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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/954/2023

ATA/969/2023 du 05.09.2023 sur JTAPI/676/2023 ( ICCIFD ) , ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/954/2023-ICCIFD ATA/969/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 5 septembre 2023

4ème section

 

dans la cause

 

A______ recourant
représenté par B______, mandataire

contre

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

et

ADMINISTRATION FÉDÉRALE DES CONTRIBUTIONS

intimées

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 19 juin 2023 (JTAPI/676/2023)


EN FAIT

A. a. B______ (ci-après : B______) est désigné depuis en tout cas 2015 comme représentante de A______, contribuable à Genève, dans ses déclarations fiscales.

b. Le 1er novembre 2022, l’administration fiscale cantonale (ci-après : AFC‑GE) a notifié à B______ des bordereaux de rappel d’impôts et d’amende relatifs à l’impôt cantonal et communal (ICC) et l’impôt fédéral direct (IFD) pour les années fiscales 2015 à 2018 concernant A______.

c. À la suite de la réclamation formée par B______, l’AFC-GE a maintenu sa position par décision du 15 février 2023. Cette décision a été notifiée à B______. Celle-ci avait produit, avec la réclamation, une procuration du contribuable, signée le 18 novembre 2022, l’autorisant à agir pour le contribuable dans le cadre de la procédure de rappel d’impôts pour les périodes fiscales 2015 à 2018.

d. Par acte du 16 mars 2023, A______, représenté par B______, a recouru devant le Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) contre la décision du 15 février 2023. Il a conclu à pouvoir compléter son recours et à ce que les bordereaux précités soient annulés.

e. Par courrier recommandé du 20 mars 2023, le TAPI lui a imparti un délai échéant le 30 mars suivant pour transmettre une procuration en faveur de B______ ainsi qu’un délai au 11 avril 2023 pour compléter la motivation.

f. Aucune suite n’ayant été donnée à cette invite, le TAPI l’a renouvelée par pli du 14 avril 2023, en impartissant un délai au 2 mai 2023 pour produire une procuration, sous peine d’irrecevabilité du recours.

g. Le 2 mai 2023, le contribuable, agissant par B______, a complété son recours. Il n’a cependant pas produit la procuration requise.

h. Le 25 mai 2023, le TAPI a imparti à l’AFC-GE un délai au 19 juin 2023 pour répondre au recours.

i. Le 19 juin 2023, celle-ci, faisant face à une surcharge momentanée de travail, a sollicité une prolongation du délai pour répondre.

j. Par jugement du 19 juin 2023, notifié le 22 juin 2023, le TAPI a déclaré le recours irrecevable, au motif que la procuration n’avait pas été produite. Il a mis un émolument réduit de CHF 250.- à la charge du contribuable.

B. a. Par acte expédié à la chambre administrative de la Cour de justice le 21 juillet 2023, A______, toujours représenté par B______, a recouru contre ce jugement. Il a conclu à l’annulation de celui-ci et au renvoi de la cause au TAPI afin qu’il examine son recours et rende une nouvelle décision.

Il ne contestait pas que son représentant avait omis de produire la procuration requise. Toutefois, le responsable du dossier auprès de la société avait eu un accident et été en incapacité de travail jusqu’au 18 avril 2023, comme cela ressortait des certificats médicaux qu’il produisait. Il avait payé l’avance de frais dans le délai imparti et complété son recours. Le fait de ne pas avoir annexé la procuration à ce complément relevait d’un oubli. Le TAPI ne semblait pas y avoir accordé beaucoup d’importance, dès lors qu’il avait, le 25 mai 2023, à savoir trois semaines après l’échéance pour produire la procuration, imparti un délai de réponse à l’AFC-GE. Lui-même avait, de ce fait, été conforté dans l’idée qu’il avait produit la procuration. La décision d’irrecevabilité, intervenue dans ce contexte, était contraire au principe de la bonne foi et consacrait un formalisme excessif.

b. L’AFC-GE s’en est remise à l’appréciation de la chambre administrative. Elle a relevé que si le recours devait être admis, les éventuels frais devaient être imputés au TAPI et non à elle.

c. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

2.             Est litigieuse la question de savoir si le TAPI pouvait déclarer irrecevable le recours, faute pour le recourant d’avoir produit la procuration sollicitée dans le délai.

2.1 Le formalisme excessif est un aspect particulier du déni de justice prohibé par l'art. 29 al. 1 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101). Il est réalisé lorsque la stricte application des règles de procédure ne se justifie par aucun intérêt digne de protection, devient une fin en soi, complique de manière insoutenable la réalisation du droit matériel ou entrave de manière inadmissible l'accès aux tribunaux (ATF 142 IV 299 consid. 1.3.2 ; 142 V 152 consid. 4.2 ; 132 I 249 consid. 5). En tant qu'elle sanctionne un comportement répréhensible de l'autorité dans ses relations avec le justiciable, l'interdiction du formalisme excessif poursuit le même but que le principe de la bonne foi consacré aux art. 5 al. 3 et 9 Cst. (ATF 125 I 166 consid. 3a ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_328/2014 du 8 mai 2014 consid. 4.1; 2C_373/2011 du 7 septembre 2011 consid. 6.1).

2.2 Valant pour l'ensemble de l'activité étatique, le principe de la bonne foi commande aux autorités comme aux particuliers de s'abstenir, dans les relations de droit public, de tout comportement contradictoire ou abusif (ATF 137 II 182 consid. 3.6.2 ; 136 I 254 consid. 5.2). Il découle de ce principe que le justiciable et les autorités judiciaires doivent se comporter réciproquement de manière loyale (ATF 131 II 627 consid. 6.1 ; 129 I 161 consid. 4 ; 129 II 361 consid. 7.1).

2.3 A moins que des règles spéciales (art. 109 ss LIFD ; s'agissant des féries : arrêt 2C_628/2010 du 28 juin 2011 consid. 3, non publié in ATF 137 II 353 mais in RDAF 2011 II 405 et les références) s'appliquent en matière d'IFD, cet impôt est soumis aux mêmes exigences procédurales que les impôts cantonaux et communaux, dans un souci d'harmonisation verticale (art. 129 al. 2 Cst. ; ATF 130 II 65 consid. 5.2). Les règles de procédure figurant dans le droit cantonal doivent, pour leur part, respecter le droit harmonisé (titre 5 de la LHID), étant précisé que les garanties fondamentales de procédure figurant dans la Constitution fédérale, notamment celles issues des principes de la bonne foi et de l'interdiction du formalisme excessif, régissent également le domaine fiscal et s'imposent de manière contraignante aux cantons (Walter RYSER/Bernhard ROLLI, Précis de droit fiscal suisse, impôts directs, 4e éd., 2002, p. 63 et 67 ; Peter ZWEIFEL/Hugo CASANOVA, Schweizerisches Steuerverfahrensrecht - Direkte Steuern, 2008, p. 7 s.).

2.4 La LIFD ne contient aucune règle concernant les conséquences d'un défaut de procuration écrite, de sorte que cette question est régie par le droit cantonal et les principes fondamentaux de procédure. Dans ces circonstances, il n'y a pas lieu de distinguer entre la solution adoptée en matière d'IFD et d'ICC, dès lors que les règles applicables sont identiques (arrêt du Tribunal fédéral 2C_55/2014 du 6 juin 2014 consid. 4.2 et les références citées).

2.5 Comme la LHID ne contient pas de règles régissant la représentation ni a fortiori la preuve de celle-ci, les cantons disposent en cette matière d’une autonomie législative, dans les limites de l'art. 117 LIFD, de l’interdiction de l'arbitraire et de la violation des règles fondamentales de procédure (ATF 134 II 207 consid. 2 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_55/2014 précité consid. 4.3 ; 2C_834/2012 du 19 avril 2013 consid. 2).

2.6 Selon les art. 117 al. 1 LIFD et 20 al. 1 de la loi de procédure fiscale du 4 octobre 2001 (LPFisc - D 3 17), le contribuable peut se faire représenter contractuellement devant les autorités chargées de l'application de la LIFD, dans la mesure où sa collaboration personnelle n'est pas nécessaire. Aux termes des art. 117 al. 2 LIFD et 20 al. 3 LPFisc, l’autorité peut exiger du représentant qu’il justifie de ses pouvoirs de représentation en produisant une procuration écrite. En matière d'impôt direct, le contribuable est présumé n'avoir octroyé aucun pouvoir de représentation. Cette présomption est cependant renversée lorsqu'il existe une procuration écrite ou que les autorités peuvent, de bonne foi, déduire des circonstances une volonté claire de la personne concernée de se faire représenter (arrêt du Tribunal fédéral 2C_872/2018 du 18 décembre 2018 consid. 2.2.3 et les références). Conformément à la pratique, une telle procuration est réputée avoir été valablement conférée lorsque le contribuable désigne textuellement un représentant sur sa déclaration d'impôt (arrêt du Tribunal fédéral 2C_872/2018 du 18 décembre 2018 consid. 2.2.4).

2.7 Les règles relatives à la production d'une procuration ne visent pas uniquement à protéger le justiciable ; elles ont également pour but de veiller à une bonne administration de la justice, à savoir éviter que les autorités judiciaires ne se saisissent inutilement d'un litige que les parties n'entendent pas lui soumettre (arrêts du Tribunal fédéral 5A_812/2011 du 21 janvier 2013 consid. 3.2; voir aussi, mutatis mutandis, 2C_373/2011 du 7 septembre 2011 consid. 6.2.2). Partant, une autorité de recours peut, en présence d'une procuration ancienne ou imprécise, exiger en tout temps un document actualisé si elle l'estime nécessaire, sans tomber dans le formalisme excessif (arrêts du Tribunal fédéral 2C_55/2014 précité consid. 5.3.3 ; 9C_793/2013 du 27 mars 2014 consid. 1.2 et les arrêts cités).

2.8 En l’espèce, il ressort du dossier que le recourant a indiqué sur ses déclarations fiscales, à tout le moins depuis 2015, que B______ le représentait dans ses relations avec l’autorité intimée. Les bordereaux de rappel d’impôts et d’amende querellés ont été notifiés à cette société. Le recourant a en sus, en novembre 2022, établi une procuration en faveur de cette société l’autorisant expressément à agir pour lui dans le cadre de la procédure de rappel d’impôts pour les périodes fiscales 2015 à 2018. Dans ces circonstances, la société était présumée disposer des pouvoirs nécessaires pour saisir le TAPI d’un recours au nom du contribuable.

Certes, celui-ci n’a pas donné suite à l’invite des premiers juges de produire à nouveau une procuration, élément dont il pourra être tenu compte dans la répartition des frais du présent recours. Toutefois, un tel document figurait au dossier. Il était récent et aucun élément ne permettait de considérer qu’il n’était pas valable ni, encore, que la mandataire aurait agi devant le TAPI sans l’accord de son client. À cela s’ajoute que les premiers juges, malgré l’absence de production de la procuration requise dans les délais impartis, ont poursuivi l’instruction de la procédure en fixant, trois semaines après l’échéance du délai imparti pour produire la procuration, un délai à l’AFC-GE pour répondre, créant ainsi l’impression que la question des pouvoirs de représentation de la mandataire ne posait plus problème.

En déclarant, dans ces circonstances, qui plus est le jour du délai de réponse imparti à l’autorité intimée, le recours irrecevable pour défaut de production de la procuration en faveur de la mandataire du recourant, le TAPI doit se laisser opposer le reproche d’avoir consacré un formalisme excessif et d’être contrevenu au principe de la bonne foi. Tant l’existence d’une procuration récente figurant au dossier que l’apparence créée selon laquelle le TAPI avait renoncé à faire dépendre la recevabilité du recours dont il était saisi de la production de la procuration conduisent à admettre que le jugement d’irrecevabilité consacre un formalisme excessif et contrevient au principe de la bonne foi.

Le recours sera ainsi admis, le jugement querellé annulé en ce qu’il prononce l’irrecevabilité du recours et la cause renvoyée au TAPI afin qu’il instruise le recours formé devant lui et statue à nouveau.

Le recourant supportera toutefois l’émolument de CHF 250.- mis à sa charge par le TAPI. En effet, la négligence de son mandataire, respectivement la sienne, commise en ne produisant pas la procuration, malgré deux invites du TAPI, a contribué au prononcé du jugement d’irrecevabilité. À cet égard, l’incapacité de travail de l’employé de la mandataire qui suivait le dossier n’empêchait nullement le recourant de produire lui-même le document, voire de demander une prolongation du délai pour le faire. Il se justifie donc de lui faire supporter l’émolument, au demeurant modeste, mis à sa charge par le TAPI.

3.             Vu l’issue du recours devant la chambre de céans, aucun émolument ne sera perçu et une indemnité de procédure de CHF 300.- sera allouée au recourant (art. 87 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 21 juillet 2023 par A______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 19 juin 2023 ;

au fond :

l’admet et annule ce jugement en tant qu’il déclare irrecevable le recours formé par A______ le 16 mars 2023 ;

renvoie la cause au Tribunal administratif de première instance pour instruction et nouvelle décision ;

confirme le jugement précité pour le surplus ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ;

alloue à A______ une indemnité de procédure de CHF 300.-, à la charge de l’État de Genève (PJ) ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à B______, mandataire du recourant, à l’administration fiscale cantonale, à l'administration fédérale des contributions ainsi qu'au Tribunal administratif de première instance.

Siégeant : Jean-Marc VERNIORY, président, Florence KRAUSKOPF, Eleanor McGREGOR, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

M. RODRIGUEZ ELLWANGER

 

 

le président siégeant :

 

 

J.-M. VERNIORY

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :