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Décisions | Chambre civile

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C/13299/2025

ACJC/1289/2025 du 23.09.2025 ( IUS ) , REJETE

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/13299/2025 ACJC/1289/2025

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU MARDI 23 SEPTEMBRE 2025

 

Entre

A______ SA, sise ______, requérante, représentée par Me Emmanuelle GUIGUET-BERTHOUZOZ, avocate, 1204 Legal, Conseil & Tax, rue du Général-Dufour 11,
1204 Genève,

et

1) Monsieur B______, domicilié ______, et

2) Monsieur C______, domicilié ______,

Tous deux cités, représentés par Me Christophe ZERMATTEN, avocat, GVA law, rue des Alpes 15, case postale 1592, 1211 Genève 1.

 


EN FAIT

A. a. "A______" était un restaurant indien sis rue 1______ no. ______ à Genève, exploité depuis 1976.

D______, citoyen sri-lankais arrivé à Genève en 1982, a débuté son activité professionnelle en qualité de plongeur au sein de ce restaurant, puis a gravi les échelons jusqu'à racheter le fonds de commerce en 1992 et les locaux en 1997. A compter du 20 novembre 1997, il a exploité ce restaurant en entreprise individuelle ("D______") jusqu'à la vente des locaux le 28 septembre 2021. L'entreprise individuelle a été radiée du Registre du commerce le ______ 2021.

b. En parallèle à l'exploitation de ce restaurant, D______ et E______ étaient, entre 2013 et 2022, respectivement 2023, administrateurs de la société F______ SA, société sise à la rue 2______ no. ______ à Genève, dont le but est notamment l'exploitation de cafés-restaurants.

Cette société était propriétaire du fonds de commerce à l'enseigne "G______ Restaurant", sise à l'adresse de la société.

c. Par contrats de promesse de vente et de gérance du 4 septembre 2022, C______ a repris la gérance du restaurant G______ et s'est engagé à acquérir F______ SA au 1er janvier 2024. Le prix fixé était payable en trois versements, à savoir 60'000 fr. à la signature de la promesse de vente, 100'000 fr. au 31 mai 2023 et 100'000 fr. au 31 décembre 2023.

d. Ce contrat de gérance a été annulé et remplacé par un nouveau contrat de gérance, daté du 15 octobre 2022, signé entre F______ SA, d'une part, et B______ et C______, d'autre part. Celui-ci prévoyait la remise en gérance du fonds de commerce du "G______ Restaurant" à B______ jusqu'au 31 décembre 2023, date à laquelle il était rappelé que C______ devait acquérir F______ SA selon la promesse de vente du 4 septembre 2022.

e. Depuis septembre 2022, B______ et C______ ont renommé le "G______ Restaurant" en "A______". Ils ont créé et utilisé différents comptes sur les réseaux sociaux et autres plateformes de restaurateur, associés à l'enseigne "A______", notamment Facebook, Smood, Instagram, TikTok ou X (anciennement Twitter). Ils ont également effectué des campagnes de publicités Google (via Google Ads).

f. Le 12 octobre 2022, ils ont enregistré le nom de domaine www.A______.com.

g. Le ______ novembre 2022, B______ a enregistré une entreprise individuelle dont la raison de commerce était "B______", ayant son siège à H______ (GE) et dont le but est l'exploitation, la direction et la gestion de cafés-restaurants ou hôtels.

h. Un article de [presse] L______ du ______ 2023, intitulé "Au A______, on mange indien, népalais et sri lankais", indique que C______ est le patron et chef népalais qui a repris le "G______ Restaurant" en lui donnant le nom du restaurant "A______" avec l'autorisation du propriétaire de l'ancien restaurant, aujourd'hui à la retraite.

Il n'est pas contesté que ledit propriétaire a effectivement accepté cette utilisation du nom "A______".

i. Le versement du 31 mai 2023 n'étant pas intervenu, D______ a, par courrier du 3 juin 2023, mis en demeure "A______ M. B______ et M. C______" de payer ledit acompte avant le 15 juin 2023, faute de quoi la promesse de vente de la société F______ SA serait résolue.

j. Aucun paiement n'étant intervenu dans le délai précité, par courrier du 24 juin 2023 adressé à C______ et "A______ M. C______ et M. B______", D______ a résolu la promesse de vente de la société précitée.

k. C______ et B______ ont continué à exploiter le restaurant à l'enseigne "A______", de sorte que D______ a saisi le Tribunal des baux et loyers d'une requête en évacuation.

l. Depuis le 3 mai 2024, l'entreprise individuelle de B______ se nomme "B______, Restaurant A______", sise no. ______, rue 3______ à H______. Le Registre du commerce mentionne "no. ______, rue 2______, [code postal]______ Genève" sous la rubrique "autre adresse".

m. Par accord du 3 octobre 2024 passé entre F______ SA, d'une part, et B______ et C______, d'autre part, homologué par le Tribunal des baux et loyers, ces derniers se sont notamment engagés à libérer de leur personne et de leurs biens les locaux occupés à la rue 2______ no. ______ à Genève, au 15 janvier 2025.

n. Le même jour, D______ et F______ SA ont déposé auprès de l'Institut fédéral de la propriété intellectuelle (ci-après : IPI) la marque verbale individuelle "A______" pour des produits et services des classes 29, 30 et 43, à savoir notamment les services de restauration.

o. Le 30 janvier 2025, la raison sociale de F______ SA a été modifiée en A______ SA.

p. Par la suite, par le biais de publications sur les réseaux sociaux Instagram, TikTok, X et Facebook, ainsi que sur le site Internet www.A______.com, B______ et C______ se sont prévalus du nom "A______", de sa création en 1976, de la fermeture définitive de cette enseigne dans les locaux sis à la rue 2______ no. ______ à Genève et de l'ouverture prochaine d'un nouveau restaurant, tantôt sous le nom "I______", tantôt sous le nom "J______".

q. Par courrier du 13 février 2025, A______ SA a mis en demeure B______ et C______ de lui transmettre les codes d'accès pour récupérer le nom de domaine www.A______.com, de cesser toute tentative de récupération du compte Google associé au restaurant "A______" et toute référence et publicité (notamment via Google Ads) sur le site Internet www.A______.com, sur les réseaux sociaux Facebook, Instagram et TikTok ou tout autre réseau social, concernant la fermeture définitive du restaurant "A______" situé à la rue 2______ no. ______ à Genève, de supprimer le compte Google Ads dénommé "A______" et toutes les annonces effectuées via Google Ads en lien avec le nom "A______" et de restituer le compte Facebook associé au restaurant "A______" en renommant comme propriétaire de la page, K______, la nouvelle administratrice de A______ SA.

r. Suite à la libération des locaux concernés par B______ et C______, A______ SA a repris l'exploitation du restaurant "A______" à la rue 2______ no. ______, à Genève.

B. a. Par acte déposé le 6 juin 2025 au greffe de la Cour de justice (ci-après : la Cour), A______ SA a requis le prononcé de mesures provisionnelles concluant, sous suite de frais judiciaires et dépens, à ce que la Cour interdise à B______ et C______ de se présenter comme ayant été liés ou étant encore liés au restaurant "A______" sur les réseaux sociaux Instagram, TikTok, X, Google Ads et Facebook ou tout autre support de communication physique ou électronique, de publier ou relayer auprès de tiers, notamment sur les réseaux sociaux précités ou tout autre support de communication physique ou électronique, toute information laissant penser qu'ils seraient les anciens propriétaires du restaurant "A______", leur ordonne de restituer le nom de domaine www.A______.com et le compte Facebook associé audit restaurant, ordonne à B______ de supprimer la dénomination "Restaurant A______" de la raison de commerce de son entreprise individuelle "B______, Restaurant A______" immatriculée sous CHE-4______ au Registre du commerce ainsi que l'adresse "rue 2______ no. ______, [code postal] Genève" mentionnée sous la rubrique "autres adresses", prononce les interdictions et les injonctions précitées sous la menace de la peine de l'art. 292 CP, lui impartisse un délai de 30 jours pour ouvrir une action au fond et dise que les mesures ordonnées à titre provisionnel déploieraient leurs effets jusqu'à ce qu'un jugement définitif sur la question au fond soit rendu.

A______ SA soutient que l'usage par B______ et C______ du nom "A______" sur les réseaux sociaux, sur Internet et dans la raison de commerce du restaurant exploité par B______, contrevient à ses droits en tant que titulaire de la marque "A______". Ces agissements créaient un risque de confusion auprès des utilisateurs des réseaux sociaux entre leur propre activité et la sienne et lui causaient un risque de préjudice consistant en la perte de la clientèle de son restaurant.

b. Dans leur réponse du 4 juillet 2025, B______ et C______ concluent au rejet de la requête, avec suite de frais judiciaires et dépens.

Ils allèguent avoir utilisé le nom "A______" depuis septembre 2022, étant précisé qu'à cette époque, aucune marque n'était déposée. Cette dénomination n'était pas non plus utilisée, que ce soit par F______ SA (devenue A______ SA) ou par D______. Elle ne faisait pas l'objet des contrats de gérance ou de promesse de vente, lesquels portaient sur le restaurant "G______". L'utilisation du nom "A______" était connue de F______ SA (devenue A______ SA), de l'administratrice et de D______, sans qu'aucune objection n'ait été formulée. Etant ainsi de bonne foi dans l'utilisation de cette enseigne, ils se prévalent de la protection de l'art. 14 LPM, à savoir la possibilité de continuer à pouvoir utiliser, dans la même mesure que jusque-là, l'enseigne enregistrée à titre de marque par F______ SA (devenue A______ SA), ce d'autant plus que celle-ci avait déposé la marque alors même qu'elle savait qu'elle était déjà utilisée.

c. Les parties ont déposé plusieurs écritures dans les délais de l'art. 53 al. 3 CPC, persistant dans leurs conclusions.

d. Elles ont été informées par la Cour le 12 septembre 2025 de ce que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1.             1.1 La requête est recevable tant à raison du lieu, puisque les deux parties ont leur domicile, respectivement leur siège, à Genève, qu'à raison de la matière puisque la Cour de céans est compétente pour connaître en qualité d'instance cantonale unique des litiges relevant de la LPM et de l'usage d'une raison de commerce, sans égard à la valeur litigieuse (art. 5 al. 1 let. a et c CPC; art. 120 al. 1 let. a LOJ).

Par souci de clarté, B______ sera désigné ci-après cité n° 1 et C______, cité n° 2.

1.2 Les mesures provisionnelles sont soumises à la procédure sommaire (art. 248 let. d CPC), dans le cadre de laquelle, sauf exceptions, la maxime des débats s'applique (art. 55 al. 1 CPC; Bohnet, in Procédure civile suisse, Les grands thèmes pour les praticiens, Neuchâtel 2010, ch. 23 et 26, p. 201 et 202). La maxime de disposition est par ailleurs applicable (art. 58 al. 1 CPC). Le juge se limitera à la vraisemblance des faits et à l'examen sommaire du droit, en se fondant sur les moyens de preuve immédiatement disponibles (ATF 139 III 86 consid. 4.2; 131 III 473 consid. 2.3).

2. 2.1 Aux termes de l'art. 261 al. 1 CPC, le juge ordonne les mesures provisionnelles nécessaires lorsque le requérant rend vraisemblable qu'une prétention dont il est titulaire est l'objet d'une atteinte ou risque de l'être (let. a) et que cette atteinte risque de lui causer un préjudice difficilement réparable (let. b).

L'art. 262 CPC prévoit que le tribunal peut ordonner toute mesure provisionnelle propre à prévenir ou à faire cesser le préjudice, notamment l'interdiction et l'ordre de cessation d'un état de fait illicite.

Le prononcé de mesures provisionnelles suppose que soient établis, au niveau de la vraisemblance, l'existence d'une prétention au fond, l'existence ou le risque d'une atteinte, cette notion impliquant une certaine urgence et le risque de survenance d'un préjudice difficilement réparable; la mesure ordonnée doit respecter en outre le principe de proportionnalité en ce sens qu'elle doit être à la fois apte à atteindre le but visé, nécessaire, en ce sens que toute autre mesure se révèlerait inapte à sauvegarder les intérêts de la partie requérante, et proportionnée (arrêt du Tribunal fédéral 4A_611/2011 du 3 janvier 2012 consid. 4.1; Bohnet, Commentaire romand, Code de procédure civile, 2ème éd. 2019, n. 17 ad art. 261).

2.1.1 Dès que la raison de commerce d'un particulier, d'une société commerciale ou d'une société coopérative a été inscrite sur le registre et publiée dans la Feuille officielle suisse du commerce, l'ayant droit en a l'usage exclusif (art. 956 al. 1 CO). Celui qui subit un préjudice du fait de l'usage indu d'une raison de commerce peut demander au juge d'y mettre fin et, s'il y a faute, réclamer des dommages-intérêts (art. 956 al. 2 CO).

Le titulaire de la raison de commerce peut s'opposer à ce qu'un tiers en fasse un usage "indu", lequel vise notamment l'emploi d'une raison de commerce identique ou qui prête à confusion avec une raison antérieurement inscrite (Cherpillod, in Code des obligations, Commentaire romand, 3ème éd., 2024, n. 2 ad art. 956 CO). La protection conférée par cette disposition ne concerne que les collisions entre raisons de commerce. On est en présence d'un usage à titre de raison de commerce, lorsque le signe est utilisé pour désigner une entreprise individuelle, une société, ou encore une succursale; il doit s'agir d'une utilisation à des fins commerciales, par exemple sur des papiers d'affaires, des catalogues, des listes de prix, des prospectus ou sur l'en-tête d'un papier à lettres, comme signature, ou encore lors d'une inscription dans des annuaires. La notion d'usage à titre de raison de commerce doit être comprise assez largement mais elle n'inclut pas l'enseigne, laquelle désigne le local exploité par une entreprise commerciale (Cherpillod, op. cit., n. 3 ad art. 956 CO).

Le droit exclusif conféré par l'art. 956 CO n'est accordé qu'aux raisons de commerce inscrites au Registre du commerce (Cherpillod, op. cit., n. 5 ad art. 956 CO). La naissance de la protection conférée par cette disposition débute avec la publication de l'inscription au Registre du commerce dans la FOSC (Cherpillod, op. cit., n. 8 ad art. 956 CO). La priorité se détermine par la première inscription au registre du commerce. Toutefois, il faut réserver les possibilités d'application de l'art. 3 al. 1 let. d LCD (Cherpillod, op. cit., n. 9 ad art. 956 CO). Le recours à cette disposition sera nécessaire lorsque le signe dont on demande la protection n'est qu'un nom commercial ou une enseigne (Cherpillod, op. cit., n. 15 ad art. 956 CO).

2.1.2 Une marque est un signe propre à distinguer les produits ou les services d'une entreprise de ceux d'autres entreprises (art. 1 al. 1 LPM). Le droit à la marque prend naissance par l'enregistrement (art. 5 LPM) et appartient à celui qui la dépose le premier (art. 6 LPM). Ce n'est qu'à compter de celui-ci que le titulaire obtient un droit exclusif complet (Troller, Précis du droit suisse des biens immatériels, 2006, p. 235).

Le droit à la marque confère au titulaire le droit exclusif de faire usage de la marque pour distinguer les produits ou les services enregistrés et d'en disposer (art. 13 al. 1 LPM). Le titulaire peut interdire à des tiers l'usage des signes dont la protection est exclue en vertu de l'art. 3 al. 1 LPM. Cette disposition exclut notamment de la protection les signes identiques à une marque antérieure et destinés à des produits ou services identiques (art. 3 al. 1 let. a LPM). Le titulaire de la marque peut en particulier interdire à des tiers de l'utiliser pour offrir ou fournir des services ainsi que de l'utiliser à des fins publicitaires ou d'en faire usage de quelqu'autre manière dans les affaires (art. 13 al. 1 et 2 let. c et e LPM), y compris comme enseigne, comme raison sociale (ATF 120 II 144 consid. 2b ; Gilliéron, in Propriété intellectuelle, Commentaire romand, 2013, n° 30 ad art. 13 LPM) ou encore comme nom de domaine (arrêt du Tribunal fédéral 4C.377/2002 du 19 mai 2003 consid. 2.2).

Selon les art. 55 al. 1 let. b et 59 LPM, la personne qui subit une violation de son droit à la marque peut demander au juge de la faire cesser par voie de mesures provisionnelles.

2.1.3 En vertu de l'art. 14 al. 1 LPM, le droit exclusif à la marque souffre d'une exception en faveur du tiers qui utilisait un signe identique ou similaire avant le dépôt et qui pourra en poursuivre l'usage dans la même mesure que jusque-là (ATF 125 III 91 consid. 3b). Cette disposition est subordonnée à quatre conditions cumulatives, à savoir (1) l'utilisation de la marque, (2) en Suisse, (3) antérieure à la date de dépôt ou de priorité, (4) par un tiers de bonne foi. Cette disposition vise à protéger la position digne de protection acquise par le tiers à la suite de l'utilisation du signe en question, qui en est venu à le distinguer d'une manière ou d'une autre sur le marché (Gilliéron, op. cit., n° 2 et 5ss ad art. 14 LPM).

N'importe quel signe peut être mis au bénéfice de ce droit découlant d'un usage antérieur: il peut s'agir d'un signe utilisé comme marque, mais aussi d'un nom commercial ou d'une enseigne, ou de n'importe quel autre signe distinctif, même non utilisé comme marque. L'usage fait antérieurement doit cependant avoir été fait de bonne foi, en Suisse, et le droit doit avoir été utilisé de façon reconnaissable pour le public. Le simple enregistrement d'un nom de domaine Internet ne remplit pas cette condition. L'invocation du droit dérivé d'un usage antérieur suppose en outre une utilisation sérieuse; un usage local peut néanmoins suffire (Gilliéron, op. cit., n° 6 ad art. 14 LPM; Cherpillod, Le droit suisse des marques, 2007, p. 185 et note 587; Troller, op. cit., p. 235).

La bonne foi étant présumée (art. 3 CC), la simple connaissance de la marque et sa reprise par le tiers ne permettent pas d'en déduire automatiquement la mauvaise foi de ce dernier (Gilliéron, op. cit., n° 12 ad art. 14 LPM). Est en revanche considéré comme déloyal l'enregistrement comme marque d'un signe distinctif non enregistré mais utilisé antérieurement par un concurrent, si cet enregistrement vise à procurer à son auteur des avantages indus, si le concurrent s'en trouve pénalisé ou encore s'il en résulte un risque de confusion (arrêt du Tribunal fédéral 4C.431/2004 du 2 mars 2005 consid. 3.3 et la doctrine citée).

Lorsqu'il a lui-même fait usage de son signe avant de procéder à son enregistrement comme marque, le titulaire de la marque peut encore établir que l'usage qu'il faisait du signe avant son enregistrement comme marque lui permettait de se prévaloir de l'art. 3 al. 1 let. d LCD vis-à-vis du tiers qui se prévaut de l'art. 14 LPM. Ce conflit relève de la LCD et non du droit des marques en tant qu'il met aux prises deux signes non enregistrés (Gilliéron, op. cit., n° 11 ad art. 14 LPM).

2.1.4 Selon l'art. 70 al. 1 CPC, les parties à un rapport de droit qui n'est susceptible que d'une décision unique doivent agir ou être actionnées conjointement.

La consorité matérielle nécessaire est active lorsque plusieurs personnes sont ensemble titulaires du droit en cause, de sorte que chaque co-titulaire ne peut pas l'exercer seul en justice; c'est le droit matériel fédéral qui indique dans quels cas la consorité est nécessaire (ATF 118 II 168 consid. 2b p. 169/170). En particulier, il y a consorité (active) nécessaire lorsque, en vertu du droit fédéral, les membres d'une communauté du droit civil sont ensemble titulaires d'un seul et même droit; ainsi, les associés, propriétaires en main commune des biens et créances de la société simple, forment une telle communauté et, partant, une consorité nécessaire (ATF 140 III 598 consid. 3.2; 136 III 123 consid. 4.4.1; arrêts du Tribunal fédéral 4A_357/2016 du 8 novembre 2016 consid. 3.1.1; 4A_492/2008 du 12 mars 2009 consid. 2.2).

Pour le dépôt d'un recours, comme pour l'ouverture de l'action en justice, tous les consorts nécessaires doivent agir ensemble (ATF 138 III 737 consid. 2; Message du 28 juin 2006 relatif au code de procédure civile suisse [CPC], FF 2006 p. 6894 ad art. 68 CPC).

Lorsqu'une marque appartient à plusieurs personnes, il paraît juste de distinguer selon la nature des droits considérés. En cas de propriété commune, il existe une consorité nécessaire entre les communistes. En matière de copropriété, la question est controversée: les uns reconnaissent à chacun des copropriétaires le droit d'intenter l'action de l'art. 55 LPM même sans le concours des autres ayants droits, alors que d'autres auteurs posent la consorité nécessaire de l'ensemble des copropriétaires (Frick, in Basler Kommentar, Markenschutzgesetz, Wappenschutzgesetz, 3ème éd. 2017, n. 19 ad art. 55 MSchG; Staub, Markenschutzgesetz (MSchG), 2ème éd. 2017, n. 17 ad art. 55 MSchG; Schlosser, in Commentaire romand, Propriété Intellectuelle, 2013, n. 3 ad art. 55 LPM; Straub, Mehrfache Berechtigung an Marken: Lizenzen, Rechtsgemeinschaften, Teilübertragungen, Pfandrechte, fiduziarische Übertragungen, Konzernmarken, 1998, n. 176-178 et 181).

2.1.5 La société simple n'est pas une personne morale, mais une communauté du droit civil (ATF 137 III 455 consid. 3.5; 116 II 49 consid.3), qui n'a pas la personnalité juridique et, partant, qui n'a ni la capacité d'être partie (art. 66 CPC), ni la capacité d'ester en justice (art. 67 al. 1 CPC). Ses membres, les associés simples, qui sont propriétaires en main commune des choses, créances et droits réels transférés ou acquis à la société simple, forment une communauté s'agissant de l'actif (art. 544 al. 1 CO). Ils sont ainsi titulaires ensemble d'un seul et même droit et ne peuvent en disposer qu'en commun (ATF 137 III 455 consid. 3.4; 116 II 49 consid. 3).

La société est une société simple lorsqu'elle n'offre pas les caractères distinctifs d'une des autres sociétés réglées par la loi (art. 530 al. 2 CO).

Le corollaire en procédure de ce "rapport de droit" qu'est la société simple est que tous ses membres doivent nécessairement ouvrir action ensemble, comme consorts nécessaires: en effet, en vertu de l'art. 70 al. 1 CPC, les parties à un rapport de droit qui n'est susceptible que d'une décision unique doivent agir conjointement (gemeinsam klagen). Dès lors que la communauté qu'est la société simple sur le plan de l'actif découle du droit matériel (art. 544 al. 1 CC), cette consorité nécessaire est qualifiée de matérielle (ATF 140 III 598 consid. 3.2; 136 III 123 consid. 4.4.1).

2.2.1 En l'espèce, la requérante ne saurait se fonder sur le droit des raisons de commerce pour obtenir les mesures provisionnelles qu'elle sollicite. En effet, le cité n° 1 a modifié la raison de commerce de son entreprise individuelle en date du 3 mai 2024 pour y intégrer les termes "Restaurant A______". Or, ce n'est que le 4 février 2025 que la requérante a modifié sa raison sociale en A______ SA, de sorte que le principe de priorité implique que c'est le cité n° 1 qui bénéficie d'un droit exclusif sur l'usage des termes "A______".

La requérante n'a ainsi pas rendu vraisemblable une violation de son droit exclusif à la raison sociale "A______".

2.2.2 S'agissant du droit des marques, il y a lieu de relever que la marque verbale A______ a été déposée le 3 octobre 2024. Le signe "A______", utilisé actuellement par les cités notamment dans leurs publicités sur les réseaux sociaux Instagram, TikTok, X et Facebook, n'est pas une marque enregistrée. Ce signe est identique à la marque verbale précitée pour des services identiques, soit des services de restauration, de sorte qu'en principe, la requérante pourrait se prévaloir de la protection de sa marque enregistrée pour solliciter la cessation de l'atteinte causée par l'usage d'un signe identique par les cités.

Cela étant, ces derniers peuvent vraisemblablement opposer à la requérante l'usage qu'ils ont effectué du nom "A______" depuis septembre 2022, à savoir la raison de commerce du cité n° 1 qui comprend "A______ Restaurant" depuis le 3 mai 2024, l'enseigne "A______" exploité à Genève depuis septembre 2022 et le nom de domaine "www.A______.com" enregistré le 12 octobre 2022. Il s'agit d'un usage par les cités, sérieux et reconnaissable par le public, du nom "A______". En outre, il convient de retenir que les cités sont de bonne foi, la requérante n'étant pas parvenu à rendre vraisemblable le contraire. La requérante ne conteste en effet pas avoir dans un premier temps autorisé l'usage par les cités du nom "A______". Ils ont ainsi investi dans cette enseigne notamment par le biais de la publicité, ce qui a contribué à les distinguer sur le marché genevois. Leur position est ainsi digne de protection. Peut se poser en revanche la question de savoir si le comportement de la requérante, qui a enregistrée comme marque le signe distinctif utilisé par les cités depuis septembre 2022, serait déloyal. Cette question sortant du cadre du présent litige, peut toutefois demeurer ouverte.

A cela s'ajoute que la requérante n'a pas rendu vraisemblable qu'elle était en droit d'agir seule à l'encontre des cités, sans le concours de D______, co-titulaire de la marque.

La requérante n'a en particulier pas allégué qu'elle détenait la marque litigieuse avec D______ en vertu d'un contrat de copropriété.

Il convient ainsi de retenir que la communauté formée par la requérante et D______ dans le cadre de la détention de la marque litigieuse est vraisemblablement régie par les règles de la société simple (art. 530 al. 2 CO). La marque appartient dès lors en commun aux précités, selon la règle de l'art. 544 al. 1 CO. Les règles de la propriété en main commune étant applicables, la requête de mesures provisionnelles aurait dû être déposée au nom des deux co-titulaires de la marque, agissant en tant que consorts actifs nécessaires.

Or tel n'a pas été le cas, puisque A______ SA est seule requérante.

2.2.3 En tout état de cause, la Cour constate que la condition d'urgence pour le prononcé de mesures provisionnelles fait également défaut, la requête ayant été déposée plus de deux ans après la résolution de la promesse de vente et le constat du maintien de l'usage de la désignation "A______" par les cités.

2.3 A la lumière des éléments qui précèdent, la Cour retiendra que la requérante n'a pas rendu vraisemblable qu'elle était titulaire d'une prétention à l'encontre des cités. Aucune urgence ne motive en outre le prononcé de mesures provisionnelles. La requérante sera dès lors déboutée de toutes ses conclusions.

3. Les frais judiciaires seront arrêtés à 4'000 fr. (art. 26 RTFMC), mis à la charge de la requérante et en partie compensés avec l'avance de frais de 2'180 fr. versées par la requérante, acquise à l'Etat de Genève par compensation (art. 111 al. 1 CPC).

La requérante sera condamnée à verser le solde des frais judiciaires en 1'820 fr. à l'Etat de Genève.

Au vu de l'importance de la cause, de ses difficultés, de l'ampleur du travail et du temps employé, la requérante sera condamnée à verser aux cités, solidairement entre eux, la somme de 6'301 fr. débours et TVA inclus à titre de dépens, montant correspondant à la note de frais et honoraires déposée par les cités (art. 20, 25 et 26 LaCC; 84, 85 et 88 RTFMC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

Statuant sur requête de mesures provisionnelles en instance unique :


Déboute A______ SA des fins de sa requête de mesures provisionnelles déposées le 6 juin 2025 à l'encontre de B______ et C______.

Arrête les frais judiciaires à 4'000 fr., les met à la charge de A______ SA et les compense en partie avec l'avance versée, qui reste acquise à l'Etat de Genève.

Condamne A______ SA à verser à l'Etat de Genève 1'820 fr. à titre de frais judiciaires.

Condamne A______ SA à verser à B______ et C______, pris solidairement entre eux, 6'301 fr. à titre de dépens.

Siégeant :

Madame Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, présidente; Monsieur Laurent RIEBEN, Madame Ursula ZEHETBAUER GHAVAMI, juges; Madame Sophie MARTINEZ, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF indéterminée.