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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/667/2022

ATA/468/2022 du 03.05.2022 ( PROF ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/667/2022-PROF ATA/468/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 3 mai 2022

1ère section

 

dans la cause

 

Madame A______

contre

COMMISSION DU BARREAU

et

Monsieur B______



EN FAIT

1) Le 22 avril 2021, Monsieur B______, avocat, a sollicité de la commission du barreau (ci-après : la commission) la levée de son secret professionnel le liant à Madame A______ en vue de recouvrer une créance d’honoraires. Les demandes de provisions avaient, dans un premier temps, été honorées, mais plus aucun versement n’était intervenu depuis octobre 2020.

2) Par décision du 22 octobre 2021, le bureau de la commission a délié l’avocat de son secret professionnel à l’égard de Mme A______ en vue de recouvrer ses honoraires d’avocat. Il a précisé qu’il appartenait à l’avocat, dans le cadre de ses demandes visant à faire constater sa créance, de respecter strictement les principes de la proportionnalité et de subsidiarité en ne révélant que les informations nécessaires à la démonstration du bien fondé de ses prétentions et de préserver la confidentialité des faits qui n’étaient pas en relation directe avec la cause. Il ne devait, en particulier, pas révéler l’existence d’éléments patrimoniaux dont il n’avait eu connaissance que dans l’exercice de son mandat.

3) Mme A______ ayant sollicité que la cause soit soumise à la plénière de la commission, celle-ci s’est prononcée le 17 janvier 2022. Elle a fait siennes les considérations de son bureau. Les arguments invoqués par Mme A______ pour s’opposer à la levée du secret professionnel de l’avocat relevaient du fond et n’étaient pas pertinents pour décider de ladite levée. Elle n’avait, en particulier, invoqué aucun intérêt privé susceptible de s’opposer à ce que les faits la concernant soient révélés dans le cadre du recouvrement d’honoraires.

4) Par acte expédié le 25 février 2022 à la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative), Mme A______ a recouru contre cette décision, dont elle a demandé l’annulation.

Elle a exposé avoir consulté M. B______ le 2 mars 2020 dans le cadre de sa séparation avec son époux. M. B______ avait établi des factures pour un montant total de CHF 27'545.37. Il avait refusé qu’elle sollicite l’assistance juridique. Dans sa demande à la commission, il avait indiqué que cinq factures étaient encore en souffrance, dont la plus ancienne datait du 6 mai 2020. Or, deux factures, de mai et août 2020, avaient été payées. L’intimé réclamait en conséquence ces montants à double. En outre, la note de CHF 286.48 avait été établie en avril 2021, soit bien après la fin du mandat. Les autres montants étaient injustifiés. Elle n’avait jamais reconnu devoir le solde qui lui était réclamé. Au contraire, elle l’avait contesté pour diverses raisons. L’avocat ne présentait aucune reconnaissance de dette ni jugement se rapportant à sa créance. La dette litigieuse n’était ni certaine ni exigible. Celle-ci ne pouvait pas justifier la levée du secret professionnel en vue du recouvrement de créances d’honoraires. Enfin, une éventuelle levée dudit secret était susceptible de porter atteinte à sa personnalité. Elle avait été fragilisée tant psychologiquement que physiquement par les procédures ainsi que par les situations difficiles qu’elle avait dû traverser depuis sa séparation, dont un épisode impliquant pour elle un potentiel danger vital. L’intérêt qu’elle faisait valoir était ainsi digne de protection et prépondérant.

5) Ni M. B______ ni la commission n’ont formulé d’observations sur le recours.

6) Les parties ont ainsi été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) La recourante conteste la levée du secret professionnel de l’intimé.

a. Aux termes de l’art. 321 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0), les avocats, défenseurs en justice, notamment, ainsi que leurs auxiliaires, qui auront révélé un secret à eux confié en vertu de leur profession ou dont ils avaient eu connaissance dans l’exercice de celle-ci, seront, sur plainte, punis d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire (ch. 1 al. 1). La révélation ne sera pas punissable si elle a été faite avec le consentement de l’intéressé ou si, sur la proposition du détenteur du secret, l’autorité supérieure ou l’autorité de surveillance l’a autorisée par écrit (ch. 2).

Le secret professionnel de l’avocat assure l’indépendance de l’avocat face aux tiers et protège l’exercice de la profession, ce qui est dans l’intérêt de l’administration de la justice. Il préserve cependant également les droits du justiciable, qui doit pouvoir compter sur la discrétion de son mandataire, et est ainsi essentiel à la consécration effective des droits matériels de celui-ci (arrêt du Tribunal fédéral 2C_587/2012 du 24 octobre 2012 consid. 2.4 et les références citées). L’institution du secret professionnel sert tant les intérêts de l’avocat et de son client que ceux de la justice, dont il est l’auxiliaire (ATF 117 Ia 341 consid. 6).

b. Selon l’art. 13 al. 1 de la loi fédérale sur la libre circulation des avocats du 23 juin 2000 (LLCA - RS 935.61), l’avocat est soumis au secret professionnel pour toutes les affaires qui lui sont confiées par ses clients dans l’exercice de sa profession, cette obligation n’étant pas limitée dans le temps et étant applicable à l’égard des tiers.

En droit genevois, l’art. 12 de la loi sur la profession d’avocat du 26 avril 2002 (LPAv - E 6 10) prévoit que l’avocat est soumis au secret professionnel pour toutes les affaires qui lui sont confiées par ses clients dans l’exercice de sa profession ou dont il a connaissance dans l’exercice de celle-ci, cette obligation n’étant pas limitée dans le temps et étant applicable à l’égard des tiers (al. 1). Sans en avoir l’obligation, l’avocat peut toutefois révéler un secret si l’intéressé y consent (al. 2). Il en est de même si l’avocat obtient l’autorisation écrite de la commission (al. 3). L’autorisation n’est délivrée que si la révélation est indispensable à la protection d’intérêts supérieurs publics ou privés (al. 4).

c. Pour agir en recouvrement d’honoraires impayés, l’avocat doit obtenir la levée de son secret professionnel (ATF 142 II 307 consid. 4.3.3 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_439/2017 du 16 mai 2018 consid. 3.2 ; 6B_545/2016 du 6 février 2017 consid. 2.3 ; François BOHNET/Luca MELCARNE, La levée du secret professionnel de l’avocat en vue du recouvrement de ses créances d’honoraires, in SJ 2020 II 29 ss, p. 37 ; Benoît CHAPPUIS, L’évolution jurisprudentielle récente sur le secret de l’avocat, 2019, Bulletin CEDIDAC n. 83). L’autorité de surveillance doit procéder à une pesée de l’ensemble des intérêts en présence pour déterminer si elle doit accorder la levée du secret. Au regard de l’importance du secret professionnel du double point de vue de l’institution et des droits individuels, la levée du secret ne peut être accordée qu’en présence d’un intérêt public ou privé nettement prépondérant (ATF 142 II 307 consid. 4.3.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_101/2019 du 18 février 2019 consid. 4.3).

Lors de la pesée des intérêts, il faut prendre en considération le fait qu’un avocat a ordinairement un intérêt digne de protection à la levée du secret en vue du recouvrement de ses honoraires. Cet intérêt s’oppose en principe à l’intérêt institutionnel au maintien de la confidentialité et à l’intérêt individuel du client à tenir secrets le mandat et les informations qui s’y rattachent (ATF 142 II 307 consid. 4.3.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_439/2017 précité consid. 3.4). La justification de l’intérêt au secret ne doit pas être soumise à des exigences excessivement élevées, faute de quoi la protection du secret professionnel consacrée à l’art. 321 ch. 1 CP serait compromise (ATF 142 II 307 consid. 4.3.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_704/2016 du 6 janvier 2017 consid. 3.2).

Dans la pesée des intérêts, il faut également prendre en compte le fait que l’avocat peut en principe se faire verser une provision par le client. Il incombe ainsi à l’avocat qui sollicite la levée du secret de démontrer pourquoi il ne lui était pas possible de faire couvrir les coûts par le versement d’une provision (ATF 142 II 307 consid. 4.3.3). La procédure de levée du secret professionnel ne préjuge en rien des procédures civiles ultérieures relatives au recouvrement des honoraires. Les questions juridiques de fond n’ont pas à être examinées dans une procédure de levée du secret professionnel de l’avocat, le client étant libre de soulever des objections dans le litige de droit civil au sujet des honoraires (arrêt du Tribunal fédéral 2C_439/2017 précité consid. 3.3 ; ATA/345/2021 du 23 mars 2021 consid. 4b ; ATA/1526/2019 du 15 octobre 2019 consid. 4b).

d. En l’espèce, la recourante s’oppose à la levée du secret professionnel au motif que celle-ci pourrait porter atteinte à sa personnalité. Or, elle n’expose pas en quoi celle-là serait susceptible de porter une telle atteinte. Elle ne fait, en particulier, valoir aucun élément qui pourrait laisser craindre que l’intimé pourrait, dans le cadre du recouvrement de ses honoraires, dévoiler des informations qui seraient de nature à porter préjudice à sa personnalité. Le fait qu’elle soit âgée de 44 ans, se dise fragilisée par les procédures en cours, invoque que l’avocat aurait refusé qu’elle demande l’assistance juridique et ait été informé de l’éventuel danger encouru pour sa propre vie ne constitue pas un obstacle à la levée du secret professionnel, étant rappelé que la commission a circonscrit celle-ci aux éléments strictement nécessaires à l’établissement des prétentions en paiement de frais et d’honoraires de l’avocat.

Par ailleurs, la crainte d’une procédure de recouvrement d’honoraires que pourrait engager son ancien conseil à son encontre et l’inconfort que la recourante pourrait éprouver de ce fait sont inhérents à tout litige judiciaire. Admettre que ces éléments seraient prépondérants à l’intérêt de l’avocat au recouvrement de la créance alléguée rendrait impossible toute levée du secret professionnel en vue d’obtenir le paiement d’honoraires. La jurisprudence reconnaît expressément l’intérêt digne de protection de l’avocat à la levée du secret en vue du recouvrement de ses honoraires, intérêt qui s’oppose en principe à l’intérêt institutionnel au maintien de la confidentialité et à l’intérêt individuel du client à tenir secrets le mandat et les informations qui s’y rattachent.

Il ressort en outre du dossier que l’intimé a réclamé des provisions qui ont, dans un premier temps, été honorées avant que la recourante cesse tout versement. L’avocat a ainsi exposé les motifs pour lesquels il n’a plus perçu de provisions ; il ne peut donc pas se voir reprocher d’être resté inactif dans ses demandes de provisions.

Enfin, les objections que la recourante fait valoir contre la quotité des honoraires réclamés et leur exigibilité se rapportent toutes au bien-fondé de la créance de l’avocat. Or et comme évoqué ci-dessus, la chambre de céans n’est pas habilitée à s’exprimer à ce sujet ; sa compétence est limitée à la question de savoir si la commission était fondée à lever le secret professionnel de l’intimé en vue du recouvrement de la créance qu’il allègue détenir à l’encontre de son ancienne cliente.

L’autorité intimée a dûment apprécié les intérêts des parties en cause à la levée ou non du secret professionnel de l’intimé et correctement veillé à la limitation de ladite levée, en relevant qu’il appartenait à l’avocat dans le cadre du recouvrement de la créance alléguée de respecter strictement les principes de la proportionnalité et de subsidiarité en ne révélant que les informations nécessaires à la démonstration du bien fondé de ses prétentions et de préserver la confidentialité des faits qui n’étaient pas en relation directe avec la cause. Elle a également précisé que l’intimé ne devait pas révéler l’existence d’éléments patrimoniaux dont il n’avait eu connaissance que dans l’exercice de son mandat.

La décision de la commission étant conforme au droit, le recours sera rejeté.

3) Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 500.- sera mis à la charge de la recourante, qui succombe. Aucune indemnité de procédure ne sera allouée, l’intimé n’en sollicitant point (art. 87 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 25 février 2022 par Madame A______ contre la décision de la commission du barreau du 17 janvier 2022 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 500.- à la charge de Madame A______;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Madame A______, à Monsieur B______ ainsi qu'à la commission du barreau.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, Mmes Lauber et McGregor, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. Hüsler Enz

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :