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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2154/2021

ATA/215/2022 du 01.03.2022 ( MARPU ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2154/2021-MARPU ATA/215/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 1er mars 2022

 

dans la cause

 

A______ SA

contre

VILLE DE GENÈVE - DÉPARTEMENT DE L'AMÉNAGEMENT, DES CONSTRUCTIONS ET DE LA MOBILITÉ

 



EN FAIT

1) A______ SA (ci-après : A______) est une société anonyme sise à B______, inscrite au registre du commerce (ci-après : RC) du canton de Fribourg depuis le 4 septembre 1997, active dans l'industrie du bois et du bâtiment.

2) Le 13 mai 2021, la Ville de Genève (ci-après : la ville), soit pour elle le département de l'aménagement, des constructions et de la mobilité, a publié sur le site internet Simap un appel d'offres en procédure ouverte pour un marché public de construction intitulé « Rue de Zurich 40 – 1789 – Menuiseries intérieures », estimé à CHF 232'100.- hors taxes.

Le point 1.4 de l'appel d'offres, intitulé « délai de clôture pour le dépôt des offres » indiquait que ce dernier était fixé au 16 juin 2021 à 11h00, précisant expressément que « seules les offres arrivées à l'adresse du chapitre 1.2 ci-dessus, dans le délai fixé, signées, datées et complètes seront prises en considération. Les offres arrivées après le délai fixé seront exclues de l'adjudication ».

Le dossier d'appel d'offres rappelait aussi, en page 1, que le délai de rentrée des offres était fixé au mercredi 16 juin 2021 à 11h00, avec la précision suivante, en gras dans le texte : « Est refusée toute offre qui parvient à la direction des constructions et de l'aménagement de la ville après le délai de rentrée (le candidat supportera à part entière les conséquences résultant d'un retard d'acheminement de la poste ou tout transporteur). En effet, tout dossier qui parviendra hors délai sera rigoureusement refusé ».

3) Le mardi 15 juin 2021 à 16h38, A______ a remis à La Poste, à l'office de Gruyères, l'offre qu’elle entendait soumettre à la ville, avec mention d'un délai de réception le 16 juin 2021 à 09h00.

4) Selon le suivi des envois de La Poste, le pli a été distribué au destinataire le vendredi 18 juin 2021 à 07h59.

5) Par décision du 18 juin 2021, la ville a rendu une décision d'exclusion à l'encontre de A______, au motif que l'offre n'avait pas été rendue dans le délai imparti, sur la base de l'art. 42 al. 1 let. a du règlement sur la passation des marchés publics du 17 décembre 2007 (RMP - L 6 05.01).

6) Par acte posté le 23 juin 2021, A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la décision précitée, concluant à ce qu'elle soit « reconsidérée ».

Elle avait voué un soin tout particulier à l'élaboration de son offre, qui représentait un investissement temporel important, et avait pris toutes les mesures pour garantir l'arrivée de son offre dans les délais. À cet effet, elle avait posté son dossier en « Swiss-Express Lune signature », et s'était fait confirmer par La Poste qu'il devait être distribué le 16 juin 2021 avant 09h00. Il n'était pas logique de se faire éliminer de la procédure à la suite d'une erreur humaine d'un employé de La Poste.

7) Le 29 juillet 2021, la ville a conclu au rejet du recours.

Le RMP prévoyait l'écart d'office des offres tardives. La jurisprudence se montrait formaliste sur ces questions. En l'espèce, l'appel d'offres lui-même mentionnait clairement le délai de retour des offres, délai qui était rappelé à plusieurs reprises dans les documents d'appel d'offres.

L'offre étant parvenue avec deux jours de retard, ce que A______ ne contestait pas, la décision d'exclusion était bien fondée. Le fait que ce retard soit dû à une erreur ou une négligence des services postaux était sans effet, les documents d'appel d'offres mentionnant expressément que le délai de remise des offres était un délai de réception et non d'acheminement.

8) Le 6 août 2021, le juge délégué a fixé aux parties un délai au 10 septembre 2021 pour formuler toutes requêtes ou observations complémentaires, après quoi la cause serait gardée à juger.

9) Le 26 août 2021, A______ a persisté dans ses conclusions. Elle pouvait comprendre la prise de position formaliste de la ville, si l'on prenait en compte que les différents documents mentionnaient effectivement un délai « franco », soit dans les bureaux de la direction des constructions et de l'aménagement.

Il lui paraissait toutefois nettement plus judicieux de mentionner un délai de retour avec la date du timbre postal faisant foi, ce qui se faisait couramment dans les soumissions de marchés publics. Cela évitait de dépendre du délai d'acheminement des prestataires de services de distribution.

EN DROIT

1) Interjeté contre une décision d’exclusion, en temps utile et devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 15 al. 1 de l’accord intercantonal sur les marchés publics du 25 novembre 1994 - AIMP - L 6 05 ; art. 3 al. 1 de la loi autorisant le Conseil d’État à adhérer à l’accord intercantonal sur les marchés publics du 12 juin 1997 - L-AIMP - L 6 05.0 ; art. 56 al. 1 RMP), étant précisé que bien que le pouvoir adjudicateur ait passé le contrat avec l'entreprise adjudicataire, la recourante conservait un intérêt à recourir (ATA/927/2020 du 22 septembre 2020 et les arrêts cités).

2) Le droit des marchés publics a pour but d’assurer une concurrence efficace entre les soumissionnaires et de garantir l’égalité de traitement et l’impartialité de l’adjudication à l’ensemble de ceux-ci (art. 1 al. 3 let. a et b AIMP). En particulier, le principe d’égalité de traitement doit être garanti à tous les candidats et soumissionnaires dans toutes les phases de la procédure (art. 16 al. 1 et 2 RMP).

3) a. L'avis d'appel d'offres indique, notamment le lieu et l'échéance du délai pour la remise de l'offre (art. 26 let. i RMP). Les documents mis à disposition des candidats doivent contenir notamment le lieu et l'échéance du délai pour la remise de l'offre (art. 27 let. g RMP). Le délai pour la remise des offres est fixé au minimum à vingt-cinq jours (art. 30 al. 3 RMP).

b. Seules les offres parvenues dans les délais fixés dans les documents d'appel d'offres sont ouvertes (art. 38 al. 1 RMP). Dans le cadre d'une procédure ouverte ou sélective, un procès-verbal est établi à l'ouverture des offres. Il contient notamment le nom des personnes présentes, le nom des soumissionnaires, les dates de réception et les prix des offres (art. 38 al. 2 RMP).

4) L’offre est écartée d’office lorsque le soumissionnaire a rendu une offre tardive, incomplète ou non conforme aux exigences ou au cahier des charges (art. 42 al. 1 let. a RMP). Les offres écartées ne sont pas évaluées. L’autorité adjudicatrice rend une décision d’exclusion motivée, notifiée par courrier à l’intéressé, avec mention des voies de recours (art. 42 al. 3 RMP).

5) Le droit des marchés publics est formaliste, ce que la chambre administrative a rappelé à maintes reprises (ATA/60/2022 du 25 janvier 2022 consid. 5 ; ATA/970/2019 du 4 juin 2019 et les références citées), notamment lorsqu’elle a confirmé des décisions d’exclusion d’offres fondées sur la non-production des attestations requises dans l’appel d’offres au titre de condition de participation à la procédure de soumission (ATA/1208/2020 du 1er décembre 2020 consid. 5). L’autorité adjudicatrice doit procéder à l’examen de la recevabilité des offres et à leur évaluation dans le respect de ce formalisme, qui permet de protéger notamment le principe d’intangibilité des offres remises et le respect du principe d’égalité de traitement entre soumissionnaires garanti par l’art. 16 al. 2 RMP (ATA/188/2021 du 23 février 2021 consid. 5). Le respect de ce formalisme est nécessaire pour concrétiser l’obligation d’assurer l’égalité de traitement entre soumissionnaires dans la phase d’examen de la recevabilité des offres et de leur évaluation. La conformité au droit de cette approche formaliste a été confirmée par le Tribunal fédéral (ATA/102/2010 du 16 février 2010, confirmé par l’arrêt du Tribunal fédéral 2C_197/2010 du 30 avril 2010 consid. 6.4).

6) a. Toutefois, l’interdiction du formalisme excessif, tirée de l’art. 29 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), interdit d’exclure une offre présentant une informalité de peu de gravité ou affectée d’un vice qui ne compromet pas sérieusement l'objectif visé par la prescription formelle violée (arrêts du Tribunal fédéral 2C_197/2010 précité consid. 6.1 ; 2D_50/2009 du 25 février 2010 consid. 2.4). L’interdiction du formalisme excessif ne l’oblige cependant pas à interpeller un soumissionnaire en présence d’une offre défaillante (arrêt du Tribunal fédéral 2C_197/2010 précité consid. 6.5).

Ces principes valent notamment pour la phase d’examen de la recevabilité des soumissions, lors de laquelle l’autorité adjudicatrice examine si les offres présentées remplissent les conditions formelles pour participer à la procédure d’évaluation et il est exclu d’autoriser un soumissionnaire à modifier la présentation de son offre, à y apporter des compléments ou à transmettre de nouveaux documents (ATA/1208/2020 précité consid. 6 ; ATA/588/2018 du 12 juin 2018 consid. 3b).

b. De manière générale, la seule application stricte des règles de forme n'est pas constitutive de formalisme excessif (ATF 142 IV 299 consid. 1.3.3). Tel est en particulier le cas de la sanction du non-respect d'un délai de procédure, une stricte application des règles relatives aux délais étant justifiée par des motifs d'égalité de traitement et par un intérêt public lié à la bonne administration de la justice et à la sécurité du droit (arrêt du Tribunal fédéral 8C_145/2019 du 3 juin 2020 consid. 6.3.3).

7) En l’espèce, il découle très clairement de l'appel d'offres et des documents y relatifs que le délai de remise des offres – qui était de trente-trois jours et respectait donc l'art. 30 al. 3 RMP – était un délai de réception et non d'acheminement, ce qui découle du reste de l'art. 38 RMP, qui parle d'offres « parvenues », et non envoyées, dans les délais fixés, et qui institue une procédure d'ouverture des offres à l'expiration du délai, avec procès-verbal y relatif, procédure qui n'aurait aucun sens si les offres n'étaient pas en mains de l'autorité adjudicatrice à ce moment-là.

Il n'est par ailleurs pas contesté par la recourante que son offre est parvenue à l'autorité adjudicatrice avec deux jours de retard, ce qui résulte du suivi des envois de La Poste.

Le pouvoir adjudicateur était donc non seulement fondé à prendre une décision d’exclusion, mais il ne pouvait prendre une autre décision sous peine, vu le texte clair des art. 38 al. 1 et 42 al. 1 RMP, de contrevenir au principe d’égalité de traitement entre soumissionnaires.

Au surplus, la chambre de céans est une autorité judiciaire de recours qui vérifie la correcte application du droit positif, si bien que les considérations émises de lege ferenda par la recourante dans sa dernière écriture ne sauraient être prises en compte.

 

8) Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 500.- sera mis à la charge de la recourante (art. 87 al. 1 LPA), et aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 23 juin 2021 par A______ SA contre la décision de la Ville de Genève du 18 juin 2021 ;

au fond :

le rejette ;

met à la charge de A______ SA un émolument de CHF 500.- ;

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral ;

- par la voie du recours en matière de droit public :

si la valeur estimée du mandat à attribuer n’est pas inférieure aux seuils déterminants de la loi fédérale du 16 décembre 1994 sur les marchés publics ou de l’accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse et la Communauté européenne sur certains aspects relatifs aux marchés publics ;

s’il soulève une question juridique de principe ;

- par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les art. 113 ss LTF ;

le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à A______ SA, à la Ville de Genève - département de l'aménagement, des constructions et de la mobilité ainsi qu’à la Commission de la concurrence (COMCO).

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, Mme Krauskopf, M. Verniory, Mmes Lauber et McGregor, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. Hüsler Enz

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :