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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1786/2022

ATA/547/2023 du 25.05.2023 ( EXPLOI ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1786/2022-EXPLOI ATA/547/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 25 mai 2023

2ème section

 

dans la cause

 

A______ recourante
représentée par Me Mathieu SIMONA, avocat

contre

DIRECTION GÉNÉRALE DU DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE, DE LA RECHERCHE ET DE L'INNOVATION intimée
représentée par Me Gabriel AUBERT, avocat

 



EN FAIT

A. a. A______ (ci-après : A______), auparavant B______(ci-après : B______), est une société anonyme inscrite au registre du commerce (ci-après : RC) du canton de Genève depuis le 21 janvier 2003. Elle a pour but statutaire l'importation et le commerce en gros de denrées alimentaires.

b. A______ est l'une des sociétés du groupe C______, avec D______ à Genève, E______ à F______ (Berne) et G______ à Zurich.

c. Par décision sur réclamation du 22 juin 2021, l'État de Genève a alloué une aide financière de CHF 750'000.- à A______.

B. a. Le 25 octobre 2021, A______ a présenté une deuxième demande d'aide financière pour cas de rigueur.

À la question : « Cette demande concerne-t-elle un établissement ou un secteur d'activité au sein de l'entreprise identifiable par une comptabilité séparée par activité (comptabilité analytique) ? », elle a répondu « Non ».

Le chiffre d'affaires annoncé pour l'exercice 2018 s'élevait à CHF 46'918'456.-, contre CHF 48'122'557.- pour 2019 et CHF 33'040'261.- en 2020. En réponse à une question contenue dans le formulaire, elle souhaitait que le chiffre d'affaires pris en compte soit celui des douze derniers mois précédant la demande, soit CHF 28'391'796.- entre le 1er mars 2020 et le 28 février 2021.

b. Par courriel du 23 novembre 2021, le département de l'économie et de l'emploi (ci-après : DEE) a demandé à A______ divers documents complémentaires, demande à laquelle A______ a répondu par courriels du 2 décembre 2021.

c. Par décision du 23 décembre 2021, le DEE a rejeté la demande d'aide à fonds perdu.

Il ressortait de l'analyse des documents qui lui avaient été transmis que A______ ne satisfaisait pas aux conditions requises pour bénéficier d'une indemnisation complémentaire. En effet, considérant des chiffres d'affaires 2018 et 2019 de respectivement CHF 48'144'035.- et CHF 49'708'496.- et un chiffre d'affaires pour les mois de mars 2020 à février 2021 de CHF 32'460'000.-, il apparaissait que le recul du chiffre d'affaires n'était pas d'au moins 40% par rapport au chiffre d'affaires moyen des exercices 2018 et 2019.

C. a. Par acte du 27 janvier 2022, A______ a formé réclamation auprès du DEE contre la décision précitée, concluant à la « révision » de la décision précitée et à l'octroi de l'aide sollicitée, soit au minimum CHF 1'626'880.- correspondant à 8% de la diminution du chiffre d'affaires subie en raison de la situation sanitaire.

Les entreprises dont les domaines d'activité étaient clairement délimités au moyen d'une comptabilité par secteur pouvaient demander que le respect des exigences réglementaires soit vérifié séparément par secteur.

Une des activités de la société consistait – à compter de novembre 2020 – en l'achat, la préparation et l'envoi de commandes de marchandises pour le compte de E______ SA (ci-après : E______), autre société du groupe en Suisse, dont la maison mère était C______ SA (ci-après : C______). Il ne s'agissait pas d'une activité proprement nouvelle pour le Groupe C______, mais d'un transfert d'activité entre deux sociétés du groupe. En effet, à la suite d'une restructuration de ce dernier, il avait été décidé de centraliser certaines activités auprès de B______.

Depuis cette réorganisation, l'intégralité des achats et de la préparation des commandes était opérée par B______. Ces commandes étaient ensuite acheminées sur le site de E______ à F______, laquelle assurait la prise en charge des livraisons à ses clients ainsi que la facturation des marchandises et du service rendu (achat, préparation de commande et livraison) aux clients finaux.

Cette activité était par conséquent considérée doublement, puisqu'elle était comptabilisée dans le chiffre d'affaires de B______ pour les services rendus à E______ et aussi dans le chiffre d'affaires de E______, laquelle adressait ensuite la facturation finale à ses clients. Cette activité intragroupe constituait un secteur distinct des autres activités de la société, et faisait l'objet d'une comptabilité distincte, qui était jointe à la réclamation. Si l'on isolait le chiffre d'affaires de A______ en mettant à part cette activité intragroupe, le retrait du chiffre d'affaires était de – 40.33%, comme indiqué et documenté.

b. Par décision du 28 avril 2022, le DEE, soit pour lui la direction générale du développement économique, de la recherche et de l'innovation (ci-après : DG-DERI), a rejeté la réclamation.

Elle se devait de prendre en compte tous les produits et charges (hors impôts et taxes) enregistrés au compte de pertes et profits durant les périodes comptables évaluées, indépendamment de leur nature stratégique, pour déterminer le montant de charges non couvertes par les produits comptabilisés (résultat d'exploitation avant impôts) et, in fine, le taux de perte en référence à la moyenne pluriannuelle des années 2018 et 2019.

Par conséquent, les produits liés à ce transfert d'activités au sens fiscal, directement ou indirectement liés à l'exploitation de A______, étaient à considérer au même titre que les autres revenus, car imposables, et ne pouvaient donc pas être retranchés de l'analyse comptable.

Par ailleurs, il était effectivement possible pour la société de mentionner dans sa demande une vérification par secteur d'activité, dans la mesure où elle disposait préalablement d'une comptabilité analytique. Ce choix aurait permis à la société de mettre en exergue la perte subie par un secteur particulier et ainsi d'évaluer le recul du chiffre d'affaires pour le secteur concerné. La société avait toutefois, dans sa demande, répondu à cette question par la négative.

Le transfert de certaines activités de E______ au sein de B______, induit par la restructuration interne du groupe, constituait un choix stratégique de l'entreprise dont la prise en compte pour l'indemnisation n'avait pas été prévue par le législateur. Il ne s'agissait pas d'une lacune à combler, mais bien d'un silence qualifié du législateur.

D. a. Par acte posté le 30 mai 2022, A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la décision sur réclamation précitée, concluant à son annulation, à l'octroi de l'aide sollicitée, soit au minimum CHF 1'626'880.- correspondant à 8% de la diminution du chiffre d'affaires subie en raison de la situation sanitaire, ainsi qu'à l'allocation d'une indemnité de procédure.

Ses comptes 2020 et 2021 affichaient un chiffre d'affaires légèrement supérieur en raison de la restructuration intragroupe. Elle comptabilisait en effet depuis cette dernière dans ses propres comptes un revenu supplémentaire payé par sa société sœur E______ en contrepartie de l'achat, de la préparation et de l'envoi des commandes de marchandises que E______ livrait à ses clients. À l'échelle du groupe, rien ne changeait. Ce revenu supplémentaire n'était pas la conséquence de commandes supplémentaires ni d'améliorations conjoncturelles. Cela était également vrai pour E______, dont les commandes restaient enregistrées dans son propre chiffre d'affaires même quand elles avaient été traitées par A______.

Ce revenu supplémentaire pouvait être isolé et représentait : CHF 585'351.- en novembre 2020, CHF 729'041.- en décembre 2020, CHF 466'029.- en janvier 2022 et CHF 532'922.- en février 2022. L'intégration ou non de ce revenu supplémentaire dans le chiffre d'affaires faisait passer le taux de perte au-dessus ou au-dessous de la barre des 40%.

Elle avait donné dans sa demande les chiffres corrigés, en précisant la raison de la différence avec les comptes fournis.

Les textes législatifs ne donnaient pas de définition de la notion de « chiffre d'affaires ». D'un point de vue systématique, il découlait de l'ensemble de la réglementation que la condition du recul du chiffre d'affaires de l'entreprise requérante devait être examinée au regard de la situation financière globale de celle-ci. Une disposition fédérale parlait de « compte individuel » de l'entreprise, et une disposition cantonale de prise en compte de l'« activité réelle de l'entreprise ». Le Conseil fédéral avait précisé à propos du « compte individuel » que si, dans le cadre d'une structure de groupe, une aide pour cas de rigueur avait été accordée à plus d'une reprise par un ou plusieurs cantons pour le même chiffre d'affaires, elle ne pouvait être décomptée plus d'une fois à l'égard de la Confédération.

Téléologiquement, la condition du recul du chiffre d'affaires devait être interprétée en tenant compte de tous les éléments liés à la situation patrimoniale et la dotation en capital globales de l'entreprise requérante.

La DG-DERI avait en outre mal appliqué la disposition permettant la vérification individualisée par secteur, d'une manière qui débouchait sur un arbitraire doublé d'un formalisme excessif.

b. Le 3 août 2022, le DEE a conclu au rejet du recours.

A______ avait demandé une aide pour elle-même, si bien que les conditions d'éligibilité devaient s'examiner sur la base de ses comptes audités et non de ceux de son groupe. On ignorait pourquoi il avait été décidé de transférer certaines activités de E______ à A______. Quoi qu'il en fût, il s'agissait de deux entités juridiques distinctes. Les revenus intragroupes étaient du reste imposables au même titre que les revenus hors groupe.

Le chiffre d'affaires concerné s'inscrivait dans le but statutaire de l'entreprise, à savoir le commerce en gros de denrées alimentaires, puisqu'elle achetait des marchandises alimentaires, les préparait puis les livrait, tout cela contre un revenu. Ce dernier devait être déclaré en tant que chiffre d'affaires sous l'angle de la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après : TVA). Il s'agissait donc d'un chiffre d'affaires qui n'était nullement artificiel.

La société avait répondu « non » à la question de savoir si les conditions d'éligibilité devaient être vérifiées pour chaque secteur. De plus, pour pouvoir bénéficier d'une telle analyse différenciée, il fallait que les activités fussent distinctes. Or, A______ ne prouvait nullement que son activité pour sa société sœur était différente de celle fournie pour d'autres clients. Les notions de « client » et d'« activité distincte » ne devaient pas être confondues. Enfin, une comptabilité séparée n'avait pas été produite, la société se contentant de distinguer, dans son chiffre d'affaires, une récapitulation des factures adressées à E______.

La situation patrimoniale globale de la société n'était pas la situation patrimoniale globale du groupe. Quant à la citation du Conseil fédéral, elle visait à éviter que des aides soient fournies à double, alors qu'il n'était en l'occurrence pas allégué que tel fût le cas.

c. Le 9 septembre 2022, A______ a persisté dans ses conclusions.

Elle n'ignorait pas constituer une entité distincte des autres sociétés du groupe, mais insistait sur la nécessité de prendre en compte les spécificités intragroupes la concernant. Elle réitérait l'argument selon lequel le fait de s'arrêter à un élément formel, soit la case cochée dans la demande initiale, était constitutif d'un formalisme excessif.

Elle opérait bel et bien dans des secteurs distincts du fait qu'elle déployait la majeure partie de son activité pour sa clientèle propre et, sur décision de sa société mère, une certaine partie de ses opérations pour une société sœur qui n'était pas sa cliente. L'absence de comptabilité analytique n'était pas retenue comme un argument dans la décision attaquée.

d. Sur ce, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10 ; art. 19 al. 2 de la loi relative aux aides financières extraordinaires de l’État destinées aux entreprises particulièrement touchées par la crise économique ou directement par les mesures de lutte contre l’épidémie de coronavirus, pour l’année 2021 [12938] du 30 avril 2021 [ROLG 2021, p. 264] ; ci-après : loi 12938).

2.             L’objet du litige porte sur la conformité au droit de la décision de l’intimée du 28 avril 2022, confirmant le refus prononcé le 23 décembre 2021 d’octroyer à la recourante l’aide financière pour cas de rigueur qu’elle avait sollicitée le 25 octobre 2021. Il n’est pas contesté que la recourante a réalisé des chiffres d’affaires supérieurs à CHF 5'000'000.-.

3.             La recourante soutient que son taux de perte est supérieur à 40%.

3.1 Le 25 septembre 2020, l’Assemblée fédérale a adopté la loi fédérale sur les bases légales des ordonnances du Conseil fédéral visant à surmonter l’épidémie de Covid-19 (loi Covid-19 - RS 818.102).

L’art. 12 de la loi Covid-19, dans sa teneur du 2 septembre 2021 applicable au cas d’espèce, prévoit les mesures pour les cas de rigueur destinées aux entreprises. À la demande d’un ou de plusieurs cantons, la Confédération peut soutenir les mesures de ces cantons pour les cas de rigueur destinées aux entreprises individuelles, aux sociétés de personnes ou aux personnes morales ayant leur siège en Suisse (entreprises) qui ont été créées ou ont commencé leur activité commerciale avant le 1er octobre 2020, avaient leur siège dans le canton le 1er octobre 2020, sont particulièrement touchées par les conséquences de l’épidémie de COVID-19 en raison de la nature même de leur activité économique et constituent un cas de rigueur, en particulier les entreprises actives dans la chaîne de création de valeur du secteur événementiel, les forains, les prestataires du secteur des voyages, de la restauration et de l’hôtellerie ainsi que les entreprises touristiques (al. 1).  Il y a cas de rigueur au sens de l’al. 1 si le chiffre d’affaires annuel de l’entreprise est inférieur à 60% de la moyenne pluriannuelle. La situation patrimoniale et la dotation en capital globales doivent être prises en considération, ainsi que la part des coûts fixes non couverts (al. 1bis).

L’art 12 al. 1quinquies de la loi Covid-19 dispose que le Conseil fédéral édicte des dispositions particulières concernant les mesures pour les cas de rigueur destinées aux entreprises qui réalisent un chiffre d’affaires annuel de plus de CHF 5'000'000.- en ce qui concerne : les justificatifs à demander (let. a) ; le calcul des contributions ; la contribution doit être fondée sur les coûts non couverts liés au recul du chiffre d’affaires (let. b) ; les plafonds applicables aux contributions ; le Conseil fédéral prévoit des montants maximaux plus élevés pour les entreprises affichant un recul de leur chiffre d’affaires de plus de 70 % (let. c) ; les prestations propres que les propriétaires des entreprises doivent fournir si le montant dépasse 5 millions de francs ; les prestations propres qui ont été fournies depuis le 1er mars 2020 ainsi que l’al. 1bis sont pris en considération lors du calcul des prestations propres (let. d) ; le règlement des prêts, cautionnements ou garanties (let. e).

Le soutien des mesures cantonales destinées aux entreprises réalisant un chiffre d’affaires annuel de CHF 5'000'000.- au plus est accordé à condition que les exigences minimales de la Confédération soient respectées. En ce qui concerne les entreprises réalisant un chiffre d’affaires annuel de plus de CHF 5'000'000.-, les conditions d’éligibilité prévues par le droit fédéral doivent être respectées de manière inchangée dans tous les cantons ; sont réservées les mesures cantonales supplémentaires pour les cas de rigueur qu’un canton finance entièrement lui-même (art. 12 al. 1sexies de la loi Covid-19).

Selon l'art. 12 al. 2ter de la loi Covid-19, si les activités d’une entreprise sont clairement délimitées, différentes aides doivent pouvoir être versées, pour autant que ces aides ne se recoupent pas.

L’art. 12 al. 4 de la loi Covid-19 prévoit que le Conseil fédéral règle les détails dans une ordonnance ; il prend en considération les entreprises qui ont réalisé en moyenne un chiffre d’affaires de CHF 50'000.- au moins au cours des années 2018 et 2019.

3.2 Le 25 novembre 2020, le Conseil fédéral a adopté l’ordonnance Covid-19 cas de rigueur. Dans sa version du 1er octobre 2021, applicable en l’occurrence, son art. 2 prévoyait que les entreprises éligibles avaient la forme juridique d’une entreprise individuelle, d’une société de personnes ou d’une personne morale ayant son siège en Suisse (al. 1), et devaient avoir un numéro d'identification des entreprises (IDE ; al. 2).

Selon l'art. 2a de l'ordonnance Covid-19 cas de rigueur, les entreprises dont les domaines d’activité sont clairement délimités au moyen d’une comptabilité par secteur peuvent demander que le respect des exigences énoncées aux art. 3, al. 1, let. c, 4, al. 1, let. c, 5, 5a et 8 à 8c soit vérifié séparément pour chaque secteur.

L'art. 3 ordonnance Covid-19 cas de rigueur prévoyait que l’entreprise a fourni au canton les justificatifs suivants : elle s’est inscrite au registre du commerce avant le 1er octobre 2020, ou, à défaut d’inscription au registre du commerce, a été créée avant le 1er octobre 2020 (let. a) ; elle a réalisé pour les exercices 2018 et 2019 un chiffre d’affaires moyen d’au moins CHF 50'000.- (let. b) ; elle paie la plus grande partie de ses charges salariales en Suisse (let. c). Le chiffre d’affaires au sens de la présente ordonnance se réfère au compte individuel de l’entreprise requérante (al. 3). Il est précisé dans les commentaires (Administration fédérale des finances, Commentaires de l'ordonnance Covid-19 cas de rigueur, 18 juin 2021, p. 6) que « L’aide pour les cas de rigueur sert aux entreprises visées à l’art. 2. Elle concerne en principe également les sociétés mères d’un groupe. L’al. 3 dispose que, pour le calcul de l’aide pour les cas de rigueur, les cantons ne peuvent invoquer le chiffre d’affaires d’une société du groupe qu’à une seule reprise. Si, dans le cadre d’une structure de groupe, une aide pour les cas de rigueur a été accordée à plus d’une reprise par un ou plusieurs cantons pour le même chiffre d’affaires, elle ne peut pas être décomptée plus d’une fois à l’égard de la Confédération sur la base de ce chiffre d’affaires ».

À teneur de l’art. 5 de l’ordonnance Covid-19 cas de rigueur, l’entreprise a prouvé au canton que son chiffre d’affaires 2020 est inférieur à 60% du chiffre d’affaires moyen des exercices 2018 et 2019 en raison des mesures ordonnées par les autorités aux fins de la lutte contre l’épidémie de COVID-19 (al. 1).

L’art. 8b de l’ordonnance Covid-19 cas de rigueur prévoit, pour les entreprises dont le chiffre d’affaires est supérieur à CHF 5'000'000.-, que la contribution non remboursable est calculée en multipliant le recul du chiffre d’affaires visé à l’art. 5 avec une part de coûts fixes forfaitaires (al. 1). Les entreprises qui ont enregistré un recul du chiffre d’affaires pendant plus de 12 mois peuvent ajouter le recul du chiffre d’affaires pour les mois de janvier à juin 2021 si ceux-ci ne sont pas déjà pris en compte dans le calcul visé à l’art. 5 ; le recul du chiffre d’affaires est calculé par rapport au chiffre d’affaires moyen des périodes correspondantes pour les exercices 2018 et 2019 (al. 2). Selon l’al. 3, la part de coûts fixes forfaitaires est de : 8% pour les agences de voyage, les commerces de gros et les commerces de véhicules automobiles (let. a) ; 15% pour les commerces de détail (let. b) ; 25 % pour les autres entreprises (let. c). Les cantons peuvent fixer des parts de coûts fixes plus faibles s’ils constatent que les parts de coûts fixes forfaitaires visées à l’al. 3 occasionneraient une surindemnisation (al. 4). Une part uniforme de coûts fixes s’applique aux entreprises qui ont des activités dans plusieurs des domaines mentionnés à l’al. 3. Elle se fonde sur le domaine d’activité dans lequel la plus grande part du chiffre d’affaires annuel au sens de l’art. 3, al. 2, a été générée. Si une entreprise dépose une demande en vertu de l’art. 2a, la part de coûts fixes correspondant au secteur concerné s’applique (al. 5).

3.3 Au niveau cantonal, la loi 12938 est entrée en vigueur le 30 avril 2021. Elle a été modifiée par la loi 12991 du 2 juillet 2021. Les dispositions pertinentes à la résolution du cas d’espèce n’ont toutefois pas été modifiées à l’occasion de cette révision.

Selon l’art. 1 de la loi 12938, celle-ci a pour but de limiter les conséquences économiques de la lutte contre l'épidémie de coronavirus (Covid-19) pour les entreprises sises dans le canton de Genève conformément à la loi Covid-19 et à l'ordonnance (al. 1). Cette aide financière extraordinaire vise à atténuer les pertes subies par les entreprises dont les activités ont été interdites ou réduites en raison de la nature même de leurs activités, entre le 1er janvier 2021 et le 31 décembre 2021 (al. 2).

L’art. 2 de la loi 12938 prévoit que les aides financières prévues par cette loi consistent en une participation de l'État de Genève aux coûts fixes non couverts de certaines entreprises (al. 2 1ère phrase).

L’art. 3 de la loi 12938 traite des principes d’indemnisation. Selon l’al. 1, l'aide financière extraordinaire consiste en une participation à fonds perdu de l'État de Genève destinée à couvrir les coûts fixes non couverts de l'entreprise, en application des dispositions de l'ordonnance. Aux termes de l’al. 2, les coûts fixes considérés et les modalités de leur prise en compte dans le calcul du montant de la participation accordée par l’État sont précisés par voie réglementaire. L’al. 3 dispose que l’activité réelle de l’entreprise est prise en compte.

Peuvent prétendre à une aide les entreprises dont le chiffre d’affaires a subi une baisse substantielle selon les dispositions de l’ordonnance (art. 4 al. 1 let. b de la loi 12938).

Pour les entreprises dont le chiffre d’affaires moyen 2018-2019 est supérieur à CHF 5'000'000.- au sens de l’art. 8b al. 1 de l’ordonnance, l’indemnisation consiste en une participation à fonds perdu de l'État de Genève, entièrement compensée par la Confédération, aux coûts fixes non couverts en raison du recul du chiffre d'affaires durant l'exercice 2020, cas échéant 2021 pour les mois de janvier à juin, conformément aux dispositions de l'ordonnance (art. 12 al. 1 de la loi 12938). L’indemnité est calculée sur la base de parts de coûts fixes forfaitaires conformément aux modalités prévues à l'art. 8b de l'ordonnance (art. 12 al. 2 de la loi 12938).

À teneur de l’art. 15 de la loi 12938, l’aide financière est accordée sur demande du bénéficiaire potentiel ou de son mandataire (al. 1). La demande est adressée au département sur la base d’un formulaire spécifique, accompagné notamment de toutes les pièces utiles nécessaires au traitement de la demande (al. 2). La liste des pièces requises ainsi que les modalités de dépôt des demandes figurent dans le règlement d’application de la loi 12938 (al. 3). Sur la base des pièces justificatives fournies, le département constate si le bénéficiaire remplit les conditions d’octroi de l’aide financière, calcule le montant de celle-ci et procède au versement (al. 4).

3.4 Le règlement d'application de la loi 12938, du 5 mai 2021 (ROLG 2021, p. 283 ; ci-après : règlement) est entré en vigueur le 5 mai 2021. Il a été modifié le 7 juillet 2021 (ROLG 2021, p. 466). Les dispositions pertinentes à la résolution du cas d’espèce n’ont toutefois pas été modifiées à l’occasion de cette modification.

L’aide financière est à fonds perdu. Elle consiste en une participation de l’État de Genève destinée à contribuer aux coûts fixes non couverts de l’entreprise, aux conditions et limites posées par la loi (art. 4 al. 1 et 2 règlement).

Selon l’art. 19 al. 1 du règlement, applicable aux entreprises avec un chiffre d’affaires moyen 2018-2019 supérieur à CHF 5'000'000.-, peuvent prétendre à une aide financière celles qui démontrent que leur chiffre d’affaires, généré sur une période de 12 mois comprise entre le 1er janvier 2020 et le 30 juin 2021, est inférieur de 60 % du chiffre d’affaires moyen déterminé selon les modalités prévues par l’art. 3 de l’ordonnance.

À teneur de l’art. 20 du règlement, le montant de l'indemnité correspond au recul du chiffre d’affaires tel que prévu par l’article 5 de l’ordonnance COVID-19 cas de rigueur, multiplié par une part de coûts fixes forfaitaires déterminée selon le domaine d’activité (al. 1). Le recul du chiffres d’affaires peut être calculé sur une période maximale de 18 mois comprise entre le 1er janvier 2020 et le 30 juin 2021 (al. 2). Conformément à l'art. 8b al. 3 de l’ordonnance, la part de coûts fixes forfaitaires appliquée au recul du chiffre d’affaires est de : 8% pour les agences de voyage, les commerces de gros et les commerces de véhicules automobiles (let. a) ; 15% pour les commerces de détail (let. b) ; 25% pour les autres entreprises (let. c). Le département peut fixer une part de coûts fixes forfaitaires plus faible s’il constate que les taux visés à l’al. 3 occasionnent une surindemnisation (al. 4).

3.5 La notion de chiffre d’affaires n’est pas définie dans les différentes lois, ordonnance ou règlement mentionnés ci-dessus. Il en est certes question à l’art. 3 al. 3 de l’ordonnance Covid-19, lequel est rédigé en ces termes : « le chiffre d’affaires au sens de la présente ordonnance se réfère au compte individuel de l’entreprise requérante ». Mais, comme cela ressort du commentaire du 18 juin 2021 concernant l’ordonnance Covid-19 rédigé par l’administration fédérale des finances (p. 6), cette disposition vise à préciser les modalités de la prise en compte du chiffre d’affaires des sociétés mères d’un groupe, les cantons ne pouvant invoquer le chiffre d’affaires d’une société du groupe qu’à une seule reprise, et non à définir le chiffre d’affaires. La notion de chiffres d’affaires n’est pas non plus définie dans le message du Conseil fédéral du 12 août 2020 concernant la loi COVID-19 (FF 2020 6363). Elle ne ressort pas plus des commentaires que du PL 12938.

L’art. 1 al. 1 de la loi COVID-19 dispose que celle-ci règle des compétences du Conseil fédéral visant à lutter contre l’épidémie de COVID-19 et à surmonter les conséquences des mesures de lutte notamment sur l’économie. L’art. 12 de la loi COVID-19 mentionné plus haut se réfère aux entreprises particulièrement touchées par les conséquences de l’épidémie. Quant à l’ordonnance COVID-19 cas de rigueur, son art. 1 dispose que la Confédération participe aux coûts et aux pertes que les mesures pour les cas de rigueur destinées aux entreprises occasionnent à un canton. L’art. 1 de loi 12938 précise pour sa part que cette loi a pour but de limiter les conséquences de la lutte contre l’épidémie pour les entreprises sises à Genève. Ces dispositions limitent ainsi l’intervention des autorités aux conséquences des mesures adoptées pour lutter contre l’épidémie et non aux conséquences d’autres éléments qui pourraient affecter la marche des affaires d’une entreprise. Ce qui précède va dès lors dans le sens de la position défendue par l’intimée, selon laquelle notamment, les aides pour cas de rigueur n’avaient pas pour but de combler des lacunes résultant de débiteurs insolvables d’avant la pandémie.

Sur le portail PME pour petites et moyennes entreprises, sous la rubrique « Glossar » (www.kmu.admin.ch/kmu/fr/home/glossar/chiffre-d-affaires-.html), le secrétariat d'État à l'économie (ci-après : SECO) définit le chiffre d’affaires comme la somme des ventes de biens ou de services d’une entreprise au cours d’un exercice comptable.

L’art. 10 al. 2bis de la loi fédérale régissant la taxe sur la valeur ajoutée du 12 juin 2009 (loi sur la TVA, LTVA - RS 641.20) va dans le même sens, cette disposition prévoyant que le chiffre d’affaires se calcul sur la base des contre-prestations convenues (hors impôt). La contre-prestation est définie comme la valeur patrimoniale que le destinataire, ou un tiers à sa place, remet en contrepartie d’une prestation (art. 3 let. f). On peut également mentionner que le droit fiscal suisse ne connaît sauf exception pas de régime spécial pour les groupes de société, si bien que les opérations entre sociétés d'un même groupe doivent intervenir comme si elles étaient effectuées avec des tiers dans un environnement de libre concurrence (ATF 140 II 88 consid. 4.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_181/2020 du 10 août 2020 consid. 5.2).

3.6 Le formalisme excessif, prohibé par l’art. 29 al. 1 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), est réalisé lorsque la stricte application des règles de procédure ne se justifie par aucun intérêt digne de protection, devient une fin en soi, complique de manière insoutenable la réalisation du droit matériel ou entrave de manière inadmissible l'accès aux tribunaux (ATF 135 I 6 consid. 2.1 ; 134 II 244 consid. 2.4.2).

3.7 Selon l’art. 5 al. 3 Cst., les organes de l’État et les particuliers doivent agir de manière conforme aux règles de la bonne foi. Selon l’art. 9 Cst., toute personne a le droit d’être traitée par les organes de l’État sans arbitraire et conformément aux règles de la bonne foi. Le principe de la bonne foi comprend notamment l’interdiction des comportements contradictoires (ATF 143 IV 117 consid. 3.2 ; 136 I 254 consid. 5.2).

3.8 En l'espèce, le chiffre d'affaires de la recourante pour les années 2018 et 2019 ne fait pas débat. La recourante a par ailleurs demandé, dans la requête, que le chiffre d'affaires comparé à ces deux années soit celui allant de mars 2020 à février 2021. Il ressort des comptes fournis par la recourante que son chiffre d'affaires total pour cette période s'élève à CHF 32'404'632.-, tandis que la recourante soutient que c'est un chiffre d'affaires inférieur, s'élevant à CHF 30'093'289.- et ne tenant pas compte des montants reçus de sa société sœur E______, qui doit être pris en compte.

Cela étant, les calculs de la recourante se fondent sur une prémisse erronée. En effet, elle aboutit à un recul du chiffre d'affaires supérieur à 40% non seulement en se fondant sur un chiffre d'affaires de mars 2020 à février 2021 pour l'année 2020 – comme elle l'avait demandé dans sa requête, sur la base de l'hypothèse prévue par l'art. 19 al. 1 du règlement – de CHF 30'093'289.-, mais en comparant ce dernier montant non pas à la moyenne des chiffres d'affaire 2018 et 2019 (moyenne qui s'élève à CHF 48'926'265.50) mais à la moyenne des chiffres d'affaires des années mars 2018-février 2019 et mars 2019-février 2020 (moyenne qui s'élève à CHF 50'429'293.-). Or, contrairement à ce qui est prévu pour l'année où la perte est subie, il résulte des art. 19 al. 1 du règlement et 3 de l'ordonnance Covid-19 cas de rigueur que, pour une entreprise inscrite au RC depuis 2003 comme la recourante, la moyenne de référence est constituée par les chiffres d'affaires « des exercices 2018 et 2019 », ce qui correspond aux années civiles concernées et non à des périodes de douze mois commençant respectivement en mars 2018 et mars 2019. Il en résulte qu'en prenant la moyenne correcte des chiffres d'affaires 2018 et 2019, qui s'élève à CHF 48'926'265.50, on aboutit, même avec un chiffre d'affaires de CHF 30'093'289.- pour la période de mars 2020 à février 2021, à un taux de perte de 38.5% – donc inférieur aux 40% nécessaires pour obtenir une indemnisation.

Cet élément scelle à lui seul le sort du recours. Toutefois, à titre superfétatoire, il sera relevé que les arguments de la recourante ne permettent pas de soustraire du chiffre d'affaires de mars 2020 à février 2021 les montants reçus de E______. En effet, la recourante est une personne morale indépendante. Rien dans la réglementation des aides Covid pour cas de rigueur ne permet de retenir qu'il conviendrait de traiter dans ce cadre les groupes de société de manière spécifique. Le fait que les sociétés mères puissent éventuellement bénéficier d'une aide n'est d'aucun secours à la recourante, qui est une société fille et dont il n'est pas contesté qu'elle puisse obtenir une aide pour elle-même pourvu qu'elle en remplisse les conditions. Que l'ensemble de l'activité économique de la société soit pris en compte ne lui est non plus d'aucun secours, car cela n'a aucune influence sur le calcul de son chiffre d'affaires, qui est la somme de ses ventes de biens et de services. Il en va de même du commentaire du Conseil fédéral sur les éventuelles doubles prises en compte de chiffres d'affaires dans les groupes de société, d'une part car il ne ressort pas du dossier que E______ ait aussi été indemnisée, et d'autre part car la conséquence serait tout au plus un refus de remboursement d'un des deux cantons payeurs par la Confédération, sans que cela ait d'influence sur le sort de la recourante.

Quant à la possibilité prévue par l'art. 12 al. 2ter de la loi Covid-19 d'obtenir une aide séparée par secteur, la recourante ne démontre ni qu'elle dispose d'une comptabilité (analytique) par secteur, comme l'impose l'art. 2a de l'ordonnance Covid-19 cas de rigueur, ni que son activité pour E______ constitue un secteur d'activité différent de celui qui est le sien de manière générale. À ce dernier égard, E______ apparaît plutôt pour elle comme un client spécial, que sa société mère lui a demandé de servir, que comme génératrice d'une activité différente de celle qui est la sienne ordinairement, à savoir le commerce en gros de denrées alimentaires – lequel est du reste son unique but statutaire. S'agissant d'un prétendu formalisme excessif de l'intimé du fait que celui-ci a pris en compte la case cochée par la recourante dans sa demande, les considérations qui précèdent rendent ce grief sans portée, dès lors qu'il n'aurait pas pu en l'occurrence être donné suite à une telle demande.

Il découle de ce qui précède que le recours est mal fondé et doit être rejeté.

4.             Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 500.- sera mis à la charge de la société recourante (art. 87 al. 1 LPA), et il ne sera pas alloué d'indemnité de procédure (art. 87 al. 2 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 30 mai 2022 par A______ contre la décision sur réclamation de la direction générale du développement économique, de la recherche et de l'innovation du 28 avril 2022 ;

au fond :

le rejette ;

met à la charge de A______ SA un émolument de CHF 500.- ;

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Mathieu SIMONA, avocat du recourant, ainsi qu'à Me Gabriel AUBERT, avocat de la direction générale du développement économique, de la recherche et de l'innovation.

Siégeant : Claudio MASCOTTO, président, Florence KRAUSKOPF, Jean-Marc VERNIORY, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

S. CROCI TORTI

 

 

le président siégeant :

 

 

C. MASCOTTO

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :