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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/4230/2022

ATA/411/2023 du 19.04.2023 ( EXPLOI ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/4230/2022-EXPLOI ATA/411/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 19 avril 2023

2ème section

 

dans la cause

 

A_______  recourant

contre

SERVICE DE POLICE DU COMMERCE ET DE LUTTE CONTRE LE TRAVAIL AU NOIR intimé



EN FAIT

A. a. L’entreprise individuelle « A______ » exploite le commerce à l’enseigne « Le B______», sis C______à Versoix.

b. Par contrat de travail du 1er avril 2021, Monsieur D______, titulaire de la raison individuelle, a engagé son neveu, Monsieur E______, en qualité de « responsable de l’administration et de la comptabilité ». Son horaire serait variable en fonction des besoins du commerce. Dans un premier temps, il devait travailler deux heures par jour six jours par semaine, son salaire horaire étant de CHF 27.50.

c. Le 30 août 2008, l’oncle et le neveu ont adressé au service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir (ci-après : PCTN) une déclaration de fonction dirigeante élevée. Il était indiqué que M. E______ réalisait un salaire mensuel de CHF 2'500.- pour un taux d’activité de 50 %.

d. Par décision du 18 novembre 2022, le PCTN a refusé de reconnaître à M. E______ la qualité de travailleur exerçant une fonction dirigeante élevée. Il n’était pas démontré que celui-ci disposait d’un pouvoir de décision important ou était en mesure d’influencer fortement des décisions de portée majeure concernant la structure, la marche et le développement du commerce en cause.

B. a. Par acte du 14 décembre 2022, M. D______ a recouru contre cette décision.

Il a expliqué qu’il avait créé son commerce en utilisant ses avoirs de prévoyance professionnelle. Son neveu étant alors sans travail, il l’avait convaincu de participer en tant que « responsable des finances et de l’administration ». Il était son patron, mais aussi son « tonton ». Il s’était fixé comme objectif qu’au terme du contrat de bail, son neveu puisse être capable de créer et gérer sa propre entreprise. Celui-ci gérait de manière autonome les finances et les aspects administratifs du commerce. Il l’associait à toutes ses décisions. La confrontation de leurs avis donnait une impulsion positive à leur commerce. Il trouvait passionnant de voir Alexandre évoluer et « prendre de l’épaisseur » afin qu’il réalise son objectif (du recourant) d’en faire un « chef d’entreprise performant ». Le statut de travailleur exerçant une fonction dirigeante élevée permettrait à son neveu de travailler le dimanche, ce que lui-même n’arrivait plus à faire.

b. Le PCTN a conclu au rejet du recours, se référant à sa décision.

c. Le recourant ne s’est pas manifesté dans le délai imparti pour répliquer.

d. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1.             Le recours a été interjeté en temps utile devant la juridiction compétente recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

La question de savoir si M. E______ aurait dû cosigner le recours peut rester indécise, dès lors que celui-ci doit de toute manière être rejeté.

2.             Il convient d’examiner si le refus de reconnaître à M. E______ la qualité de travailleur exerçant une fonction dirigeante élevée est fondé.

2.1 La loi fédérale sur le travail dans l’industrie, l’artisanat et le commerce du 13 mars 1964 (LTr – RS 822.11) s'applique, sous réserve des art. 2 à 4 LTr, à toutes les entreprises publiques et privées (art. 1 al. 1 LTr). Sont notamment exclus du champ d'application de la LTr les travailleurs exerçant une « fonction dirigeante élevée » (art. 3 let. d LTr).

Cette notion a pour but de ne pas entraver, par une intervention du droit public, les décisions que peuvent être amenées à prendre, pour les besoins de l'entreprise, les personnes qui ont la charge de ses affaires (ATA J. et N. S.A. du 23 août 1995). Le législateur est parti de l'idée que les personnes exerçant une « fonction dirigeante élevée » n'avaient pas besoin de protection de droit public (ATF 98 Ib 347 consid. 2 ; ATA/665/2012 du 2 octobre 2012).

Aux termes de l'art. 9 de l’ordonnance 1 relative à la loi sur le travail du 10 mai 200 (OLT1- RS 822.11), exerce une « fonction dirigeante élevée » quiconque dispose, de par sa position et sa responsabilité et eu égard à la taille de l'entreprise, d'un pouvoir de décision important ou est en mesure d'influencer fortement des décisions de portée majeure concernant notamment la structure, la marche des affaires et le développement d'une entreprise ou d'une partie d'entreprise.

Le fait que la loi ne parle pas simplement de fonction dirigeante mais de « fonction dirigeante élevée », doit conduire à une interprétation plutôt restrictive de l'art. 3 let. d LTr (ATF 126 III 337 consid. 5a ; 98 Ib 347 consid. 2 ; ATA/491/2020 du 19 mai 2020 consid. 5). Savoir si une personne exerce une fonction dirigeante élevée est une question qui doit être tranchée non seulement à la lumière du contrat de travail, mais également sur la base des circonstances concrètes et de la nature réelle du travail exercé (ATF 126 III 337 consid. 5a ; 98 Ib 347 consid. 2).

Le fait qu'un travailleur bénéficie d'une position de confiance au sein de l'entreprise ne permet pas à lui seul d'admettre que cette personne y exerce une fonction dirigeante. Ni la compétence d'engager l'entreprise par sa signature ou de donner des instructions, ni l'ampleur du salaire ne constituent à eux seuls des critères décisifs (ATF 126 III 337 consid. 5a ; arrêts du Tribunal fédéral 4C_157/2005 du 25 octobre 2005 consid. 5.2 ; 4C_322/1996 du 4 juillet 1997 consid. 2b/aa).

2.2 La loi sur les heures d’ouverture des magasins du 15 novembre 1968 (LHOM – I 1 05) s'applique à tous les magasins sis sur le territoire du canton de Genève (art. 1 LHOM). Le département est chargé de l'application de la LHOM (art. 2 LHOM).

Sous réserve des régimes particuliers et des dispositions relatives aux fermetures retardées, l'heure de fermeture ordinaire des magasins est 19h00 (art. 9 al. 1 LHOM). L'heure de fermeture du vendredi est 19h30 (art. 9 al. 2 LHOM). Celle du samedi est 18h00 (art. 9 al. 3 LHOM). Les magasins peuvent rester ouverts un soir par semaine jusqu'à 21h00 (art. 14 LHOM). Sous réserve de dispositions particulières de la LHOM, tous les magasins qui ne sont pas au bénéfice d'une disposition dérogatoire de l'ordonnance 2 relative à la loi sur le travail du 10 mai 2000 (OLT 2 - RS 822.112) doivent être fermés le dimanche et les jours fériés légaux (art. 16 LHOM).

Selon l'art. 4 let. d LHOM, ne sont pas assujettis à la LHOM les magasins, à condition qu'ils n'occupent pas de personnel les dimanches et jours fériés légaux ainsi qu'au-delà des heures de fermeture normales des magasins, étant précisé que ne sont pas considérés comme du personnel les travailleurs exerçant une fonction dirigeante élevée au sens de la LTr et qui sont tenus de s'annoncer au PCTN.

2.3 Selon l'art. 1 du règlement d'exécution de la loi sur les heures d'ouverture des magasins du 21 février 1969 (RHOM - I 1 05.01), les travailleurs exerçant une fonction dirigeante élevée sont tenus de s'annoncer au département compétent, et remplissent à cet effet une déclaration ad hoc sur le formulaire édicté par le PCTN, tout changement de situation susceptible de modifier l'une ou l'autre des informations ainsi transmises au service devant être immédiatement communiqué (al. 1) ; le PCTN peut en tout temps exiger la production d'autres documents justifiant la fonction dirigeante élevée (al. 2) ; à la demande du PCTN, et en cas de doute de ce dernier concernant l'exercice réel d'une fonction dirigeante élevée au sens de la LTr, l'OCIRT donne son avis.

2.4 En l’espèce, le contrat de travail liant le neveu à son oncle prévoit que celui-ci travaille comme « responsable de l’administration et de la comptabilité ». Les explications fournies par le recourant confirment que l’intéressé s’occupe des aspects administratifs et comptables de l’entreprise. Le recourant expose qu’il associe son neveu à toutes ses décisions, souhaitant à terme que ce dernier puisse créer et gérer son propre commerce et trouvant « passionnant » de le voir évoluer, répétant qu’il a pour objectif d’en faire un « chef d’entreprise performant ». Il ressort de ces explications que le recourant entend former son neveu à la fonction de chef d’entreprise, mais ne le considère pas encore comme tel, d’une part. D’autre part, il découle des allégations du recourant que, bien qu’associant son neveu à ses décisions, celles-ci sont in fine prises par lui et non son neveu.

Ce dernier ne bénéficie d’ailleurs pas du pouvoir de signature au registre du commerce. En outre, il n’est pas non plus allégué qu’il participe d’une manière ou d’une autre au risque financier ; le recourant et son neveu n’ont d’ailleurs pas coché, dans le formulaire adressé au PCTN, la rubrique relative à la prise de risque en cas de déficit d’exploitation. Enfin, tant le salaire mensuel que le taux d’activité du neveu demeurent modestes.

Au vu de l’ensemble de ces éléments, le PCTN n’a pas violé la loi ni abusé de son pouvoir d’appréciation en considérant que M. E______ n’exerçait pas une « fonction dirigeante élevée » au sein de l’entreprise individuelle de son oncle.

Mal fondé, le recours sera donc rejeté.

3.             Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 500.- sera mis à la charge du recourant et aucune indemnité de procédure ne lui sera allouée (art. 87 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

rejette, en tant qu’il est recevable, le recours interjeté le 14 décembre 2022 par A______ contre la décision du service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir du 18 novembre 2022 ;

met un émolument de CHF 500.- à la charge de A______ ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à A______ ainsi qu'au service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir.

Siégeant : M. Mascotto, président, Mme Krauskopf, M. Verniory, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

N. Deschamps

 

 

le président siégeant :

 

 

C. Mascotto

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

la greffière :