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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1524/2022

ATA/1220/2022 du 06.12.2022 ( FPUBL ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1524/2022-FPUBL ATA/1220/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 6 décembre 2022

 

dans la cause

 

Mme A______
représentée par Me Romain JORDAN, avocat

contre

HÔPITAUX UNIVERSITAIRES DE GENÈVE
représentés par Me Véronique MEICHTRY, avocate



EN FAIT

1) Mme A______, née le ______ 1987, a obtenu le 5 septembre 2014, le baccalauréat en sciences HES-SO en soins infirmiers.

Le 14 novembre 2014, elle a été autorisée à exercer la profession d’infirmière dans le canton de Genève, par arrêté du département de l’emploi, des affaires sociales et de la santé, devenu depuis le département de la sécurité, de la population et de la santé (ci-après : DSPS).

Le 17 novembre 2014, elle a été engagée dès le 1er décembre 2014 et pour une durée indéterminée par les Hôpitaux universitaires de Genève (ci-après : HUG) en qualité d’infirmière diplômée au sein du service de médecine et de psychiatrie pénitentiaire, devenu depuis service des mesures institutionnelles (ci-après : SMI).

Du 1er décembre 2014 au 1er septembre 2015 elle a été affectée à l’unité pour jeunes adultes « B______ » à l’hôpital C______.

Le 30 juin 2015, elle s’est vu attribuer une indemnité pour inconvénients de service en milieu carcéral de CHF 572.90 par mois avec effet au 1er septembre 2015 compte tenu de sa nouvelle affectation dès la même date à l’unité hospitalière de psychiatrie pénitentiaire (ci-après : UHPP) de D______.

Le 26 septembre 2016, Mme A______ a été nommée fonctionnaire avec effet au 1er décembre 2016.

Le 18 janvier 2017, les HUG ont accepté de financer sa formation en vue de l’obtention d’un certificat d’études avancées (ci-après : CAS) en santé en milieu pénitentiaire. Mme A______ a obtenu le CAS le 20 septembre 2018 et s’est vu octroyer dès le 1er janvier 2019 une annuité supplémentaire en raison de la réussite de sa formation postgrade.

Dès le 1er janvier 2019, Mme A______ a été colloquée en classe 15 annuité 4, correspondant à un salaire mensuel brut, indemnités non comprises, de CHF 6'908.80 pour une activité à 100 %.

Dès le 1er janvier 2020, le taux d’activité de Mme A______ est passé de 100 % à 80 % à sa demande. Dès le 1er septembre 2021, son taux d’activité est remonté à 90 %, à sa demande.

2) Le 21 juillet 2021, Mme A______ a demandé aux HUG de réévaluer son salaire.

Elle parlait quatre langues, qui lui servaient dans le cadre de son activité. Elle avait fourni des certificats portant sur la maîtrise de l’anglais et de l’italien lors de son engagement. Une indemnité pour utilisation des langues étrangères lui était due pour l’avenir et rétroactivement depuis la date de son engagement.

3) Le 24 septembre 2021, les HUG ont rejeté la demande de Mme A______.

La fonction qu’elle occupait ne nécessitait pas l’usage régulier d’autres langues. Cela était d’ailleurs conforme au cahier des charges qu’elle avait signé et qui n’exigeait pas la connaissance d’une ou plusieurs langues étrangères.

4) Le 18 mars 2022, Mme A______ a persisté dans sa demande et sollicité l’ouverture d’une procédure et le prononcé d’une décision formelle.

L’indemnité devait être allouée lorsque la fonctionnaire apportait par ses connaissances linguistiques une plus-value à la fonction et lorsque le poste retirait un bénéfice de l’utilisation de connaissance linguistiques particulières.

L’indemnité n’était pas due lorsque la fonction occupée requérait l’utilisation d’une langue étrangère ou lorsque la fonctionnaire bénéficiait d’une classification supérieure à celle prévue pour sa fonction. Le fait que son cahier des charges ne mentionnait aucune langue étrangère justifiait précisément l’octroi de l’indemnité.

Pour certaines situations de soins, elle était régulièrement sollicitée tant par les médecins que les autres collaborateurs pour servir d’interprète et ce jusque dans d’autres unités de soins. Elle avait par exemple parlé italien tous les jours depuis l’arrivée et jusqu’au départ d’un patient tessinois. Lors d’un remplacement de quelques mois, elle avait parlé allemand à chacune de ses présences. Durant huit mois, elle avait elle-même pris en soins à chaque fois qu’elle était présente un patient géorgien ne parlant qu’allemand.

L’usage des langues étrangères était pour ainsi dire quotidien et à tout le moins régulier et nécessaire à l’accomplissement de sa fonction. Dès lors, en outre, que d’autres collaborateurs faisaient régulièrement appel à elle pour agir en qualité d’interprète, ses connaissances linguistiques apportaient indéniablement une
plus-value à la fonction qu’elle exerçait.

5) Par décision du 28 mars 2022, les HUG ont refusé d’entrer en matière sur la demande.

Le SMI faisait appel, plusieurs fois par semaine, à des interprètes dans le cadre des échanges avec les patients détenus. Son poste ne nécessitait donc pas l’utilisation d’une langue étrangère. Si elle utilisait ses compétences linguistiques sur son lieu de travail, elle le faisait de sa propre initiative, par confort, mais cela n’était ni demandé ni attendu d’elle. Si ses collègues la sollicitaient pour une traduction, elle était invitée à les orienter vers l’interprète.

6) Par acte remis à la poste le 12 mai 2022, Mme A______ a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre cette décision, concluant à son annulation et à ce que lui soit octroyée l’indemnité pour utilisation de langues étrangères.

Les HUG faisaient ponctuellement appel à des interprètes pour des entretiens de trente minutes à une heure par patient, une fois par semaine et en journée. Les infirmiers étaient en contact avec les patients en permanence, y compris la nuit. Lors du travail de nuit, d’une durée de dix heures, les patients détenus étaient enfermés en cellule mais pouvaient à tout moment utiliser une sonnette pour appeler le service médical. En cas de nécessité, les infirmiers se présentaient à la porte et la cellule pouvait être ouverte.

Bien que la maîtrise du français fût une condition pour intégrer D______, l’exigence n’était pas respectée en pratique et il arrivait régulièrement que des patients ne parlent en réalité pas un mot de français. L’ancien directeur des soins, M. E______, avait sollicité les collaborateurs afin de connaître les langues parlées par chacun d’eux et de dresser un catalogue.

Elle parlait couramment quatre langues : le français, l’anglais, l’italien et l’allemand. Elle avait fourni dès sa postulation aux HUG les certificats établissant ses compétences linguistiques en anglais et en italien.

Dans la mesure où l’UHPP prenait en charge des patients en état de décompensation, physiquement ou verbalement agressifs, présentant parfois un risque suicidaire, le recours aux langues étrangères était absolument nécessaire pour se faire comprendre des patients ne parlant pas le français.

Durant les huit ans passés en UHPP, elle avait parlé presque quotidiennement une langue étrangère. Depuis son arrivée en unité de mesure en 2019, elle avait parlé italien tous les jours. Outre le patient géorgien ne parlant qu’allemand, elle avait parlé quotidiennement allemand avec un patient et anglais avec un autre de janvier à mars 2021. Jusqu’à peu, elle parlait quotidiennement l’anglais avec un patient nigérian. Depuis le 5 avril 2022, elle parlait quotidiennement italien avec un patient italophone, à la demande d’un des médecins du service. Pour certaines situations de soins, tant les médecins que d’autres collaborateurs faisaient appel à elle comme interprète, également dans d’autres unités de soins. La pratique démontrait que le personnel médical pouvait être régulièrement amené à utiliser des langues étrangères au gré des besoins, en plus des interprètes officiels auxquels l’institution faisait ponctuellement appel. La disponibilité des interprètes était limitée et ils n’étaient pas autorisés à entrer en contact avec des patients en crise, pour leur sécurité. Il n’était ainsi pas envisageable en situation de crise de recourir à des interprètes et les infirmiers devaient se faire comprendre immédiatement des patients. Le département de psychiatrie sollicitait ses collaborateurs russophones et ukrainophones.

La décision violait la loi. Elle parlait couramment trois langues étrangères prises en compte par l’administration : l’anglais, l’italien et l’allemand. Le fait que son cahier des charges n’exigeait pas la connaissance de langues étrangères justifiait précisément que l’indemnité lui soit allouée.

La décision violait le principe de la bonne foi et de l’interdiction de l’arbitraire. Sa motivation était abusive et contradictoire. Invoquer le cahier des charges était contraire au principe de la bonne foi. Soutenir qu’elle utilisait les langues étrangères de sa propre initiative et par confort personnel, de même que l’inviter à orienter ses collègues vers des interprètes, relevait d’une mauvaise foi crasse ou d’une méconnaissance totale de la réalité du terrain.

La décision violait le principe de l’égalité de traitement. L’indemnité était accordée à des membres du corps médical de la prison F______ qui se trouvaient dans la même situation qu’elle.

7) Le 6 juillet 2022, les HUG ont conclu au rejet du recours.

La procédure interne, qu’ils produisaient, fixait un cadre précis à l’octroi de l’indemnité prévue par la loi. Les collaborateurs utilisant régulièrement une ou plusieurs langues sans que cela soit prévu dans leur cahier des charges comme une exigence devaient pouvoir justifier de leur niveau de langue afin de pouvoir bénéficier des indemnités linguistiques. Par langues étrangères, on entendait les connaissances linguistiques exigées pour l’exercice d’une fonction particulière, en plus du français. La langue était pratiquée de manière régulière, quasi quotidienne, dans l’activité professionnelle. La connaissance linguistique était prise en considération pour toutes les fonctions jusqu’à la classe 17 incluse, de l’échelle des traitements, quel que soit le niveau de formation exigé, pour autant que la fonction occupée en requière la pratique régulière. Si une langue était indispensable à l’exercice professionnel, cela devait être mentionné dans le cahier des charges et constituer un critère d’engagement. Dans ce cas, il ne pouvait y avoir de prime.

En pratique, au sein des HUG, un infime pourcentage de collaborateurs avait perçu une indemnité linguistique entre le 1er janvier et le 30 juin 2022, sur un total de douze mille sept cents collaborateurs. L’indemnité n’avait été accordée qu’à onze infirmières, tous départements confondus et dans des contextes très particuliers. Au sein du département de médecine communautaire, l’indemnité avait notamment été octroyée, pour les langues anglaise et allemande, à deux infirmières travaillant à la consultation des voyageurs, en contact quotidien avec des voyageurs de passage ne parlant pas le français et dont une proportion significative était anglophone ; la connaissance de l’allemand était par ailleurs utile en vue de la rédaction et la traduction des nouvelles hebdomadaires du site délivrant des conseils aux voyageurs. Au département de psychiatrie, une seule infirmière bénéficiait de cette indemnité, laquelle travaillait au centre ambulatoire de psychiatrie et psychothérapie intégrée de G______, qui accueillait une patientèle de migrants et parlait quotidiennement avec ceux-ci l’arabe et ses dialectes.

Au sein du SMI, personne ne percevait actuellement d’indemnité pour connaissance linguistique. En effet, la connaissance de langues étrangères n’y était ni nécessaire ni utile au poste d’infirmier. Selon les derniers chiffres, plus de 93 % de la patientèle parlait le français. Les patients détenus ne parlant pas ou seulement mal le français étaient de langue maternelle arabe ou africaine. Le recours à des traducteurs interprètes pour ces patients, en particulier pour des entretiens médicaux et infirmiers, avait lieu de manière systématique plusieurs fois par semaine, d’une part pour assurer une prise en charge optimale et d’autre part pour éviter qu’une relation privilégiée ne s’instaure entre l’infirmier et le patient, que l’infirmier ne s’écarte de son rôle de soignant et que la relation privilégiée puisse conduire à une relation d’emprise. Entre deux cents et trois cents interventions de traducteurs interprètes avaient lieu chaque année à D______. À terme, l’accent était mis sur la réhabilitation et, partant, l’intégration et l’apprentissage du français par cette patientèle. Des cours de français étaient proposés aux patients tout au long de leur incarcération.

Le personnel du corps médical ne pouvait percevoir d’indemnité, car ses classes de traitement étaient supérieures à la classe 17.

La recourante percevait un salaire de base de CHF 6'685.85 brut pour un taux d’activité de 90 %, auquel s’ajoutaient le 13ème salaire ainsi que des indemnités pour inconvénient de service en milieu carcéral de CHF 515.65, spécifique aux EPM de CHF 102.05, pour service de nuit de CHF 237.85 et pour service de week-end de CHF 251.05.

L’indemnité pour connaissance linguistique était potestative. Il n’y avait pas de droit à la percevoir. Les quelques patients détenus ne parlant pas bien ou pas du tout le français étaient pour l’essentiel de langue arabe ou africaine, soit des langues que la recourante ne maîtrisait pas. Contrairement à ce qu’elle soutenait, la recourante ne pratiquait pas au quotidien des langues étrangères dans le cadre de son activité. Elle prétendait avoir parlé allemand au quotidien avec un détenu géorgien alors qu’elle avait indiqué dans sa postulation maîtriser l’allemand avec un niveau débutant à l’oral et à l’écrit. Le SMI recourait aux interprètes. L’usage des langues étrangères n’était pas justifié par les besoins du poste.

Mme A______ n’avait fourni des certificats que lors de son engagement, et uniquement pour l’italien et l’anglais. L’anglais était attesté au niveau B1 en 2014 et l’italien au niveau B2 en 2008. Or, le niveau B1 était insuffisant pour obtenir une indemnité. Elle n’avait jamais fait valoir, notamment durant ses entretiens d’évaluation, devoir parler des langues étrangères dans le cadre de son travail avant l’été 2021. Elle ne pouvait soutenir avoir dû parler des langues étrangères dès son engagement en 2014. La procédure ad hoc ne prévoyait pas de versement rétroactif, et la prescription quinquennale s’appliquait en toute hypothèse.

L’octroi d’indemnités linguistiques étaient très rares et la recourante ne pouvait en inférer une inégalité de traitement en sa défaveur. Aucune promesse ne lui avait par ailleurs été faite.

8) Le 31 août 2022, Mme A______ a persisté dans ses conclusions.

Des offres d’emploi des HUG pour des infirmiers au service de médecine pénitentiaire (ci-après : SMP) datant de novembre 2021 et août 2022 mentionnaient que la maîtrise de l’anglais et la connaissance d’une autre langue étrangère comme l’espagnol, l’italien et l’arabe étaient un atout. La maîtrise des langues était un atout pour garantir la qualité et la continuité des soins auprès des patients-détenus, ce qu’établissaient plusieurs études scientifiques. L’allégation relative au nombre d’interventions des traducteurs interprètes n’était pas documentée et son expérience montrait que ces dernières n’étaient pas suffisantes pour couvrir les besoins des patients détenus. Il y avait neuf patients ne parlant pas le français au sein de D______. Les patients nigérien, érythréen et syrien ne bénéficiaient que d’une traduction en anglais. Il y avait également des patients allophones bélarusse, allemand et italien. Si les huit patients de D______ bénéficiant selon les HUG d’interprètes (dont cinq non francophones et trois dont la connaissance du français était insuffisante) avaient au moins un entretien hebdomadaire, cela nécessitait au moins quatre cent seize entretiens par an, sans compter les entretiens infirmiers hebdomadaires qui doublaient au moins ce nombre.

Elle était souvent sollicitée pour des patients tessinois, que le concordat conduisait à D______, pour lesquels tous les documents médicaux étaient rédigés en italien. Beaucoup de migrants africains entrés par l’Italie parlaient un minimum d’italien pour se faire comprendre et souvent aussi l’anglais.

Elle avait évoqué l’indemnité en 2017 déjà avec son supérieur, qui lui avait alors exposé que celle-ci ne se pratiquait plus ; elle s’était fiée à lui et avait renoncé à élever des prétentions. Elle était la seule à parler quatre langues et à justifier leur maîtrise par des diplômes.

La crainte d’une relation privilégiée, voire d’emprise, ne semblait pas concerner le service de médecine pénitentiaire, qui recherchait des compétences linguistiques. On peinait à comprendre en quoi l’usage d’une langue étrangère augmentait le risque d’emprise plus que celui du français.

De nombreuses études, qu’elle produisait, montraient que la communication était l’aspect le plus important de la relation de soins et une composante essentielle du rôle de l’infirmière, tout particulièrement en psychiatrie. La discordance linguistique augmentait le risque d’erreurs médicales, de l’anamnèse au traitement, en passant par le diagnostic. Les compétences de soignants bilingues méritaient d’être valorisées. Les HUG avaient eux-mêmes rapporté que la barrière de la langue pouvait entraver la communication et péjorer la qualité des soins et préconisaient une communication dans la langue du patient. Selon eux, pour des raisons de coûts, le recours aux interprètes devait être raisonné et tenir compte des compétences linguistiques des personnes participant à l’entretien, du contexte et de la complexité de celui-ci et des aspects émotionnels et socio-culturels impliqués.

Selon une étude, 72.7 % seulement des patients détenus à D______ entre 2014 et 2019 parlaient le français. Au moment de ses écritures, neuf patients détenus ne parlaient pas le français : un Nigérian, pour lequel les entretiens médico-infirmiers avec l’interprète ainsi que la communication au quotidien sans celui-ci se déroulaient en anglais ; un Biélorusse, pour lequel les entretiens se déroulaient en biélorusse ; un Marocain, pour lequel les entretiens se déroulaient en arabe ; un Tessinois, pour lequel les entretiens se déroulaient en italien, pour lequel elle avait dû réaliser des traductions et dont elle s’était occupée à l’UHPP ; un Syrien dont les entretiens étaient réalisés en anglais et qu’elle avait pris en charge à l’UHPP ; un Suisse-alémanique ne disposant d’aucun interprète et pour lequel elle avait dû effectuer des traductions ; un Nigérian anglophone ne disposant d’aucune interprète au motif qu’un des référents était bilingue français-anglais et qu’elle avait pris en charge à l’UHPP ; un Érythréen anglophone ne bénéficiant pas d’un interprète au prétexte que certains infirmiers parlaient anglais et qu’elle avait pris en charge à l’UHPP ; un Tessinois ayant accès à l’interprète mais dont le niveau de français était si bas qu’elle devait systématiquement communiquer avec lui en italien.

La gestion de la crise en psychiatrie pénitentiaire était comprise dans son cahier des charges et nécessitait de communiquer dans la langue du patient détenu. Elle avait été appelée pour l’entretien d’admission d’un patient tessinois pour lequel aucun interprète n’était prévu. Lors de ses deux jours d’immersion à la prison F______, elle avait participé à un entretien durant lequel une traduction italienne était nécessaire. Lors de la prise en charge du patient géorgien, elle avait pu échanger avec lui en allemand, puis retrouver sa mère en Italie et effectuer avec elle une hétéro-anamnèse. Pour ce patient, un interprète était, certes, mis en œuvre pour les entretiens médico-infirmiers, mais au quotidien c’était elle et un autre infirmier ainsi qu’un agent de détention qu’on sollicitait. Il était arrivé à plusieurs reprises qu’on demande à des agents de détention de faire l’interprétation auprès des patients détenus à D______. Elle avait suivi à l’UHPP un patient
suisse-allemand qui refusait son traitement et était parvenue à le convaincre de l’accepter au terme de discussions tenues en allemand. Elle était parvenue à diminuer l’agressivité d’un patient italophone en parlant italien avec lui. On lui avait demandé d’évaluer en urgence ce même patient à l’occasion d’une décompensation avec crainte de passage à l’acte hétéro-agressif.

Ses compétences linguistiques apportaient une réelle plus-value à sa fonction, puisqu’elle était sollicitée également dans les autres unités. Certains patients ne bénéficiaient pas d’un interprète dans leur langue maternelle. Elle avait déjà pris en charge la grande majorité des patients-détenus allophones, que ce soit en unité de mesure ou à l’UHPP, et l’usage de l’italien, de l’anglais ou de l’allemand avait été nécessaire à ces occasions. Le recours aux interprètes était insuffisant pour répondre au besoin de soin de ces patients.

9) Le 5 septembre 2022, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

10) Le 16 septembre 2022, les HUG ont dupliqué et persisté dans leurs conclusions.

La recourante introduisait une confusion entre le SMP et le SMI. Le SMP offrait des soins ambulatoires ponctuels, parfois urgents, de sorte que le recours à des traducteurs, qui nécessitait une organisation et une anticipation, pouvait s’avérer inopportun. C’était pourquoi les offres d’emploi citées requéraient la maîtrise de l’anglais et mentionnaient la maîtrise d’une seconde langue étrangère comme un atout. Le risque d’erreur s’avérait faible, sinon inexistant, dans le suivi psychiatrique au long terme tel qu’il avait lieu au SMI, où le recours à un traducteur pouvait être facilement organisé. Sous réserve de l’UHPP, qui accueillait des détenus en décompensation psychique, le SMI assurait une prise en charge psychiatrique sur le long terme et ses unités de mesures étaient conçues comme des lieux de vie où le personnel était en contact constant avec les patients et la prise en charge s’inscrivait dans la durée. La réhabilitation sur le long terme était recherchée pour éviter la récidive. Pour ce faire, le personnel cherchait à amener les patients de langue maternelle étrangère à parler le français et la possibilité leur était offerte de suivre des cours de français. Les patients étaient accessibles toute la journée et les entretiens médicaux et infirmiers étaient planifiés à l’avance. Il pouvait être fait recours à des interprètes formés, soit un mode de communication privilégié par les HUG, comme en attestait la brochure « communiquer avec les patients allophones ». Les interprètes assuraient impartialité, confidentialité, transparence et exactitude. La fourchette de deux cents à trois cents interventions par an était une estimation probablement sous-évaluée et il n’y avait aucune restriction, sauf l’utilité, au recours aux interprètes. Le conseil d’éthique des HUG avait reconnu le devoir pour l’institution de mettre à disposition des patients et de leurs soignants un interprète en cas d’impossibilité de communiquer. Au vu de cette situation, le SMI n’exigeait pas dans ses offres d’emploi la maîtrise d’une langue étrangère ni ne la considérait comme un atout. L’examen du patient, son évaluation psychiatrique, l’établissement d’un diagnostic et la prescription d’un traitement étaient de la compétence des seuls médecins psychiatres et non des infirmiers. Or, tous les médecins de l’établissement maîtrisaient l’anglais et étaient à même de communiquer avec les patients étrangers anglophones sans faire appel à des traducteurs. Les entretiens infirmiers avaient toujours lieu en présence de deux soignants, dans un but de formation et pour éviter l’instauration d’une relation d’emprise. Dans le même but, chaque patient avait deux référents, attribution qui était rediscutée tous les six mois. Le risque d’emprise était susceptible de se concrétiser si le soignant communiquait avec le patient dans une langue qui n’était pas maîtrisée par les autres soignants. Le risque d’emprise était important au SMI, dont la patientèle souffrait de troubles psychiques, où les contacts avec les soignants étaient quotidiens et la prise en charge souvent de longue durée. Le recours à des interprètes s’imposait d’autant plus.

11) Dans une écriture spontanée du 28 septembre 2022, la recourante a persisté dans ses conclusions.

Les HUG n’étaient pas admis à dupliquer et leur dernière écriture devait être écartée de la procédure.

On peinait à comprendre pourquoi les soins ambulatoires ponctuels du SMP et non ceux durables du SMI devaient bénéficier de la connaissance d’une langue étrangère. Lors de transferts en urgence de détenus du SMP à D______, le recours à un interprète était impossible. Pourtant, l’UHPP fournissait des soins aussi urgents que le SMP. Les interprètes ne pouvaient accéder en tout temps aux établissements fermés comme D______. Le risque plus faible d’erreur ne pouvait être établi. Elle avait parlé quotidiennement une langue étrangère à l’UHPP où elle avait travaillé trois ans et neuf mois. Ella avait ensuite parlé italien ou anglais tous les jours à l’unité de mesures 1 puis à l’unité de mesure 5. Sa présence était nécessaire à la prise en soins du patient éthiopien italophone de l’unité de mesure 5.

On peinait à croire que les HUG ne disposent pas de statistiques sur le nombre d’intervention annuelles des interprètes à D______. La lecture de son cahier des charges confirmait la nécessité de communiquer avec les patients allophones dans une langue qu’ils comprennent. L’évaluation du patient faisait notamment partie intégrante de sa fonction. Il lui appartenait d’administrer le traitement et de s’assurer qu’il était bien compris par le patient et que celui-ci donnait son consentement éclairé.

On comprenait mal que la communication en anglais des médecins avec certains patients ne crée pas de risque d’emprise.

12) Le 30 septembre 2022, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

 

 

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable compte tenu de la suspension des délais pendant la période de Pâques (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a et 63 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) La recourante conclut à titre préalable à ce que la duplique des HUG soit écartée de la procédure.

Les HUG ont dupliqué dans les dix jours, apportant des informations pertinentes. La recourante a eu le loisir de répondre et s’est exprimée en dernier. Elle ne fait pas valoir que son droit d’être entendue aurait été lésé, étant observé que les doubles échanges d’écritures ne sont pas inhabituels et sont prévus par la loi (art. 74 LPA). L’écriture des HUG du 16 septembre 2022 est ainsi recevable.

La requête sera écartée.

3) Sans y conclure formellement, la recourante offre de comparaître en personne et de faire entendre plusieurs collègues et anciens collègues.

a. Tel qu’il est garanti par l’art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d’être entendu comprend notamment le droit pour l’intéressé d’offrir des preuves pertinentes, de prendre connaissance du dossier, d’obtenir qu’il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes, de participer à l’administration des preuves essentielles ou à tout le moins de s’exprimer sur son résultat, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 142 III 48 consid. 4.1.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1B_539/2019 du 19 mars 2020 consid. 3.1 et les arrêts cités). Le droit de faire administrer des preuves n’empêche cependant pas le juge de renoncer à l’administration de certaines preuves offertes et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, en particulier s’il acquiert la certitude que celles-ci ne l’amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 145 I 167 consid. 4.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_41/2020 du 24 juin 2020 consid. 5.1.1). Le droit d’être entendu ne contient pas non plus d’obligation de discuter tous les griefs et moyens de preuve du recourant ; il suffit que le juge discute ceux qui sont pertinents pour l’issue du litige (ATF 141 V 557 consid. 3.2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2D_41/2020 du 9 décembre 2020 consid. 3.1).

b. En l’espèce, la recourante a pu produire son argumentation et les pièces qu’elle jugeait pertinentes. Elle a pu se prononcer sur les explications et les pièces produites par les HUG. Il sera vu plus loin que les questions du nombre de patients détenus allophones, du caractère effectif de la pratique par la recourante des langues étrangères, du recours à la recourante par des collègues ou encore celle du recensement passé des compétences linguistiques pourront rester indécises. La chambre de céans considère que le dossier est complet et en état d’être jugé.

Il ne sera pas ordonné de comparution personnelle des parties ni d’audition de témoins.

4) L'objet du litige porte sur la conformité au droit du refus d’entrer en matière sur la demande de la recourante que lui soit octroyée une indemnité pour connaissances linguistiques.

5) Selon l’art. 61 al. 1 LPA, le recours peut être formé pour violation du droit, y compris l’excès et l’abus du pouvoir d’appréciation (let. a), ou pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (let. b). En revanche, les juridictions administratives n’ont pas compétence pour apprécier l’opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (al. 2), non réalisée dans le cas d’espèce.

6) Les HUG sont des établissements publics médicaux du canton de Genève (art. 1 al. 1 de la loi sur les établissements publics médicaux du 19 septembre 1980 - LEPM - K 2 05). Les membres de leur personnel sont soumis à la loi générale relative au personnel de l’administration cantonale, du pouvoir judiciaire et des établissements publics médicaux du 4 décembre 1997 (LPAC - B 5 05), à son règlement d’application du 24 février 1999 (RPAC - B 5 05.01) ainsi qu’au règlement d’application de la loi concernant le traitement et les diverses prestations alloués aux membres du personnel de l’État et des établissements hospitaliers du 17 octobre 1979 (RTrait - B 5 15.01), sous réserve de dispositions particulières figurant dans la LEPM, et au statut du personnel des HUG du 16 décembre 1999 (Statut HUG).

7) a. Selon l’art. 11B RTrait, intitulé « connaissances linguistiques », l’utilisation de langues étrangères dans le poste de travail peut donner droit à une indemnité annuelle pour toutes les fonctions situées jusqu’à la classe 17 incluse de l’échelle des traitements (al. 1). Les membres du personnel qui occupent une fonction pour laquelle l’utilisation de langues étrangères est requise, ou qui bénéficient d’une classification supérieure à celle normalement prévue pour leur fonction, ne peuvent prétendre à cette indemnité (al. 2). L’indemnité peut être versée aux personnes titulaires d’un diplôme d’une école reconnue ou ayant réussi un test de connaissances (al. 3).

b. Selon la jurisprudence, l'art. 11B al. 1 RTrait est de nature potestative. Elle a pour but d'assurer une contrepartie financière à un fonctionnaire qui, en raison de ses connaissances linguistiques, apporte une plus-value à la fonction. L'indemnité n'est pas attribuée si le poste ne retire pas de bénéfice de l'utilisation de connaissances linguistiques particulières. Il ne s'agit donc pas d'une récompense visant à gratifier dans l'absolu un fonctionnaire qui maîtriserait une ou plusieurs langues étrangères, mais d'une rémunération complémentaire justifiée par les besoins du poste. Elle n'est ainsi pas liée à une promotion. L'attribution de l'indemnité de langue comme sa suppression relèvent tant des rapports de service que de l'évaluation ou de la réévaluation de la fonction (ATA/271/2006 du 16 mai 2006 consid. 4).

c. La directive MIOPE 02.03.09 intitulée « connaissances linguistiques », publiée le 9 octobre 2017 (https://www.ge.ch/document/020309-connaissances-linguistiques) et interprétant l’art. 11B RTrait, précise que les langues étrangères prises en considération au sein de l'administration sont les langues allemande, italienne, anglaise, espagnole, portugaise et russe. La connaissance des langues étrangères est prise en considération pour les fonctions situées jusqu'à la classe 17 incluse, quel que soit le niveau de formation exigé, pour autant que sa pratique régulière soit utile à la fonction occupée. Pour les policiers, l'usage d'une langue étrangère fait partie intégrante de la classe de fonction obtenue ; en conséquence, seule la pratique d'une seconde langue étrangère en niveau 1 peut entrer en considération dans l'octroi d'une indemnité et ceci après avoir passé les tests pour les deux langues. Lorsque l'utilisation d'une langue étrangère est requise par la fonction occupée ou lorsque le membre du personnel bénéficie d'une classe de fonction supérieure à celle normalement prévue pour sa fonction, l'indemnité ne peut être allouée. Après soixante jours d'absence consécutifs, le versement de l'indemnité cesse. Le responsable des ressources humaines doit informer le service des paies et assurances du personnel. Un processus est annexé.

d. Le processus « connaissance linguistiques et octroi de l’indemnité », version 11.2019 (https://www.ge.ch/document/12346/telecharger), règle les aspects pratiques relatifs à la demande de remboursement des tests de langue ou attestations de niveau et d’octroi de l'indemnité annuelle. Un formulaire de demande est adressé au supérieur puis au service des ressources humaines du département pour validation (ch. 1). Le membre du personnel qui détient un diplôme de langue reconnu selon les critères CERL (cadre européen de référence pour les langues) est dispensé du test de langue, à condition que ce diplôme ait été obtenu au cours des deux années précédentes. Les personnes au bénéfice d'un diplôme de traducteur délivré par l'école de traduction et d'interprétation de Genève qui peuvent justifier de l'utilisation constante de leurs connaissances depuis la délivrance du diplôme sont dispensées dudit test (ch. 1.1). Pour bénéficier de l'indemnité, le membre du personnel sans diplôme linguistique doit organiser et financer un examen d'aptitudes attestant son niveau linguistique. Les examens sont organisés à l'Ifage (fondation pour la formation des adultes) et visent à évaluer le niveau oral et écrit conformément aux exigences du CERL. Une attestation de niveau est envoyée à chaque candidat. Les examens d'aptitudes linguistiques consistent en un test écrit et un oral de 20 minutes. Ils se déroulent dans un délai d'un mois suivant la réception de la demande. Le prix d'un examen est fixé à CHF 365.-. Le candidat doit fournir une copie du formulaire « Demande de prise en considération de langues étrangères au poste de travail » dûment validé par sa hiérarchie et les ressources humaines de son département (ch. 1.2). L'administration cantonale retient deux niveaux de connaissances qui s'apparentent à la codification du CERL : le niveau 1 (= B2 dans le CERL) : connaissances permettant de lire couramment, de tenir une conversation et d'être chargé de la correspondance ou de l'établissement d'autres documents sur la base d'exemples préétablis ; le niveau 2 (= C1 dans le CERL) : connaissances approfondies permettant de suivre une discussion et d'y participer, de rédiger des textes, rapports ou autres documents exempts d'erreurs graves. Un document joint répertorie la codification du CERL. Le supérieur hiérarchique détermine, d'entente avec le candidat, le niveau utile (1 ou 2) à l'exercice de la fonction. C'est ce niveau, défini au préalable, qui fait l'objet de la certification (ch. 2). Le niveau détermine le montant de l'indemnité, selon le barème suivant : le niveau 1, pour une langue étrangère (1A), donne droit à une indemnité annuelle indexée de CHF 807.60 ; le niveau 1, pour deux langues étrangères (1B), donne droit à une indemnité annuelle indexée de CHF 1'615.20 ; le niveau 2, pour une langue étrangère (2A), donne droit à une indemnité annuelle indexée de CHF 1'615.20 ; le niveau 2, pour deux langues étrangères (2B), donne droit à une indemnité annuelle indexée de CHF 3'230.40 ; pour deux langues étrangères (une de niveau 1 et une de niveau 2 ; 1A + 2A), est due une indemnité annuelle indexée de CHF 2'422.80 (ch. 3). Le membre du personnel transmet une copie de son diplôme et ou de l'attestation de niveau au service des ressources humaines qui informe le service des paies et assurances du personnel et met à jour le dossier de l'intéressé. Le service des paies et assurances du personnel verse l'indemnité à dater du mois qui suit la communication des résultats de l'examen (ch. 4.1). À partir de deux mois d'absence à plein temps, le versement de l'indemnité est suspendu (ch. 4.2). Le responsable des ressources humaines veille à informer l'intéressé, le cas échéant, que l'indemnité est supprimée dès que le bénéficiaire occupe une fonction pour laquelle ses connaissances en langues étrangères ne sont plus utiles ou qu’il est promu dans une fonction supérieure à la classe 17 (ch. 4.3). Une fois obtenue l’attestation de niveau, le membre du personnel peut solliciter le remboursement de l'examen d'aptitudes linguistiques (ch. 5). Un formulaire de demande de prise en considération de langues étrangères au poste de travail est accessible en ligne (https://www.ge.ch/document/12345/telecharger).

e. Selon la procédure interne aux HUG n° DRH-1003, dans sa version 3.0 en vigueur dès le 1er mai 2022, intitulée « indemnité pour connaissance linguistique et test de langues », les collaborateurs utilisant régulièrement une ou plusieurs langues sans que cela soit prévu dans leur cahier des charges comme une exigence doivent pouvoir justifier de leur niveau de langue afin de pouvoir bénéficier d’une indemnité linguistique. Par langue étrangère, on entend les connaissances linguistiques exigées pour l’exercice d’une fonction particulière, en plus du français. La langue est pratiquée de manière régulière, quasi quotidienne, dans l’activité professionnelle. La connaissance des langues étrangères est prise en considération pour toutes les fonctions jusqu’en classe 17, quel que soit le niveau de formation exigé, pour autant que la fonction occupée en exige la pratique régulière. Si une langue est indispensable à l’exercice professionnel, cela doit être mentionné dans le cahier des charges et constituer un critère d’engagement ; dans ce cas, il ne saurait y avoir de prime (ch. 2). À réception de la date de certification, le premier jour du mois qui suit l’indemnité est versée selon le tarif fixé par l’État, sans rétroactif. Elle cesse d’être versée dès que la langue n’est plus utilisée de manière régulière dans l’activité professionnelle. Les niveaux 1 et 2 sont alignés sur les niveaux B2 et C2 du CERL (ou CECRL) et l’indemnité mensuelle est fixée à CHF 67.30 pour une langue de niveau 1, CHF 134.60 pour deux langues de niveau 1, CHF 134.60 pour une langue de niveau 2 et CHF 269.20 pour deux langues de niveau 2.

8) La recourante se plaint tout d’abord d’une violation de l’art. 11B RTrait.

a. En l’espèce, il n’est pas contesté que la pratique des langues étrangères n’était pas requise lors de l’engagement de la recourante et ne figure pas dans son cahier des charges.

b. La réalité et l’étendue des compétences ainsi que de la pratique effective par la recourante de langues étrangères dans son activité professionnelle pourront souffrir de rester indécises, les intimés objectant qu’en toute hypothèse cette pratique n’est ni nécessaire ni même souhaitable.

c. La recourante soutient que la pratique des langues étrangères serait nécessaire pour accomplir ses tâches professionnelles. Elle ne saurait être suivie.

Les intimés ont exposé sans être contredits que des interprètes sont appelés deux cents à trois cents fois par an au moins pour les entretiens médicaux infirmiers avec les patients détenus ne parlant pas le français et qu’ils sont qualifiés pour intervenir dans un contexte de soins. Le concours de professionnels de la traduction est ainsi prévu, organisé et disponible.

La recourante soutient que le nombre de ces interventions serait insuffisant au regard des besoins de l’institution. Elle ne documente toutefois pas les calculs auxquels elle se livre à cet effet. Les intimés ont exposé sans être contredits que tous les médecins maîtrisent l’anglais et sont capables de conduire des consultations ou des entretiens dans cette langue. Ils ont ajouté qu’il appartient au personnel soignant de faire appel aux interprètes à chaque fois que cela est nécessaire, et la recourante ne soutient pas qu’elle ou ses collègues auraient formulé de telles demandes sans succès.

Le fait que des médecins ou des collègues infirmiers aient pu, comme elle le soutient, la solliciter pour communiquer avec des patients détenus dans une langue étrangère n’est pas de nature à établir que le recours à des interprètes professionnels serait impossible.

La recourante fait valoir que la discordance linguistique augmenterait le risque d’erreurs médicales, qu’il s’agisse de l’anamnèse, du diagnostic ou du traitement. Cet argument tombe à faux, dès lors qu’il lui appartient, en cas de besoin, de faire appel à des interprètes. À cela s’ajoute que la responsabilité de l’anamnèse, du diagnostic et du traitement incombe aux médecins et non aux infirmiers. La recourante ne soutient pas à cet égard que les médecins seraient exposés au risque d’erreurs médicales faute de disposer de traduction. Le même raisonnement vaut s’agissant pour la recourante de persuader un patient d’accepter son traitement.

La recourante invoque les situations de crise pour lesquelles les interprètes ne seraient pas appelés ou pas disponibles. Elle soutient que les interprètes ne seraient pas appelés pour leur sécurité. Or, il est notoire que des interprètes sont régulièrement mis en œuvre par les autorités pénales pour assister des prévenus, même réputés dangereux. La recourante ajoute que les interprètes ne peuvent être appelés dans l’urgence. Or, il est notoire qu’ils peuvent l’être jour et nuit par la police, de sorte qu’on ne voit pas que les HUG ne pourraient pareillement s’assurer leur disponibilité. À cela s’ajoute qu’en cas de risque vital, le patient détenu est pris en charge par des médecins urgentistes et que la question de la communication ne concerne alors plus le service de la recourante.

d. La recourante fait valoir que sa pratique des langues étrangères apporterait une plus-value au service.

Les intimés objectent que la pratique des langues étrangères n’est au contraire pas souhaitable. Selon eux, la relation thérapeutique s’inscrirait dans la durée et serait conduite par une équipe soignante dans un environnement presque familial. Le traitement serait prescrit et ajusté par des médecins et appliqué par les autres soignants. Il ne serait qu’une partie d’un long travail de resocialisation comprenant vie commune, soins, activités et apprentissages, dont celui de la langue française. La resocialisation de patients détenus présentant souvent un certain degré de dangerosité nécessiterait en outre une prise en charge par binômes périodiquement renouvelés afin de garantir aux soignants une bonne distance et les préserver du risque d’une relation d’emprise.

Cette argumentation est convaincante. À la différence d’un service de soins aigus et ponctuels, la relation dans la durée peut impliquer de différer la réponse thérapeutique aux crises et aux décompensations. En d’autres termes, et mis à part la survenance d’un risque vital, il peut se justifier de réserver la discussion à une phase plus apaisée. Les intimés peuvent en outre être suivis lorsqu’ils mettent en avant le risque que la communication par un des soignants dans une langue étrangère affaiblisse la fonction protectrice du binôme et expose le soignant à une proximité que le patient détenu, souvent affecté de troubles psychiques, pourrait exploiter. Il n’apparait ainsi pas critiquable de soutenir que le recours à des interprètes professionnels externes, qui ne sont pas partie à la relation thérapeutique et jouissent d’une bonne distance, serait effectivement préférable. La recourante objecte, certes, que les intimés ne semblent pas éprouver les mêmes craintes pour les médecins. La chambre de céans observe toutefois que ceux-ci sont notoirement plus éloignés des patients que les infirmiers et, partant, moins exposés au risque d’emprise.

C’est ainsi sans excès ni abus de leur pouvoir d’appréciation que les intimés, qui jouissaient en la matière d’un large pouvoir d’appréciation compte tenu du caractère potestatif de la disposition applicable, ont refusé d’entrer en matière sur la demande d’indemnité formée par la recourante.

Le grief de violation de l’art. 11B RTrait sera écarté.

9) La recourante se plaint par ailleurs de la violation du principe de la bonne foi et de l’interdiction de l’arbitraire.

a. Le principe de la bonne foi entre administration et administré exprimé aux art. 9 et 5 al. 3 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst - RS 101) exige que l’une et l’autre se comportent réciproquement de manière loyale (arrêts du Tribunal fédéral 6B_266/2020 du 27 mai 2020 ; 1C_173/2017 du 31 mars 2017 consid. 2.3 ; Jacques DUBEY, Droits fondamentaux, vol. 2, 2018, p. 642 n. 3454). En particulier, l’administration doit s’abstenir de toute attitude propre à tromper l’administré et elle ne saurait tirer aucun avantage des conséquences d’une incorrection ou insuffisance de sa part (ATF 138 I 49 consid. 8.3 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_227/2015 du 31 mai 2016 consid. 7).

b. Une décision est arbitraire au sens de l’art. 9 Cst., si elle est manifestement insoutenable, méconnaît gravement une norme ou un principe juridique clair et indiscuté ou heurte de manière choquante le sentiment de la justice et de l’équité. Il ne suffit toutefois pas qu’une autre solution paraisse concevable, voire préférable. Pour qu’une décision soit annulée, elle doit se révéler arbitraire non seulement dans ses motifs, mais également dans son résultat (ATF 141 I 49 consid. 3.4 ; 140 I 201 consid. 6.1 ; 138 I 49 consid. 7.1). Selon le Tribunal fédéral, l’inégalité de traitement apparaît comme une forme particulière d’arbitraire, consistant à traiter de manière inégale ce qui devrait l’être de manière semblable ou inversement (ATF 141 I 235 consid. 7.1 ; 129 I 1 consid. 3 ; 127 I 185 consid. 5 ; 125 I 1 consid. 2b.aa).

c. En l’espèce, il a été vu au considérant précédent que les intimés ont exposé de manière nuancée et convaincante que les besoins de traduction pouvaient et devaient être satisfaits par le recours aux interprètes professionnels et non par les infirmiers.

La recourante ne soutient pas que des assurances lui auraient été données ou des promesses faites. Elle ne peut être suivie lorsqu’elle reproche aux intimés une « mauvaise foi crasse » ou une « méconnaissance totale de la réalité du terrain ». La chambre de céans retiendra que la décision attaquée n’a rien d’arbitraire et que les intimés n’ont pas fait preuve de mauvaise foi.

Le grief sera écarté.

10) La recourante se plaint enfin de la violation du principe de l’égalité de traitement en lien avec l’interdiction de l’arbitraire.

a. La protection de l’égalité (art. 8 Cst.) et celle contre l’arbitraire (art. 9 Cst.) sont étroitement liées. Une décision viole le droit à l'égalité de traitement consacré à l’art. 8 Cst. lorsqu'elle établit des distinctions juridiques qui ne se justifient par aucun motif raisonnable au regard de la situation de fait à réglementer ou lorsqu'elle omet de faire des distinctions qui s'imposent au vu des circonstances. Cela suppose que le traitement différent ou semblable injustifié se rapporte à une situation de fait importante (ATF 142 I 195 consid. 6.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_178/2022 du 16 mars 2022 consid. 5.1). L'inégalité de traitement apparaît comme une forme particulière d'arbitraire, consistant à traiter de manière inégale ce qui devrait l'être de manière semblable ou inversement (ATF 142 I 195 consid. 6.1 ; 137 I 167 consid. 3.5 ; 129 I 346 consid. 6).

b. En l’espèce, la spécificité de la prise en charge sur le long terme des patients détenus de D______ distingue nettement la situation des infirmiers de celle de leurs collègues du SMP. Les intimés ont exposé de manière convaincante que la prise en charge ponctuelle et aiguë de patients – hors du contexte thérapeutique de resocialisation – peut justifier la nécessité de disposer de connaissances linguistiques. La situation de la recourante n’est ainsi pas comparable à celle de ses collègues du SMP ou d’autres services de soins des HUG, de sorte qu’elle ne saurait se plaindre d’une inégalité de traitement dans la prise en compte des compétences linguistiques et de l’usage des langues étrangères.

Le grief sera écarté.

Entièrement mal fondé, le recours sera rejeté.

11) Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 1'000.- sera mis à la charge de la recourante, qui succombe (art. 87 al. 1 LPA). Les HUG disposant d’un service juridique, aucune indemnité ne leur sera allouée (art. 87 al. 2 LPA ; ATA/605/2021 du 8 juin 2021 et les références citées).

 

* * * * *

 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 12 mai 2022 par Mme A______ contre la décision des Hôpitaux universitaires de Genève du 28 mars 2022 ;

au fond :

le rejette ;

met à la charge de Mme A______ un émolument de CHF 1'000.- ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral ;

- par la voie du recours en matière de droit public, s’il porte sur les rapports de travail entre les parties et que la valeur litigieuse n’est pas inférieure à CHF 15'000.- ;

- par la voie du recours en matière de droit public, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- et que la contestation porte sur une question juridique de principe ;

- par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les art. 113 ss LTF, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- ;

le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, Schweizerhofquai 6, 6004 Lucerne, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Romain JORDAN, avocat de la recourante, ainsi qu'à Me Véronique MEICHTRY, avocate des Hôpitaux universitaires de Genève.

Siégeant : M. Mascotto, président, Mme Krauskopf, M. Verniory, Mmes Payot
Zen-Ruffinen et Lauber, juges.

 

 

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

M. Rodriguez Ellwanger

 

 

le président siégeant :

 

 

C. Mascotto

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :