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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1301/2023

ATA/1006/2023 du 14.09.2023 ( EXPLOI ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1301/2023-EXPLOI ATA/1006/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 14 septembre 2023

1ère section

 

dans la cause

 

A______
représenté par B______, mandataire recourant

contre


SERVICE DE POLICE DU COMMERCE ET DE LUTTE CONTRE LE TRAVAIL AU NOIR intimé



EN FAIT

A. a. La succursale C______ Sàrl (ci-après : la succursale), avec siège à Genève, inscrite au registre du commerce (ci-après : RC) le 10 octobre 2022, a pour but l’exploitation d’un magasin de tabac épicerie.

b. A______ en est l’administrateur avec signature collective à deux.

c. La succursale exploite le commerce D______ (ci-après également : le commerce).

d. La société est une succursale de l’entreprise C______ Sàrl, avec siège à Vevey, et dont l’associé-gérant unique avec signature individuelle est E______.

B. a. Le 7 février 2023, A______ a déposé un formulaire de déclaration de fonction dirigeante élevée auprès du service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir (ci-après : PCTN). Il a déclaré que deux employés, lui y compris, travaillaient au commerce. Il était gérant et son salaire mensuel s’élevait à CHF 3'768.- pour un taux d’activité de 80%. Il a coché les cases selon lesquelles il assurait un risque économique en cas de déficit d’exploitation, choisissait librement ses horaires et pouvait quitter en tout temps le lieu de travail. En revanche, il n’a pas coché les cases indiquant qu’il disposait d’un pouvoir de décision important (concernant notamment la structure, la marche des affaires et le développement d’une entreprise), pouvait engager et licencier du personnel, choisissait librement les marchandises et les fournisseurs, accédait aux comptes de l’entreprise et choisissait librement la durée et la période de ses vacances.

Était joint à sa demande un document intitulé « acte de nomination d’un gérant pour la succursale de la société », signé par E______ le 31 janvier 2023, selon lequel A______ était désigné en qualité de gérant de la succursale de la société à l’enseigne D______. Le gérant était nommé pour un mandat d’une durée indéterminée et disposait du pouvoir de représenter la société pour toutes les actions qui impliquaient le commerce. A______ déclarait accepter la fonction de gérant et y consacrer tout le temps nécessaire.

b. Le 28 mars 2023, le PCTN a constaté que A______ n’avait pas la qualité de « fonction dirigeante élevée » au sein du commerce.

Il ressortait du RC qu’il ne disposait que d’une signature collective à deux sans aucune inscription d’une fonction au sein de la succursale. Il en résultait qu’il n’avait pas le pouvoir d’engager seul la succursale et de prendre seul les décisions relatives au commerce concerné. Par ailleurs, bien qu’il ait coché sur la déclaration de fonction dirigeante élevée qu’il assurait un risque économique en cas de déficit d’exploitation, choisissait librement ses horaires et pouvait quitter en tout temps le lieu de travail, il était constaté qu’il n’avait pas coché celles relatives à son pouvoir de décision, au pouvoir d’engager et de licencier du personnel, au choix des marchandises et des fournisseurs, à son accès aux comptes de l’entreprise et au choix de la durée et de la période de ses vacances.

Il n’était donc nullement démontré qu’il disposait d’un pouvoir de décision important ou qu’il était en mesure d’influencer fortement des décisions de portée majeure concernant notamment la structure, la marche des affaires et le développement du commerce.

C. a. Par acte du 17 avril 2023, A______ a recouru devant la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre cette décision, concluant à sa « reconsidération ».

Il avait la qualité de titulaire, associé et administrateur de la succursale. Disposant de la signature, il pouvait également l’engager dans tous les domaines.

b. Par réponse du 19 mai 2023, le PCTN a conclu au rejet du recours.

Le recourant, n’était pas inscrit en qualité de titulaire, associé et administrateur au sein du siège principal de la société C______ Sàrl, sise à Vevey, ni au sein de la succursale, sise à Genève. Dans la mesure où il ne disposait que d’une signature collective à deux, il n’avait pas le pouvoir d’engager seul la succursale.

Il ressortait du RC qu’E______ était l’associé gérant de la société principale C______ Sàrl. Il détenait 100 parts sociales de CHF 200.-, soit l’intégralité. Il bénéficiait également une signature individuelle et avait nommé le recourant en qualité de gérant pour la succursale. La fonction dirigeante élevée ne pouvait toutefois être retenue uniquement sur la base d’une désignation de fonction ou d’une position hiérarchique particulière au sein de l’entreprise. Une position de confiance, la compétence de signer au nom de l’employeur ou celle de donner des instructions pouvaient aussi être conférées à des travailleurs qui n’exerçaient pas de fonction dirigeante élevée.

c. Le recourant n’a pas répliqué dans le délai imparti à cet effet.

d. Sur quoi, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

2.             Le litige porte sur le point de savoir si c’est à bon droit que le PCTN a dénié au recourant la qualité de « fonction dirigeante élevée ».

2.1 Selon l'art. 61 al. 1 LPA, le recours peut être formé pour violation du droit, y compris l'excès et l'abus du pouvoir d'appréciation (let. a), ou pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (let. b). En revanche, les juridictions administratives n'ont pas compétence pour apprécier l'opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (art. 61 al. 2 LPA).

L'autorité commet un abus de son pouvoir d'appréciation tout en respectant les conditions et les limites légales, si elle ne se fonde pas sur des motifs sérieux et objectifs, se laisse guider par des éléments non pertinents ou étrangers au but des règles ou viole des principes généraux tels que l'interdiction de l'arbitraire et de l'inégalité de traitement, les principes de la bonne foi et de la proportionnalité (ATA/327/2018 du 10 avril 2018 et les références citées).

2.2 La loi fédérale sur le travail dans l’industrie, l’artisanat et le commerce (Loi sur le travail, LTr - RS 822.11) s’applique, sous réserve des art. 2 à 4, à toutes les entreprises publiques et privées. Aux termes de son art. 3 let. d, la LTr ne s’applique pas aux travailleurs qui exercent une fonction dirigeante élevée.

Selon l’art. 9 de l’ordonnance 1 relative à la loi sur le travail du 10 mai 2000 (OLT1 – RS 822.111), exerce une « fonction dirigeante élevée » quiconque dispose, de par sa position et sa responsabilité et eu égard à la taille de l'entreprise, d'un pouvoir de décision important, ou est en mesure d'influencer fortement des décisions de portée majeure concernant notamment la structure, la marche des affaires et le développement d'une entreprise ou d'une partie d'entreprise.

D'après la jurisprudence, cette notion doit être interprétée restrictivement (ATF 126 III 337 consid. 5a ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_745/2014 du 27 mars 2015 consid. 3.1 ; 4A_258/2010 du 23 août 2010 consid. 1; 4C.310/2002 du 14 février 2003 consid. 5.2; cf. aussi la Directive du SECO en vertu de l'art. 42, al. 1, de la loi sur le travail LTr s'adressant aux autorités d'exécution et concernant les contrôles de l'enregistrement de la durée du travail, Berne 2013, ch. 2 A).

Les affaires essentielles correspondent à celles qui sont de nature à influencer de façon durable la marche et la structure de l'entreprise dans son ensemble, ou du moins dans l'une de ses parties importantes (ATF 126 III 337 consid. 5b ; 98 Ib 344 consid. 2 p. 348 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_745/2014 du 27 mars 2015 consid. 3.1 ; 4C.310/2002 du 14 février 2003 consid. 5.2). Une position de confiance, la compétence de signer au nom de l'employeur ou celle de donner des instructions peuvent aussi être conférées à des travailleurs qui n'exercent pas de fonction dirigeante élevée aux termes de cette disposition ; par conséquent, les faits de ce genre ne constituent pas des critères décisifs (ATF 126 III 337 consid. 5b ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_745/2014 du 27 mars 2015 consid. 3.1 ; 4C.157/2005 du 25 octobre 2005 consid. 5.2 ; 4C.322/1996 du 4 juillet 1997 consid. 2b).

En tout état de cause, il faut trancher la question de cas en cas, sans égard ni au titre ni à la formation reçue par la personne concernée, mais d'après la nature réelle de la fonction et en tenant compte des dimensions de l'entreprise (ATF 126 III 337 consid. 5a et les références citées).

Dans un arrêt 2C_745/2014 portant sur la qualité de fonction dirigeante élevée d’un employé de tabac, le Tribunal fédéral a jugé que cette qualité impliquait une structure un tant soit peu complexe et hiérarchisée. L'employé exerçant une fonction dirigeante élevée devait ainsi se trouver au sommet de la hiérarchie et bénéficier d'une position privilégiée au sein du personnel de l'entreprise. Admettre le contraire conduirait immanquablement à des abus et, en définitive, à vider la loi de son sens, puisque cela permettrait à toutes les petites structures de contourner les prescriptions relatives au travail du dimanche et aux heures d'ouverture des magasins, en engageant un seul employé à qui elles confieraient toutes les responsabilités liées à l'exploitation de l'entreprise. Cette conclusion apparaissait au demeurant compatible avec la volonté du législateur d'appliquer les exceptions prévues par la LTr avec circonspection, position que la jurisprudence confirmait du reste régulièrement (arrêt 2C_745/2014 du 27 mars 2015 consid. 3.1).  

2.3 La loi sur les heures d’ouverture des magasins du 15 novembre 1968 (LHOM – I 1 05) s'applique à tous les magasins sis sur le territoire du canton de Genève (art. 1 LHOM). Les travailleurs exerçant une fonction dirigeante élevée au sens de l'art. 3 let. d LTr, visés par l'art. 4 let. b de la présente loi, sont tenus de s'annoncer au service (art. 30 al. 2 LHOM).

Selon l'art. 1 du règlement d'exécution de la loi sur les heures d'ouverture des magasins du 21 février 1969 (RHOM - I 1 05.01), les travailleurs exerçant une fonction dirigeante élevée sont tenus de s'annoncer au département compétent, et remplissent à cet effet une déclaration ad hoc sur le formulaire édicté par le PCTN, tout changement de situation susceptible de modifier l'une ou l'autre des informations ainsi transmises au service devant être immédiatement communiqué (al. 1) ; le PCTN peut en tout temps exiger la production d'autres documents justifiant la fonction dirigeante élevée (al. 2).

2.4 En l’occurrence, l’intimé a considéré que le recourant ne remplissait pas les conditions pour l’octroi du statut de fonction dirigeante élevée. Pour parvenir à cette conclusion, l’autorité a constaté qu’il ne disposait que d’une signature collective à deux sans aucune inscription d’une fonction au sein de la succursale, de sorte qu’il n’avait pas le pouvoir de l’engager seul et de prendre les décisions relatives au commerce concerné. Par ailleurs, il n’avait pas coché les cases relatives au pouvoir de décision, au pouvoir d’engager et de licencier du personnel, au choix des marchandises et des fournisseurs, à l’accès aux comptes de l’entreprise et au choix de la durée et de la période de ses vacances. Il n’était donc nullement démontré qu’il disposait d’un pouvoir de décision important ou qu’il était en mesure d’influencer fortement des décisions de portée majeure concernant notamment la structure, la marche des affaires et le développement du commerce.

Ce raisonnement doit être suivi. Il n’est en effet pas contesté que le recourant exerce son activité dans le cadre d’une petite structure qui, hormis lui-même, compte un seul autre employé. Or, le Tribunal fédéral a eu l’occasion de juger que la position de l’employé qui se relaie avec un subordonné pour assurer l’exploitation d’un tabac ouvert 24 heures sur 24 ne correspondait pas à celle d’un travailleur exerçant une fonction dirigeante élevée. Cette position se justifie d’autant plus en l’occurrence que le recourant ne dispose que d’un pouvoir de signature collective à deux, de sorte qu’il ne peut représenter seul la succursale, ni accéder aux comptes de cette dernière. Ainsi qu’il l’a déclaré dans son formulaire du 7 février 2023, il ne peut pas non plus choisir librement les marchandises et les fournisseurs, engager et licencier du personnel et prendre les décisions importantes (concernant la structure, la marche des affaires et le développement de l’entreprise). Il ne peut dès lors pas gérer de manière indépendante les finances du magasin. Par ailleurs, et dans la mesure où le recourant a indiqué être rémunéré par un salaire mensuel fixe de CHF 3'768.-, on peut raisonnablement douter de son affirmation selon laquelle il assume un risque en cas de déficits. S’ajoute à cela que le recourant ne figure pas sur l’extrait du RC de la société principale, mais uniquement sur celui de la succursale, qui ne précise d’ailleurs pas sa fonction au sein de celle-ci. C’est donc bien l’associé gérant unique, avec signature individuelle, de la société mère qui est responsable de l’ensemble des engagements pris par la succursale.

Dans ces circonstances, c’est à juste titre que l’intimé a constaté que le recourant n’avait pas la qualité de fonction dirigeante élevée au sein du commerce.

Au vu de ce qui précède, le recours est rejeté.

3.             Un émolument de CHF 500.- sera mis à la charge du recourant (art. 87 al. 1 LPA). Vu l’issue du litige, aucune indemnité de procédure ne lui sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

* * * * *

 

 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 17 avril 2023 par A______ contre la décision du service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir du 28 mars 2023 ;

au fond :

le rejette ;

met à la charge de A______ un émolument de CHF 500.- ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à B______, mandataire du recourant ainsi qu'au service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir.

Siégeant : Eleanor McGREGOR , présidente, Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN et Valérie LAUBER, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

C. MEYER

 

 

la présidente siégeant :

 

 

E. McGREGOR

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :