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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2950/2018

ATA/875/2020 du 08.09.2020 sur JTAPI/1143/2019 ( ICCIFD ) , REJETE

Recours TF déposé le 14.10.2020, rendu le 11.02.2021, ADMIS, 2C_857/2020
Descripteurs : BILAN(EN GÉNÉRAL);FORCE OBLIGATOIRE(SENS GÉNÉRAL);PRINCIPE EN MATIÈRE DE DROIT FISCAL;PERSONNE PROCHE;PRESTATION APPRÉCIABLE EN ARGENT
Normes : LIFD.58.al1; LIPM.12.al1
Résumé : Rejet du recours et confirmation de la taxation litigieuse appliquant la théorie du bénéficiaire direct dans un cas de prestations appréciables en argent faites par une société anonyme dont l’actionnaire est le père du recourant à celui-ci (proche de l’actionnaire) vu les circonstances particulières du présent cas. Rejet de la demande tendant à modifier les comptes de l’entreprise individuelle du recourant après le dépôt de la déclaration fiscale. Pas de violation des principes de droit comptable lors de l’établissement des comptes de ladite entreprise.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2950/2018-ICCIFD ATA/875/2020

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 8 septembre 2020

4ème section

 

dans la cause

 

Madame et Monsieur A______
représentés par Me Jean-Jacques Martin, avocat

contre

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

ADMINISTRATION FÉDÉRALE DES CONTRIBUTIONS

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 19 décembre 2019 (JTAPI/1143/2019)


EN FAIT

1) Les époux A______ ont remis leur déclaration fiscale 2010, en juillet 2011, en annonçant, pour l'époux, un revenu de CHF 802'037.- au titre de son activité lucrative indépendante au sein de sa raison individuelle dénommée «  B______ » ainsi qu'un revenu brut de CHF 127'150.- au titre de son activité lucrative dépendante, résultant essentiellement de son travail pour la société C______ SA. Ils n'avaient pas déclaré détenir des parts dans le capital social des sociétés anonymes mentionnées ci-après.

a. L'entreprise individuelle « B______ », inscrite en 2000 au registre du commerce du canton de Genève (ci-après : RC) en a été radiée le 11 novembre 2019, à la suite de la remise de cette exploitation à la nouvelle société C______ SA, inscrite à cette même date au RC. M. A______ était titulaire respectivement administrateur unique, avec signature individuelle, de ces deux entreprises ayant le même but social, à savoir le transport et la location de véhicules, l'exploitation de garages ainsi que le commerce et la représentation de matériaux de construction.

b. De janvier 1996 à avril 2013, M. A______ a été administrateur secrétaire de la société C______ SA, avec signature collective à deux, avec son père, Monsieur E______ qui en avait été administrateur président avec signature collective à deux jusqu'en avril 2013, puis dès cette date unique administrateur avec signature individuelle.

La société C______ SA était devenue F______ SA en novembre 2016, puis G______ SA en juin 2018 et G______ SA, en liquidation en janvier 2019, après sa dissolution par suite de faillite prononcée par jugement civil du 7 janvier 2019, selon l'extrait informatique du RC. Dès novembre 2016, son but social était l'exploitation d'une entreprise de transport de béton et autres matériaux ainsi que l'exploitation de garages.

2) Le 9 novembre 2015, l'administration fiscale cantonale (ci-après : AFC-GE) a notifié aux époux A______ les bordereaux et avis de taxation relatifs à l'impôt fédéral direct (ci-après : IFD) et aux impôts cantonaux et communaux (ci-après : ICC) de l'année 2010.

Elle a confirmé les éléments annoncés par les contribuables dans leur déclaration fiscale 2010, sous réserve de quelques modifications ayant notamment trait au revenu tiré de l'activité indépendante de l'époux. Celui-ci avait été retenu à hauteur de CHF 807'129.- au titre de bénéfice net du contribuable résultant du produit de son entreprise individuelle, à la suite de la reprise de charges non justifiées par l'usage commercial, au titre de frais privés pour un montant de CHF 5'092.-.

Selon l'avis de taxation ICC et IFD 2010 relatif à l'activité indépendante, une partie du résultat de cette activité devrait, en application de la théorie du bénéficiaire direct, être requalifiée en rendement de fortune dans la mesure où les contribuables avaient bénéficié de distributions dissimulées de bénéfices de la société C______ SA. Toutefois, par mesure de simplification et considérant que cela n'aurait pas d'incidence fiscale particulière les concernant, l'AFC-GE renonçait à modifier leur déclaration fiscale sur ce point. Cette approche pragmatique ne saurait toutefois remettre en cause le fait qu'ils avaient bénéficié de telles distributions dissimulées de bénéfices.

3) Le 2 décembre 2015, les contribuables ont formé réclamation contre la taxation ICC et IFD 2010 et demandé la suspension de la procédure jusqu'à droit définitivement jugé au sujet des deux recours pendants devant le Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI), en particulier celui concernant l'ancienne société C______ SA (cause A/2473/2014).

4) Par arrêt 2C_333/2017 du 12 avril 2018, le Tribunal fédéral a admis le recours de l'AFC-GE dans le cadre de la cause no A/2473/2014 concernant l'ancienne société C______ SA, devenue alors F______ SA.

Il a annulé l'arrêt de la chambre administrative de la Cour de justice
(ci-après : la chambre administrative) du 21 février 2017 (ATA/226/2017) confirmant, d'une part, le principe de l'existence d'une prestation appréciable en argent correspondant à la différence entre le prix des locations payées par la société et le montant considéré par l'AFC-GE comme prévalant sur le marché pour des prestations équivalentes, et, d'autre part, le raisonnement du TAPI quant à la manière de calculer les loyers litigieux, qui divergeait de celle soutenue par l'AFC-GE. Le Tribunal fédéral a rétabli les décisions sur réclamation du 23 juillet 2014 de l'AFC-GE, notifiées à la société et portant sur les rappels d'impôts pour l'IFD et l'ICC de plusieurs années fiscales, notamment l'année 2010, et les amendes y relatives.

a. Le 25 novembre 2011, l'AFC-GE avait informé la société de l'ouverture d'une procédure en rappel et soustraction de l'IFD et de l'ICC pour les années 2002 à 2010. La société semblait avoir accordé des prestations appréciables en argent à son actionnaire et aux proches de celui-ci par le biais de la location de véhicules appartenant à ceux-ci pour des montants surfaits.

Le 5 avril 2013, l'AFC-GE avait notifié à l'ancienne société C______ SA les décisions de rappel d'impôts pour l'ICC et l'IFD de l'année 2010 notamment, en raison de distributions dissimulées de bénéfices, sous la forme de locations à un prix dépassant le prix de pleine concurrence, faites à M. E______ et à M. A______ pour un montant de CHF 854'394.- en 2010 s'agissant de ce dernier. Ces décisions avaient été confirmées par décisions sur réclamation du 23 juillet 2014 de l'AFC-GE, contestées jusque devant le Tribunal fédéral.

b. Devant le Tribunal fédéral, il était acquis que ladite société avait procédé à une distribution dissimulée de bénéfice en payant des montants surfaits pour la location de véhicules de chantier appartenant à l'actionnaire, M. E______, et à son fils, M. A______. Ainsi, le litige soumis au Tribunal fédéral portait sur la façon dont les reprises devaient être calculées (arrêt 2C_333/2017 précité consid. 2), plus précisément sur la méthode à appliquer afin de déterminer de façon objective et concrète le montant de la location desdits véhicules qui aurait été convenu entre personnes indépendantes, c'est-à-dire en fonction du principe de pleine concurrence (arrêt 2C_333/2017 précité consid. 6). Seule était donc en cause l'application du droit fédéral, à l'exclusion de toute question relevant de l'appréciation des preuves.

Le Tribunal fédéral ne considérait pas judicieux de se baser sur les tarifs de location usuels, même en procédant à certaines corrections, comme le proposait la chambre administrative. Dans le cas d'espèce, les biens étaient loués pour la totalité de leur vie économique. Il fallait donc suivre l'AFC-GE en tant qu'elle argumentait que le prix tel qu'il devrait être pris en compte se rapprochait d'un leasing qui calculait des marges en tenant précisément compte d'une location couvrant toute la vie économique du bien. Il ne s'agissait pas d'imposer le leasing comme modèle économique à la société, en lieu et place de celui de la location qu'elle avait choisi ; ce modèle était simplement celui dont les tarifs étaient les plus adéquats pour déterminer les reprises à effectuer compte tenu de la façon dont elle avait procédé, étant souligné que le leasing pouvait aussi être un leasing de pure location (arrêt 2C_333/2017 précité consid. 6.2).

5) Le 19 juillet 2018, les contribuables ont, à la suite de l'arrêt du Tribunal fédéral 2C_333/2017 précité, demandé à ce que le montant de CHF 854'394.- - mentionné, à titre de distribution dissimulée de bénéfices, dans le bordereau rectificatif de rappel d'impôts de 2010 de l'ancienne société C______ SA du 5 avril 2013 - soit sorti de la catégorie « revenus professionnels » de l'époux dans leur taxation 2010 et requalifié comme « distributions de bénéfices » imposées à 60 %.

6) Par décision du 26 juillet 2018, l'AFC-GE a, d'une part, rejeté la réclamation des époux et maintenu leur taxation ICC et IFD de 2010 en reprenant la même argumentation que dans l'avis de taxation 2010. Elle a, d'autre part, considéré leur courrier du 19 juillet 2018 comme étant une demande de révision et décidé de ne pas y entrer en matière car elle était irrecevable.

7) Par jugement du 19 décembre 2019, le TAPI a rejeté le recours des contribuables contre cette décision.

La qualification de prestation appréciable en argent des loyers surfaits en matière fiscale n'avait aucun impact sur le compte de résultat de l'entreprise individuelle du contribuable. Il n'était pas contesté que les montants des locations litigieuses avaient été dûment reportés dans la comptabilité de l'entreprise individuelle de l'époux, conformément aux opérations commerciales conduites par cette dernière. L'entreprise avait facturé les prestations appréciables en argent en cause selon les montants qu'elle avait effectivement reçus des sociétés anonymes détenues par le père du contribuable sans qu'il ne s'agisse de charges étrangères à l'activité exercée. Lesdites factures correspondaient sincèrement aux produits enregistrés dans les états financiers. Le principe de sincérité de ceux-ci n'avait pas été heurté. Le contribuable ne pouvait pas se prévaloir de la violation d'une disposition de droit comptable, pour procéder a posteriori à une correction des comptes et rétablir leur conformité au droit commercial. Il était lié par la manière dont il avait comptabilisé lesdits produits. Les taxations en cause ne pouvaient dès lors être modifiées, même si elles n'étaient pas encore entrées en force. La question de la détermination de la théorie applicable au présent cas (théorie du triangle - pure ou modifiée - ou théorie du bénéficiaire effectif) n'avait pas d'incidence sur l'issue de la présente cause.

L'argument des contribuables visant à bénéficier de l'imposition partielle des rendements de participation ne pouvait qu'être rejeté dans la mesure où, même si les revenus litigieux étaient attribués au contribuable, ni ce dernier ni son épouse ne remplissaient les dispositions fiscales topiques, faute de détenir des droits de participations de 10 % au moins du capital de la société ayant concédé les prestations appréciables en argent.

8) Les contribuables ont recouru en temps utile contre ce jugement auprès de la chambre administrative en concluant à son annulation, à ce qu'il soit dit que leur revenu imposable 2010 soit dégrevé à hauteur de CHF 854'394.- et au renvoi de la cause à l'AFC-GE pour nouvelles taxations.

Vu l'arrêt 2C_333/2017 précité du Tribunal fédéral, les prestations appréciables en argent devaient être reprises exclusivement comme revenus de l'actionnaire des sociétés en cause, soit auprès du père du recourant. Ces prestations correspondaient au revenu de l'activité indépendante du recourant, plus précisément aux loyers perçus des sociétés de son père que le Tribunal fédéral avait requalifié de prestations appréciables en argent. Les recourants sollicitaient la modification de leur taxation 2010 sur ce point, en alléguant que cela était exigé par « les normes fiscales correctrices », sans autre indication ou motivation. Ils demandaient aussi une « nécessaire » correction des comptes de l'entreprise individuelle du recourant, en invoquant « des normes impératives du droit comptable », dans la mesure où il était « évident que l'enregistrement d'un produit qui n'appart[enait] juridiquement pas effectivement à l'entreprise » ne respectait pas « les principes élémentaires du droit comptable », sans autre précision au sujet de ces « normes impératives » ou de ces « principes élémentaires ».

Ils se plaignaient aussi d'une violation du principe de la bonne foi par l'AFC-GE car elle refusait d'appliquer la même qualification juridique (soit celle de prestations appréciables en argent) dans la taxation des sociétés et des personnes physiques concernées. Cela consacrait une « contradiction inadmissible entre la taxation des sujets fiscaux concernés ».

Ils demandaient à ce que la somme de CHF 854'394.- - admise par le Tribunal fédéral à titre de prestations appréciables en argent pour 2010 - soit soustraite du chiffre d'affaires comptabilisé dans l'entreprise individuelle du recourant.

9) L'AFC-GE a conclu au rejet du recours.

S'agissant des revenus de l'entreprise individuelle du recourant, la taxation 2010 s'était fondée sur les comptes déposés par les contribuables avec leur déclaration fiscale 2010, sous réserve des modifications susmentionnées non contestées. Le contribuable était lié à la situation patrimoniale telle qu'elle ressortait des livres de compte, en application du principe de l'autorité du bilan commercial (ou de déterminance). Il n'avait pas démontré en quoi les écritures comptables seraient contraires au droit commercial, de sorte qu'une correction de sa comptabilité n'était pas autorisée. Il ne contestait pas que la comptabilité remise à l'AFC-GE reflétait de manière sincère les revenus obtenus en 2010. Il n'y avait ainsi pas lieu de tenir compte de l'ajustement lié à la requalification des loyers litigieux en prestations appréciables en argent. Cette requalification n'avait pas pour effet que la comptabilité du recourant comporte une violation de droit comptable.

10) Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) La présente affaire concerne la taxation ICC et IFD de 2010 des recourants, qui n'est pas entrée en force, contrairement à celle de 2009 faisant l'objet de la cause no A/3440/2018. Ils en sollicitent la modification, à la suite de l'arrêt 2C_333/2017 précité du Tribunal fédéral qui tranche la question de la méthode de calcul des loyers litigieux. Le Tribunal fédéral considère acquis le fait que l'ancienne société C______ SA a procédé à une distribution dissimulée de bénéfice en payant des montants surfaits pour la location de véhicules de chantier appartenant au recourant et à son père, actionnaire de ladite société.

Malgré une motivation générale et alors qu'ils ont eux-mêmes déclaré et comptabilisé les loyers litigieux comme étant le produit de l'activité indépendante de l'époux tant dans leur déclaration fiscale 2010 que dans les comptes de son entreprise individuelle, les recourants demandent à l'AFC-GE de supprimer de la comptabilité de ladite entreprise et de leur déclaration fiscale 2010 la somme de CHF 854'394.-. Ils invoquent à cet effet, d'une part, le fait que lesdits loyers ont été requalifiés en prestations appréciables en argent, pour une somme de CHF 854'394.- s'agissant du recourant, dans le cadre de la procédure ouverte par l'AFC-GE à l'encontre de l'ancienne société C______ SA, qui a donné lieu à l'arrêt 2C_333/2017 précité. D'autre part, ils contestent l'application de la théorie du bénéficiaire direct par l'AFC-GE à leur situation.

3) D'après l'art. 58 al. 1 let. a de la loi fédérale sur l'impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 (LIFD - RS 642.11), applicable également aux personnes physiques par renvoi de l'art. 18 al. 3 LIFD, le bénéfice net imposable comprend le solde du compte de résultats, compte tenu du solde reporté de l'exercice précédent. Cette disposition énonce le principe de l'autorité du bilan commercial (ou principe de déterminance), selon lequel les comptes, et notamment le compte de résultats, établis conformément aux règles du droit commercial (ou comptable) lient les autorités fiscales à moins que le droit fiscal ne prévoie des règles correctrices particulières (ATF 137 II 353 consid. 6.2). L'autorité du bilan commercial tombe en revanche lorsque des normes impératives du droit commercial sont violées ou que des normes fiscales correctrices l'exigent (ATF 141 II 83 consid. 3 ; 137 II 353 consid. 6.2 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_484/2019 du 6 novembre 2019 consid. 7.1 ; 2C_443/2017 du 15 janvier 2018 consid. 6.3). Le principe d'autorité du bilan lie non seulement l'autorité fiscale, mais également le contribuable lui-même, qui est tenu par sa comptabilité (autorité formelle du droit comptable ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_455/2017 du 17 septembre 2018 consid. 6.1 et la référence citée).  

Aux termes de l'art. 12 al. 1 let. a de la loi genevoise du 23 septembre 1994 sur l'imposition des personnes morales (LIPM ; RS/GE D 3 15), applicable également aux personnes physiques par renvoi de l'art. 19 al. 4 de la loi sur l'imposition des personnes physiques du 27 septembre 2009 (LIPP - D 3 08), est considéré comme bénéfice net imposable le bénéfice net tel qu'il résulte du compte de profits et pertes. L'art. 12 al. 1 let. a LIPM correspond à l'art. 58 al. 1 let. a LIFD, de sorte que l'interprétation donnée par la jurisprudence en relation avec la LIFD est aussi applicable en matière d'ICC (arrêt du Tribunal fédéral 2C_687/2018 du 15 février 2019 consid. 4.2).

4) Il convient tout d'abord de situer les griefs des recourants dans leur contexte. Ce n'est qu'après l'ouverture, en novembre 2011, par l'AFC-GE d'une procédure en rappel d'impôts à l'encontre de l'ancienne société C______ SA pour des prestations appréciables en argent accordées au recourant par des loyers surfaits, que les époux ont remis en cause le contenu de leur déclaration fiscale 2010, déposée en juillet 2011, en élevant réclamation contre leur taxation ICC et IFD 2010 notifiée en 2015.

Or, le caractère surfait des loyers perçus de la société précitée du père du recourant pour la location de véhicules ne pouvait bonne foi être ignoré du contribuable, vu la proximité des liens entre ce dernier et la société dont son père est actionnaire, et la disproportion des prestations en cause par rapport à une transaction similaire entre tiers dans un marché de pleine concurrence. En intégrant lesdits loyers dans la comptabilité de son entreprise individuelle et en les qualifiant de revenus de son activité indépendante dans sa déclaration fiscale 2010, le recourant ne fait que formaliser en toute connaissance de cause, dans les documents idoines, la réalité de son activité commerciale. Ce faisant et comme le relève à raison le TAPI, il agit dans le respect du principe de sincérité prévalant en droit comptable (art. 959 de la loi fédérale du 30 mars 1911, complétant le Code civil suisse - CO, Code des obligations - RS 220). En vertu de la sincérité matérielle, il est interdit d'omettre purement et simplement un actif dans les comptes pour créer une réserve latente (arrêt 2C_508/2014 du Tribunal fédéral du 20 février 2015 consid. 5.3.2). La découverte ultérieure du versement de prestations appréciables en argent par l'ancienne société C______ SA au recourant n'y change rien, en particulier sous l'angle commercial, le contribuable ayant perçu les loyers litigieux et les ayant déclarés, dans leur intégralité, comme revenu de son activité indépendante. Dans ces circonstances et en l'absence de la violation d'une autre norme de droit comptable, ce que le recourant ne démontre par ailleurs pas, il y a lieu de constater l'absence de violation du droit comptable et dès lors de rejeter le recours sur ce point.

5) Seule une modification du bilan (« Bilanzänderung ») est in casu susceptible d'entrer en ligne de compte, à l'exclusion d'une correction de bilan (« Bilanzberichtigung »), dans la mesure où aucune violation d'une norme impérative du droit comptable n'est en l'espèce établie (Robert DANON, in Yves NOËL/Florence AUBRY GIRARDIN [éd.], Commentaire romand de la loi sur l'impôt fédéral direct, 2ème éd., 2017, n. 61 s ad art. 57-58 LIFD). Il y a modification du bilan lorsque l'entreprise choisit de remplacer une écriture comptable par une autre tout en continuant à respecter les dispositions impératives du droit commercial ; il ne s'agit pas de corriger un bilan vicié, mais uniquement de modifier son appréciation comptable d'un état de fait (Robert DANON, op. cit., n. 66 ad art. 57-58 LIFD). Or, d'après la jurisprudence du Tribunal fédéral, une modification de bilan n'est possible que jusqu'au dépôt de la déclaration fiscale. De plus, durant la procédure de taxation, une telle modification ne peut en principe être effectuée que s'il apparaît que le contribuable s'est mépris, de manière excusable, sur les conséquences fiscales de certaines comptabilisations (ATF 141 II 83 consid. 3.4). Même dans ces circonstances, une modification de bilan ne saurait être effectuée aux fins de réaliser une économie d'impôts (arrêt du Tribunal fédéral 2C_29/2012 du 16 août 2012 consid. 2.1 ; Robert DANON, op. cit., n. 67 ad art. 57-58 LIFD).

Vu les circonstances du cas d'espèce rappelées ci-dessus, l'erreur excusable permettant de modifier le bilan pendant la procédure de taxation ne peut être admise. En effet, les recourants ne pouvaient de bonne foi ignorer que le montant des loyers en cause était surfait par rapport à des relations commerciales entre tiers. Dès lors, ils ne pouvaient modifier les comptes de l'entreprise individuelle de l'époux que jusqu'au dépôt de leur déclaration fiscale, ce qu'ils n'ont pas fait. Ils sont ainsi, comme l'a relevé le TAPI, liés par les comptes produits avec leur déclaration fiscale 2010.

6) Toutefois, en procédure de taxation, la doctrine distingue, d'une part, la modification volontaire des comptes et, d'autre part, les ajustements découlant de l'application de règles correctrices ou du principe de la bonne foi. Elle considère que le contribuable doit, à certaines conditions, pouvoir se prévaloir de règles correctrices en sa faveur. De plus, si l'administration opère un redressement chez un actionnaire dans le cadre d'une transaction conclue avec le contribuable, le principe de la bonne foi ainsi que la « cohérence » du système fiscal commandent alors de permettre au contribuable de modifier son bilan en conséquence. Une modification peut également être justifiée au regard du principe de la bonne foi, par exemple en cas de changement inattendu de pratique administrative (Robert DANON, op. cit., n. 68 ad art. 57-58 LIFD et les références citées).

a. Parmi les règles fiscales correctrices figure l'art. 58 al. 1 let. b LIFD. Selon cette disposition, le bénéfice net imposable comprend tous les prélèvements opérés sur le résultat commercial avant le calcul du solde du compte de résultats, qui ne servent pas à couvrir des dépenses justifiées par l'usage commercial. L'art. 58 al. 1 let. b LIFD dresse une liste exemplative des éléments dont la déduction n'est pas admise. En font notamment partie les distributions ouvertes ou dissimulées de bénéfice et les avantages procurés à des tiers qui ne sont pas justifiés par l'usage commercial (art. 58 al. 1 let. b, 5ème tiret LIFD ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_484/2019 du 6 novembre 2019 consid. 7.1). Cette disposition a son pendant en droit genevois à l'art. 12 al. 1 let. h LIPM.

b. En matière de distributions dissimulées de bénéfices (ou prestations appréciables en argent) effectuées en faveur du proche de l'actionnaire, comme dans la présente affaire, se pose la question de l'attribution du revenu aux fins de l'imposition. Deux approches sont envisageables : la théorie du bénéficiaire direct et la théorie du triangle (Robert DANON, op. cit., n. 253 ss ad art. 57-58 LIFD). Dans la théorie du bénéficiaire direct, l'actionnaire (détenteur de parts) est d'emblée ignoré et l'imposition s'effectue auprès de la personne proche de ce dernier (arrêt du Tribunal fédéral 2C_177/2016 du 30 janvier 2017 consid. 5.3).

En matière d'impôt fédéral direct, le Tribunal fédéral a précisé que seule est applicable la théorie du triangle, en lieu et place de la théorie du bénéficiaire direct (arrêt du Tribunal fédéral 2C_177/2016 précité consid. 5.4). Il a toutefois rappelé qu'il avait appliqué la théorie du bénéficiaire direct dans un cas « isolé » pour une prestation appréciable en argent en matière d'impôts directs (arrêt du Tribunal fédéral 2C_177/2016 précité consid. 5.3). Il s'agit de l'affaire dite « Appenzeller Entscheid » (arrêt du Tribunal fédéral 2A.315/1991 et 2A.320/1991 du 22 octobre 1992, publié in RDAF 1995 II 38). Comme le relève la doctrine, la particularité de cette affaire tient au fait que le fils de l'actionnaire de la société anonyme qui avait pris à sa charge des frais personnels d'entretien de ces deux personnes physiques, était lié à la société par un contrat de travail. Le fils ne détenait pas de participation. Le Tribunal fédéral a estimé que la prestation appréciable en argent devait être directement imputée au fils, car une société anonyme pouvait également octroyer des prestations appréciables en argent à des tiers indépendants qui devaient ensuite eux-mêmes acquitter l'impôt sur ces prestations (Xavier OBERSON, Droit fiscal suisse, 2012, 4ème éd., n. 53 ad § 10 p. 240).

Lorsque la participation appartient à la fortune privée, la théorie du triangle pure s'applique dans tous les cas. Suivant cette théorie, la prestation passe pendant un bref instant de la société effectuant la prestation au détenteur de parts, auprès duquel elle est considérée comme un rendement de la fortune mobilière (distribution dissimulée de dividende), puis à la personne considérée comme proche du détenteur de parts (arrêt du Tribunal fédéral 2C_177/2016 précité consid. 5.2.1). L'enrichissement de la personne effectivement gratifiée s'analyse ensuite comme une donation (personnes physiques) ou un apport (personnes morales) fiscalement neutre provenant du porteur de parts (Robert DANON, op. cit., n. 256 ad art. 57-58 LIFD).

Lorsque la participation est détenue dans la fortune commerciale d'une personne physique ou d'une personne morale, la jurisprudence envisage l'application de la théorie du triangle modifiée, invoquée par la doctrine récente. Suivant cette théorie, il est possible de renoncer à l'imposition de la prestation appréciable en argent auprès du détenteur de parts, à condition que la prestation appréciable en argent ne crée pas pour le détenteur de parts la nécessité de procéder à un amortissement et à condition qu'un tel amortissement ne soit pas effectué dans les faits (arrêt du Tribunal fédéral 2C_177/2016 précité consid. 5.2.2 et les références citées). Le Tribunal fédéral a toutefois laissé ouverte la question de savoir si cette approche était compatible avec le droit fédéral (arrêt du Tribunal fédéral 2C_177/2016 précité consid. 5.2.2).

Selon Oberson, en pratique, l'administration fiscale applique généralement la théorie du triangle dans le domaine des impôts directs sous réserve de deux exceptions : 1) il existe un rapport particulier entre le bénéficiaire direct et la société (contrat de travail par exemple) ; ou 2) il est évident au bénéficiaire effectif qu'il reçoit une prestation appréciable en argent (Xavier OBERSON, op. cit., n. 56 ad § 10 p. 241).

c. En l'espèce, les locations litigieuses de véhicules s'inscrivent dans un rapport particulier de droit privé entre l'ancienne société C______ SA et l'entreprise individuelle du recourant, à savoir un contrat de location. De plus, outre le fait d'être titulaire de sa raison individuelle, le recourant était également, lors de la période fiscale litigieuse, administrateur, avec son père, de l'ancienne société C______ SA. Il disposait ainsi, dans ces deux entreprises, d'une position privilégiée lui permettant d'avoir une entière maîtrise sur les locations litigieuses, notamment la manière de fixer les prix de celles-ci et de payer les loyers. À cela s'ajoute le fait que l'intégralité des loyers surfaits a été comptabilisée, conformément à la réalité commerciale et au droit comptable, dans les comptes de l'entreprise individuelle du contribuable en toute connaissance de cause. Les recourants ne peuvent en outre plus modifier ces derniers pour les raisons susévoquées. Au vu de ces circonstances particulières, et des similitudes du présent cas avec l'affaire dite « Appenzeller Entscheid », il n'y a pas lieu de reprocher à l'autorité fiscale d'avoir in casu imposé les prestations appréciables en argent en cause concernant le recourant, directement auprès de celui-ci et de son épouse, en application de la théorie du bénéficiaire direct. Dès lors, le grief tiré de la violation du principe de la bonne foi ne peut en l'espèce qu'être écarté.

Le recours doit donc être rejeté et le jugement du TAPI confirmé.

7) Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 1'000.- sera mis à la charge conjointe des recourants (art. 87 al. 1 LPA) et aucune indemnité de procédure ne leur sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

     

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 21 janvier 2020 par Madame et Monsieur A______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 19 décembre 2019 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 1'000.- à la charge conjointe de Madame et Monsieur A______ ;

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Jean-Jacques Martin, avocat des recourants, à l'administration fiscale cantonale, à l'administration fédérale des contributions ainsi qu'au Tribunal administratif de première instance.

Siégeant : Mme Krauskopf, présidente, MM. Verniory et Mascotto, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

M. Rodriguez Ellwanger

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Krauskopf

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

la greffière :