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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/476/2022

ATA/668/2023 du 20.06.2023 ( EXPLOI ) , IRRECEVABLE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/476/2022-EXPLOI ATA/668/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 20 juin 2023

1ère section

 

dans la cause

 

A______ recourante

contre

DÉPARTEMENT DE L'ÉCONOMIE ET DE L'EMPLOI intimé



EN FAIT

A. a. B______ Sàrl (ci-après : la société), dont le but social est le conseil pour les entreprises en ressources humaines, analyses et procédures, l’organisation d'activités sportives, notamment en vue du renforcement des relations entre collaborateurs (team building), avait pour administratrice A______.

b. Selon l’extrait du registre du commerce, par décision du 30 janvier 2018, la chambre civile de la Cour de justice (ci-après : la chambre civile) annulé le jugement déclaratif de faillite rendu le 7 décembre 2017, de sorte que la dissolution de la société était révoquée.

c. Par jugement du 30 septembre 2021, le Tribunal civil (ci-après : le TC) a prononcé la faillite de la société, avec effet le jour-même à 14h15.

d. Par décision du 26 octobre 2021, la chambre civile a accordé la suspension de l'effet exécutoire attaché au jugement de faillite du 30 septembre 2021 ainsi que la suspension des effets juridiques de l'ouverture de la faillite.

e. Par arrêt du 25 novembre 2021, la chambre civile a rejeté le recours contre le jugement du 30 septembre 2021 et a confirmé le jugement querellé, la faillite prenant effet le jour-même à 12 heures.

f. La procédure de faillite a été suspendue faute d'actifs par jugement du TC du 29 août 2022.

g. Par jugement du 31 octobre 2022, le TC a clôturé la procédure de faillite faute d’actifs.

h. L'inscription de la société au registre du commerce a été radiée d'office le 10 novembre 2022.

B. a. Le 10 novembre 2021, la société a formé réclamation, par l’intermédiaire de son associée-gérante, à l’encontre de la décision rendue le 4 novembre 2021 par le département de l’économie et de l’emploi (ci-après : DEE), relative à l’octroi d’une aide financière pour cas de rigueur. En cas d’octroi, la société pourrait s’acquitter d'une facture qui faisait l'objet d'une procédure judiciaire et ne serait plus en potentielle situation de liquidation. Elle avait été sévèrement touchée et n’avait pas pu se défendre correctement faute de moyens. Sans l’aide pour cas de rigueur, sa résistance à tous les challenges de l’année précédente aurait été inutile. Elle avait désormais trouvé des solutions pour un espace potentiel, une diversification de ses activités et avait amélioré son projet « conseil et nutrition healthy ».

b. Par décision sur réclamation du 10 janvier 2022, le DEE a constaté que la société était dissoute par voie de faillite par jugement du TC du 30 septembre 2021, la chambre civile ayant accordé le 26 octobre 2021 la suspension de l’effet exécutoire attaché au jugement de faillite ainsi que la suspension des effets juridiques de l’ouverture de la faillite, et confirmé par arrêt du 25 novembre 2021 le jugement de faillite. La société était en phase de liquidation depuis le 7 décembre 2021. La faillite était intervenue à l’issue d’une poursuite intentée en 2019, soit avant la survenance de la crise sanitaire et la société – fondée en 2016 - avait fait l’objet d’une première procédure de faillite en décembre 2017, révoquée en janvier 2018.

La société ne mentionnait pas sur réclamation les raisons pour lesquelles elle contestait les motifs d’inéligibilité ayant motivé la décision rendue le 4 novembre 2021, ni ne parvenait à fournir la preuve de sa rentabilité ou viabilité, de sorte que la décision était confirmée. La société ne pouvait prétendre à une extension de la période d’indemnisation au 31 mars 2022.

C. a. Par acte du 5 février 2022, envoyé tant au DEE qu’à la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative), A______, en tant que « managing director » de la société, a formé recours à l’encontre de la décision du 10 janvier 2022. Sa demande d’aide avait été formée car elle estimait que l’entreprise était en difficulté et non pas « pour constituer des réserves ». Il manquait CHF 4'000.- de liquidités pour solder un montant litigieux qui lui était réclamé, mais elle risquait de perdre la société pour cette raison, ne pas pouvoir payer ses prestataires de services ni d’assurer son service auprès de ses clients. N’étant pas employée de son entreprise, elle n’avait pas droit au chômage, à des indemnités RHT ou APG. Elle avait beaucoup travaillé pour maintenir la société, malgré un accident, trouver un autre local et adapter la stratégie de la société. La procédure de 2018 évoquée dans la décision avait trait à un paiement contesté, mais dont elle s’était acquittée pour mettre fin à la procédure. Elle était en discussion avec la créancière de CHF 4'000.- pour que son « statut ne soit plus en faillite ».

b. Le 1er mars 2022, le DEE a relevé que la société était en liquidation par suite de faillite prononcée le 25 novembre 2021. Le DEE demandait donc la suspension de la procédure en application de l’art. 78 let. c de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).

c. Par courrier du 17 mars 2022, A______ a maintenu son recours.

d. Le 29 mars 2022, la chambre administrative a invité le DEE à lui faire parvenir ses observations sur la problématique de notification de la décision du 10 janvier 2022, au sens de l’art. 47 LPA, compte tenu de l’éventuelle absence de qualité de partie de la société, telle que désignée dans la décision.

e. Le 1er avril 2022, le DEE a fait parvenir à l’office cantonal des faillites (ci-après : l’OF) copie de la décision sur réclamation rendue le 10 janvier 2022 et l’a informé que la société avait formé recours le 9 février 2022, devant la chambre administrative.

f. A______ a ensuite envoyé plusieurs courriers pour connaitre l’état d’avancement de la procédure, tant au DEE qu’à la chambre administrative, de même que pour requérir une aide pour cas de rigueur pour la période du 30 juin au 20 août 2022.

g. Le 22 août 2022, l’affaire a été gardée à juger.

h. Le 1er septembre 2022, le DEE a informé l’OF avoir expliqué à plusieurs reprises à A______ que toute entreprise en situation de faillite ou en liquidation était inéligible à l’indemnisation.

i. Le 22 septembre 2022, A______ a maintenu son recours, souhaitant trouver une solution pour que son entreprise ne soit plus en faillite.  

EN DROIT

1.             Le recours a été interjeté en temps utile devant la juridiction compétente et est recevable de ces points de vue (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a LPA).

2.             Autre est la question de la qualité pour recourir de la société, respectivement de son associée-gérante, la faillite de la société ayant été confirmée le 25 novembre 2021, avec effet dès 12 heures.

3.             3.1. À teneur de l'art. 197 de la loi fédérale sur la poursuite pour dettes et la faillite du 11 avril 1889 (LP - RS 281.1), tous les biens saisissables du failli au moment de l'ouverture de la faillite forment une seule masse, quel que soit le lieu où ils se trouvent, et sont affectés au paiement des créanciers (al. 1). Les biens qui échoient au failli jusqu'à la clôture de la faillite rentrent dans la masse (al. 2).

Dès que l'ouverture de la faillite lui a été communiquée, l'office des faillites est tenu de constituer la « masse active » (ou « masse ») et de porter tous les biens qui la composent à l'inventaire (art. 221 ss LP et 25 ss de l’Ordonnance
sur l’administration des offices de faillite du 13 juillet 1911 - OAOF). La masse active comprend tous les droits patrimoniaux saisissables du failli existant à l'ouverture de la faillite ou qui échoient au failli après cette date, quel que soit le lieu où ils se trouvent (en Suisse ou à l'étranger). Elle servira à désintéresser les créanciers (ROMY, in CR LP, 2005, n. 1 ad art. 197 LP).

Avec le prononcé de la faillite, le failli perd son droit de disposition sur les biens composant la masse active (art. 204 LP ; c'est le « dessaisissement » du failli, ce qui signifie que le pouvoir de disposer des biens de la masse passe à l'administration de la faillite). La masse active est soumise à une mainmise de droit public qui confère aux créanciers le droit d'être désintéressés, dans les limites fixées par la loi, sur le produit de réalisation de ces biens. La composition de la masse active est régie par les principes généraux énumérés à l'art. 197 LP. Ce régime est complété par les exceptions posées aux art. 198 à 203 LP, ainsi que par des dispositions de droit commun et de lois spéciales qui accordent à certains créanciers le droit de revendiquer des biens entrant sinon dans la masse active. Par ailleurs, la procédure à suivre pour constituer la masse et les compétences en la matière sont définies aux art. 221 ss LP. La masse active est constituée, gérée et réalisée par l'administration de la faillite, qui distribuera le produit de la réalisation aux créanciers (ROMY,
op. cit., n. 2 et 3 ad art 197 LP, n. 1 ad art. 204 LP).

3.2 Après que le mode de liquidation de la faillite a été déterminé et que l'ouverture de la faillite a été publiée (art. 232 LP), c'est l'administration qui est chargée des intérêts de la masse, qui pourvoit à sa liquidation et qui représente la masse en justice (art. 240 LP).

3.3 L'administration de la faillite est « l'organe propre de l'exécution par voie de faillite », auquel il incombe de mener la procédure de faillite jusqu'à son terme en respectant le cadre légal imposé par la LP (Nicolas JEANDIN/Philipp FISCHER, in CR LP, 2005 n. 1 ad art. 240 LP).

Les compétences de l'administration de la faillite, telles qu'énumérées dans la clause générale de l'art. 240 LP, se décomposent en deux faisceaux : la défense des intérêts de la masse et la liquidation de celle-ci. Le législateur ayant renoncé à définir les compétences de l'administration sous forme d'un catalogue, l'art. 240 LP doit être compris comme une norme-cadre qui autorise l'administration à prendre toute les mesures nécessaires pour sauvegarder les intérêts de la masse et pour procéder à la liquidation dans les meilleures conditions possibles, dans une mesure certes limitée par les prérogatives de l'assemblée des créanciers et, le cas échéant, de la commission de surveillance (Nicolas JEANDIN/Philipp FISCHER, op. cit., n. 5 et 7 ad art. 240 LP).

Le pouvoir donné à l'administration de la faillite de représenter la masse en justice (art. 240 2ème phrase LP) est la conséquence logique de la clause générale lui attribuant la tâche de sauvegarder les intérêts de la masse. Ce pouvoir de représentation légal en faveur de l'administration lui permet de faire valoir tous les droits du failli, sans qu'une procuration formelle soit nécessaire puisque l'administration tient ses pouvoirs de la loi. Le droit de représenter en justice comprend l'exercice de tous les droits attachés à la conduite d'un procès, à savoir notamment le retrait d'une demande en justice ou la conclusion d'une transaction. L'administration peut aussi représenter la masse devant les autorités administratives, les autorités pénales (par ex. constitution de la masse comme partie civile à l'encontre d'anciens organes de la société faillie) ou dans le cadre d'une procédure de plainte (par ex. pour se déterminer à l'égard d'une plainte d'un créancier) au sens des art. 17 et 239 LP. L'administration peut prendre toutes les mesures utiles à la mise en oeuvre de procédures judiciaires liées à la sauvegarde des intérêts de la masse, y compris le recours à un avocat et le paiement de ses honoraires au titre de dette de la masse (Nicolas JEANDIN/Philipp FISCHER, op. cit., n. 9 et 10 ad art. 240 LP).

C'est l'intérêt de la masse, c'est-à-dire l'intérêt des créanciers à obtenir le meilleur désintéressement possible, qui doit guider l'administration de la faillite dans tous ses choix, tant pour la gestion que pour la réalisation des actifs de la masse, dans les limites fixées par la loi (DCSO/600/2004 du 16 décembre 2004 consid. 3.a ; Nicolas JEANDIN/Philipp FISCHER, op. cit., n. 4 ad art. 240 LP).

Cette norme directrice de l'action de l'administration se trouve exprimée notamment à l'art. 240 LP, aux termes duquel l'administration « est chargée des intérêts de la masse », à l'art. 231 al. 3 ch. 2 LP, selon lequel l'office des faillites procède à la réalisation des biens du failli « au mieux des intérêts des créanciers » à l'expiration du délai de production en procédure sommaire, ainsi qu'à l'art. 256 al. 1 LP, qui laisse les créanciers choisir le mode des enchères publiques ou de la vente de gré à gré selon ce qu'ils « jugent préférable ». Elle vaut plus largement pour l'application des dispositions conférant à l'administration de la masse un pouvoir d'appréciation, comme pour la continuation d'un commerce ou l'ouverture d'un magasin du failli (art. 223 al. 1, art. 238 al. 1 LP), ou une latitude d'interprétation, par exemple de la notion de biens sujets à dépréciation rapide (art. 243 al. 2 LP) (DCSO/600/2004 précitée consid. 3.b et les références citées).

3.4 La société anonyme, dont les dispositions légales s’appliquent par analogie à la Sàrl, ne perd pas sa personnalité juridique avec l'ouverture de la procédure de faillite ; son existence juridique ne cesse que lorsque - à l'issue de la liquidation (art. 746 CO) - la société est radiée du registre du commerce. Toutefois, avec l'ouverture de la faillite, la société entre immédiatement en phase de liquidation (art. 736 ch. 3 CO). La liquidation se fait par l'administration de la masse, en conformité avec les règles de la faillite. Les organes de la société ne conservent le pouvoir de la représenter que dans la mesure où - toujours en vue de la liquidation - leur intervention est encore nécessaire (art. 739 al. 2 et art. 740
al. 5 CO ; ATF 117 III 39 consid. 3b, JdT 1994 II 12). Il s’agit principalement de tâches liées à l’organisation et à la structure de la société (Françoix RAYROUX, in CR CO, n. 8 ad art. 739 CO)

3.5 En l’espèce, la société a été déclarée en faillite le 25 novembre 2021, avec effet dès 12 heures, et était en liquidation au moment du prononcé de la décision litigieuse le 10 janvier 2022.

La question d’un recours à l’encontre de la décision sur réclamation du 10 janvier 2022 ne ressort pas des mesures nécessaires à la liquidation de la société, spécifiquement de tâches liées à l’organisation et à la structure de la société. Au contraire, le dépôt d’un recours tendait à obtenir une aide financière extraordinaire, soit une créance à laquelle la société prétendait, susceptible d’augmenter son actif.

Cette compétence revenait donc exclusivement à l’administration de la faillite, en l’occurrence l’OF, et ne rentrait pas dans les compétences résiduelles et extrêmement restreintes des organes de la société, soit son associée-gérante.

Pour le surplus, même si la décision dont est recours a été notifiée par erreur dans un premier temps à l’adresse de la société, au lieu de celle de l’OF puisqu’elle était en liquidation, elle l’a ensuite été valablement, l’attention de l’OF ayant été spécifiquement attirée sur le fait que l’associée-gérante avait déposé un recours à son encontre auprès de la chambre administrative. Force est de constater que l’administration de la faillite n’a pas souhaité déposer un recours contre cette décision.

À cela s’ajoute que la recourante a, selon toute vraisemblance, fait état de ce recours au juge de la faillite, avant qu’il ne rende son jugement de suspension de la faillite faute d’actifs le 29 août 2022 puis de clôture de la faillite faute d’actifs. Ce dernier n’a pas retenu cet élément comme justifiant une autre issue que celle qu’il a prononcée.

4.             À titre superfétatoire, la société ayant été radiée du registre du commerce, le recours est devenu sans objet et devrait être radié du rôle (ATF 142 I 135 consid. 1.3.1).

5.             Vu la nature du litige, aucun émolument ne sera perçu (art. 87 al. 1 LPA). Vu son issue, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

déclare irrecevable le recours interjeté le 5 février 2022 par A______ contre la décision du département de l'économie et de l'emploi du 10 janvier 2022 ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument, ni alloué d’indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à A______, au département de l'économie et de l'emploi, ainsi qu’à l’office des faillites.

Siégeant : Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, présidente, Valérie LAUBER et Fabienne MICHON RIEBEN, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

C. MARINHEIRO

 

la présidente siégeant :

 

 

F. PAYOT ZEN-RUFFINEN

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :