du 9 décembre 2022 fondée sur l’art. 49 LIPAD, dans un délai de dix jours dès l’entrée en force du présent arrêt aux fins de respecter l’exigence de célérité voulue par l’art. 49 LIPAD.

4.             Vu l’issue du litige, aucun émolument ne sera perçu et une indemnité conjointe de procédure de CHF 1'500.- sera allouée aux recourants, à la charge de l’État de Genève (art. 87 LPA).

* * * * *

 

 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 22 mars 2023 par l’A______ et B______ pour déni de justice à l’encontre du département des instituions et du numérique ;

au fond :

admet partiellement le recours formé par l’A______ et B______ ;

renvoie la cause au département des institutions et du numérique en lui enjoignant de rendre une décision dans le sens des considérants, dans un délai de dix jours dès l’entrée en force du présent arrêt ;

dit qu’il ne sera pas perçu d’émolument ;

alloue conjointement à l’A______ et à B______ une indemnité de procédure de CHF 1’500.-, à la charge de l’État de Genève (département des institutions et du numérique) ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Romain JORDAN, avocat des recourants, au département des institutions et du numérique, ainsi qu’au bureau du préposé à la protection des données et à la transparence.

Siégeant : Florence KRAUSKOPF, présidente, Jean-Marc VERNIORY, Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, Eleanor McGREGOR, Claudio MASCOTTO, juges.

 

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. SCHEFFRE

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. KRAUSKOPF

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :