Décisions | Chambre civile
ACJC/1358/2025 du 23.09.2025 sur ORTPI/990/2024 ( SCC ) , RENVOYE
En droit
| RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||
| POUVOIR JUDICIAIRE C/28186/2019
ARRÊT DE LA COUR DE JUSTICE Chambre civile DU MARDI 23 SEPTEMBRE 2025 | ||
Entre
A______, sise ______ [GE], recourante contre une ordonnance de preuve rendue par le Tribunal de première instance de ce canton le 20 août 2024, représentée par
Me Vincent BRULHART, avocat, MCE Avocats, rue du Grand-Chêne 1-3, case
postale 6868, 1002 Lausanne,
et
B______, sise ______, LUXEMBOURG, intimée, représentée par
Me Jean-François DUCREST, avocat, Ducrest Heggli Avocats LLC, rue Kitty-Ponse 4, case postale 3247, 1211 Genève 3.
A. a. [La banque] A______ a déposé auprès du Tribunal de première instance, le 10 décembre 2019 en vue de conciliation et le 12 juin 2020 en vue d'introduction, une demande en paiement de 20'000'000 fr. plus intérêts à 5 % l'an dès le 5 décembre 2017, sous imputation d'une somme de 4'000'000 fr. versée le 17 juillet 2019, contre [la compagnie d’assurances] B______. La demande comporte 228 allégués de faits.
En substance, le litige porte sur la couverture d'assurance promise par B______ à A______ dans le cadre de la police d'assurance fraude (Crime Insurance for Financial Institutions) n° 1______ conclue entre les parties le 4 août 2017 et renouvelée en juin 2018, soumise au droit suisse, offrant une indemnisation maximale de 20'000'000 fr.
A______ allègue avoir été victime d'actes criminels commis par une employée indélicate de sa filiale A______ (URUGUAY) au détriment de clients et en avoir subi un préjudice, risque selon elle couvert par la police d'assurance susvisée. Elle soutient avoir découvert le dommage subi et l'avoir annoncé à B______ dans la période de couverture d'assurance. Cette dernière lui a versé une indemnisation partielle de 4'000'000 fr. le 17 juillet 2019.
b. Les débats ont été limités par le Tribunal, dans un premier temps, à la question de la légitimation active de A______, contestée par B______. Le Tribunal a rendu un jugement JTPI/11558/2022 le 3 octobre 2022 admettant la légitimation active de A______. Aucun appel n'a été interjeté contre ce jugement.
c. Dans sa réponse à la demande du 28 février 2023, B______ a conclu au déboutement de A______ des fins de ses conclusions et, reconventionnellement, à la restitution de la prestation de 4'000'000 fr. versée, plus intérêts à 4 % l'an dès le 17 juillet 2019. La réponse contient des déterminations sur les 228 allégués de faits de la demande, dont des contestations.
B______ a principalement soutenu que la banque avait subi un dommage indirect, exclu de la couverture d'assurance.
A titre subsidiaire et en cascade, elle a invoqué plusieurs restrictions de couverture et objections découlant du contrat d'assurance, soit essentiellement :
- L'inexistence de sinistre "en série" au sens de l'art. 3.37 de la police, avec pour conséquence l'application d'une franchise de 2'000'000 fr. par sinistre; chaque client lésé représentant un sinistre indépendant et le préjudice par client étant généralement inférieur à 2'000'000 fr. aucune indemnisation n'était due;
- si l'on admettait un sinistre "en série" survenu au moment de sa découverte, les actes préjudiciables se seraient produits avant que A______ n'acquière A______ (URUGUAY) (exclusion prévue à l'art. 3.44 de la police);
- l'existence d'une négligence grave de la banque au sens de l'art. 14 al. 2 LCA (instruction ou surveillance insuffisante de l'employée), entraînant une réduction de la prestation de l'assurance.
Finalement, B______ conteste le montant du dommage de 22'829'137 fr. 40 (indemnisation des clients de la banque, frais forensiques, frais juridiques et frais logistiques) qu'elle considère insuffisamment allégué ou prouvé par les pièces produites. Elle soutient également qu'il y aurait lieu de tenir compte, dans le calcul du dédommagement, d'indemnisations que A______ ou A______ (URUGUAY) aurait obtenues de l'employée indélicate, de ses complices ou d'autres assurances.
d. Dans sa réplique et réponse reconventionnelle du 15 septembre 2023, A______ a allégué des faits complémentaires numérotés 229 à 801, a persisté dans sa demande et conclu au rejet de la demande reconventionnelle. Elle a notamment contesté avoir reçu une prestation d'une autre assurance ou de complices de son employée indélicate et admis que les dédommagements obtenus de cette dernière devaient être cédés à B______ dans la mesure où celle-ci l'indemniserait.
e. B______ a dupliqué le 29 février 2024, persistant dans ses conclusions et se déterminant sur les faits allégués dans la réplique et réponse reconventionnelle de A______.
f. Celle-ci s'est déterminée sur les derniers allégués de celle-là le 23 avril 2024.
g. Les parties ont renoncé à plaider et persisté dans leurs conclusions et offres de preuves à l'audience d'ouverture des débats principaux et de premières plaidoiries du 23 mai 2024.
B. Par ordonnance de preuve ORTPI/990/2024 du 20 août 2024, reçue le 22 août 2024 par A______, le Tribunal a notamment admis l'audition des témoins C______, D______, E______, F______ et G______, pour A______, énumérant pour chacun d'eux les allégués de faits à propos desquels leur témoignage était admis. Tous les allégués énumérés de la demanderesse sont extraits du mémoire de réplique et réponse à la demande reconventionnelle, à l'exclusion de tout allégué issu de la demande initiale.
Le Tribunal a écarté l'offre de preuve par témoin pour certains allégués au motif que ceux-ci n'avaient pas été contestés de manière suffisamment circonstanciée par la partie adverse ou parce que le nom du témoin n'avait pas été mentionné en regard de l'allégué à prouver. En revanche, il a refusé d'écarter la preuve par témoin au motif que des allégués n'auraient pas été pertinents pour l'issue du litige. Cette motivation a été exposée par le Tribunal de manière générale, sans précision, pour chacun des allégués écartés, des raisons pour lesquelles il l'avait été.
C. a. A______ a écrit le 30 août 2024 au Tribunal afin de lui demander de compléter ou rectifier son ordonnance du 21 août 2024. Elle constatait que les allégués 1 à 228 contenus dans la demande initiale étaient totalement absents de l'ordonnance de preuve, alors que certains étaient contestés et que la preuve par témoin avait été expressément requise à leur appui, avec mention du nom du témoin en regard de l'allégué. Elle posait l'hypothèse d'une omission du Tribunal de statuer sur les allégués figurant dans cette écriture. Il en allait de même de l'allégué 636 figurant dans la réplique, contesté, pour lequel le premier juge avait ignoré des témoins sollicités.
b. Par ordonnance du 19 septembre 2024, reçue par A______ le 23 septembre 2024, le Tribunal a rejeté cette demande au motif que les conditions de la rectification ou de l'interprétation prévues à l'art. 334 al. 1 CPC n'étaient pas réunies (contradiction entre les considérants et le dispositif ou erreur manifeste de formulation). En revanche, l'ordonnance pouvait être attaquée par recours aux conditions de l'art. 319 ss CPC.
D. a. Par acte expédié le 2 septembre 2024 à la Cour de justice, A______ a recouru contre l'ordonnance du 20 août 2024, concluant, avec suite de frais à charge de B______, à ce qu'elle soit réformée en ce sens que les témoins C______, D______, H______ et F______ soient également entendus sur les allégués 108, 139, 145, 150, 151, 153 à 160, 187 à 192 et 636 dem. pour le premier, 23 à 28, 32, 37, 38, 187 à 192 dem. pour le deuxième et le troisième et 636 dem. pour le quatrième. Elle a subsidiairement conclu à ce que l'ordonnance de preuve soit annulée et la cause retournée au premier juge pour nouvelle décision dans le sens des considérants. Elle a préalablement conclu à la suspension de la procédure de recours dans l'attente de la décision du Tribunal sur sa demande de rectification.
Elle a reproché au Tribunal d'avoir commis un déni de justice formel en omettant de statuer dans le dispositif de son ordonnance sur tous les allégués contestés contenus dans la demande du 10 décembre 2019, pour lesquels elle avait offert la preuve par témoins. Seuls les allégués de la réplique du 15 septembre 2023 étaient retenus dans la décision querellée. Par ailleurs, l'allégué 636 de la réplique avait fait l'objet d'une offre de preuve par l'audition des trois témoins susmentionnés et de E______; le Tribunal n'avait retenu que l'offre d'audition de ce dernier, sans expliquer pourquoi celle des trois autres n'étaient pas admise.
b. Par réponse du 7 octobre 2024, B______ a conclu à ce que le recours soit déclaré irrecevable, subsidiairement rejeté, avec suite de frais à charge de A______. Elle constatait que les conclusions en suspension étaient devenues sans objet vu la nouvelle ordonnance rendue par le Tribunal dans l'intervalle.
c. Les parties ont été avisées le 4 novembre 2024 de ce que la cause était gardée à juger.
E. a. Par acte expédié à la Cour de justice le 3 octobre 2024, A______ a recouru contre l'ordonnance du Tribunal du 19 septembre 2024, concluant, avec suite de frais à charge de B______, à ce qu'elle soit réformée et la requête en rectification admise. Elle a pour le surplus repris les conclusions figurant dans son recours du 2 septembre 2024. Elle a préalablement conclu à ce que la procédure consécutive au recours du 3 octobre 2024 soit jointe à celle de son précédent recours.
b. Par réponse du 7 octobre 2024, B______ a conclu à l'irrecevabilité du recours, subsidiairement à son rejet, avec suite de frais à charge de A______. Elle a préalablement conclu à la jonction des deux procédures de recours.
c. Les parties ont été avisées le 6 novembre 2024 de ce que la cause était gardée à juger.
1. Formés par écrit dans le délai de dix jours dès la réception des décisions entreprises et motivés, les recours sont recevables de ce point de vue (art. 142 al. 3, 319 let. b, 321 al. 1 et 2, 334 al. 3 CPC; arrêt du Tribunal fédéral 4A_108/2017 du 30 mai 2017 consid. 3).
2. 2.1.1 En tant que décision d’instruction, l’ordonnance de preuves peut faire l’objet d’un recours uniquement lorsqu’elle peut causer un préjudice difficilement réparable (art. 319 lit. b ch. 2 CPC; Chabloz, PC-CPC, 2020, n° 13 ad art. 154 CPC).
La notion de "préjudice difficilement réparable" est plus large que celle de "préjudice irréparable" au sens de l'art. 93 al. 1 let. a LTF. Constitue un préjudice difficilement réparable toute incidence dommageable, y compris financière ou temporelle, qui ne peut être que difficilement réparée dans le cours ultérieur de la procédure. L'instance supérieure doit se montrer exigeante, voire restrictive avant d'admettre l'accomplissement de cette condition, sous peine d'ouvrir le recours à toute décision ou ordonnance d'instruction, ce que le législateur a clairement exclu : il s'agit de se prémunir contre le risque d'un prolongement sans fin du procès (ATF 138 III 378 consid. 6.3; 137 III 380 consid. 2, SJ 2012 I 73; 134 I 83 consid. 3.1; arrêt du Tribunal fédéral 5D_64/2014 du 17 juin 2014 consid. 1.4; parmi plusieurs : ACJC/353/2019 du 1er mars 2019 consid. 3.1.1; Jeandin, Commentaire Romand CPC, 2019, n° 22 ad art. 319 CPC).
On retiendra l’existence d’un préjudice difficilement réparable lorsque ledit préjudice ne pourra plus être réparé par un jugement au fond favorable au recourant, ce qui surviendra par exemple lorsque des secrets d’affaires sont révélés ou qu’il y a atteinte à des droits absolus à l’instar de la réputation, de la propriété et du droit à la sphère privée ou encore, lorsqu'une ordonnance de preuve ordonne une expertise ADN présentant un risque pour la santé ce qui a pour corollaire une atteinte à la personnalité au sens de l'art. 28 CC (Jeandin, op. cit., n° 22a et 22b ad art. 319 CPC).
La décision refusant ou admettant des moyens de preuve offerts par les parties ne cause en principe pas de préjudice irréparable puisqu'il est normalement possible, en recourant contre la décision finale, d'obtenir l'administration de la preuve refusée à tort ou d'obtenir que la preuve administrée à tort soit écartée du dossier (arrêts du Tribunal fédéral 5A_964/2017 du 6 mars 2018 consid. 1; 4A_248/2014 consid. 1.2.3; 4A_339/2013 du 8 octobre 2013 consid. 2; 5A_315/2012 du 28 août 2012 consid. 1.2.1). Dans des cas exceptionnels, il peut y avoir préjudice irréparable, par exemple lorsque le moyen de preuve refusé risque de disparaître, qu'une partie est astreinte, sous la menace de l'amende au sens de l'art. 292 CP de collaborer à l'administration de preuve, ou qu'une partie soit contrainte à produire des pièces susceptibles de porter atteinte à ses secrets d'affaires ou à ceux de tiers, sans que le tribunal n'ait pris des mesures aptes à les protéger conformément à l'art. 156 CPC (arrêts du Tribunal fédéral 5A_964/2017 du 6 mars 2018 consid. 1; 4A_425/2014 du 11 septembre 2014 consid. 1.3.2; 4A_64/2011 du 1er septembre 2011 consid. 3.2 et 3.3; 5A_603/2009 du 26 octobre 2009 consid. 3.1; 4A_195/2010 du 8 juin 2010 consid. 1.1.1).
Il appartient au recourant d'alléguer et d'établir la possibilité que la décision incidente critiquée lui cause un préjudice difficilement réparable, à moins que cela ne fasse d'emblée aucun doute (par analogie, en lien avec la notion de préjudice irréparable de l'art. 93 al. 1 lit. a LTF : ATF 141 III 80 consid. 1.2; 134 III 426 consid. 1.2 et 133 III 629 consid. 2.3.1; Bastons Bulletti, op. cit., n° 10 ad art. 319 CPC).
Si la condition du préjudice difficilement réparable n'est pas remplie, le recours est irrecevable et la partie doit attaquer la décision incidente avec la décision finale sur le fond (Brunner, Schweizerische Zivilprozessordnung, 2024, n. 13 ad art. 319 CPC).
2.1.2 Le droit d'être entendu découlant de l'art. 29 al. 2 Cst. féd. comprend le droit d'obtenir l'administration des preuves pertinentes et valablement offertes, de participer à l'administration des preuves essentielles et de se déterminer sur son résultat lorsque cela est de nature à influencer la décision (ATF 143 V 71 consid. 4.1; 142 III 48 consid. 4.1.1; 142 II 218 consid. 2.3; 140 I 285 consid. 6.3.1; 136 I 265 consid. 3.2; 135 II 286 consid. 5.1; 135 I 279 consid. 2.3; 132 V 368 consid. 3.1; 132 II 485 consid. 3.2; 131 I 153 consid. 3; 127 I 54 consid. 2b; arrêt du Tribunal fédéral 5A_265/2015 du 22 septembre 2015 consid. 2.2.1).
2.1.3 L'art. 152 al. 1 CPC prévoit que toute partie a droit à ce que les moyens de preuve adéquats proposés régulièrement et en temps utile soient administrés. La preuve doit porter sur des faits pertinents et contestés (art. 150 al. 1 CPC).
En application de l'art. 154 CPC in medio, les ordonnances de preuve désignent en particulier les moyens de preuve admis et déterminent pour chaque fait à quelle partie incombe la preuve ou la contre-preuve.
Elles devraient obligatoirement mentionner, parmi les faits allégués, les faits contestés et pertinents (art. 150 CPC), ainsi que les moyens de preuve qui seront administrés pour chaque fait. De plus, elles devraient mentionner les moyens de preuve écartés, avec une brève motivation (Chabloz, Petit Commentaire, CPC, n° 6 ad art. 154 CPC).
A teneur de l'art. 154 CPC, troisième phrase, les ordonnances de preuve peuvent être modifiées ou complétées en tout temps.
Les ordonnances d'instruction, qui statuent sur l'opportunité et les modalités d'administration des preuves, ne déploient en principe pas d'autorité de force de chose jugée et peuvent en conséquence, de par leur nature, être modifiées ou complétées en tout temps (ACJC/279/2025 du 03 mars 2025 consid. 2.1; Chabloz, op. cit., n° 4 ad art. 154 CPC).
2.1.4 En application de l'art. 334 al. 1 CPC, si le dispositif d'une décision est peu clair, contradictoire ou incomplet ou qu'il ne correspond pas à la motivation, le tribunal procède, sur requête ou d'office, à l'interprétation ou la rectification de la décision.
En principe, toutes les décisions du juge, y compris des ordonnances d'instruction, peuvent faire l'objet d'une demande de rectification ou d'interprétation. Celle-ci ne saurait toutefois viser que le dispositif d'une décision auquel s'attache l'autorité de chose jugée (ATF 143 III 420 consid. 2.1; Bastons Bulletti, op. cit., n° 4 et 5 ad art. 334 CPC).
2.1.5 Toute personne a le droit d’être traitée par les organes de l’État sans arbitraire et conformément aux règles de la bonne foi (art.9 Cst. féd.).
Une décision est arbitraire «lorsqu’elle contredit clairement la situation de fait, qu’elle viole gravement une norme ou un principe juridique clair et indiscuté ou qu’elle heurte d’une manière choquante le sentiment de la justice et de l’équité», étant toujours bien précisé qu’«[i]l n’y a pas arbitraire du seul fait qu’une solution autre que celle de l’autorité [intimée] semble concevable, voire préférable [ou] que sa motivation soit insoutenable», mais qu’«il faut encore que cette décision apparaisse arbitraire dans son résultat» (Dubey, Commentaire Romand, Constitution fédérale, 2021, n° 17 ad art. 9 Cst).
S’agissant d’une garantie minimale générale au sein de l’Etat de droit, la violation de l’interdiction de l’arbitraire posée par l’art. 9 Cst. féd. ne peut faire l'objet d'aucune atteinte justifiable et elle est invocable de manière générale par toute voie et devant toute autorité de recours, jusqu’à et y compris devant le Tribunal fédéral, dans tout domaine contre toute décision susceptible de recours et à tous égards (Dubey, op. cit., n° 22 et 50 ad art. 9 Cst.).
2.2. En l'espèce, l'acte initialement attaqué est une ordonnance de preuves contre laquelle le recours n'est ouvert que si elle entraîne un préjudice difficilement réparable. La recourante reproche au premier juge un déni de justice au sens des art. 29 al. 1 Cst, 319 let. c et 321 al. 4 CPC pour avoir omis de statuer, dans l'ordonnance en question, sur les offres de preuves par témoins contenues dans sa demande du 10 décembre 2019 (allégués 1 à 228) et son allégué 636. Ce déni de justice serait également constitutif d'un préjudice difficilement réparable au sens de l'art. 319 let. b ch. 2 CPC. En tout état, imposer un interrogatoire des témoins en plusieurs "étapes" serait susceptible d'influer négativement sur le résultat des probatoires, les témoins pouvant être tentés de modifier ou adapter leurs premières déclarations et causer un préjudice difficilement réparable.
L'intimée soutient qu'il n'existerait aucun déni de justice en l'espèce, le Tribunal ayant rendu une ordonnance de preuves statuant sur les offres de preuve des parties et s'étant prononcé une seconde fois sur requête expresse de la recourante à propos des allégués omis. Ainsi, ni le prétendu déni de justice, ni l'ordonnance attaquée ne causerait de préjudice difficilement réparable, de sorte que le recours serait irrecevable.
La question de savoir si l'activité du premier juge relève du déni de justice peut rester ouverte.
En l'occurrence, le Tribunal a omis de statuer, dans la première ordonnance entreprise, sur toutes les preuves offertes à l'appui des allégués contestés contenus dans la demande principale introduite le 12 juin 2020, soit l'acte fondateur de la procédure. Il a ensuite refusé, dans la seconde ordonnance entreprise, de corriger cette omission, sur la base d'une motivation erronée qui assimilait une ordonnance de preuve à une décision dotée de l'autorité de la chose jugée, ce qu'elle n'était pas, puis considérait que les conditions de la rectification au sens de l'art. 334 CPC n'étaient pas réunies, alors que la voie de la simple modification au sens de l'art. 154 CPC était ouverte.
Le premier juge a ainsi violé arbitrairement le droit d'être entendue de la recourante qui a vu l'essentiel de ses allégués contestés exclu des mesures probatoires, sans aucune justification soutenable. Quand bien même la recourante pourrait, si elle n’obtenait pas gain de cause, se prévaloir de la violation de son droit d'être entendue dans le cadre d'un éventuel appel contre le jugement final qui sera rendu par le Tribunal, l'ampleur des omissions du premier juge justifie d'admettre un préjudice difficilement réparable et d'entrer immédiatement en matière sur les griefs visant l'ordonnance de preuve. En effet, l'essentiel des débats principaux aurait été vidé de sa substance en ne portant pas sur les nombreux allégués contestés de la demande principale. Conduire une procédure probatoire et rendre un jugement sur de telles prémisses n'aurait eu aucun sens et aurait d'emblée rendu inutile le processus de première instance, dès le début des débats principaux, au détriment des deux parties. Il apparaîtrait disproportionné d’exiger de la recourante qu’elle attende le prononcé du jugement final pour se plaindre de la violation de son droit d’être entendue et de son droit à la preuve.
Les recours seront donc déclarés recevables, sauf en ce qui a trait à l’allégué 636 dont l’offre de preuve n’a pas été ignorée par le premier juge et ne souffre pas d’arbitraire dans l’application des règles sur le droit à la preuve et du droit d’être entendu. Les ordonnances entreprises seront annulées; la cause sera renvoyée au premier juge pour nouvelle décision statuant également sur les offres de preuves assortissant les allégués contestés de la recourante contenus dans la demande principale introduite le 12 juin 2020 (art. 327 al. 3 let. a CPC).
3. Les frais judiciaires des deux recours – arrêtés à 2'000 fr. et compensés avec les avances versées par la recourante, lesquelles resteront acquises à l'Etat de Genève (106 al. 1 et 111 al. 1 aCPC; art. 41 RTFMC) – seront mis à la charge de l'intimée qui succombe (art. 106 al. 1 CPC). Celle-ci sera condamnée à les rembourser à la recourante (art. 111 al 2 aCPC).
Elle sera également condamnée à verser des dépens de recours en 2'000 fr. à la recourante (art. 106 al. 1 CPC; art. 84 et ss RTFMC).
* * * * *
PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :
A la forme :
Déclare recevables les recours interjetés par A______ contre l'ordonnance ORTPI/990/2024 du 20 août 2024, sauf en ce qui concerne l’allégué 636 de la réplique, et l'ordonnance du 19 septembre 2024 rendues par le Tribunal de première instance dans la cause C/28186/2919.
Au fond :
Annule ces ordonnances.
Retourne la cause au Tribunal pour nouvelle décision dans le sens des considérants.
Sur les frais :
Met à charge de B______ les frais judiciaires de recours, arrêtés à 2'000 fr. et compensés avec les avances versées, qui restent acquises à l'Etat de Genève.
Condamne B______ à verser à A______ 2'000 fr. à titre de remboursement des frais judiciaires de recours.
Condamne B______ à verser à A______ 2'000 fr. à titre de dépens de recours.
Siégeant :
Monsieur Jean REYMOND, président; Madame Sylvie DROIN et Monsieur
Ivo BUETTI, juges; Madame Sandra CARRIER, greffière.
| Le président : Jean REYMOND |
| La greffière : Sandra CARRIER |
Indication des voies de recours :
Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière civile; la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 72 à 77 et 90 ss de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF;
RS 173.110). Il connaît également des recours constitutionnels subsidiaires; la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 113 à 119 et 90 ss LTF. Dans les deux cas, le recours motivé doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué. L'art. 119 al. 1 LTF prévoit que si une partie forme un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.
Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.