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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3740/2021

ATA/470/2023 du 02.05.2023 sur JTAPI/863/2022 ( ICC ) , REJETE

Recours TF déposé le 14.06.2023, 9C_393/2023
Descripteurs : IMPÔT SUR LES GAINS IMMOBILIERS;FONDATION DE PLACEMENT;VENTE D'IMMEUBLE;GAIN IMMOBILIER
Normes : LHID.23.al1.letd; LHID.23.al4; LIPM.9.al1.lete; LIPM.9.al2; LPP.80.al4; LIFD.56.lete; LHID.12.al4
Résumé : La conservation du système dualiste d’imposition des gains immobiliers a été admise à Genève, y compris après l’entrée en vigueur de la LHID. Sur cette base, la méthode de calcul appliquée par l’AFC-GE pour la détermination du gain immobilier de la recourante tient compte des spécificités de cette entité exonérée. L’AFC-GE était donc fondée à assujettir à l’impôt ordinaire sur le bénéfice, les éventuels futurs gains en capital réalisés sur la vente d’immeuble appartenant à la recourante. Recours rejeté.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3740/2021-ICC ATA/470/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 2 mai 2023

4ème section

 

dans la cause

 

A______
représentée par Me Christoph Suter, avocat

contre

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 29 août 2022 (JTAPI/863/2022)


EN FAIT

1) Par courrier du 21 décembre 2018, A______ (ci-après : A______), inscrite au registre du commerce de Zurich depuis le 31 octobre 2018, a adressé à l’administration fiscale cantonale (ci-après : AFC-GE) une demande d’exonération de l’impôt cantonal et communal (ci-après : ICC) sur le bénéfice et le capital sur la base de l’art. 9 al. 1 let e de la loi genevoise sur l’imposition des personnes morales (LIPM - D 3 15), en raison de biens immobiliers détenus dans le canton de Genève.

Ayant pour but social le placement collectif et la gestion des avoirs de prévoyance confiés par ses investisseurs, des biens immobiliers (notamment des immeubles sis dans le canton de Genève) et des hypothèques faisaient partie des avoirs sous gestion.

Le canton de Zurich avait d’ores et déjà approuvé la demande d’exonération fiscale pour l’ICC le concernant et pour l’impôt fédéral direct (ci-après : IFD).

2) Par décision du 24 juillet 2019, l’AFC-GE a accepté la demande d’exonération de A______ à partir de 2018 et pour une durée indéterminée, à condition que les fonds recueillis fussent effectivement utilisés conformément au but social.

Cette exonération s’étendait aux droits de succession sur les institutions d’héritiers, legs et autres libéralités à cause de mort ainsi qu’aux droits d’enregistrement sur les donations. En revanche, elle ne s’étendait pas à l’impôt immobilier complémentaire, ni aux ICC calculés sur les bénéfices résultant d’aliénations de biens et d’actifs immobiliers, lesquels étaient imposables de manière ordinaire dans le cadre de la détermination de l’impôt sur le bénéfice en vertu de la LIPM, ni encore aux droits d’enregistrement afférents aux actes et opérations immobiliers à titre onéreux.

3) Le 22 août 2019, A______ a élevé réclamation contre cette décision.

Les gains immobiliers d’une institution de prévoyance ne devaient pas être soumis à l’impôt général sur les bénéfices des personnes morales, mais à l’impôt spécial sur les bénéfices et gains immobiliers (ci-après : IBGI) prévu par la loi générale sur les contributions publiques du 9 novembre 1887 (LCP - D 3 05).

4) Par décision sur réclamation du 29 septembre 2021, l’AFC-GE a déclaré la réclamation irrecevable faute d’un intérêt actuel digne de protection, A______ n’ayant pas réalisé de bénéfice immobilier. En cas de recevabilité, elle était rejetée.

La décision d’exonération fiscale querellée avait pour objectif de délimiter l’étendue de l’exonération fiscale accordée et non de spécifier le type d’impôt applicable aux éléments non exonérés. À cet égard, il n’était pas contesté que l’exonération ne s’étendait pas aux bénéfices d’aliénation de biens et d’actifs immobiliers, lesquels demeuraient imposables. Par analogie avec la jurisprudence en lien avec l’intérêt à recourir en vue de déterminer le montant des pertes reportées, l’intérêt actuel ne serait réalisé qu’en cas de vente immobilière et uniquement si cette vente générait un impôt ordinaire sur le bénéfice immobilier supérieur à celui qui aurait été prélevé si la vente avait été soumise à l’IBGI. Le fait que A______ se voyait obligée de provisionner un impôt différé dans ses comptes ne constituait pas un dommage ou la privation d’un avantage certain créant un intérêt à la modification de la décision querellée.

Cela étant, l’aliénation d’immeubles appartenant à la fortune commerciale des personnes morales était soumise à l’impôt sur le bénéfice (art. 12 LIPM), pour autant que la personne morale ne fût pas exonérée. En l’espèce, l’exonération des personnes morales mentionnées à l’al. 9 [recte : art. 9 al. 1] let. e LIPM ne s’étendait pas aux gains immobiliers qui restaient imposables (art. 9 al. 2 LIPM). Compte tenu du fait que le gain immobilier n’était pas concerné par l’exonération prévue à l’art. 9 LIPM, il devait être imposé de manière ordinaire conformément à l’art. 12 LIPM en raison du caractère « matériellement » dualiste du canton de Genève. En ce sens, l’art. 80 al. 4 de la loi fédérale sur la prévoyance professionnelle vieillesse, survivants et invalidité du 25 juin 1982 (LPP - RS 831.40) prévoyait expressément que les bénéfices provenant de l’aliénation d’immeubles par des institutions de prévoyance pouvaient être frappés de l’impôt ordinaire sur les bénéfices ou d’un impôt spécial sur les gains immobiliers. La LCP ne prévoyait l’application de l’IBGI pour les personnes morales qu’à titre de garantie (art. 86A al. 4 LCP), de sorte que la volonté du législateur était de soumettre ces gains immobiliers à l’impôt ordinaire sur le bénéfice. Ainsi, les bénéfices d’aliénation de biens et d’actifs immobiliers étaient imposables de manière ordinaire à l’impôt sur le bénéfice, également pour les fondations de placement.

5) Par acte du 1er novembre 2021, A______ a recouru auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) contre la décision précitée, en concluant à son annulation et à ce qu’il soit jugé que l’exonération des ICC sur le bénéfice et le capital s’étendait aux gains immobiliers réalisés par elle, ceux-ci étant exclusivement soumis à l’IBGI.

6) L’AFC-GE a conclu au rejet du recours en persistant intégralement dans les considérants et les conclusions de sa précédente décision.

7) Les parties ont respectivement répliqué et dupliqué, en maintenant leur position.

8) Par jugement du 29 août 2022, le TAPI a partiellement admis le recours, le considérant comme recevable et le rejetant sur le fond.

S’agissant d’une demande d’exonération, et non d’une décision de taxation, qui tranche la question du type d’impôt applicable lors de la réalisation de bénéfices immobiliers, la contribuable disposait d’un intérêt digne de protection à la contester, conformément à l’art. 9 al. 3 LIPM.

Vu la jurisprudence et la doctrine pertinentes, l’AFC-GE avait à bon droit décidé d’assujettir à l’impôt ordinaire sur le bénéfice, les éventuels futurs gains en capital réalisés sur la vente d’immeubles appartenant à la contribuable. Le canton de Genève étant un canton dualiste, le gain immobilier réalisé par une personne morale était soumis à l’impôt ordinaire sur le bénéfice, l’IBGI n’étant prélevé qu’à titre de garantie. Pour les personnes morales et les autres contribuables agissant à titre professionnel, l’impôt n’était prélevé qu’à titre provisoire, car il pourrait être imputé sur l’impôt annuel entier prélevé également sur ce gain. Ce système d’imposition devait s’appliquer également aux gains réalisés par les personnes morales exonérées, comme la contribuable, dès lors que le droit cantonal genevois ne prévoyait pas de disposition légale différente qui leur serait applicable.

9) Par acte du 29 septembre 2022, la contribuable a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre le jugement précité, en concluant à son annulation et à ce qu’il soit considéré que ses gains immobiliers étaient uniquement soumis à l’IBGI et devaient être exonérés de l’impôt ordinaire sur le bénéfice. Subsidiairement, elle demandait le renvoi de la cause au TAPI.

Les termes des art. 23 al. 4 1ère phrase de la loi fédérale sur l'harmonisation des impôts directs des cantons et des communes du 14 décembre 1990 (LHID - RS 642.14) et 9 al. 2 LIPM étaient mal interprétés par l’AFC-GE et le TAPI. Le terme « impôt sur les gains immobiliers » au sens de ces dispositions ne pouvait être lu que comme faisant référence à l’IBGI prévu par les art. 80 ss LCP. Le terme de l’art. 23 al. 4 1ère phrase LHID correspondait à l’intitulé des art.  12 ss LHID, de sorte qu’il renvoyait bien à l’impôt spécial, s’appliquant aux personnes physiques, et non à l’impôt ordinaire sur les bénéfices. Ce renvoi de l’art. 23 al. 4 LHID à l’impôt spécial était plus flagrant dans la version allemande (« Grundstückgewinnsteuer »). En jugeant que ses gains immobiliers devaient être soumis à l’impôt sur le bénéfice, le TAPI avait méconnu la lettre de l’art. 23 al. 4 LHID.

Si l’art. 80 al. 4 1ère phrase LPP semblait laisser une possibilité de choix entre l’impôt général sur les bénéfices et l’IBGI pour imposer les bénéfices provenant de l’aliénation d’immeubles, l’art. 23 al. 4 1ère phrase LHID faisait exclusivement référence à l’impôt spécial et primait. Ce dernier était plus récent que le premier, de sorte qu’il prévalait. Il constituait en outre une loi spéciale. Vu la jurisprudence fédérale et sa systématique, la LPP ne pouvait ainsi être considérée comme prévoyant précisément les règles concernant les impôts à prélever applicables aux institutions de prévoyance. Seul l’art. 23 al. 4 LHID devait être pris en compte afin de déterminer les modalités d’imposition des personnes morales exonérées. Ainsi, le législateur cantonal ne disposait en tout état de cause pas de la marge de manœuvre suffisante pour soumettre les personnes morales exonérées à l’impôt sur le bénéfice ordinaire s’agissant de leurs gains immobiliers, ceux-ci devant être exclusivement soumis à l’IBGI.

L’art. 9 al. 2 2ème LIPM n’avait de sens que lors de l’imposition du gain immobilier en vertu de la LCP, en permettant la prise en compte de certains instruments fiscaux dans le cadre de l’application de l’IBGI. Le but de l’art. 9 al. 2 1ère phrase LIPM était de soumettre les gains immobiliers réalisés par des personnes exonérées à l’impôt. Aucune disposition de la LIPM ne définissait l’objet de l’impôt sur le bénéfice de manière conforme à la position de l’AFC-GE. En l’absence de renvoi ou de référence expresse à la LCP et au vocabulaire qui lui était propre, la LIPM ne reconnaissait aucune autre méthode de détermination de l’assiette imposable que celle prévue à l’art. 12 al. 1 LIPM pour le régime ordinaire des personnes morales. En jugeant que l’impôt sur le bénéfice était applicable, le TAPI avait méconnu les dispositions de l’art. 9 al. 2 1ère phrase LIPM, dès lors que le prélèvement de l’impôt sur le bénéfice était non seulement inadapté eu égard à l’objet de l’impôt défini par la LIPM et impossible, compte tenu des règles comptables impératives applicables, qui faisaient obstacle à la reconnaissance de tout produit imposable. L’AFC-GE ne calculait d’ailleurs pas le gain immobilier imposable de la manière prévue par le régime ordinaire, mais faisait plutôt application de la méthode de calcul propre à l’IBGI. Elle empruntait des notions tirées de la LCP afin de déterminer l’étendue du gain immobilier. En l’absence de définition propre du « gain immobilier » imposable dans la LIPM ou de renvoi à la LCP à cet égard, la position de l’AFC-GE violait les dispositions de l’art. 9 al. 2 1ère phrase LIPM et méconnaissait le principe de la légalité, dès lors qu’elle prévoyait l’imposition d’un objet inexistant du point de vue de la loi considérée comme applicable.

Dans la mesure où elle était, par principe, exonérée d’impôt sur le bénéfice, elle ne pouvait être considérée comme étant soumise à un « impôt annuel entier », ses revenus imposables étant limités à des gains ponctuels. L’art. 26 LIPM n’était donc pas applicable dans son cas. Cette approche étant cohérente lorsque le terme « impôt sur les gains immobiliers » était lu comme faisant référence à l’IBGI, puisqu’elle s’inscrivait dans la logique législative où seul l’IBGI serait prélevé sur les gains immobiliers réalisés par ces contribuables. L’absence de disposition légale spécifiquement applicable aux personnes morales exonérées mettait en évidence le fait que l’IBGI constituait un impôt final pour elle, dès lors que le droit cantonal ne prévoyait pas de possibilité de remboursement ou d’imputation de cet impôt. Si elle devait soumettre ses gains immobiliers à l’impôt sur le bénéfice, il en résulterait un traitement discriminatoire dès lors que ceux-ci s’en trouveraient imposés deux fois, lors du prélèvement de l’IBGI en l’absence d’imputation ou de remboursement de celui-ci faute d’assujettissement à un « impôt annuel entier ». Le jugement litigieux reposait sur une compréhension erronée du système dualiste et de l’imposition des gains immobiliers des personnes exonérées d’impôt dans les autres cantons dualistes. Ces derniers prélevaient tous l’impôt spécial (correspondant à l’IBGI genevois) sur les gains réalisés par une institution de prévoyance lors de l’aliénation d’un immeuble. L’ensemble des cantons monistes prélevaient également l’impôt spécial sur les gains immobiliers réalisés par des personnes morales exonérées.

10) Dans ses écritures responsives, l’AFC-GE a conclu au rejet du recours, en renvoyant à ses précédentes observations par-devant le TAPI.

Au surplus, l’impôt sur les gains immobiliers de l’art. 23 al. 4 1ère phrase LHID faisait également référence à l’impôt sur le bénéfice pour les cantons ayant opté pour un système d’imposition dualiste, comme le canton de Genève qui était considéré, selon le Tribunal fédéral, comme étant « matériellement » dualiste, dans la mesure où il frappait les gains immobiliers privés d’un impôt spécial sur les gains commerciaux de l’impôt fédéral ordinaire sur le revenu. Il serait contraire à la volonté du législateur d’exiger que les gains immobiliers des institutions de prévoyance exonérées fussent soumis exclusivement à l’IBGI. L’art. 80 al. 4 LPP plaidait également en faveur de l’admissibilité de la soumission des plus-values immobilières des institutions de prévoyance à l’impôt sur le bénéfice, dès lors que la lettre de la loi prévoyait expressément que les bénéfices provenant de l’aliénation d’immeubles pouvaient être frappés de l’impôt général sur les bénéfices ou d’un impôt spécial sur les gains immobiliers.

L’art. 9 al. 2 LIPM, au contenu identique à l’art. 23 al. 4 LHID, prévoyait expressément la soumission à l’impôt sur le bénéfice des plus-values immobilières réalisées par les institutions exonérées d’impôt. Vu les travaux législatifs relatifs à l’art. 9 al. 2 LIPM, le législateur genevois avait bien prévu une base légale formelle, posant le principe de l’imposition, à l’impôt sur les bénéfices, des gains immobiliers réalisés par les personnes morales exonérées. Il avait également admis que l’IBGI pouvait aussi être déduit de l’impôt annuel ordinaire, en référence à l’art. 26 LIPM. Cela corroborait le système d’imposition dualiste genevois concernant la perception des gains immobiliers, que l’entité fût exonérée ou non des impôts directs. Le choix du texte de l’art. 9 al. 2 LIPM correspondant à l’art. 23 al. 4 LHID ne signifiait pas que le législateur avait voulu une imposition moniste. Au moment de l’adoption de l’art. 9 al. 2 LIPM, l’art. 23 al. 4 LIHD existait déjà mais n’était pas encore contraignant. Il l’est devenu au 1er  janvier 2001. C’est dans le cadre d’une modification ultérieure de la LIPM que l’art. 9 al. 2 LIPM avait été mis à jour pour reprendre le texte de l’art. 23 al. 4 LHID. Si le législateur avait voulu instituer une imposition moniste, il aurait renvoyé à l’IBGI et non pas à l’impôt sur les seuls gains immobiliers. La LCP aurait clairement mentionné que l’impôt spécial était définitif pour les entités exonérées, ce qui n’était pas le cas.

L’art. 12 al. 1 LIPM consacrait le principe de déterminance. Le droit fiscal ne contenait que des règles correctrices qui permettaient de s’écarter du droit commercial. S’il était correct de dire que, comptablement, le gain immobilier serait nul en cas de vente du bien immobilier concerné en raison de sa réévaluation systématique et récurrente à la valeur vénale, il n’en demeurait pas moins que la plus-value conjoncturelle demeurerait pleinement imposable au sens de l’art. 12 al. 1 let. j LIPM qui postulait que les réévaluations étaient imposables. Elle avait adopté une méthodologie particulière pour la détermination du gain immobilier d’une entité exonérée afin de ne pas la prétériter, de telle sorte que l’imposition n’affectait que la plus-value immobilière conjoncturelle soumise à l’impôt. Elle n’imposait pas les réévaluations, ni les rattrapages d’amortissements, et retranchait l’ICC. La prise en compte de l’ICC en déduction du gain immobilier ne constituait pas une impense dans le cadre de l’IBGI au sens de la LCP. Il était donc faux de prétendre qu’elle appliquait, de fait, les dispositions de la LCP dans le cadre de la détermination du gain immobilier soumis à la LIPM.

Contrairement à ce que prétendait la recourante, le fait qu’elle n’était pas soumise aux impôts directs n’empêchait pas la mise en œuvre de l’art. 26 LIPM (sous réserve d’une imposition sur les gains immobiliers) et n’entraînait pas non plus le constat selon lequel, du fait de son exonération, les gains immobiliers qu’elle était susceptible de réaliser devraient faire l’objet d’une imposition moniste au sens de la LCP. Le fait de bénéficier d’une exonération fiscale selon l’art. 9 LIPM ne constituait pas un obstacle à la mise en œuvre de l’art. 26 LIPM et n’était pas constitutif d’une inégalité de traitement, ni d’une imposition contraire au principe de l’imposition selon la capacité contributive, puisque que l’IBGI éventuellement perçu au titre d’impôt de garantie était imputé ou remboursé pour la part en excédant le montant.

Les autres exemples cantonaux cités par la recourante témoignaient du fait que les cantons avaient adopté une disposition légale qui consacrait une imposition moniste, ce qui n’était pas le cas du canton de Genève. Si les autres cantons dualistes n’avaient pas prévu, de manière expresse dans leur loi fiscale respective, que l’impôt sur les gains immobiliers était également dû pour les bénéfices provenant de la vente de biens immobiliers de personnes morales exonérées d’impôt (imposition moniste), ils auraient dû s’en tenir au système dualiste. Ne l’ayant pas fait, elle appliquait le système dualiste, autorisant le prélèvement de l’impôt ordinaire sur le bénéfice pour les personnes morales exonérées des impôts directs.

11) La recourante a répliqué en persistant dans ses conclusions et précédents développements. Elle a également produit une liste de ses immeubles sis dans le canton de Genève au 31 mars 2022, produite avec sa déclaration fiscale 2022.

12) Sur quoi, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10 ; art. 145 de la loi fédérale sur l’impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 - LIFD - RS 642.11).

2) À ce stade, l’objet du litige ne porte plus que sur la conformité au droit du refus de soumettre les bénéfices résultant d’aliénation de biens et d’actifs immobiliers à l’IBGI, mais de les imposer de manière ordinaire par l’intermédiaire de l’impôt sur les bénéfices applicable aux personnes morales.

3) a. Depuis le 1er janvier 2001, les cantons sont tenus de prélever un impôt sur les gains immobiliers (art. 1 al. 2 et art. 2 al. 1 let. d LHID), la LHID fixant les principes selon lesquels la législation cantonale l'établit (art. 1 al. 1 LHID, art. 129 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 - Cst. - RS 101). Ainsi, l'impôt sur les gains immobiliers privés a pour objet les gains réalisés lors de l'aliénation de tout ou partie d'un immeuble faisant partie de la fortune privée du contribuable ou d'un immeuble agricole ou sylvicole, à condition que le produit de l'aliénation soit supérieur aux dépenses d'investissement (prix d'acquisition ou autre valeur s'y substituant, impenses ; art. 12 al. 1 LHID). Les cantons peuvent percevoir l'impôt sur les gains immobiliers également sur les gains réalisés lors de l'aliénation d'immeubles faisant partie de la fortune commerciale du contribuable, à condition que ces gains ne soient pas soumis à l'impôt sur le revenu ou sur le bénéfice ou que l'impôt sur les gains immobiliers soit déduit de l'impôt sur le revenu ou sur le bénéfice (art. 12 al. 4 LHID).

À Genève, l'IBGI, qui a pour objet le bénéfice net provenant de l’aliénation d’immeubles ou de parts d’immeubles sis dans le canton, est réglé aux art. 80 ss de la loi générale sur les contributions publiques du 9 novembre 1887 (LCP - D 3 05).

b. Selon l’art. 23 al. 1 let. d LHID, seuls sont exonérées de l’impôt les institutions de prévoyance professionnelle d’entreprises qui ont leur domicile, leur siège ou un établissement stable en Suisse et d’entreprises qui les touchent de près, à condition que les ressources de ces institutions soient affectées durablement et exclusivement à la prévoyance en faveur du personnel.

L’art. 23 al. 4 LHID ajoute cependant que les personnes morales mentionnées à l’art. 23 al. 1 let. d à g et i LHID, sont toutefois soumises dans tous les cas à l’impôt sur les gains immobiliers. Les dispositions relatives aux biens acquis en remploi (art. 8 al. 4 LHID), aux amortissements (art. 10 al. 1 let. a LHID), aux provisions (art. 10 al. 1 let. b LHID) et à la déduction des pertes (art. 10 al. 1 let. c LHID) s’appliquent par analogie.

Ainsi, la législation fédérale prescrit que les institutions de prévoyance professionnelle, les caisses indigènes d’assurances sociales et de compensation, les personnes morales qui poursuivent des buts de service public ou d’utilité publique, les personnes morales qui poursuivent des buts cultuels et les placements collectifs qui possèdent des immeubles en propriété directe, sont exonérés selon l’art. 23 al. 1 let. d à g et i LHID, mais sont soumis dans tous les cas à l’impôt sur les gains immobiliers (art. 23 al. 4 LHID ; Conférence suisse des impôts, Impôt sur les gains immobiliers, mers 2022, p. 15).

c. L’art. 9 al. 1 let. e et al. 2 1ère phrase LIPM a la même teneur que les art. 23 al. 1 let. d et 23 al. 4 LHID.

d. Dans le cadre des travaux préparatoires relatifs au projet de loi modifiant la LIPM (Mise à jour selon le droit fédéral harmonisé, PL 11'618), il est rappelé à titre préalable que « la LIPM a été adoptée par le Grand Conseil en 1994, afin de rendre le droit cantonal conforme à la [LHID] et, dans la mesure souhaitée, harmonisé avec la [LIFD]. Entrée en vigueur le 1er janvier 1993, la LHID accordait aux cantons un délai de huit ans pour adapter leur législation, soit jusqu'au 31 décembre 2000. Passé cette date, le droit fédéral est devenu directement applicable si les dispositions du droit cantonal s'en écartent (art. 72 al. 2 LHID). Depuis l’adoption de la LIPM, la LHID a subi plusieurs modifications ayant trait à la fiscalité des personnes morales. Ces modifications sont intervenues de manière simultanée pour la LHID et la LIFD. En effet, l’harmonisation fiscale ne vise pas uniquement les législations fiscales cantonales (harmonisation horizontale), mais également l’impôt fédéral direct (harmonisation verticale) » (MGC 16-17 avril 2015, session IV [9/54]).

Le commentaire article par article précise spécifiquement s’agissant de l’art. 9 al. 2 LIPM que celui-ci « mentionne désormais également la lettre i et inclut de ce fait les placements collectifs exonérés dans le catalogue des entités exonérées qui restent néanmoins soumises à l’impôt sur les gains immobiliers. La modification est de pure forme, sans implication concrète actuelle. Elle est imposée par la LHID. Cet alinéa renvoie par analogie aux dispositions relatives aux amortissements, aux provisions et à la déduction des pertes, s’agissant des gains immobiliers réalisés par ces personnes morales. Ce renvoi n’a toutefois pas de portée propre pour les cantons qui, à l’instar de Genève, prélèvent l’impôt sur le bénéfice sur les plus-values immobilières réalisées par ces institutions exonérées. En effet, le renvoi n’a alors pas lieu d’être puisque les dispositions sur les amortissements, provisions et pertes s’appliquent alors directement. En revanche, si le canton de Genève devait exonérer ces plus-values de l’impôt sur le bénéfice et les soumettre, en lieu et place, à l’impôt spécial sur les bénéfices et gains immobiliers, ce renvoi prendrait tout son sens » (MGC 16-17 avril 2015, session IV [16/54]).

e. Le canton de Genève prélève un impôt sur les bénéfices et gains immobiliers (art. 80 ss LCP) qui frappe les gains résultant de diverses transactions immobilières, notamment les opérations d’aliénation d’immeubles et cela indépendamment du statut juridique de la fortune (privée ou commerciale) du contribuable concerné. Pour les contribuables agissant à titre privé, cet impôt représente une charge définitive. En revanche, pour les personnes morales et les autres contribuables agissant à titre professionnel, l’impôt n’est prélevé qu’à titre provisoire, car il pourra être imputé sur l’impôt annuel entier prélevé également sur ce gain. Le cas échéant, le trop-perçu sera remboursé au contribuable. On constate donc que le canton de Genève a adopté un système mixte, en ce sens que les gains obtenus sur des immeubles appartenant à la fortune commerciale supportent en définitive l’impôt ordinaire et non pas l’impôt spécial qui ne sert dans cette hypothèse que de garantie. Formellement, l’impôt semble moniste (il frappe toutes transactions immobilières), mais matériellement le système genevois est dualiste (Xavier OBERSON, Droit fiscal suisse, 5ème éd., 2021, n° 56 p. 365).

f. Selon l’art. 80 al. 4 LPP, les bénéfices provenant de l’aliénation d’immeubles peuvent être frappés de l’impôt général sur les bénéfices ou d’un impôt spécial sur les gains immobiliers. Les bénéfices qui résultent de la fusion ou de la division d’institutions de prévoyance ne sont pas imposables.

Alors qu’au niveau fédéral les gains en capital réalisés sur la vente d’immeubles appartenant au patrimoine d’une institution de prévoyance professionnelle sont exonérés d’impôts sur la base de l’art. 56 let. e LIFD, de tels gains sont soumis, au niveau cantonal et communal, soit à l’impôt sur le bénéfice dans les cantons dits dualistes, soit à un impôt spécial sur les gains immobiliers dans les cantons dits monistes. En effet, conformément à l’art. 12 al. 4 LHID, les cantons peuvent se subdiviser en deux groupes :

-          certains cantons (en particulier les cantons romands, à l’exception du Jura) soumettent les gains immobiliers réalisés par une institution de prévoyance professionnelle à l’impôt ordinaire sur le bénéfice (système dualiste), le gain imposable correspondant à la différence entre le prix de vente et la valeur comptable ;

-          d’autres cantons (notamment Zurich, Berne, Schwyz, Nidwald, Bâle, Thurgovie, Tessin et Jura) soumettent les gains immobiliers réalisés par une institution de prévoyance professionnelle uniquement à un impôt spécial (système moniste), à l’exclusion de l’impôt ordinaire sur le bénéfice. Les gains échappent ainsi à l’imposition ordinaire sur le bénéfice au niveau cantonal et communal et sont traités de la même manière que les gains de la fortune immobilière privée. La plupart des cantons ont mis en place des barèmes dégressifs en fonction de la durée de détention de l’immeuble » (Jacques-André SCHNEIDER/Nicolas MERLINO/Didier MANGE, Commentaire des assurances sociales suisses, LPP et LFLP, 2ème éd., 2020, n. 54 ss ad art. 80 LPP).

g. À cet égard, le Tribunal fédéral a retenu que, pour les cantons qui connaissent le système dualiste, l’assujettissement du gain immobilier d’une personne morale à l’impôt spécial sur les gains immobiliers est de toute façon étranger à ce système (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1080/2014 du 5 juillet 2016 consid. 5.5.2).

Auparavant, il avait déjà constaté qu’après le 1er janvier 2001, le canton de Genève avait conservé le système dualiste d’imposition des gains immobiliers (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1164/2009 du 13 août 2009 consid. 5.2).

Concernant notamment les systèmes vaudois et valaisan d’imposition des gains immobiliers, le Tribunal fédéral a également précisé que ceux-ci étaient dualistes. Cela signifie qu'ils frappent les gains immobiliers résultant d'éléments de la fortune privée d'un impôt spécial et les gains provenant d'éléments de la fortune commerciale de l'impôt général ordinaire sur le revenu (arrêts du Tribunal fédéral 2C_228/2015 du 7 juin 2016 consid. 6.1 ; 2C_370/2014 du 9 février 2015 consid. 2.2).

h. À propos de l’arrêt 2C_1080/2014 susmentionné, la doctrine retient que le Tribunal fédéral considère que l’assujettissement du bénéfice immobilier d’une personne morale à l’impôt spécial sur les bénéfices et gains immobiliers n’est pas conforme au système dualiste adopté par une partie des cantons suisses, ce qui permet de conclure qu’il n’aurait fait aucune objection à un assujettissement selon l’impôt général sur le bénéfice (pour autant que le droit cantonal le prévoie ; Marco GRETER/Alexander GRETER, Kommentar zum schweizerischen Steuerrecht, Bundesgesetz über die Harmonisierung der direkten Steuern der Kantone und Gemeinden, 2017, n. 46 ad art. 23 LHID).

4) En l’occurrence, la recourante se livre à une interprétation littérale, systématique et historique des art. 9 al. 2 et 23 al. 4 LIPM pour justifier une application du système moniste à sa situation, soit son assujettissement à l’IBGI pour ses éventuels futurs gains immobiliers.

Toutefois, en procédant de la sorte, elle opère une confusion entre les systèmes moniste et dualiste, sans prendre en considération le fait qu’il est tenu compte des spécificités de son statut de personne morale exonérée dans la méthode de calcul de l’impôt appliquée in casu.

En effet, les travaux préparatoires précités relatifs à la modification de la LIPM, ainsi que la jurisprudence du Tribunal fédéral susrappelée montrent que la conservation du système dualiste d’imposition des gains immobiliers à Genève est admise, y compris après le 1er janvier 2001. Dès lors que les gains immobiliers ne résultent pas d’éléments de la fortune privée, ceux-ci sont donc bien soumis à l’impôt général ordinaire, soit l’impôt sur le bénéfice.

Dans ce contexte, les explications de l’intimée quant à la méthode de calcul appliquée pour la détermination du gain immobilier d’une entité exonérée indiquent qu’elle n’impose pas les réévaluations, ni les rattrapages d’amortissements et retranche l’ICC. Force est de constater que ce mode de procéder correspond à la lettre de l’art. 23 al. 4 2ème phrase LHID. À cet égard, il est rappelé que l’IBGI prélevé dans ces circonstances ne l’est qu’à titre de garantie, soit provisoirement, dans la mesure où il pourra être imputé sur l’impôt annuel prélevé. Il sied d’ailleurs de souligner que la recourante demeure soumise à l’obligation de fournir annuellement sa déclaration d’impôts avec les pièces y relatives, tel que cela lui a été expressément mentionné dans la décision du 24 juillet 2019.

Par conséquent, les premiers juges ont retenu à bon droit que l’intimée était fondée à assujettir à l’impôt ordinaire sur le bénéfice, les éventuels futurs gains en capital réalisés sur la vente d’immeubles appartenant à la recourante.

Mal fondé, le recours sera rejeté.

5) Au vu de ce qui précède, un émolument de CHF 1’500.- sera mis à la charge de la recourante, qui succombe (art. 87 al. 1 LPA), et aucune indemnité de procédure ne lui sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 29 septembre 2022 par A______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 29 août 2022 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 1’500.- à la charge de A______ ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Christoph Suter, avocat de la recourante, à l'administration fiscale cantonale ainsi qu'au Tribunal administratif de première instance.

Siégeant : M. Verniory, président, Mmes Payot Zen-Ruffinen et McGregor, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. Hüsler Enz

 

 

le président siégeant :

 

 

J.-M. Verniory

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :