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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/4261/2021

ATA/526/2023 du 23.05.2023 sur JTAPI/953/2022 ( PE ) , ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/4261/2021-PE ATA/526/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 23 mai 2023

1ère section

 

dans la cause

 

A______ recourant
représenté par Me Nicola MEIER, avocat

contre

DÉPARTEMENT DE LA SÉCURITÉ, DE LA POPULATION ET DE LA SANTÉ intimé

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 14 septembre 2022 (JTAPI/953/2022)


EN FAIT

A. a. A______, né le ______ 1990, ressortissant kosovar, est arrivé à Genève le 19 août 1992 avec ses parents. Il a bénéficié d’une autorisation de séjour dès le 7 août 1993 et d’établissement dès le 21 juillet 1999. Il est célibataire et sans enfant.

Ses parents ont divorcé en 2021. Son père est retourné vivre au Kosovo. A______, ses deux sœurs et son frère n’ont plus de contacts avec celui-là. La fratrie est au bénéfice de permis d’établissement, à l’instar de leur mère, à l’exception d’une des sœurs, devenue suissesse.

A______ n’est plus retourné dans son pays d’origine depuis 2013.

b. À compter de 2013, il a fait l’objet de nombreuses condamnations :

- le 5 avril 2013, par le Ministère public (ci-après : MP), à une peine pécuniaire de 30 jours-amende à CHF 30.- l'unité, sursis révoqué, pour vol ;

- le 24 janvier 2014, par le MP, à une peine pécuniaire de 30 jours-amende à CHF 70.- l'unité, pour vol ;

- le 26 mai 2014, par le MP, à une peine pécuniaire de 40 jours-amende à CHF 50.- l'unité, pour dommages à la propriété et vol ;

- le 23 janvier 2015, par le MP, à 240 heures de travail d'intérêt général, ainsi qu'à une amende de CHF 300.-, pour vol, tentative de vol, dommages à la propriété, violation de domicile et contravention à la loi fédérale sur les stupéfiants;

- le 26 février 2015, par le MP, à 120 heures de travail d'intérêt général, pour lésions corporelles simples, dommages à la propriété et menaces;

- le 9 mai 2015, par le MP, à une peine privative de liberté de 6 mois, pour vol;

- le 11 avril 2016, à une peine privative de liberté de 180 jours, sursis révoqué, ainsi qu'à des amendes de CHF 500.- et CHF 200.-, pour vol, tentative de vol, dommages à la propriété, violation de domicile et contravention à la loi fédérale sur les stupéfiants ;

- le 6 juin 2016, par le MP, à une peine complémentaire à celle du 11 avril 2016 équivalente à zéro, pour vol, dommages à la propriété et violation de domicile ;

- le 16 janvier 2020 (P/1______/2017), par la chambre pénale d'appel et de révision de la Cour de justice (ci-après : CPAR), à une peine privative de liberté de 50 mois, pour lésions corporelles simples aggravées, contrainte, contrainte sexuelle, lésions corporelles simples, tentative de menaces, vol, tentative de vol, dommages à la propriété, conduite d'un véhicule automobile malgré le refus, le retrait ou l'interdiction de l'usage du permis, violation des règles de la circulation routière, contravention à la loi fédérale sur les stupéfiants et non restitution de permis et/ou de plaques de contrôle. La peine a été suspendue au profit d’une mesure de traitement institutionnel des addictions. Par arrêt du 25 mai 2020 (6B_231/2020), le Tribunal fédéral a rejeté le recours interjeté par A______ à l’encontre de cet arrêt ;

- le 15 avril 2021, le Tribunal d’application des peines et mesures (ci-après : TAPEM) a constaté l’échec de la mesure institutionnelle, le traitement n’ayant pas abouti ;

- par arrêt du 7 décembre 2022 (cause P/2______/2021), la CPAR a déclaré A______ coupable de vol, de tentative de vol, de dommages à la propriété, de violation de domicile, de tentative de violation de domicile et d’empêchement d’accomplir un acte officiel et l’a condamné à une peine privative de liberté de 18 mois, ainsi qu’à une peine pécuniaire de dix jours amende à CHF 30.-. Elle a renoncé à ordonner son expulsion.

c. A______ a été averti, le 11 février 2016, par l’office cantonal de la population et des migrations (ci-après : OCPM) qu’en cas de nouvelle infraction, son autorisation d’établissement pourrait être révoquée.

d. Il faisait l’objet, le 3 septembre 2020, de 50 actes de défauts de biens pour un total de CHF 55'064.-.

e. Il a bénéficié de prestations d’aide sociale de l’Hospice général (ci-après : l’hospice) à hauteur de CHF 10'199.- en 2018, selon un extrait du 2 septembre 2020.

f. Il a travaillé comme déménageur, ouvrier du bâtiment et dans la construction. En prison, il a travaillé dans les ateliers buanderie et fer.

g. Il est actuellement détenu et suit un traitement médicamenteux pour son addiction à la cocaïne et un suivi psychologique.

B. a. Le 14 juin 2021, l’OCPM a informé A______ qu’il envisageait la révocation de son permis d’établissement.

b. Faisant valoir des observations, l’intéressé a notamment relevé que la CPAR avait, dans la procédure P/1______/2017, implicitement renoncé à prononcer une mesure d’expulsion à son endroit. Le département de la sécurité, de la population et de la santé (ci-après : le département) ne pouvait, dès lors, révoquer son autorisation d’établissement en se fondant uniquement sur la condamnation pénale figurant dans cet arrêt. En outre, la révocation de son autorisation d’établissement entraînerait des conséquences irrémédiables et dramatiques sur ses liens avec ses proches. Il vivait une relation de couple stable depuis plusieurs mois malgré son incarcération. Il ne disposait plus d’aucun lien avec le Kosovo, où il ne s’était plus rendu depuis dix ans. Ses seuls proches appartenaient à la famille de son père, avec lequel il avait coupé tout contact en raison des violences physiques et psychiques qu’il lui avait fait subir.

c. Par décision du 15 novembre 2021, le département a révoqué l’autorisation d’établissement de A______ et a prononcé son renvoi de Suisse.

L’art. 63 al. 3 de la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20) empêchait, au vu de l’arrêt de la CPAR, la révocation en application de l’al. 1 let. a cum 62 al. 1 let. b LEI, soit une révocation en raison de la condamnation à une peine privative de longue durée. Toutefois, l’intéressé remplissait l’hypothèse de l’art. 63 al. 1 let. b LEI soit l’atteinte très grave à la sécurité et à l’ordre public suisses. L’ « ensemble de son parcours criminel » était aussi évoqué.

C. a. Par acte du 16 décembre 2021, A______ a interjeté recours contre cette décision devant le Tribunal administratif de première instance (ci-après : le TAPI) en concluant, préalablement, à la suspension de la procédure jusqu’à droit jugé dans la procédure pénale P/2______/2021, et principalement, à l’annulation de la décision du 15 novembre 2021 ainsi qu’au renouvellement de son autorisation d’établissement.

b. Le département s’est opposé à la suspension et a conclu au rejet du recours.

c. Après que A______ a renoncé à répliquer, le TAPI a rejeté le recours.

La suspension de la procédure était refusée, les conditions de la révocation de l’autorisation d’établissement étant réalisées indépendamment de l’issue de la procédure pénale P/2______/2021.

La CPAR ne s’était pas prononcée sur l’expulsion de l’intéressé dans son arrêt du 16 janvier 2020. Conformément à la jurisprudence, le département pouvait se baser sur les infractions commises avant le 1er octobre 2016 pour révoquer son autorisation d’établissement. La nature des infractions, ainsi que la réitération de celles-ci, dans un court intervalle, soit une période de six ans, démontrait qu’il ne pouvait ou ne voulait pas respecter l’ordre juridique suisse. La condition d’atteinte très grave à la sécurité et l’ordre public, au sens de l’art. 63 al. 1 let. b LEI, était dès lors réalisée.

La peine privative de liberté réprimant la contrainte sexuelle excédait un an, de sorte qu’elle devait être qualifiée de longue durée au sens de l’art. 62 al. 1 let. b LEI, ce qui justifiait également la révocation de son autorisation d’établissement (art. 62 al. 1 let. b cum art. 63 al. 1 let. a LEI).

La révocation respectait le principe de la proportionnalité.

D. a. Par acte du 17 octobre 2022, A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre ce jugement. Il a conclu à son annulation et au maintien de son autorisation d’établissement. Subsidiairement, son autorisation d’établissement devait être rétrogradée en permis de séjour. Préalablement, la procédure devait être suspendue jusqu’à droit jugé dans la P/2______/2021.

Les faits avaient été mal constatés. Les art. 62 et 63 LEI avaient été violés, tout comme l’art. 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101).

b. Le département a conclu au rejet du recours, les arguments étant similaires à ceux développés devant le TAPI.

c. Le 14 décembre 2022, A______ a transmis copie de l’arrêt de la CPAR du 25 novembre 2022 (P/2______/2021). Cette dernière avait fait application de la clause de rigueur de l’art. 66 al. 2 CP et renoncé à ordonner son expulsion.

d. Interpellé sur les éventuelles conséquences de l’arrêt de la CPAR du 25 novembre 2022, le département a persisté dans ses conclusions. Même en présence d’une renonciation par le juge pénal à l’expulsion pénale, une révocation du titre de séjour était encore possible si l’autorité administrative se fondait sur un autre motif que celui de la peine privative de longue durée (art. 62 al. 1 let. b et 63 al. 1 let. a LEI), respectivement pouvait procéder à la révocation en se fondant notamment sur l’ensemble du parcours criminel de l’administré. En l’espèce, le titre de séjour de A______ pouvait être révoqué sans violer l’art. 63 al. 3 LEI puisque dans sa décision du 15 novembre 2021, le département s’était « non seulement fondé sur un motif de révocation autre que celui de la peine privative de liberté de longue durée, mais aussi sur l’atteinte très grave à l’ordre et à la sécurité publics suisses (art. 63 al. 1 let. b LEI) et avait en plus pris en compte l’ensemble du parcours criminel du recourant ».

e. A______ a contesté cette interprétation. Selon la jurisprudence, l’art. 63 al. 3 LEI restreignait la portée des deux motifs de révocation de l’art. 63 al. 1, soit les let. a et b. À défaut, le département pourrait systématiquement contourner l’art. 63 al. 3 LEI en basant sa décision sur l’art. 63 al. 1 let. a et b LEI.

f. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

g. Le contenu des pièces, notamment la motivation détaillée de l’arrêt de la CPAR du 25 novembre 2022, sera repris, en tant que de besoin, dans la partie en droit du présent arrêt.

 

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10)

2.             Les conclusions en suspension de la présente procédure dans l’attente de l’issue de la P/2______/2021 sont sans objet, l’arrêt ayant été prononcé le 25 novembre 2022 par la CPAR.

3.             Dans un premier grief, le recourant invoque une constatation inexacte des faits. Il rappelle sur trois pages son parcours et décrit sa volonté de changer.

Ce grief souffrira de rester indécis compte tenu des considérants qui suivent.

4.             Le recourant se plaint d’une violation des art. 62 et 63 LEI.

4.1 Selon l’art. 63 al. 1 LEI, l’autorisation d’établissement ne peut être révoquée que dans les cas suivants : a) les conditions visées à l’art. 62 al. 1 let. a ou b sont remplies ; b) l’étranger attente de manière très grave à la sécurité et l’ordre publics en Suisse ou à l’étranger, les met en danger ou représente une menace pour la sécurité intérieure ou extérieure de la Suisse ; c) lui-même ou une personne dont il a la charge dépend durablement et dans une large mesure de l’aide sociale. La let. d n’est pas pertinente en l’espèce.

Dans le renvoi à l’art. 62, seule l’hypothèse de la let. b LEI est invoquée par l’OCPM : l’autorité compétente peut révoquer une autorisation si l’étranger a été condamné à une peine privative de liberté de longue durée ou a fait l’objet d’une mesure pénale prévue aux art. 59 à 61 ou 64 CP.

4.2 Est illicite toute révocation fondée uniquement sur des infractions pour lesquelles un juge pénal a déjà prononcé une peine ou une mesure mais a renoncé à prononcer une expulsion (art. 63 al. 3 LEI).

4.3 En l’espèce, la décision de l’OCPM a écarté l’hypothèse de la let. a de l’art. 63 al. 1 LEI soit celle de la condamnation à une peine de longue durée, selon le renvoi à l’art. 62 al. 1 let. b LEI. La décision querellée précise que la CPAR, dans son arrêt du 16 janvier 2020 (P/1______/2017), a condamné A______ à une peine privative de liberté de 50 mois. L’essentiel des infractions retenues par la chambre pénale ayant été commis après le 1er octobre 2016, et la CPAR n’ayant pas abordé la problématique de l’expulsion, il s’ensuivait que l’art. 63 al. 3 LEI empêchait l’application de la let. a de l’art. 63 al. 1 LEI.

La let. c de l’art. 63 al. 1 LEI n’est pas mentionné dans la décision de l’OCPM.

Seule l’application du motif de révocation de la let. b de l’art. 63 al. 1 LEI, invoqué dans la décision dont est recours, est litigieuse soit que le recourant attente de manière très grave à la sécurité et l’ordre publics en Suisse.

5.             Il convient préalablement d’analyser l’influence de l’arrêt de la CPAR prononcé le 25 novembre 2022 (P/2______/2021) sur la présente cause.

5.1 L'art. 66a al. 1 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0), entré en vigueur le 1er octobre 2016, fixe un catalogue d'infractions (al. 1 let. a à o) qui oblige le juge pénal à expulser, pour une durée de cinq à quinze ans, l'étranger qui est condamné pour l'une d'elles, quelle que soit la quotité de la peine prononcée (ATF 146 II 1).

Le juge pénal peut exceptionnellement renoncer à une expulsion lorsque celle-ci mettrait l’étranger dans une situation personnelle grave et que les intérêts publics à l’expulsion ne l’emportent pas sur l’intérêt privé de l’étranger à demeurer en Suisse. À cet égard, il tiendra compte de la situation particulière de l’étranger qui est né ou qui a grandi en Suisse (art. 66a al. 2 CP).

5.2 Le Tribunal fédéral a déjà eu l'occasion de préciser que les art. 62 al. 2 et 63
al. 3 LEI n'empêchaient pas les autorités administratives de révoquer une autorisation de séjour ou d'établissement sur la base d'infractions exclusivement commises avant le 1er octobre 2016 (ATF 146 II 1).

Lorsque des infractions ont été commises à la fois avant et après le 1er octobre 2016 et que les autorités pénales, jugeant les dernières infractions, ont renoncé à prononcer une expulsion pénale, les autorités administratives ne peuvent plus révoquer une autorisation de séjourner en Suisse en raison d'infractions commises avant le 1er octobre 2016, dans la mesure où le juge pénal avait tenu compte de l'ensemble du parcours criminel de l'étranger intéressé (ATF 146 II 1 consid. 2).

Dans les affaires précitées, les infractions commises avant le 1er octobre 2016 avaient fait l'objet de jugements pénaux distincts de celles ayant été perpétrées après cette date. Dans l’ATF 146 II 321, l'intimé avait été renvoyé devant le juge pénal pour un ensemble d'actes criminels s'étalant entre le 1er janvier 2011 et le 31 décembre 2016. Le Tribunal fédéral a retenu que la renonciation à l'expulsion pénale intervenue lors de ce jugement global s'agissant des infractions commises après le 1er octobre 2016 couvrait également les infractions commises avant cette date, mais jugées simultanément. Les autorités administratives ne pouvaient dès lors pas justifier une révocation de l'autorisation d'établissement sur la base des infractions commises avant le 1er octobre 2016. Si elles voulaient révoquer valablement l’autorisation d’établissement de l’intéressé sans violer l’art. 63 al. 3 LEI, elles auraient dû justifier leur intervention par un autre motif qu’une condamnation pénale. Le Tribunal fédéral ne pouvait procéder à une substitution de motifs, les faits constatés dans l’arrêt cantonal litigieux n’étant pas suffisants. Ainsi une révocation aurait éventuellement pu se justifier en raison de la potentielle dépendance à l’aide sociale du recourant, son parcours criminel étant alors pris en compte lors de l’examen de la proportionnalité (ATF 146 II 321 consid. 5.2 et 6).

Dans ce même arrêt, il a par ailleurs précisé que même si un juge pénal omettait de traiter la problématique, l’autorité administrative devait admettre que le magistrat avait renoncé à prononcer une expulsion pénale au sens des art. 62 al. 2 et 63 al. 3 LEI (ATF 146 II 321 consid. 4.8).

5.3 De manière générale, il n'appartient pas aux autorités administratives de corriger les erreurs des autorités pénales suisses en révoquant les autorisations de séjour et d'établissement d'étrangers condamnés qui n'auraient pas été expulsés du territoire (ATF 146 II 1 consid. 2.2 ; ATF 146 II 49 consid. 5.6). Il incombe au procureur de faire appel si le juge pénal n'ordonne pas, à tort, d'expulsion pénale ou s'il oublie fautivement de prononcer une telle mesure. Cette faculté de recours, permettant de garantir une harmonisation de la pratique, constituait l'une des raisons plaidant en faveur d'une réintroduction de l'expulsion pénale facultative des étrangers au détriment de la révocation administrative des autorisations de séjour en raison de condamnations pénales (ATF 146 II 321 consid. 4.7).

5.4 En l’espèce, l’arrêt de la CPAR, fait nouveau dont il faut tenir compte (art. 68 LPA), est motivé comme suit :

« L'appelant tombe sous le coup de l'expulsion obligatoire. Il estime toutefois que cette mesure ne devrait pas être prononcée, les conditions de la clause de rigueur étant réalisées. Il convient de procéder à l'examen de ladite clause et de réaliser une pesée des intérêts au sens de l'art. 66a al. 2 CP.

L'intérêt public à son expulsion est certain, tant au regard des infractions commises que de leur gravité. Cependant, il convient de relever que le paiement des frais de justice et de l'indemnité à ses victimes, que l'appelant arrive à effectuer en Suisse et qu'il dit compter de continuer à sa sortie de prison, risque de cesser en cas d'expulsion, du fait de la complication de sa situation personnelle. L'intérêt public à son expulsion s'en trouve légèrement amoindri.

L'appelant a un intérêt très important à rester en Suisse. Il y est arrivé à l'âge d'un an et y a grandi. Il vit en Suisse depuis plus de 30 ans. Il a été scolarisé jusqu'à la fin du cycle. Sa mère, ses sœurs, son frère et sa compagne, même si leur relation est récente, résident en Suisse. Il a un projet professionnel concret, bien qu'il compte passer dans un premier temps par l'entreprise d'un membre de sa famille. Il a dit avec sincérité n'avoir jamais ressenti être un étranger en Suisse jusqu'au moment du prononcé de son expulsion. La potentielle perte de son permis d'établissement sera examinée par les autorités administratives compétentes. Ses nombreux antécédents paraissent liés à sa consommation de stupéfiants, ce dont il semble finalement avoir pris conscience dans le cadre de la présente procédure, comme cela est confirmé par sa psychothérapeute. À ce sujet, son trouble mental, non étranger à la commission des infractions, est aussi bien encadré par la psychothérapie, mesure qu'il a entreprise spontanément. Comme relevé par la défense, il semble plutôt bénéfique qu'il n'entretienne plus de lien avec ses amis issus du monde des stupéfiants, dont il se tient désormais à l'écart.

Son rétablissement serait vraisemblablement mis en danger par une expulsion au Kosovo. Les personnes qui le soutiennent ne seront plus à proximité de lui. Le soutien de ses proches paraît être une évolution récente positive, d'après ce qui ressort du rapport de sa psychologue, particulièrement s'agissant de B______, mais aussi de sa mère libérée du joug de son mari, et surtout crucial pour sa guérison, toujours selon le rapport de sa psychologue. De par l'expulsion et les chamboulements que cette dernière entraînera nécessairement, la reprise d'une thérapie sur place ne pourra qu'être retardée ou compliquée, sans compter le fait que l'appelant a expliqué ne pas s'imaginer faire un tel suivi en albanais. On ne peut partir du principe que sa famille au Kosovo pourra le soutenir, au vu de ses déclarations, notamment celles au sujet de la séparation de ses parents, confirmées par sa sœur. À teneur du dossier, il ne dispose au Kosovo d'aucun proche qui pourrait l'aider à s'installer lors de son arrivée et ainsi faciliter son intégration, qui sera nécessairement difficile dans ce pays. Force est de constater qu'en tant qu'étranger en Suisse de seconde génération dont les ascendants ainsi que les sœurs et frères y vivent, ses liens avec ce pays sont d'une intensité telle que son renvoi vers le Kosovo le placerait dans une situation personnelle grave, d'autant plus au regard de son trouble mental et du fait que les proches qui peuvent le soutenir, vivent en Suisse.

Certes, la CPAR lui avait donné une ultime chance précédemment, mais dans le cadre de la mesure thérapeutique et non en matière d'expulsion. Depuis, il a subi "l'électrochoc" du prononcé par le TP de la mesure et se trouve en exécution de peine en milieu fermé pour une longue période, ce qui semble aussi avoir sur lui un certain effet bénéfique. Il a lui-même déclaré avoir encore besoin de la prison, l'abandon de sa conclusion en réduction de peine démontrant sa volonté d'assumer les conséquences de ses actes. L'appelant a semblé vouloir enfin saisir les chances que son pays d'accueil lui offre et a exprimé une prise de conscience ainsi que des regrets. Partant, la CPAR décide de lui offrir une dernière chance. Il sait désormais que les autorités suisses le perçoivent comme un étranger et a compris qu'il risque une expulsion en cas de nouvelle récidive, même la plus minime, ce qui vaut comme un avertissement fort.

Il ressort de ce qui précède que l'intérêt public à l'expulsion de l'appelant ne l'emporte pas sur son intérêt privé à demeurer en Suisse. Il sera dès lors renoncé au prononcé de cette mesure. »

Il ressort de cette motivation que le juge pénal a, dans son arrêt du 25 novembre 2022, portant sur des infractions postérieures au 1er octobre 2016, pris en compte toutes les infractions commises et jugées avant ladite date pour conclure que le recourant remplissait les conditions d’un cas de rigueur (art. 66a al. 2 CP). En conséquence, l’autorité migratoire a perdu le pouvoir de révoquer l’autorisation d’établissement pour les faits appréciés par le juge pénal.

6.             L’autorité intimée invoque s’être fondée sur un motif autre soit l’atteinte très grave à l’ordre et la sécurité publics suisses (art. 63 al. 1 let. b LEI) et « a en plus pris en compte l’ensemble du parcours criminel du recourant ».

6.1 La restriction de l’art. 63 al. 3 LEI porte sur les deux motifs de révocation (art. 63 al. 1 let. a en lien avec 62 al. 1 let. b, soit la longue peine) ainsi que 63 al. 1 let. b soit la menace grave (ATF 146 II 321 consid. 3.1).

6.2 La seconde argumentation de l’autorité intimée, soit la menace grave de l’art. 63 al. 1 let. b LEI et le parcours criminel de l’intéressé ne peut plus être invoquée, en application de l’art. 63 al. 3 LEI, conformément aux considérants qui précèdent et à la jurisprudence susmentionnée.

6.3 Il n’y a pas lieu à substitution de motifs, le recourant ne dépendant pas en l’état de l’aide sociale et n’atteint pas le seuil retenu par la jurisprudence à titre de dépendance durable et marquée (arrêt du Tribunal fédéral 2C.268/2011 du 22 juillet 2011 c. 6.2)

Le recours sera en conséquence admis et le jugement du TAPI et la décision de révocation du 15 novembre 2021 annulés.

7.             Vu l’issue du litige il ne sera pas perçu d’émolument (art. 87 al. 1 LPA) et une indemnité de procédure de CHF 1'000.- sera allouée au recourant à la charge du département (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 17 octobre 2022 par A______contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 14 septembre 2022 ;

 

au fond :

l’admet ;

annule le jugement du Tribunal administratif de première instance du 14 septembre 2022 et la décision du département de la sécurité, de la population et de la santé du 15 novembre 2021 ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ;

alloue une indemnité de procédure de CHF 1'000.- à A______ à la charge du département de la sécurité, de la population et de la santé ;

dit que les éventuelles voies de recours contre le présent arrêt, les délais et conditions de recevabilité qui leur sont applicables, figurent dans la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), dont un extrait est reproduit ci-après. Le mémoire de recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Nicola MEIER, avocat du recourant, au département de la sécurité, de la population et de la santé, au Tribunal administratif de remière instance ainsi qu'au secrétariat d'État aux migrations.

Siégeant : Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, présidente, Valérie LAUBER, Eleanor McGREGOR, juges.


 

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. HÜSLER ENZ

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. PAYOT ZEN-RUFFINEN

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :

 

 

 

 


 

Extraits de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110)
consultable sur le site: http://www.admin.ch/ch/f/rs/c173_110.html

Recours en matière de droit public
(art. 82 et ss LTF)

Recours constitutionnel subsidiaire
(art. 113 et ss LTF)

Art. 82 Principe

Le Tribunal fédéral connaît des recours :

a. contre les décisions rendues dans des causes de droit public ;

Art. 83 Exceptions

Le recours est irrecevable contre :

c. les décisions en matière de droit des étrangers qui concernent :

1. l’entrée en Suisse,

2. une autorisation à laquelle ni le droit fédéral ni le droit international ne donnent droit,

3. l’admission provisoire,

4. l’expulsion fondée sur l’art. 121, al. 2, de la Constitution ou le renvoi,

5. les dérogations aux conditions d’admission,

6. la prolongation d’une autorisation frontalière, le déplacement de la résidence dans un autre canton, le changement d’emploi du titulaire d’une autorisation frontalière et la délivrance de documents de voyage aux étrangers sans pièces de légitimation ;

d. les décisions en matière d’asile qui ont été rendues :

1. par le Tribunal administratif fédéral,

2. par une autorité cantonale précédente et dont l’objet porte sur une autorisation à laquelle ni le droit fédéral ni le droit international ne donnent droit ;

Art. 89 Qualité pour recourir

1 A qualité pour former un recours en matière de droit public quiconque :

a. a pris part à la procédure devant l’autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire ;

b. est particulièrement atteint par la décision ou l’acte normatif attaqué, et

c. a un intérêt digne de protection à son annulation ou à sa modification.

Art. 95 Droit suisse

Le recours peut être formé pour violation :

a. du droit fédéral ;

b. du droit international ;

c. de droits constitutionnels cantonaux ;

d. de dispositions cantonales sur le droit de vote des citoyens ainsi que sur les élections et votations populaires ;

e. du droit intercantonal.

Art. 100 Recours contre une décision

1 Le recours contre une décision doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les 30 jours qui suivent la notification de l’expédition complète.

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Art. 113 Principe

Le Tribunal fédéral connaît des recours constitutionnels contre les décisions des autorités cantonales de dernière instance qui ne peuvent faire l’objet d’aucun recours selon les art. 72 à 89.

Art. 115 Qualité pour recourir

A qualité pour former un recours constitutionnel quiconque :

a. a pris part à la procédure devant l’autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire et

b. a un intérêt juridique à l’annulation ou à la modification de la décision attaquée.

Art. 116 Motifs de recours

Le recours constitutionnel peut être formé pour violation des droits constitutionnels.

Art. 100 Recours contre une décision

1 Le recours contre une décision doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les 30 jours qui suivent la notification de l’expédition complète.

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Recours ordinaire simultané (art. 119 LTF)

1 Si une partie forme contre une décision un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire.

2 Le Tribunal fédéral statue sur les deux recours dans la même procédure.

3 Il examine les griefs invoqués selon les dispositions applicables au type de recours concerné.