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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3476/2020

ATA/498/2021 du 11.05.2021 ( PRISON ) , REJETE

Normes : CP.61; REPM.10; REPM.11; REPM.13; CEDH.5
Résumé : Rejet du recours d'un détenu estimant illicites les conditions de sa détention depuis son incarcération à la prison de Champ-Dollon jusqu'à son transfert au sein d'un établissement pour jeunes adultes. Les conditions de sa détention préventive étaient licites malgré les recommandations d'experts psychiatres préconisant une mesure de placement au sens de l'art. 61 CP, à défaut du prononcé par une autorité pénale de l'exécution anticipée de la mesure. Les conditions de sa détention après jugement étaient également licites malgré la condamnation à une mesure de placement au sens de l'art. 61 CP, dans la mesure où les autorités ont fait preuve de la diligence requise pour assurer l'exécution de la mesure dès la disponibilité d'une place en établissement fermé pour jeunes adultes.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3476/2020-PRISON ATA/498/2021

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 11 mai 2021

1ère section

 

dans la cause

 

Monsieur A______
représenté par Me Nicola Meier, avocat

contre

 

DÉPARTEMENT DE LA SÉCURITÉ, DE LA POPULATION ET DE LA SANTÉ

 



EN FAIT

1) Monsieur A______ est né à une date indéterminée entre 1999 et 2000.

2) Le 24 août 2017, il a été arrêté et mis en prévention pour tentative de meurtre.

3) Il a été incarcéré à La Clairière le 25 août 2017 avant d'être transféré à la prison de Champ-Dollon (ci-après : la prison) le 7 novembre 2017.

4) Une expertise psychiatrique a été ordonnée dans le cadre de la procédure pénale. À teneur du rapport du 7 mars 2018, les experts ont préconisé le placement de M. A______ au sein d'un établissement pour jeunes adultes, tel que le centre éducatif fermé de Pramont (ci-après : CEP) en Valais.

Il était nécessaire, au vu de son jeune âge, qu'il puisse bénéficier d'un environnement éducatif protégé dans le but de gérer son comportement et d'apprendre un métier pour favoriser son insertion d'un point de vue professionnel et social. Il s'était lui-même montré favorable à une telle mesure. Dans l'hypothèse où le CEP n'était pas accessible pour une question de place, la recherche d'une structure équivalente devait être confiée au service d'application des peines et mesures (ci-après : SAPEM) ou au service de probation et d'insertion (ci-après : SPI).

5) Les 22 mars et 23 avril 2018, M. A______ a confirmé au Ministère public adhérer aux conclusions des experts et soulevé l'opportunité d'une exécution anticipée de la mesure.

Le Ministère public n'a pas donné suite à ces courriers.

6) Lors d'une audience du 9 mai 2018, M. A______ a formellement sollicité l'exécution anticipée de la mesure de l'art. 61 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0).

7) Le Ministère public ne s'étant pas prononcé sur sa requête, M. A______ l'a relancé à plusieurs reprises.

8) Le 11 juin 2018, il a formé une requête de mise en oeuvre d'une procédure simplifiée.

9) Le 29 juin 2018, le Ministère public n'ayant statué ni sur sa demande d'exécution anticipée de la mesure ni sur celle d'une procédure simplifiée, M. A______ a requis du Tribunal des mesures de contrainte (ci-après : TMC) qu'il invite le Ministère public à statuer.

10) Le 3 juillet 2018, le TMC a rendu une ordonnance de prolongation de la détention provisoire, relevant notamment que le Ministère public, qui semblait ne pas être favorable à la mise en oeuvre d'une procédure simplifiée, était invité à prendre expressément position à ce sujet. S'agissant de la demande de M. A______ portant sur l'exécution anticipée d'une mesure en vue d'être placé dans un établissement correspondant aux recommandations des experts, l'accès à des lieux comme le CEP était absolument saturé y compris pour les personnes ayant été condamnées à une mesure au sens de l'art. 61 CP. Une exécution anticipée dans une telle structure paraissait ainsi illusoire. Cela n'empêchait pas le Ministère public de prendre des renseignements actualisés et de se prononcer. Le TMC n'a toutefois pas formulé ces invitations sous forme d'injonctions.

11) Le 9 juillet 2018, M. A______ s'est adressé au SAPEM pour obtenir des renseignements concernant la situation actuelle des établissements pour jeunes adultes, en particulier du CEP, notamment s'agissant des délais d'attente et des alternatives possibles.

12) Le 13 juillet 2018, le SAPEM a répondu que le CEP avait décidé de prioriser les placements de mineurs et, qu'en l'état, les placements de jeunes adultes soumis à une mesure au sens de l'art. 61 CP faisaient l'objet d'une liste d'attente pour une durée indéterminée. M. A______ était invité à contacter directement le CEP dès lors qu'une exécution anticipée n'était pas encore prononcée.

13) Le 31 juillet 2018, le TMC a rendu une ordonnance de prolongation de la détention provisoire et invité formellement le Ministère public à statuer sur la requête d'exécution anticipée de mesure formulée le 9 mai 2018, à traiter la requête de mise en oeuvre d'une procédure simplifiée et à dresser l'acte d'accusation d'ici au 31 août 2018.

14) Le Ministère public a refusé la mise en oeuvre d'une procédure simplifiée le 27 août 2018 et déposé son acte d'accusation le 28 août 2018, sans toutefois statuer sur la demande d'exécution anticipée de la mesure.

15) Le 10 septembre 2018, M. A______ a renouvelé sa demande d'exécution anticipée de mesure, cette fois-ci devant le Tribunal correctionnel (ci-après : TCor).

16) Le 24 septembre 2018, le Ministère public a indiqué n'avoir pas d'observations à formuler sur la demande d'exécution anticipée de la mesure, étant précisé que, compte tenu de la priorité donnée au placement de mineurs au CEP et du fait que le SAPEM était dans l'impossibilité concrète de faire exécuter la mesure, il avait estimé qu'il n'y avait pas lieu de l'ordonner vu l'absence concrète d'établissement approprié à disposition et qu'aucun élément ne lui avait été transmis quant à une éventuelle place vacante.

17) Le 3 octobre 2018, le TCor a demandé à M. A______ s'il était disposé à être placé de manière anticipée dans un autre établissement tel que celui d'Arxhof, dans le canton de Bâle, pour autant que ce dernier soit un établissement fermé et qu'aucune place ne soit disponible au CEP.

Le TCor a également interpellé le SAPEM pour obtenir des informations actualisées quant à la possibilité concrète d'exécution d'un placement.

Dans les deux courriers précités, référence était faite à un courrier adressé le 3 juillet 2017 par la directrice du SAPEM au Procureur général, à teneur duquel la conférence latine des chefs des départements de justice et police avait pris acte le 24 mars 2016 de la décision des autorités valaisannes de fixer une priorité sur le placement de mineurs au CEP. La totalité des vingt-cinq places dont disposait cet établissement devait ainsi être mise à disposition des juges des mineurs. À titre subsidiaire, seules les éventuelles places vacantes seraient utilisées pour des placements de jeunes adultes. Dès lors, le CEP ne pouvait désormais entrer en matière sur une telle demande que si aucun mineur ne figurait sur sa liste d'attente. Il en résultait une impossibilité concrète de placer les jeunes adultes, puisque des mineurs étaient en permanence inscrits sur cette liste qui, à titre d'exemple, en comptait plus de quinze au mois de mars 2017. Le CEP étant le seul lieu d'exécution fermé romand pour les jeunes adultes, le SAPEM était dans l'impossibilité de faire exécuter une mesure au sens de l'art. 61 CP en Suisse romande, sauf dans un cas exceptionnel. Il existait des lieux de placement en Suisse allemande mais, dès lors que la mesure comportait un suivi socioéducatif et psychothérapeutique et incluait la nécessité d'une formation, la barrière de la langue constituait un obstacle, raison pour laquelle de tels placements n'avaient jusqu'alors pas pu été envisagés.

18) Le 15 octobre 2018, le SAPEM a confirmé que la situation n'avait pas évolué depuis le courrier du 3 juillet 2017 et que la direction du CEP avait indiqué le 10 octobre 2018 qu'aucune personne condamnée à une mesure au sens de l'art. 61 CP ne pourrait être accueillie en 2019. La situation était toutefois susceptible d'être revue pour 2020.

19) Le 16 octobre 2018, le TCor a rejeté la requête en exécution anticipée de la mesure de M. A______, vu l'impossibilité concrète et immédiate d'un placement au CEP.

20) Lors de l'audience de jugement du 31 octobre 2018, l'experte ayant
co-rédigé le rapport du 7 mars 2018 a notamment déclaré qu'aucune maladie psychiatrique ou trouble de la personnalité n'avait été décelé chez M. A______. Les experts avaient mis en évidence l'existence de certains traits de personnalité non constitutifs d'un trouble de la personnalité, mais pouvant être assimilés à un trouble du développement, considérant par ailleurs son jeune âge.

Le risque de récidive, considéré comme faible à moyen, pouvait être diminué en fonction des possibilités d'intégration et d'accompagnement correct, en travaillant sur l'adaptation socio-culturelle de l'intéressé. Ce dernier était volontaire et motivé pour un placement, dont il avait compris qu'il s'agissait pour lui d'une évolution positive. Un placement était préconisé dès lors qu'il était encore malléable et éducable, et pouvait s'améliorer à travers des mesures
socio-éducatives et une formation. S'il n'y avait pas de place au CEP, il convenait de trouver un centre similaire. Sous l'angle de la mesure, la prison n'était pas un cadre adapté à l'encadrement à donner à M. A______. Il était correct, pour un jeune adulte, d'intervenir sur un plan socio-éducatif le plus tôt possible, soit avant que les traits de sa personnalité ne se figent. Le risque d'une non intervention était que ces traits de personnalité dérivent vers un trouble de la personnalité. En l'occurrence, un placement immédiat serait bénéfique ; plus le temps passait, plus le risque de voir sa personnalité évoluer défavorablement était grand.

21) Par jugement du 31 octobre 2018, le TCor a déclaré M. A______ coupable de tentative de meurtre et l'a condamné à une peine privative de liberté de quatre ans, sous déduction de quatre cent trente-quatre jours de détention avant jugement. Il a ordonné son placement dans un établissement pour jeunes adultes au sens de l'art. 61 CP et a suspendu l'exécution de la peine privative de liberté au profit de la mesure.

« Il y [avait] bien eu un déni de justice en ce sens que, malgré la requête du prévenu qu'il soit statué sur sa demande d'exécution anticipée de la mesure déposée le 9 mai 2018, et malgré ses multiples relances, le Ministère public n'y [avait] jamais donné suite, ce qu'il aurait dû faire indépendamment du manque de place [au CEP] dont le SAPEM [avait] fait état. Dans la mesure où, toutefois, le prévenu [n'avait] pas un droit direct à une telle exécution anticipée et que son droit d'être entendu [avait] été réparé en ce sens que le Tribunal [avait] statué à cet égard, ce déni n'était pas un facteur influençant la peine ».

N'ayant pas fait l'objet d'un appel, ce jugement est entré en force.

22) Le 1er mars 2019, le Ministère public a requis auprès du TAPEM la levée de la mesure ordonnée en raison du manque de places disponibles.

23) Le 21 mars 2019, le SAPEM a indiqué que le CEP acceptait à nouveau le placement de jeunes adultes et que le transfert de M. A______ était programmé.

24) Ce transfert a effectivement eu lieu le 8 avril 2019.

25) Le 15 avril 2019, M. A______ a déposé auprès du TAPEM une requête en constatation de l'illicéité de ses conditions de détention, concluant à une indemnité de CHF 83'500.- pour trois cent trente-quatre jours de détention au total du 9 mai 2018 au 7 avril 2019, subsidiairement à une indemnité de CHF 43'750.- pour cent septante-cinq jours de détention du 9 mai au 31 octobre 2018, date de sa condamnation.

Sa détention à la prison avait été inadéquate, eu égard à la nécessité de son placement dans un environnement socio-éducatif protégé. Il avait d'ailleurs
lui-même adhéré à la mesure préconisée par les experts. En refusant de statuer sur sa demande d'exécution anticipée, le Ministère public avait commis un déni de justice, lequel avait été reconnu par le TCor. Une pénurie de places dans un établissement ne justifiait pas que la mesure ne puisse être exécutée, ni qu'une décision en ce sens ne puisse être rendue. Un placement alternatif aurait dû être décidé, ce d'autant plus vu l'urgence de la situation. Il avait attendu près d'une année avant son transfert. Les conditions de sa détention à la prison étaient contraires au droit. Il appartenait à l'État de mettre à disposition suffisamment de places dans les institutions spécialisées. L'indemnité devait être fixée, conformément à la jurisprudence, à CHF 250.- par jour de détention illicite.

26) Par jugement du 30 juillet 2020, le TAPEM a déclaré cette requête irrecevable et l'a transmise, pour raison de compétence, au département de la sécurité, devenu depuis le département de la sécurité, de la population et de la santé (ci-après : DSPS).

27) Par décision du 28 septembre 2020, le conseiller d'État en charge du DSPS a déclaré recevable la requête de M. A______ en tant qu'elle concernait l'examen de sa détention au sein de la prison du 9 mai 2018 au 7 avril 2019, mais a déclaré irrecevable sa requête en indemnisation, pour raison de compétence. Il a au surplus constaté que la détention de l'intéressé au sein de la prison durant la période précitée était licite.

Dès lors qu'il considérait que les conditions de détention de M. A______ étaient licites pendant toute la période concernée, le département ne pouvait que décliner sa compétence pour statuer sur la question de l'indemnisation, en l'absence de tout motif d'économie de procédure, et inviter l'intéressé à saisir les juridictions civiles compétentes.

La période de détention avant jugement, soit du 9 mai au 31 octobre 2018, avait été licite. À défaut d'avoir été autorisé par le Ministère public à exécuter la mesure de manière anticipée, M. A______ était resté soumis au régime de la détention provisoire jusqu'à son jugement. Celle-ci avait été régulièrement ordonnée et prolongée par le TMC. L'intéressé ne se plaignait pas des conditions matérielles de sa détention (notamment de la surface disponible au sol) et il ne ressortait pas du dossier que sa détention aurait pu s'avérer illicite pour d'autres motifs.

La détention de M. A______ au sein de la prison du 31 octobre 2018 au 7 avril 2019 avait également été licite. Sa demande d'exécution anticipée de la mesure avait été rejetée le 15 octobre 2018. Lorsque la mesure avait été ordonnée par jugement le 31 octobre 2018, le TCor connaissait la problématique et l'existence de solutions alternatives avait été examinée, notamment celle d'un établissement à Bâle, ce dernier n'accueillant toutefois que des détenus germanophones. Vu les circonstances, tant le SAPEM que le Ministère public avaient réagi rapidement et avec diligence en sollicitant la levée de la mesure, qui ne pouvait concrètement pas être exécutée. Parallèlement, le transfert de l'intéressé était intervenu aussitôt que le CEP avait recommencé à accueillir de jeunes adultes, cinq mois après le prononcé de la mesure. Aucun manquement ne pouvait donc être retenu à l'encontre de l'autorité d'exécution, qui avait fourni tous les efforts nécessaires pour trouver un établissement adapté. Aucune démarche supplémentaire n'aurait permis un transfert au CEP plus rapidement.

28) Le 30 octobre 2020, M. A______ a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la décision précitée, concluant principalement à son annulation, au constat du caractère illicite des conditions de sa détention du 9 mai 2018 au 7 avril 2019 (trois cent trente-quatre jours) et à ce que le département intimé soit condamné à lui verser, à titre de tort moral, une indemnité de CHF 83'500.- avec intérêts à 5 % l'an dès le 15 octobre 2018. Subsidiairement, il a conclu au constat du caractère illicite des conditions de sa détention du 9 mai au 31 octobre 2018
(cent septante-cinq jours) et à ce que le département intimé soit condamné à lui verser, à titre de tort moral, une indemnité de CHF 43'750.- avec intérêts à 5 % l'an dès le 6 septembre 2018. Plus subsidiairement, il demandait le renvoi de la cause à l'autorité inférieure.

La situation qu'il avait vécue justifiait que soient examinées les questions relatives à la responsabilité de l'État ainsi qu'à un éventuel droit à indemnisation.

Le déni de justice commis par le Ministère public avait été expressément reconnu et n'était plus sujet à débat. De plus, il n'avait jamais prétendu bénéficier d'un droit à une exécution anticipée de la mesure, mais bien d'un droit à obtenir une décision à ce sujet. Il n'était pas responsable du silence dans lequel le Ministère public s'était muré, qui allait à l'encontre des constats des experts ayant préconisé la mesure. Le département devait tenir compte du déni de justice dans son appréciation du cas d'espèce et ne pouvait pas se contenter de retenir que ses conditions de détention avant jugement étaient licites, faute d'autorisation d'exécution anticipée.

L'intimé avait également considéré à tort que la période de détention du 31 octobre 2018 au 7 avril 2019 était licite, omettant que la diligence dont faisaient preuve les autorités pour rendre possible le transfert d'un condamné au sein d'un centre de détention adapté à sa mesure n'empêchait pas le constat du caractère illicite des conditions de détention.

La décision attaquée était en conséquence contraire au droit et à la jurisprudence en matière de conditions de détention.

Une telle violation du droit devait donner lieu à une indemnisation, ses conditions de détentions illicites étant de nature à péjorer son état de santé. Au vu de la gravité de l'atteinte qu'il avait subie, une indemnité journalière à hauteur de 250.- semblait justifiée.

29) Le 15 janvier 2020, le département a transmis ses observations, concluant à l'irrecevabilité de la requête en indemnisation et au rejet du recours.

La chambre administrative n'était pas compétente pour statuer sur la demande d'indemnisation du recourant à titre de réparation.

Le litige ne portait pas sur les conditions de détentions matérielles du recourant au sein de la prison, mais sur le fait que sa détention s'était déroulée dans un établissement inapproprié, vu les recommandations émises dans l'expertise du 7 mars 2018. Or, celle-ci ayant été ordonnée dans le cadre de la procédure pénale à laquelle le département n'était pas partie, il n'avait pas eu connaissance du rapport ni de ses conclusions. Ainsi, durant la période de détention avant jugement, le département n'avait pas accès au dossier et ignorait les recommandations des experts. De plus, le département n'étant que l'autorité d'exécution de la mesure, il ne disposait pas, jusqu'au jugement, de la compétence d'un placement au CEP.

Le recourant avait été finalement transféré au CEP cinq mois et une semaine après sa condamnation, ce qui ne devait pas conduire au constat de l'illicéité de ses conditions de détention.

30) Le 11 février 2021, le recourant a persisté dans ses conclusions.

31) Sur quoi, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1) Le recours a été interjeté contre une décision du département déclarant irrecevable, pour raison de compétence, les prétentions en réparation du préjudice en lien avec une détention subie et constatant la licéité de la détention préventive et après jugement du recourant pour la période du 9 mai 2018 au 7 avril 2019.

2) a. La chambre administrative examine d'office sa compétence, qui est déterminée par la loi et ne peut être créée par accord entre les parties (art. 11 al. 1 et 2 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA -
E 5 10).

b. La chambre administrative est l'autorité supérieure ordinaire de recours en matière administrative (art. 132 al. 1 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05). Le recours est ouvert contre les décisions des autorités et juridictions administratives au sens des art. 4, 4A, 5, 6 al. 1 let. a et e, et 57 LPA, sauf exceptions prévues par la loi (art. 132 al. 2 LOJ) ou lorsque le droit fédéral ou une loi cantonale prévoit une autre voie de recours (art. 132
al. 8 LOJ), ou encore lorsque la saisine est prévue dans des lois particulières
(art. 132 al. 6 LOJ).

c. L'indemnisation de conditions de détention illicites relève des normes ordinaires en matière de responsabilité de l'État (ATF 141 IV 349 consid. 4.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_703/2016 du 2 juin 2017 consid. 2.1).

La chambre de céans n'est ainsi pas compétente pour connaître des prétentions en réparation du préjudice que le recourant fait valoir, celles-ci relevant de la compétence du Tribunal civil de première instance conformément à l'art. 7 de la loi sur la responsabilité de l'État et des communes du 24 février 1989 (LREC - A 2 40 ; ATA/800/2018 du 7 août 2018).

Le recours en tant qu'il porte sur cet aspect est donc irrecevable.

3) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente et dans les formes prescrites, le recours est au surplus recevable (art. 62 al. 1 let. a et 65 LPA).

4) Le litige porte sur la conformité au droit de la décision du département intimé constatant la licéité des conditions de détention du recourant durant la période du 9 mai 2018 au 7 avril 2019.

Le recourant ne se plaint pas des conditions matérielles de sa détention, mais allègue avoir subi une détention illicite dans la mesure où il a été détenu au sein d'un établissement inadéquat eu égard aux recommandations émises suite à l'expertise psychiatrique, à sa requête en exécution anticipée de la mesure au sens de l'art. 61 CP puis à la condamnation pénale dont il a fait l'objet ayant ordonné son placement.

5) a. À teneur de l'art. 61 al.1 CP, si l'auteur avait moins de 25 ans au moment de l'infraction et qu'il souffre de graves troubles du développement de la personnalité, le juge peut ordonner son placement dans un établissement pour jeunes adultes s'il a commis un crime ou un délit en relation avec ces troubles (let. a) et s'il est à prévoir que cette mesure le détournera de nouvelles infractions en relation avec ces troubles (let. b). Les établissements pour jeunes adultes doivent être séparés des autres établissements prévus par le code pénal (al.2). Le placement doit favoriser l'aptitude de l'auteur à vivre de façon responsable et sans commettre d'infractions. Il doit notamment lui permettre d'acquérir une formation ou une formation continue (al.3). La privation de liberté entraînée par l'exécution de la mesure ne peut excéder quatre ans. En cas de réintégration à la suite de la libération conditionnelle, elle ne peut excéder six ans au total. La mesure doit être levée au plus tard lorsque l'auteur atteint l'âge de 30 ans (al.4). Si l'auteur est également condamné pour un acte qu'il a accompli avant l'âge de 18 ans, il peut exécuter la mesure dans un établissement pour mineurs (al.5).

b. Il incombe à l'autorité d'exécution de trouver une institution appropriée pour l'exécution de la mesure ordonnée par le juge (arrêt du Tribunal fédéral 6B_842/2016 du 10 mai 2017 consid. 3.1.2). Aussi longtemps qu'aucune place disponible ne peut être trouvée, l'autorité d'exécution ne peut pas retenir un jeune adulte dans un établissement carcéral à titre de substitution et sans limite de temps. L'art. 62c al. 1 let. c CP prévoit la levée de la mesure s'il n'y a pas ou plus d'établissement approprié. Ainsi, selon la jurisprudence rendue sous l'empire de l'ancien art. 100 bis CP, devenu l'art. 61 CP, le fait qu'un établissement approprié ne puisse pas être trouvé ne justifie pas de placer la personne condamnée à une mesure institutionnelle dans un établissement pénitentiaire pendant des semaines ou des mois (ATF 142 IV 105 consid. 5.8.1 et les références citées). Le Tribunal fédéral a ainsi jugé qu'une détention de près de trois mois ordonnée dans le but de « motiver » l'intéressé et de « préparer » la mesure ne reposait sur aucun fondement juridique (arrêt du Tribunal fédéral 1P.334/2003 du 17 juillet 2013 consid. 8.5-8.6). En revanche, la détention d'un condamné à une mesure dans un établissement carcéral était conforme au droit fédéral matériel dans le cas d'une situation d'urgence transitoire de courte durée (arrêt 6A.20/2006 du 12 mai 2006 consid. 4.5).

c. Dans le canton de Genève, le SAPEM est l'autorité chargée de l'exécution des peines et mesures prononcées par les autorités pénales (art. 10, 11 et 13 du règlement sur l'exécution des peines et mesures du 19 mars 2014 - E 4 55.05).

6) a. Selon l'art. 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101), nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants.

b. À teneur de l'art. 5 par. 1 CEDH, toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf, notamment, s'il est détenu régulièrement après condamnation par un tribunal compétent (let. a), s'il a été arrêté et détenu en vue d'être conduit devant l'autorité judiciaire compétente, lorsqu'il y a des raisons plausibles de soupçonner qu'il a commis une infraction ou qu'il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l'empêcher de commettre une infraction ou de s'enfuir après l'accomplissement de celle-ci (let. c), s'il s'agit de la détention régulière d'un mineur, décidée pour son éducation surveillée ou de sa détention régulière, afin de le traduire devant l'autorité compétente (let. d) ou s'il s'agit de la détention régulière d'une personne susceptible de propager une maladie contagieuse, d'un aliéné, d'un alcoolique, d'un toxicomane ou d'un vagabond (let. e).

c. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme apporte des précisions sur les dispositions précitées, en particulier au regard de la santé mentale des détenus (Guide sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, Droits des détenus, mis à jour au 31 décembre 2020, § 137 ss, https://www.echr.coe.int/Documents/Guide_Prisoners_rights_FRA.pdf).

d. Se référant à cette jurisprudence, le Tribunal fédéral a rappelé à plusieurs reprises que, selon la CourEDH, pour respecter l'art. 5 par. 1 CEDH la détention doit avoir lieu « selon les voies légales » et « être régulière ». En la matière, elle renvoie pour l'essentiel à la législation nationale et consacre l'obligation d'en respecter les normes de fond comme de procédure. Elle exige de surcroît la conformité de toute privation de liberté au but de l'art. 5 CEDH : protéger l'individu contre l'arbitraire. Il doit exister un lien entre le motif censé justifier la privation de liberté et le lieu ainsi que les conditions de la détention. En principe, la détention d'une personne souffrant de troubles mentaux ne peut être considérée comme régulière aux fins de l'art. 5 par. 1 let. e CEDH que si elle s'effectue dans un hôpital, dans une clinique ou dans un autre établissement approprié. Le seul fait que l'intéressé ne soit pas intégré dans un établissement approprié n'a toutefois pas pour effet automatique de rendre sa détention irrégulière au regard de l'art. 5 par. 1 CEDH. Un équilibre raisonnable doit être ménagé entre les intérêts opposés en cause, étant entendu qu'un poids particulier doit être accordé au droit à la liberté. Dans cet esprit, la CourEDH prend en compte les efforts déployés par les autorités internes en vue de trouver un établissement adapté pour évaluer la régularité du maintien en détention dans l'intervalle (arrêts de la CourEDH Papillo c. Suisse du 27 janvier 2015 [requête n° 43368/08], § 41 ss et les arrêts cités ; De Schepper c. Belgique du 13 octobre 2009, [requête n° 27428/07], § 48 ; arrêts du Tribunal fédéral 6B_330/2019 du 5 septembre 2019 consid. 1.1.2 ; 6B_1264/2017 du 23 mai 2018 consid. 6.1).

Ces principes doivent également trouver application lorsque l'intéressé fait l'objet d'une mesure thérapeutique institutionnelle applicable aux jeunes adultes au sens de l'art. 61 CP mais que, dans l'attente d'une place disponible dans un établissement idoine, il est détenu dans un établissement pénitentiaire fermé (arrêt 6B_842/2016 du 10 mai 2017 consid. 3.1.1). L'État a l'obligation de mettre à disposition en nombre suffisant des places dans des établissements appropriés. Un séjour dans un établissement d'exécution des peines est envisageable pour autant qu'il soit nécessaire afin de trouver un établissement approprié. Il faut notamment examiner l'intensité des efforts fournis par l'autorité pour trouver un tel lieu d'accueil. Si la détention s'étend sur une durée plus longue en raison de problèmes de capacité connus, elle est contraire à l'art. 5 CEDH (ATF 142 IV 105
consid. 5.8. et les références citées).

Dans ce sens, la CourEDH a retenu que, dans un contexte où le manque structurel de place était connu depuis des années, un délai d'attente de six mois dans une prison était contraire à l'art. 5 CEDH. La détention dans une prison compromet les buts de la mesure - à savoir la resocialisation de l'intéressé par un traitement adéquat - et risque de renverser la priorité de la mesure sur la peine prévue par la loi. Il ne faut pas que le véritable but de la mesure ne réside plus que dans la mise en sûreté de l'intéressé. Une telle privation de liberté ne serait donc valable que sous des conditions très strictes (ATF 142 IV 105 précité
consid. 5.8.1).

Dans un arrêt traitant d'un détenu soumis à un traitement institutionnel en milieu fermé (art. 59 al. 3 CP), contre lequel seule une peine pécuniaire avait été prononcée, le Tribunal fédéral a jugé, à l'aune de la jurisprudence européenne et en tenant compte des circonstances d'espèce (suivi psychologique et traitement psychopharmacologique), que la détention carcérale pour une durée d'un peu plus de cinq mois n'avait pas violé l'art. 5 par. 1 let. e CEDH (arrêt 6B_817/2014 du 2 avril 2015 consid. 3.5.2). 

7) Pour examiner la licéité des conditions de détention du recourant, il y a lieu de distinguer la période du 9 mai au 31 octobre 2018, correspondant à la détention provisoire, de celle du 1er novembre 2018 au 7 avril 2019, correspondant à la détention après jugement, jusqu'au transfert du recourant au CEP. Cette distinction se justifie en l'espèce par le fait que, durant la période de détention provisoire, la mesure de placement du recourant dans un établissement pour jeunes adultes découlait de recommandations émises par des experts psychiatres dans le cadre de la procédure pénale tandis que, pendant la seconde période de détention après condamnation, la mesure avait été prononcée par jugement.

Durant sa détention provisoire au sein de la prison, le recourant a formellement sollicité auprès de la direction de la procédure pénale, soit le Ministère public, l'exécution anticipée de la mesure au sens de l'art. 61 CP préconisée par les experts le 9 mai 2018. Il ressort effectivement du dossier que le Ministère public ne s'est jamais prononcé formellement sur cette requête, malgré les nombreuses relances du recourant et l'injonction du TMC, et que le TCor a admis l'existence d'un déni de justice à cet égard. Il n'en demeure toutefois pas moins qu'aucune autorité pénale n'a statué sur cette question avant le 16 octobre 2018, date à laquelle le TCor a refusé l'exécution anticipée de la mesure vu l'impossibilité concrète et immédiate d'un placement au CEP, étant précisé que le recourant n'a pas contesté cette décision. Dans ces circonstances, le département intimé, soit pour lui le SAPEM - qui n'était pas lié par les conclusions de l'expertise psychiatrique dont il ignorait dans un premier temps l'existence puisqu'il n'était pas partie à la procédure pénale - n'avait pas la compétence de faire exécuter de manière anticipée la mesure de placement du recourant dans un établissement fermé pour jeunes adultes. C'est d'ailleurs ce qu'il a indiqué au recourant le 13 juillet 2018 en le renseignant sur la situation actuelle du CEP, tout en l'invitant à entreprendre des démarches personnelles en vue d'un éventuel transfert, faute de décision formelle émanant d'une autorité pénale. Les conditions de détention du recourant entre le 9 mai et le 31 octobre 2018 étaient en conséquence licites.

Par jugement du 31 octobre 2018, la mesure au sens de l'art. 61 CP a été prononcée à l'encontre du recourant, condamné à une peine privative de liberté de quatre ans. À partir de cette date et jusqu'à son transfert au CEP qui a pu avoir lieu le 8 avril 2019, soit durant un peu plus de cinq mois, il y a lieu d'admettre que le SAPEM a agi avec diligence, sollicitant la levée de la mesure en constatant l'impossibilité concrète de placement avant de se raviser aussitôt qu'il a été informé de ce que l'établissement était à nouveau prêt à accueillir de jeunes adultes. Compte tenu de la durée de la détention du recourant au sein de la prison après sa condamnation inférieure à six mois, de la réactivité des autorités en vue de l'exécution de la mesure, ainsi que du fait que le placement du recourant en établissement fermé pour jeunes adultes se justifiait davantage par les effets favorables qu'il pourrait avoir sur son développement que par une maladie mentale ou des troubles de la personnalité, non diagnostiqués en l'état, les conditions de sa détention à la prison entre le 1er novembre 2018 et le 7 avril 2019 étaient également licites, conformément à la jurisprudence précitée.

Dans ces circonstances, les conditions de détention du recourant étaient licites durant toute la période où il a été détenu à la prison, de sorte que la décision attaquée s'avère conforme au droit.

Compte tenu de ce qui précède, le recours sera rejeté.

8) Vu la nature du litige, aucun émolument ne sera perçu (art. 87 al. 1 LPA ; art. 12 al. 1 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03). Vu son issue, aucune indemnité de procédure ne sera allouée.

 

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PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

rejette, dans la mesure de sa recevabilité, le recours interjeté le 30 octobre 2020 par Monsieur A______ contre la décision du département de la sécurité, de la population et de la santé du 28 septembre 2020 ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument, ni alloué d'indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 et ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Nicola Meier, avocat du recourant, ainsi qu'au département de la sécurité, de la population et de la santé.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, M. Verniory, Mme Lauber, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

la greffière :