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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1698/2022

ATA/474/2023 du 24.04.2023 ( EXPLOI ) , REJETE

Recours TF déposé le 08.06.2023, rendu le 20.06.2023, IRRECEVABLE, 2D_10/2023
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1698/2022-EXPLOI ATA/474/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 24 avril 2023

2ème section

 

dans la cause

 

A______ SÀRL
représentée par Me Cyril Aellen, avocat

contre

DIRECTION GÉNÉRALE DU DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE, DE LA RECHERCHE ET DE L'INNOVATION
représentée par Me David Hofmann, avocat

 



EN FAIT

1. A______ Sàrl (ci-après : la société ou l’entreprise) est une société à responsabilité limitée inscrite au registre du commerce du canton de Genève depuis le 4 décembre 2002. Elle a pour but le commerce de toutes denrées alimentaires.

2. Le 14 juillet 2021, la société a déposé auprès du département de l’économie et de l’emploi (ci-après : DEE ou département) une demande pour cas de rigueur. Le département a rejeté cette demande le 27 juillet 2021. Cette décision n’a pas été contestée.

3. Le 7 septembre 2021, la société a déposé auprès du département une nouvelle demande pour cas de rigueur.

L’entreprise y a notamment annoncé un chiffre d’affaires de l’exercice 2018 de CHF 9'553'962.- et un chiffre d’affaires de l’exercice 2019 de CHF 8'445'647.-. Le montant du chiffre d’affaires définitif réalisé du 1er janvier au 31 décembre 2020 était de CHF 5'671'180.-. Elle souhaitait que le chiffre d’affaires pris en compte soit celui des douze derniers mois précédant la demande, le mois de février 2020 étant celui du début de cette période. Son chiffre d’affaires sur les douze derniers mois était de CHF 5'243'073.-.

4. Le 25 novembre 2021, la conseillère d’État en charge du département a informé l’entreprise que sa demande ne satisfaisait pas aux conditions requises pour bénéficier de l’aide financière pour cas de rigueur. Cette aide était exclusivement destinée aux entreprises remplissant les conditions prévues par l’ordonnance concernant les mesures pour les cas de rigueur destinées aux entreprises en lien avec l’épidémie de COVID-19 du 25 novembre 2020 (RS 951.262 ; ci-après : ordonnance COVID-19 cas de rigueur), la loi relative aux aides financières extraordinaires de l’État destinées aux entreprises particulièrement touchées par la crise économique ou directement par les mesures de lutte contre l’épidémie de coronavirus, pour l’année 2021 (12938) du 30 avril 2021 (ROLG 2021, p. 264 ; ci-après : loi 12938) et son règlement d’application du 5 mai 2021 (ROLG 2021, p. 283 ; ci-après : règlement).

Ainsi, considérant des chiffres d’affaires 2018 et 2019, de respectivement CHF 9'553'962.- et CHF 8'499'145.-, et un chiffre d’affaires 2020 de CHF 5'571'359.-, il apparaissait que sa demande ne satisfaisait pas à la condition générale d’éligibilité voulant que le recul du chiffre d’affaires 2020 soit d’au moins 40 % par rapport au chiffre d’affaires moyen des exercices 2018 et 2019 (art. 5 de l’ordonnance COVID-19 cas de rigueur et 19 du règlement).

5. Le 22 décembre 2021, l’entreprise a formé réclamation contre cette décision. Elle espérait que ses arguments lui permettraient d’obtenir l’aide sollicitée indispensable à sa survie et au maintien de ses 23 collaborateurs.

Dans le chiffre d’affaires qu’elle avait annoncé pour la période du 1er février 2020 au 31 janvier 2021, elle avait tenu compte de l’ajustement de la provision pour débiteurs douteux qui, comme le mentionnait l’administration fédérale, devait être traitée différemment selon qu’il s’agissait d’une perte définitive ou à envisager. Si le paiement était simplement incertain, le risque de perte devait être estimé à la fin de l’année et amorti directement par le compte ducroire et/ou par le compte perte sur débiteurs.

La variation de la provision pour perte sur débiteurs (ducroire) avait fait l’objet d’une analyse de ses clients à risque au cas par cas. Il n’avait pas été tenu compte de provisions de 5 et 10 % pour une correction de valeur admise sans justificatif pour 2020 et 2021. Étant donné la situation économique catastrophique des 24 derniers mois que subissait sa clientèle, à savoir l’hôtellerie, la restauration, les restaurants d’entreprise et les collectivités publiques, elle avait dû comptabiliser des pertes sur des débiteurs à gros risque pour CHF 312'519.- en ajustant la provision pour débiteurs douteux (ducroire), concernant certes en partie des livraisons antérieures à l’année 2020, mais qui était indispensable selon son organe de contrôle. Une liste des clients considérés comme « gros risques » était jointe à la réclamation.

Il ressortait de la décision contestée que les CHF 312'519.- mentionnés plus haut avaient été repris dans le chiffre d’affaires, ce qui avait eu pour conséquence de ramener sa perte de chiffre d’affaires à 38.27 % au lieu des 41.74 % qu’elle avait calculés. Son exploitation ayant subi la plus grosse perte de chiffre d’affaires (plus de 40 %) entre mars 2020 et mai 2021, soit au-delà de 2020, elle avait listé, sans tenir compte de la variation pour pertes de débiteurs douteux, les chiffres d’affaires réalisés mensuellement en comparant les périodes de mars 2020 à février 2021, d’avril 2020 à mars 2021 et de mai 2020 à avril 2021 par rapport, selon les directives officielles, à la moyenne des chiffres d’affaires des années 2018 et 2019 soit respectivement CHF 9'553'962.- et CHF 8'499'145.-, soit un chiffre d’affaires moyen de CHF 9'026'553.50 :

·         chiffre d’affaires de mars 2020 à février 2021 = CHF 5'157'926.-, soit une baisse de 42.86 % par rapport au chiffre d’affaires moyen 2018-2019 ;

·         chiffre d’affaires d’avril 2020 à mars 2021 = CHF 5'130'622.-, soit une baisse de 43.16 % par rapport au chiffre d’affaires moyen 2018-2019 ;

·         chiffre d’affaires de mai 2020 à avril 2021 = CHF 5'348'993.-, soit une baisse de 40.74 % par rapport au chiffre d’affaires moyen 2018-2019.

Sans tenir compte de la perte sur débiteurs, il ressortait de la comparaison des chiffres d’affaires de la période mars 2020 à février 2021 et de mars 2019 à février 2020, une perte de chiffre d’affaires de 40.03 %.

L’entreprise a joint plusieurs documents à sa réclamation.

6. Le 5 avril 2022, la direction générale du développement économique, de la recherche et de l’innovation (ci-après : DGDE) a confirmé la décision du 25 novembre 2021.

L’art. 5 al. 1 de l’ordonnance COVID-19 cas de rigueur imposait à l’entreprise de prouver au canton que son chiffre d’affaires 2020 était inférieur à 60 % du chiffre d’affaires moyen des exercices 2018 et 2019 en raison des mesures ordonnées par les autorités aux fins de la lutte contre l’épidémie. L’art. 5 al. 1 bis de cette ordonnance permettait à une entreprise ayant enregistré un recul du chiffre d’affaires entre janvier 2020 et juin 2021 de calculer le recul de son chiffre d’affaires sur une période ultérieure de douze mois au lieu du chiffre d’affaires de l’exercice 2020 (calendaire).

L’entreprise avait saisi cette opportunité et sollicité une analyse du taux de perte en référence au chiffre d’affaires réalisé entre le 1er février 2020 et le 31 janvier 2021, soit CHF 5'243'073.-. Il ressortait de l’instruction de sa réclamation que le chiffre d’affaires retenu devait être exempt de tout ajustement telles les provisions pour débiteur douteux. L’examen des documents fournis à l’appui de sa réclamation mettait en lumière le report de montants englobant à la fois des pertes à envisager et des pertes définitives antérieures à l’année en cours. Or, en application de l’art. 3 al. 3 de la loi 12938, qui consacrait le principe selon lequel seule l’activité réelle de l’entreprise devait être prise en compte dans la détermination de l’indemnité, les services et les produits livrés non encaissés par l’entreprise devaient être écartés du calcul de l’aide financière.

7. Par acte du 23 mai 2022, l’entreprise a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : chambre administrative) contre cette décision, concluant principalement à son annulation, à l’octroi de l’aide financière extraordinaire sollicitée ainsi qu'à une indemnité de procédure, subsidiairement au renvoi du dossier à la DGDE.

a. Les faits avaient été mal constatés. Ils étaient erronés et devaient être revus afin que la variation de la provision sur débiteurs douteux soit prise en considération dans le calcul de son chiffre d’affaires.

À l’appui de sa demande, elle avait fait état d’un chiffre d’affaires de l’exercice 2018 de CHF 9'553'962.- qui ne comprenait aucune variation de la provision sur débiteurs douteux. En 2019, elle avait chiffré les produits nets de ses ventes à CHF 8'499'145.- alors que la provision sur débiteurs douteux avait varié de CHF 53'498.-, ce qui représentait un chiffre d’affaires de l’exercice de CHF 8'445'647.-. Elle avait donc réalisé un chiffre d’affaires moyen de CHF 8'999'805.- pour les années 2018 et 2019 ([CHF 9'553'962.- + CHF 8'445'647.-] / 2). En 2020, elle avait réalisé un chiffre d’affaires de CHF 5'671'180.- tenant compte d’une variation de la provision débiteurs douteux et pertes de CHF 312'519.-.

À l’appui de sa demande, elle avait demandé que la diminution de son chiffre d’affaires soit étudiée sur la base de l’exercice établi du 1er février 2020 au 31 janvier 2021, période pendant laquelle son chiffre d’affaires s’était élevé à CHF 5'243'073.- tenant compte d’une provision pour débiteurs douteux de CHF 150'503.- et de CHF 463'022.- de pertes. Ainsi, elle avait établi que son chiffre d’affaires pour la période du 1er février 2020 au 31 janvier 2021 (CHF 5'243'073.-) présentait une perte moyenne de plus de 40 % (CHF 8'999'805.- - 40 % = CHF 5’399'883.-) par rapport à la moyenne des chiffres d’affaires 2018 et 2019 (CHF 8'999'805.-), soit un recul de 41.7 %.

Pourtant, l’autorité avait erré en écartant des chiffres d’affaires la variation de la provision sur débiteurs douteux et les pertes effectives de l’exercice. En effet, l’autorité avait retenu des chiffres d’affaires de CHF 9'553'962.-, CHF 8'499'145.- et CHF 5'571'359.- pour respectivement 2018, 2019 et 2020, lesquels ne tenaient pas compte des pertes et des variations de la provision sur débiteurs douteux. À tort, elle était arrivée à la conclusion que le recul du chiffre d’affaires 2020 n’était pas d’au moins 40 % par rapport au chiffre d’affaires moyen des exercices 2018 et 2019 (CHF 9'026'554.- - 40 % = CHF 5'415'932.-). Sous l’angle de l’établissement des faits déjà, un tel raisonnement était absurde puisqu’il consistait à estimer que le chiffre d’affaires d’une entreprise n’était composé que des encaissements, sans savoir à quelles périodes comptables ils se rapportaient. La variation de la provision pour débiteurs douteux et les pertes avaient précisément pour but de garantir l’étanchéité du chiffre d’affaires d’une entreprise d’une année à l’autre afin de tenir compte de l’ajustement des débiteurs par rapport à l’exercice précédent. Il ne faisait aucun doute que ces variations faisaient partie intégrante du calcul du réel chiffre d’affaires de l’entreprise, qui ne pouvait omettre ces pertes effectives ou escomptées de la réalité de ses ventes.

b. L’autorité avait violé le droit, en particulier l’art. 3 al. 3 de la loi 12938, en soutenant que le chiffre d’affaires retenu devait être exempt de tout ajustement tels que les provisions pour débiteurs douteux et que seule l’activité réelle de l’entreprise devait être prise en compte dans la détermination de l’indemnité, les services et les produits livrés non encaissés par l’entreprise devant être écartés du calcul de l’aide financière.

Le chiffre d’affaires réel d’une entreprise dépendait pourtant de ces éléments et il était absurde de faire abstraction des pertes et de ne prendre en considération que des encaissements. La variation de la provision sur débiteurs douteux et les pertes avaient pour but de garantir l’étanchéité du chiffre d’affaires d’une entreprise d’une année à une autre. Ne pas prendre en compte cette variation consistait à faire abstraction des pertes d’une entreprise, ce qui était irréaliste, en particulier en temps de pandémie dont l’effet sur l’économie avait rendu la trésorerie des entreprises précaire et les encaissements difficiles.

En outre, conformément aux travaux préparatoires de la loi 12938, il convenait de prendre en considération l’activité effective de l’entreprise qui n’était pas constituée par les seuls encaissements des ventes d’une société, indépendamment de savoir à quels exercices comptables ils se rapportaient. L’établissement du chiffre d’affaires d’une entreprise gérée sainement prenait nécessairement en compte l’ajustement des pertes et débiteurs douteux par rapport à l’exercice précédent. Ainsi, la prise en considération de la variation de la provision sur débiteurs douteux et des pertes était nécessaire pour déterminer l’activité réelle d’une entreprise. Selon la jurisprudence de la chambre administrative, le procédé des provisions pour débiteurs douteux était appliqué et accepté par l’administration fiscale cantonale (ci-après : AFC), laquelle appliquait une provision forfaitaire de 5 % de la valeur de des créances non garanties contre les débiteurs suisses et de 10 % contre les débiteurs étrangers.

c. Si par impossible la chambre administrative devait considérer que le chiffre d’affaires d’une entreprise devait être exempt de tout ajustement, il conviendrait alors d’examiner sa demande de cas de rigueur à la lumière des chiffres d’affaires produits à l’appui de sa réclamation du 22 décembre 2021. Dès que le département lui avait fait part de sa position, elle avait été en mesure d’établir que, sans même tenir compte de la variation des provisions sur débiteurs douteux, l'entreprise avait essuyé des pertes de plus de 40 % tous les mois consécutifs au dépôt de sa demande, et ce en comparaison aux 12 mois antérieurs. Ainsi, hors provisions sur débiteurs douteux, il était établi que le chiffre d'affaires de mars 2020 à février 2021 de CHF 5'157'926.- était en recul de 42,86 % par rapport au chiffre d'affaires moyen 2018-2019 tel que retenu par le département, hors ajustement, à hauteur de CHF 9'026'554.-. Il en allait de même pour les périodes postérieures, qui essuyaient une perte de 43.16 % d'avril 2020 à mars 2021, en comparaison au chiffre d’affaires moyen retenu par le département.

On ne saurait lui reprocher de ne pas avoir déposé une nouvelle demande d’aide extraordinaire pour cas de rigueur dans le délai imparti pour ce faire au 31 octobre 2021 car, à cette date, sa demande initiale du 7 septembre 2021 n’avait fait l’objet d’aucun retour de la part du département compétent. De bonne foi, elle avait pensé que sa requête serait couronnée de succès puisqu’elle n’avait aucune raison de penser que l’autorité exclurait les provisions sur débiteurs douteux de son chiffre d’affaires. Ce n’était que le 25 novembre 2021 qu’elle avait pris connaissance du raisonnement du département, soit près d’un mois après le délai imparti au 31 octobre 2021 pour formuler une éventuelle nouvelle demande. Il ne faisait pourtant aucun doute qu’elle disposait des documents pour prouver – si elle avait eu connaissance d’un tel raisonnement – dans le délai imparti que ses pièces comptables attestaient dès mars 2020 du recul de plus de 40 % hors pertes et provision sur débiteurs douteux de son chiffre d’affaires. Dès que le raisonnement du département lui avait été exposé, elle avait été en mesure de prouver qu’elle remplissait les conditions d’éligibilité.

8. Le 30 juin 2022, le département a conclu au rejet du recours.

a. Les faits avaient été correctement établis, le chiffre d’affaires à prendre en considération pour la période du 1er février 2020 au 31 janvier 2021 étant bien de CHF 5'571'359.-.

Les parties étaient d’accord sur l’étendue de leurs divergences, portant sur les chiffres d’affaires 2019 et 2020. Sur la base de fondements différents, il était mathématiquement logique que les calculs aboutissent à des résultats différents, avec une perte de 38.27 % pour le département et de 41.74 % selon la recourante. Pour 2019, la recourante alléguait un chiffre d’affaires inférieur à celui retenu par le département ce qui ne lui était pas favorable. En effet, pour « maximiser » son indemnisation, elle aurait intérêt à disposer d’un chiffre d’affaires 2018-2019 le plus élevé possible et un chiffre d’affaires 2020 le plus bas possible : mathématiquement, c’était ainsi que la différence de chiffre d’affaires était la plus grande et l’indemnisation la plus élevée. La différence de CHF 53'498.- correspondait à la variation de la provision pour débiteurs douteux que l’entreprise souhaitait prendre en considération, contrairement au département.

En 2020, le chiffre d’affaires sur douze mois de CHF 5'571'359.- retenu par le département correspondait à l’addition des encaissements, c’est-à-dire des produits des ventes concrètes de fruits et légumes par la recourante. On arrivait au même résultat si l'on tenait compte de la comptabilité complète de la recourante pour la période du 1er février 2020 au 31 janvier 2021 (total des ventes = 5'243'073.-), en supprimant la provision pour débiteurs douteux (- CHF 150'503.-), les pertes sur débiteurs (+ CHF 463'021.-) et en y intégrant les CHF 15'768.- de différence entre le chiffre d’affaires 2020 audité et celui retenu par le département.

Le droit fédéral fixait la période de référence (moyenne 2018-2019) et permettait de glisser le chiffre d’affaires 2020-2021 sur douze mois continus.

La provision pour débiteurs douteux était un ajustement comptable, librement choisi par la recourante, concernant des débiteurs qui ne pouvaient pas payer des factures et pouvant concerner les années N-1 et précédentes. Les pertes sur débiteurs étaient aussi un ajustement comptable, visant à reporter un revenu non encaissé dans une période précédente sur la période comptable actuelle. Or, les aides pour cas de rigueur n’avaient pas pour but de combler des lacunes résultant de débiteurs insolvables antérieurement à la pandémie de COVID-19. Les ajustements comptables que le département n’avait pas retenus ne visaient pas le chiffre d’affaires réel affecté par l’épidémie, par une baisse de la fourniture des biens, livraisons et services, mais un élément d’appréciation en raison d’une difficulté de recouvrement. Ces ajustements comptables pouvaient d’un point de vue comptable figurer soit comme une charge soit comme une baisse du chiffre d’affaires dans le bilan de la société. Cela confirmait qu’il n’y avait pas de lien direct avec les activités de l’entreprises. En tout état, ce n’étaient pas des recettes résultant des produits d’exploitation, soit les produits nets des ventes de prestations de services.

Le département considérait donc que le ducroire n’était pas une diminution du chiffre d’affaires éligible pour l’aide sollicitée.

b. Le grief de violation du droit devait également être rejeté. En se référant à l’activité effective de l’entreprise, le département avait appliqué correctement le droit. Il avait également respecté les principes de la légalité, de l’égalité de traitement, de la proportionnalité, de la bonne foi et de l’interdiction de l’arbitraire. La comparaison avec l’arrêt de la chambre administrative cité par la société n’était pas pertinente.

c. Même si le dispositif d’aide était large et permettait des compléments, il ne permettait pas, lorsque la législation ne changeait pas, de déposer des demandes successives avec des calculs successifs. Le département établissait certes les faits d’office. Mais en l’absence de base légale, c’était la maxime de disposition qui s’appliquait à l’ouverture ou non d’une procédure d’aide. L’État ne pouvait se substituer à la société pour verser spontanément une aide ou déterminer quelle était la période la plus favorable pour sa demande. En outre, la société disposait d’une fiduciaire qui lui établissait des comptes révisés.

d. Une partie de l’écriture du département est en outre consacrée à l’exposé et à l’historique des bases légales et réglementaires fédérales ou cantonales applicables au cas d’espèce.

9. Le 5 août 2022, la société a persisté dans ses conclusions.

a. Le contexte historique entourant l’établissement des lois pertinentes dressé par le département n’était d’aucune utilité dans le cas d’espèce. Les lois entourant la situation extraordinaire du COVID 19 avaient dû être passablement modifiées ou adaptées, aucune des dispositions citées par l’intimée, ni les messages y relatifs, ne précisaient clairement les éléments comptables qui devaient être pris en compte dans le chiffre d’affaires. Au contraire, il ressortait du commentaire fédéral de l’ordonnance COVID-19 cas de rigueur (disponible à l’adresse www.newsd.admin.ch/newsd/message/attachments/67163.pdf, état au 18 juin 2021 ; ci-après : commentaires) que les mesures avaient été édictées dans le but de remédier aux situations difficiles qui découlaient directement ou indirectement des décisions des autorités. Ces mêmes commentaires précisaient que le chiffre d’affaires qui devait servir de référence, à savoir celui moyen de 2018 et 2019, devait justement être une moyenne pluriannuelle afin d’atténuer les cas de rigueur dus directement ou indirectement aux mesures prises par les autorités. Cette absence de précision devait conduire à une application usuelle de la qualification de chiffre d’affaires, lequel devait tenir compte de l’ajustement des débiteurs par rapport à l’exercice précédent.

Au niveau cantonal, dans l'exposé des motifs du 20 janvier 2021 de la loi 12863, qui avait précédé la loi 12938 (https://ge.ch/grandconseil/data/texte/ pl12863.pdf), le Conseil d’État avait souligné que le but de la loi était de soutenir financièrement le tissu économique genevois et ses entreprises face aux conséquences économiques de la crise sanitaire. À plus forte raison, dans le projet de loi 12938 du 21 avril 2021, conscient d’une situation humainement et financièrement critique qui allait perdurer, était ajoutée la notion d’activité réelle à prendre compte dans le calcul de l’indemnité. À teneur du commentaire article par article de la loi 12938 (https://ge.ch/grandconseil/data/texte/pl12938.pdf) (ci-après : PL 12938) c’était bien la situation financière découlant de l’activité effective qui devait être examinée. Il était difficile de comprendre comment, dans un contexte aussi difficile, en particulier dans les secteurs de l’alimentation et de la restauration, le risque lié aux débiteurs douteux ne devait pas être pris en considération.

b. L’AFC appliquait une provision forfaitaire comme indiqué dans le recours et cette comparaison était pertinente, contrairement à ce que soutenait l’intimée.

c. Le manuel pratique des associations membres de la fédération genevoise définissait la provision pour débiteurs douteux comme une dépréciation d’actif provisoire. À chaque bouclement des comptes d’une association, il y avait lieu d’enregistrer une dépréciation d’actifs pour ne pas garder à l’actif du bilan des montants que l’association n’allait probablement jamais recevoir. Ainsi, une dépréciation d’actif pour apprécier les stocks d’une association était indispensable : si elle pensait ne pas être en mesure de vendre tout le stock au moins au prix coûtant, il lui était nécessaire d’enregistrer une dépréciation d’actifs. Au même titre, le chiffre d’affaires d’une entreprise ne pouvait être établi sans tenir compte des pertes que l’entreprise allait probablement essuyer. Tout comme les variations de stocks faisaient partie intégrante de la comptabilité des associations, les provisions d’une entreprise faisaient partie de leur chiffre d’affaires. Ne pas en tenir compte revenait à écarter des comptes un montant qui faisait partie intégrante de la réalité des ventes.

d. Le commentaire de l’art. 727 al. 1 ch. 2 let. b de la loi fédérale du 30 mars 1911, complétant le Code civil suisse (CO, Code des obligations - RS 220), disposition qui lui était applicable, était limpide quant à la définition de la notion de chiffre d’affaires : il s’agissait du « chiffre d’affaires net, c’est-à-dire le chiffre d’affaires brut, soit la somme de l’ensemble des produits, moins les rabais, escomptes et retours. Les charges ne peuvent pas être déduites du chiffre d’affaires et il sera tenu compte de tous les produits, aussi bien des produits d’exploitation ou financiers que des produits extraordinaires ». L’art. 960e CO prévoyait la constitution de provisions « lorsque, en raison d’événements passés, il faut s’attendre à une perte d’avantages économiques pour l’entreprise lors d’exercices futurs », notamment pour assurer la prospérité de l’entreprise à long terme. Ainsi, les référentiels comptables reconnus dans le CO prévoyaient la notion de provisions sur débiteurs douteux afin d’évaluer correctement le chiffre d’affaires des sociétés. Il ne faisait aucun doute que ses provisions pour débiteurs douteux et pertes sur débiteurs étaient des pertes économiques qui influençaient ses exercices futurs. Elles devaient être prises en considération dans l’établissement de son chiffre d’affaires, tant dans celui de référence que celui comparé.

e. Le département ne s’était pas prononcé sur ses allégués, à teneur desquels une nouvelle demande aurait pu être déposée par ses soins si le département n’avait pas tardé à rendre sa décision. Cet argument demeurait et devait être analysé. La bonne foi exigeait que les critères permettant d’établir la méthode de calcul donnant droit aux indemnités soient clairement définis auprès des bénéficiaires.

10. Sur ce, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10 ; art. 19 al. 2 de la loi 12938).

2. L’objet du litige porte sur la conformité au droit de la décision de l’intimée du 5 avril 2022, confirmant le refus prononcé le 25 novembre 2021 d’octroyer à la recourante l’aide financière pour cas de rigueur qu’elle avait sollicitée le 7 septembre 2021. Il n’est pas contesté que la recourante a réalisé des chiffres d’affaires supérieurs à CHF 5'000'000.-.

3. a. La recourante soulève en premier lieu le grief d’une mauvaise constatation des faits. Elle reproche à l’intimée de ne pas avoir tenu compte de la variation de la provision sur débiteurs douteux dans le calcul de son chiffre d’affaires. La recourante soulève également le grief d’une violation du droit par l’intimée qui soutiendrait à tort que le chiffre d’affaires à retenir devrait être exempt de tout ajustement tels que les provisions pour débiteurs douteux et que seule l’activité réelle de l’entreprise devait être prise en compte dans la détermination de l’indemnité, les services et les produits livrés non encaissés par l’entreprise devant être écartés du calcul de l’aide financière.

b. Le recours peut être formé pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (art. 61 al. 1 ch. b LPA).

4. Le 25 septembre 2020, l’Assemblée fédérale a adopté la loi fédérale sur les bases légales des ordonnances du Conseil fédéral visant à surmonter l’épidémie de Covid-19 (loi Covid-19 - RS 818.102).

L’art. 12 de la loi Covid-19, dans sa teneur du 2 septembre 2021 applicable au cas d’espèce, prévoit les mesures pour les cas de rigueur destinées aux entreprises. À la demande d’un ou de plusieurs cantons, la Confédération peut soutenir les mesures de ces cantons pour les cas de rigueur destinées aux entreprises individuelles, aux sociétés de personnes ou aux personnes morales ayant leur siège en Suisse (entreprises) qui ont été créées ou ont commencé leur activité commerciale avant le 1er octobre 2020, avaient leur siège dans le canton le 1er octobre 2020, sont particulièrement touchées par les conséquences de l’épidémie de COVID-19 en raison de la nature même de leur activité économique et constituent un cas de rigueur, en particulier les entreprises actives dans la chaîne de création de valeur du secteur événementiel, les forains, les prestataires du secteur des voyages, de la restauration et de l’hôtellerie ainsi que les entreprises touristiques (al. 1).  Il y a cas de rigueur au sens de l’al. 1 si le chiffre d’affaires annuel de l’entreprise est inférieur à 60 % de la moyenne pluriannuelle. La situation patrimoniale et la dotation en capital globales doivent être prises en considération, ainsi que la part des coûts fixes non couverts (al. 1bis).

L’art 12 al. 1quinquies de la loi Covid-19 dispose que le Conseil fédéral édicte des dispositions particulières concernant les mesures pour les cas de rigueur destinées aux entreprises qui réalisent un chiffre d’affaires annuel de plus de 5 millions de francs en ce qui concerne: les justificatifs à demander (let. a) ; le calcul des contributions ; la contribution doit être fondée sur les coûts non couverts liés au recul du chiffre d’affaires (let. b) ; les plafonds applicables aux contributions ; le Conseil fédéral prévoit des montants maximaux plus élevés pour les entreprises affichant un recul de leur chiffre d’affaires de plus de 70 % (let. c) ; les prestations propres que les propriétaires des entreprises doivent fournir si le montant dépasse 5 millions de francs ; les prestations propres qui ont été fournies depuis le 1er mars 2020 ainsi que l’al. 1bis sont pris en considération lors du calcul des prestations propres (let. d) ; le règlement des prêts, cautionnements ou garanties (let. e).

Le soutien des mesures cantonales destinées aux entreprises réalisant un chiffre d’affaires annuel de 5 millions de francs au plus est accordé à condition que les exigences minimales de la Confédération soient respectées. En ce qui concerne les entreprises réalisant un chiffre d’affaires annuel de plus de 5 millions de francs, les conditions d’éligibilité prévues par le droit fédéral doivent être respectées de manière inchangée dans tous les cantons; sont réservées les mesures cantonales supplémentaires pour les cas de rigueur qu’un canton finance entièrement lui-même (art. 12 al. 1sexies de la loi Covid-19).

L’art. 12 al. 4 de la loi Covid-19 prévoit que le Conseil fédéral règle les détails dans une ordonnance ; il prend en considération les entreprises qui ont réalisé en moyenne un chiffre d’affaires de CHF 50'000.- au moins au cours des années 2018 et 2019.

5. Le 25 novembre 2020, le Conseil fédéral a adopté l’ordonnance Covid-19 cas de rigueur. Dans sa version du 19 juin 2021, applicable en l’occurrence, son art. 3 prévoit que l’entreprise a fourni au canton les justificatifs suivants : elle s’est inscrite au registre du commerce avant le 1er octobre 2020, ou, à défaut d’inscription au registre du commerce, a été créée avant le 1er octobre 2020 (let. a) ; elle a réalisé pour les exercices 2018 et 2019 un chiffre d’affaires moyen d’au moins CHF 50'000.- (let. b) ; elle paie la plus grande partie de ses charges salariales en Suisse (let. c). Le chiffre d’affaires au sens de la présente ordonnance se réfère au compte individuel de l’entreprise requérante (al. 3).

À teneur de l’art. 5 de l’ordonnance Covid-19, l’entreprise a prouvé au canton que son chiffre d’affaires 2020 est inférieur à 60 % du chiffre d’affaires moyen des exercices 2018 et 2019 en raison des mesures ordonnées par les autorités aux fins de la lutte contre l’épidémie de COVID-19 (al. 1).

L’art. 8b de l’ordonnance Covid-19 prévoit, pour les entreprises dont le chiffre d’affaires est supérieur à 5 millions, que la contribution non remboursable est calculée en multipliant le recul du chiffre d’affaires visé à l’art. 5 avec une part de coûts fixes forfaitaires (al. 1). Les entreprises qui ont enregistré un recul du chiffre d’affaires pendant plus de 12 mois peuvent ajouter le recul du chiffre d’affaires pour les mois de janvier à juin 2021 si ceux-ci ne sont pas déjà pris en compte dans le calcul visé à l’art. 5 ; le recul du chiffre d’affaires est calculé par rapport au chiffre d’affaires moyen des périodes correspondantes pour les exercices 2018 et 2019 (al. 2). Selon l’al. 3, la part de coûts fixes forfaitaires est de : 8 % pour les agences de voyage, les commerces de gros et les commerces de véhicules automobiles (let. a) ; 15 % pour les commerces de détail (let. b) ; 25 % pour les autres entreprises (let. c). Les cantons peuvent fixer des parts de coûts fixes plus faibles s’ils constatent que les parts de coûts fixes forfaitaires visées à l’al. 3 occasionneraient une surindemnisation (al. 4). Une part uniforme de coûts fixes s’applique aux entreprises qui ont des activités dans plusieurs des domaines mentionnés à l’al. 3. Elle se fonde sur le domaine d’activité dans lequel la plus grande part du chiffre d’affaires annuel au sens de l’art. 3, al. 2, a été générée. Si une entreprise dépose une demande en vertu de l’art. 2a, la part de coûts fixes correspondant au secteur concerné s’applique (al. 5).

6. Au niveau cantonal, la loi 12938 est entrée en vigueur le 30 avril 2021. Elle a été modifiée par la loi 12991 du 2 juillet 2021. Les dispositions pertinentes à la résolution du cas d’espèce n’ont toutefois pas été modifiées à l’occasion de cette révision.

Selon l’art. 1 de la loi 12938, cette loi a pour but de limiter les conséquences économiques de la lutte contre l'épidémie de coronavirus (Covid-19) pour les entreprises sises dans le canton de Genève conformément à la loi Covid-19 et à l'ordonnance (al. 1). Cette aide financière extraordinaire vise à atténuer les pertes subies par les entreprises dont les activités ont été interdites ou réduites en raison de la nature même de leurs activités, entre le 1er janvier 2021 et le 31 décembre 2021 (al. 2).

L’art. 2 de la loi 12938 prévoit que les aides financières prévues par cette loi consistent en une participation de l'État de Genève aux coûts fixes non couverts de certaines entreprises (al. 2 1ère phrase).

L’art. 3 de la loi 12938 traite des principes d’indemnisation. Selon l’al. 1, l'aide financière extraordinaire consiste en une participation à fonds perdu de l'État de Genève destinée à couvrir les coûts fixes non couverts de l'entreprise, en application des dispositions de l'ordonnance. Aux termes de l’al. 2, les coûts fixes considérés et les modalités de leur prise en compte dans le calcul du montant de la participation accordée par l’État sont précisés par voie réglementaire. L’al. 3 dispose que l’activité réelle de l’entreprise est prise en compte.

Peuvent prétendre à une aide les entreprises dont le chiffre d’affaires a subi une baisse substantielle selon les dispositions de l’ordonnance (art. 4 al. 1 let. b de la loi 12938).

Pour les entreprises dont le chiffre d’affaires moyen 2018-2019 est supérieur à CHF 5'000'000.- au sens de l’art. 8b al. 1 de l’ordonnance, l’indemnisation consiste en une participation à fonds perdu de l'État de Genève, entièrement compensée par la Confédération, aux coûts fixes non couverts en raison du recul du chiffre d'affaires durant l'exercice 2020, cas échéant 2021 pour les mois de janvier à juin, conformément aux dispositions de l'ordonnance (art. 12 al. 1 de la loi 12938). L’indemnité est calculée sur la base de parts de coûts fixes forfaitaires conformément aux modalités prévues à l'art. 8b de l'ordonnance (art. 12 al. 2 de la loi 12938).

À teneur de l’art. 15 de la loi 12938, l’aide financière est accordée sur demande du bénéficiaire potentiel ou de son mandataire (al. 1). La demande est adressée au département sur la base d’un formulaire spécifique, accompagné notamment de toutes les pièces utiles nécessaires au traitement de la demande (al. 2). La liste des pièces requises ainsi que les modalités de dépôt des demandes figurent dans le règlement d’application de la loi 12938 (al. 3). Sur la base des pièces justificatives fournies, le département constate si le bénéficiaire remplit les conditions d’octroi de l’aide financière, calcule le montant de celle-ci et procède au versement (al. 4).

7. Le règlement est entré en vigueur le 5 mai 2021. Il a été modifié le 7 juillet 2021 (ROLG 2021, p. 466). Les dispositions pertinentes à la résolution du cas d’espèce n’ont toutefois pas été modifiées à l’occasion de cette modification.

L’aide financière est à fonds perdu. Elle consiste en une participation de l’État de Genève destinée à contribuer aux coûts fixes non couverts de l’entreprise, aux conditions et limites posées par la loi (art. 4 al. 1 et 2 règlement).

Selon l’art. 19 al. 1 du règlement, applicable aux entreprises avec un chiffre d’affaires moyen 2018-2019 supérieur à CHF 5'000'000.-, peuvent prétendre à une aide financière celles qui démontrent que leur chiffre d’affaires, généré sur une période de 12 mois comprise entre le 1er janvier 2020 et le 30 juin 2021, est inférieur de 60 % du chiffre d’affaires moyen déterminé selon les modalités prévues par l’art. 3 de l’ordonnance.

À teneur de l’art. 20 du règlement, le montant de l'indemnité correspond au recul du chiffre d’affaires tel que prévu par l’article 5 de l’ordonnance COVID-19 cas de rigueur, multiplié par une part de coûts fixes forfaitaires déterminée selon le domaine d’activité (al. 1). Le recul du chiffres d’affaires peut être calculé sur une période maximale de 18 mois comprise entre le 1er janvier 2020 et le 30 juin 2021 (al. 2). Conformément à l'art. 8b al. 3 de l’ordonnance, la part de coûts fixes forfaitaires appliquée au recul du chiffre d’affaires est de : 8% pour les agences de voyage, les commerces de gros et les commerces de véhicules automobiles (let. a) ; 15% pour les commerces de détail (let. b) ; 25% pour les autres entreprises (let. c). Le département peut fixer une part de coûts fixes forfaitaires plus faible s’il constate que les taux visés à l’al. 3 occasionnent une surindemnisation (al. 4).

8. En l’espèce, dans sa demande pour cas de rigueur du 7 septembre 2021, la recourante a annoncé des chiffres d’affaires 2018, 2019 et 2020 de respectivement CHF 9'553'962.-, CHF 8'445'647.- et CHF 5'671'180.-. Dès lors que, comme elle y était autorisée, elle a demandé que le chiffre d’affaires pris en compte soit celui des douze derniers mois précédents sa demande, elle a annoncé pour la période du 1er février 2020 au 31 janvier 2021 un chiffre d’affaires de CHF 5'243'073.-. Pour sa part, l’intimée a retenu pour 2018, 2019 et pour la période du 1er février 2020 au 31 janvier 2021 des chiffres d’affaires de respectivement CHF 9'553'962.-, CHF  8'499'145.- et CHF 5'571'359.-.

Il découle de ce qui précède, et les parties s’accordent sur le point qu’il n’y a aucune différence entre le chiffre d’affaires annoncé et celui retenu pour l’année 2018. Sont litigieux les chiffres d’affaires 2019 et 2020. Pour 2019, il n’est pas contesté que la différence de CHF 53'498.- correspond à la variation de la provision pour débiteurs douteux que la recourante souhaite voir prise en compte. Pour 2020, l’intimée explique dans sa réponse au recours, sans être contredite sur ce point par la recourante dans sa réplique, que la différence de CHF 328'286.- s’explique par le fait que les CHF 5'571'359.- retenus par le département correspondent à l’addition des encaissements, c’est-à-dire des produits des ventes concrètes de fruits et légumes par la recourante.

Reste ainsi à déterminer si c’est à juste titre que l’intimée n’a pas pris en compte la variation de la provision pour débiteurs douteux dans le chiffre d’affaires de la recourante en 2019 et en 2020, qu’elle n’a pas pris en compte la provision pour débiteurs douteux et les pertes sur débiteurs.

9. a. La notion de chiffre d’affaires n’est pas définie dans les différentes lois, ordonnance ou règlement mentionnés ci-dessus. Il en est certes question à l’art. 3 al. 3 de l’ordonnance Covid-19, lequel est rédigé en ces termes : « le chiffre d’affaires au sens de la présente ordonnance se réfère au compte individuel de l’entreprise requérante ». Mais, comme cela ressort du commentaire du 18 juin 2021 concernant l’ordonnance Covid-19 rédigé par l’administration fédérale des finances (p. 6), cette disposition vise à préciser les modalités de la prise en compte du chiffre d’affaires des sociétés mères d’un groupe, les cantons ne pouvant invoquer le chiffre d’affaires d’une société du groupe qu’à une seule reprise, et non à définir le chiffre d’affaires. La notion de chiffres d’affaires n’est pas non plus définie dans le message du Conseil fédéral du 12 août 2020 concernant la loi COVID-19 (FF 2020 6363). Elle ne ressort pas plus des commentaires que du PL 12938.

b. L’art. 1 al. 1 de la loi COVID-19 dispose que celle-ci règle des compétences du Conseil fédéral visant à lutter contre l’épidémie de COVID-19 et à surmonter les conséquences des mesures de lutte notamment sur l’économie. L’art. 12 de la loi COVID-19 mentionné plus haut se réfère aux entreprises particulièrement touchées par les conséquences de l’épidémie. Quant à l’ordonnance COVID-19 cas de rigueur, son art. 1 dispose que la Confédération participe aux coûts et aux pertes que les mesures pour les cas de rigueur destinées aux entreprises occasionnent à un canton. L’art. 1 de loi 12938 précise pour sa part que cette loi a pour but de limiter les conséquences de la lutte contre l’épidémie pour les entreprises sises à Genève. Ces dispositions limitent ainsi l’intervention des autorités aux conséquences des mesures adoptées pour lutter contre l’épidémie et non aux conséquences d’autres éléments qui pourraient affecter la marche des affaires d’une entreprise. Ce qui précède va dès lors dans le sens de la position défendue par l’intimée, selon laquelle notamment, les aides pour cas de rigueur n’avaient pas pour but de combler des lacunes résultant de débiteurs insolvables d’avant la pandémie.

La position adoptée par l’intimée, en ce qu’elle refuse d’intégrer au chiffre d’affaires des pertes et des provisions, est également fondée au regard du titre 32ème du CO qui traite de la comptabilité commerciale, de la présentation des comptes, des autres devoirs de transparence et de diligence. Sous le chapitre II, comptes annuels et comptes intermédiaires, l’art. 959b CO traite de la structure minimale du compte de résultat. Il y est précisé que le compte de résultat reflète les résultats de l’entreprise durant l’exercice. Il peut être établi selon la méthode de l’affectation des charges par nature ou selon la méthode de l’affectation des charges par fonction (al. 1). Que le compte de résultats soit établi par nature ou par fonction, il doit comporter au moins les postes qui sont énoncés aux al. 2 et 3 de cette disposition. Les postes doivent être indiqués séparément et selon une structure précise. Doivent ainsi figurer les produits nets des ventes de biens et de prestations de services (al. 2 ch. 1 ; al. 3 ch. 1) et, séparément, notamment les amortissements (al. 2 ch. 6), certaines charges (al. 2 ch. 3, 4, 5, 7, 8 et 9 ; al. 3 ch. 3, 4, 5 et 6) ainsi que le bénéfice ou perte de l’exercice (al. 2 ch. 11 et al. 3 ch. 8).

Au-delà des arguments fondés sur les exigences comptables précitées, le point de vue de l’intimée, qui soutient dans sa réponse au recours qu’il faut s’en tenir aux produits des ventes concrètes de fruits et de légumes de la recourante, se trouve encore renforcé à la lecture de la définition que donne le secrétariat d’État à l’économie. Sur le portail PME pour petites et moyennes entreprises, sous la rubrique « glossar » (www.kmu.admin.ch/kmu/fr/home/glossar/chiffre-d-affaires-.html), le chiffre d’affaires y est en effet défini comme la somme des ventes de biens ou de services d’une entreprise au cours d’un exercice comptable. Enfin, l’art. 10 al. 2bis de la loi fédérale régissant la taxe sur la valeur ajoutée du 12 juin 2009 (loi sur la TVA, LTVA - RS 641.20) va dans le même sens, cette disposition prévoyant que le chiffre d’affaires se calcul sur la base des contre-prestations convenues (hors impôt). La contre-prestation est définie comme la valeur patrimoniale que le destinataire, ou un tiers à sa place, remet en contrepartie d’une prestation (art. 3 let. f).

Il découle de ce qui précède que l’intimée a correctement établi les faits. C’est en outre conformément au droit qu’elle s’est tenue à l’addition des encaissements, soit aux produits des ventes réalisées par la recourante, sans prendre en compte la variation de la provision pour débiteurs douteux dans le chiffre d’affaires de la recourante en 2019 et sans prendre en compte la provision pour débiteurs douteux et les pertes sur débiteurs en 2020. Cette manière de faire, en ce qu’elle permet d’identifier les seules pertes en lien avec les mesures adoptées pour lutter contre l’épidémie, n’est pas choquante et permet d’appréhender l’activité réelle de l’entreprise dans le respect de l’art. 3 al. 3 de la loi 12938.

10. La recourante sollicite subsidiairement que soit examinée sa demande de cas de rigueur à la lumière des chiffres d’affaires produits à l’appui de sa réclamation du 22 décembre 2021. Elle expose que hors provisions sur débiteurs douteux, il était établi que le chiffre d'affaires de mars 2020 à février 2021 de CHF 5'157'926.- était en recul de 42,86 % par rapport au chiffre d'affaires moyen 2018-2019 tel que retenu par le département, hors ajustement, à hauteur de CHF 9'026'554.-. Il en allait de même pour les périodes postérieures qui essuyaient une perte de 43.16 % d'avril 2020 à mars 2021, en comparaison au chiffre d’affaires moyen retenu par le département. Ce faisant, elle perd de vue que l’objet du présent litige porte sur un chiffre d’affaires défini pour la période du 1er février 2020 au 31 janvier 2021 et non sur des périodes subséquentes. Il n’y a dès lors pas lieu d’entrer en matière sur cette requête de la recourante ni d’examiner une éventuelle violation du principe de la bonne foi par l’intimée, grief qu’elle soulève dans ce cadre.

11. Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 1'500.- sera mis à la charge de la recourante, qui succombe (art. 87 al. 1 LPA). Aucune indemnité de procédure (art. 87 al. 2 LPA) ne sera allouée à l’intimée qui, bien que plaidant par un avocat, dispose d’un service juridique à tout le moins rattaché au département dont elle dépend.

* * * * *

 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 23 mai 2022 par A______ Sàrl contre la décision de la direction générale du développement économique, de la recherche et de l’innovation du 5 avril 2022 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 1'500.- à la charge de A______ Sàrl ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Cyril Aellen, avocat de la recourante ainsi qu'à Me David Hofmann, avocat de direction générale du développement économique, de la recherche et de l'innovation.

Siégeant : M. Mascotto, président, M. Verniory, Mme Lauber, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

S. Croci Torti

 

 

le président siégeant :

 

 

C. Mascotto

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :