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Décisions | Chambre civile

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C/15137/2018

ACJC/444/2025 du 25.03.2025 sur JTPI/5835/2024 ( OO ) , CONFIRME

Normes : CO.41; CO.43; CO.46; CO.44
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/15137/2018 ACJC/444/2025

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU MARDI 25 MARS 2025

 

Entre

Monsieur A______, domicilié ______, appelant d'un jugement rendu par la 17ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 13 mai 2024, représenté par Me Sandy ZAECH, avocate, TerrAvocats Genève, rue Saint-Joseph 29, case postale 1748, 1227 Carouge (GE),

et

Monsieur B______, domicilié ______, intimé, représenté par Me Michael ANDERS, avocat, boulevard des Tranchées 36, 1206 Genève.

 

 


EN FAIT

A.           a. A______, né le ______ 1968, est chauffeur de taxi indépendant.

b. B______ est voiturier à l'aéroport de Genève.

c. Le 25 avril 2017, B______ a utilisé des toilettes situées sur le site de l'aéroport de Genève.

d. A______ attendait de son côté de pouvoir utiliser ces toilettes.

e. Lorsque B______ en est sorti, une dispute a éclaté entre les parties, en raison du fait que A______ considérait que les toilettes étaient réservées aux chauffeurs de taxi, ce que B______ n'était pas.

f. S'agissant du déroulement de l'altercation, les éléments suivants ressortent de la procédure:

f.a. A______ a allégué dans sa demande qu'il avait fait une remarque à haute voix sur le fait que B______ n'était pas chauffeur de taxi. B______ l'avait alors apostrophé, lui avait craché dessus en l'empoignant par la chemise et l'avait projeté au sol. Dès qu'il s'était relevé, B______ lui avait donné un coup de tête au niveau du nez, le faisant chuter à nouveau. Une fois à terre, B______ lui avait donné des coups de pied. D'autres chauffeurs de taxi présents sur place avaient alors séparé les parties.

Lors de son interrogatoire du 9 mars 2023, A______ a en substance confirmé cette description.

f.b. B______ a allégué dans sa réponse que lorsqu'il était sorti des toilettes, A______ avait eu un geste de recul avec un air de dégoût et l'avait apostrophé de manière agressive, avant de le traiter de "sale nègre". B______ lui avait alors donné un coup de tête. A______ avait également frappé B______ et les deux protagonistes étaient tombés. D'autres chauffeurs de taxi étaient intervenus et avaient donné des coups à B______, qui était toujours à terre.

B______, qui a été victime d'un accident vasculaire cérébral le 9 mars 2021 et a perdu sa capacité de discernement, n'a pas pu être interrogé.

f.c. C______, chauffeur de taxi présent le jour de l'altercation, entendu comme témoin, a déclaré qu'il avait entendu une bagarre et avait vu deux personnes, dont A______, par terre. Il ne pouvait pas dire si c'était plutôt une personne ou l'autre qui donnait des coups; il s'agissait de deux personnes qui se battaient. Quand il était arrivé près d'elles, elles étaient quasiment par terre. Avec d'autres collègues, il avait séparé les deux personnes et celles-ci s'étaient relevées. L'autre bagarreur avait alors donné un coup de tête sur le nez de A______, lequel était retombé. L'autre personne l'avait frappé au sol. Le témoin a précisé qu'il n'avait pas vu le début de la dispute et ne connaissait pas son origine. Après la dispute, et après que les lutteurs s'étaient relevés et calmés, il était parti. Il ne savait pas quelles étaient les blessures de A______; il avait uniquement vu qu'il avait une rougeur sur le nez.

f.d. D______, également chauffeur de taxi présent le jour de l'altercation, a été entendu comme témoin. Il a déclaré qu'en allant aux toilettes, il avait vu deux personnes, dont A______, qui se battaient, se donnant réciproquement des coups en étant au sol. Il n'avait pas vu le début de la bagarre et ne savait pas qui avait commencé. Avec d'autres collègues, il avait séparé les protagonistes, qui s'étaient relevés. L'autre individu avait alors donné un coup de tête au visage de A______. La bagarre avait alors recommencé. Il n'avait pas vu si, après le coup de tête, l'un des deux était retombé.

g. Selon le constat médical établi le 25 avril 2017 par le Dr E______, A______ s'est présenté ce jour-là à la permanence de J______, se plaignant de douleur à la cheville droite et au nez. Les examens réalisés ont mis en évidence une tuméfaction et une fracture de la cheville droite (fracture Weber B), une plaie superficielle sur l'arête du nez et une excoriation cutanée du coude droit. Le médecin a prescrit un arrêt de travail de deux semaines, à renouveler.

h. Selon le constat médical établi le 25 avril 2017 par le Dr F______, B______ présentait ce jour-là un hématome palpébral supérieur gauche de 1cm de diamètre, érythémateux et une ecchymose sus-orbitaire gauche, des douleurs à la palpation costale au niveau de K5-K6 et de l'espace intercostal sans trouble respiratoire ainsi qu'une dermabrasion de la face antérieure du genou droit.

i. Le 29 avril 2017, A______ a déposé une plainte pénale, qui a conduit à l'ouverture d'une instruction à l'encontre de B______.

Dans le cadre de la procédure pénale, il était reproché à B______ d'avoir, le 25 avril 2017 à l'aéroport, empoigné A______ par la chemise et projeté celui-ci à terre puis, une fois ce dernier relevé, lui avoir assené un coup de tête au niveau du nez, le faisant chuter, puis lui avoir donné plusieurs coups.

j. Selon le procès-verbal d'audition de B______ à la police, le 30 avril 2017, celui-ci a notamment déclaré avoir attrapé A______ et lui avoir donné un coup de tête, à l'occasion de la bagarre qui les a opposés. Il a également déclaré que ladite bagarre avait été initiée par A______, qui l'avait poussé et l'avait fait tomber par terre.

k. Il ressort du dossier pénal produit par A______ que la dispute a été filmée par des caméras de vidéosurveillance de l'aéroport de Genève et que la police a obtenu les images vidéo correspondantes. La vidéo n'a pas été produite dans la présente procédure.

l. Par ordonnance pénale du 1er juin 2017, le Ministère public a retenu que les faits reprochés étaient établis, a déclaré B______ coupable de lésions corporelles simples et l'a condamné à une peine pécuniaire de 40 jours-amende à 60 fr. le jour, avec sursis pendant 3 ans, ainsi qu'à une amende de 500 fr. Le Ministère public a renvoyé A______ à agir par la voie civile s'agissant de ses conclusions civiles.

L'ordonnance pénale relève que lors de son audition par la police du 30 avril 2017, B______ avait reconnu en substance les faits qui lui étaient reprochés, non sans avoir, dans un premier temps, indiqué qu'il avait été la cible de sept à dix chauffeurs de taxi, lesquels l'avaient frappé. Confronté aux images de vidéosurveillance de l'altercation, il avait expliqué son geste par une mauvaise réaction face aux insultes proférées par A______ à son égard.

m. A teneur des certificats médicaux établis par la Dr G______, la capacité de travail de A______ était de 0% du 25 avril 2017 au 31 août 2017, puis de 50% du 1er septembre 2017 au 31 octobre 2017, pour cause d'accident.

Il a toutefois allégué une incapacité totale de travailler du 25 avril 2017 au 2 août 2017 puis une incapacité à 50% du 3 août 2017 au 31 octobre 2017.

B.            a. Par acte déposé en conciliation le 25 juin 2018, déclaré non concilié le 20 août 2018 et introduit le 25 octobre 2018 auprès du Tribunal de première instance (ci-après: le Tribunal), A______ a assigné B______ en paiement de 46'720 fr. plus intérêts à 5% l'an dès le 25 avril 2017 à titre de réparation du dommage, avec suite de frais et dépens.

Le montant réclamé tendait à indemniser sa perte de gain (16'663 fr.), son dommage ménager (26'057 fr.) et son tort moral (4'000 fr.).

A______ a notamment allégué que l'épreuve vécue l'avait plongé dans une période de tristesse et de déprime, qu'il redoutait depuis tout contact avec ses collègues de travail et tentait de limiter les interactions professionnelles.

b. B______ a conclu au déboutement de A______, avec suite de frais et dépens.

c. Le Tribunal a procédé à l'audition de A______ et de témoins, dont les déclarations ont été reprises ci-avant dans la mesure utile. Pour le surplus, les faits pertinents suivants ressortent de celles-ci.

c.a. A______ a notamment déclaré qu'après l'agression, son moral n'était pas bon et que dans les mois qui avaient suivi, il craignait de revoir B______ en sortant de chez lui. Encore maintenant, il avait un peu peur des gens qu'il ne connaissait pas. Il n'avait cependant pas consulté de psychologue.

Il était toujours chauffeur de taxi et gagnait actuellement à peu près la même chose qu'avant la bagarre à l'origine de la présente procédure.

c.b. H______, épouse de A______ et entendue en qualité de témoin, a notamment déclaré qu'après l'altercation, son mari avait gardé des béquilles pendant six mois et restait tout le temps à la maison. Il n'avait plus pu travailler pendant cette période.

A______ n'allait pas bien moralement. Il ne comprenait pas ce qui lui était arrivé et craignait de sortir. Il ne pouvait pas sortir parce qu'il avait une espèce de plâtre sur la jambe. Au début, il n'avait pas envie de voir des gens, mais des amis venaient lui rendre visite. Il avait gardé des séquelles: il n'avait toujours pas compris ce qui lui était arrivé. La famille était ressortie endettée de cette période.

d. Par ordonnance du 30 janvier 2024, le Tribunal a informé les parties de ce que la cause était gardée à juger.

C.           Par jugement JTPI/5835/2024 du 13 mai 2024, reçu le 16 mai par A______, le Tribunal, statuant par voie de procédure ordinaire, a condamné B______ à verser à A______ un montant de 8'220 fr., plus intérêts à 5% dès le 1er août 2017 (chiffre 1 du dispositif), arrêté les frais judiciaires à 3'280 fr., les a mis à la charge de A______ à concurrence de 2'460 fr. et de B______ à concurrence de 820 fr., laissé provisoirement les frais à la charge de l'Etat de Genève, sous réserve d'une décision de l'assistance juridique (ch. 2), condamné A______ à verser 2'000 fr. à B______ à titre de dépens (ch. 3) et débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 4).

Le Tribunal a notamment retenu que le dommage subi par A______, s'agissant de sa perte de gain, pouvait être arrêté à 16'440 fr. Ce montant devait toutefois être réduit de moitié au motif que la procédure n'avait pas permis d'établir avec certitude l'origine de la bagarre et que la faute des parties était comparable puisqu'elles avaient pris une part active à l'altercation et s'étaient toutes deux données des coups

La procédure n'avait par ailleurs pas permis d'établir que A______ avait enduré des souffrances d'une durée ou d'une intensité particulière à la suite de l'altercation du 25 avril 2017. S'il n'était pas sorti pendant plusieurs mois, cela s'expliquait par la blessure subie et l'incapacité de travail y relative, pour laquelle il était indemnisé. L'intéressé n'avait pas consulté de psychologue et n'avait pas mentionné de séquelles particulières qu'il aurait pu garder après les faits. Il exerçait le même métier et gagnait à peu près la même chose. Les conditions n'étaient ainsi pas réunies pour accorder une indemnisation pour tort moral.

D.           a. Par acte expédié le 17 juin 2024 au greffe de la Cour de justice, A______ appelle des chiffres 1 à 3 du dispositif de ce jugement, dont il sollicite l'annulation. Cela fait, il conclut à ce que la Cour condamne B______ à lui verser 20'440 fr. plus intérêts à 5% l'an dès le 25 avril 2017 à titre de réparation du dommage, avec suite de frais et dépens de première instance et d'appel.

Il produit une pièce nouvelle, soit une attestation médicale du 13 juin 2024 portant sur son état de santé psychologique depuis l'altercation entre les parties et selon laquelle il éprouve des difficultés à dormir depuis le prononcé du jugement, qui retient que sa faute est comparable à celle de B______ (pièce 20).

b. Dans sa réponse du 9 septembre 2024, B______ conclut au rejet de l'appel, sous suite de dépens.

c. Les parties ont répliqué et dupliqué, persistant dans leurs conclusions respectives.

A______ a produit une pièce nouvelle à l'appui de sa réplique, soit une confirmation de rendez-vous datée du 28 août 2024 pour une "consultation initiale" auprès du Centre de médecine I______ le 18 décembre 2024 (pièce 21).

d. Par avis du 9 décembre 2024, les parties ont été informées de ce que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1.             1.1 L'appel est recevable contre les décisions finales et incidentes de première instance lorsque, dans les affaires patrimoniales, la valeur litigieuse au dernier état des conclusions est de 10'000 fr. au moins (art. 308 al. 1 let. a et al. 2 CPC).

La valeur litigieuse au dernier état des conclusions étant, en l'espèce, de 46'720 fr., la voie de l'appel est ouverte.

1.2 Interjeté dans le délai utile de trente jours (art. 142 al. 1 et 3, 143 al. 1 et 311 al. 1 CPC), selon la forme prescrite par la loi (art. 130, 131 et 311 CPC) et auprès de l'autorité compétence (art. 120 al. 1 let a LOJ), l'appel est recevable.

Il en va de même de la réponse et des écritures subséquentes des parties, déposées dans les délais impartis par la Cour (art. 312 al. 2 et 316 al. 2 CPC).

1.3 La Cour revoit la cause avec un plein pouvoir d'examen en fait et en droit (art. 310 CPC), dans les limites posées par la maxime des débats et le principe de disposition applicables au présent litige (art. 55 al. 1 et 58 al. 1 CPC).


 

2.             L'appelant allègue des faits nouveaux et produit deux pièces nouvelles à l'appui de ses écritures.

2.1 Selon l'art. 317 al. 1 CPC, les faits et les moyens de preuve nouveaux ne sont pris en considération en appel que s'ils sont invoqués ou produits sans retard (let. a) et s'ils ne pouvaient pas être invoqués ou produits devant la première instance bien que la partie qui s'en prévaut ait fait preuve de la diligence requise (let. b).

Il faut distinguer les vrais nova des faux nova. Les vrais nova sont des faits et moyens de preuve qui ne sont apparus qu'après la clôture des débats principaux de première instance. En principe, ils sont toujours admissibles dans la procédure d'appel, s'ils sont invoqués ou produits sans retard dès leur découverte. Les faux nova sont les faits et moyens de preuve qui existaient déjà au moment de la clôture des débats principaux de première instance. Leur admission en appel est restreinte en ce sens qu'ils sont écartés si, la diligence requise ayant été observée, ils auraient déjà pu être invoqués ou produits en première instance. Celui qui invoque des faux nova doit notamment exposer de manière détaillée les raisons pour lesquelles il n'a pas pu invoquer ou produire ces faits ou moyens de preuves en première instance (ATF 143 III 42 consid. 5.3 in SJ 2017 I 460 et les références citées).

Des pièces ne sont pas recevables en appel pour la seule raison qu'elles ont été émises postérieurement à la procédure de première instance. Il faut, pour déterminer si la condition de l'art. 317 al. 1 CPC est remplie, examiner si le moyen de preuve n'aurait pas pu être obtenu avant la clôture des débats principaux de première instance (arrêt du Tribunal fédéral 5A_266/2015 du 24 juin 2015 consid. 3.2.3).

Un vrai nova est introduit "sans retard" s'il l'est dans un délai de dix jours, respectivement d'une à deux semaines (arrêt du Tribunal fédéral 4A_707/2016 du 29 mai 2017 consid. 3.3.2). Une partie qui dispose déjà d'un délai pour déposer un mémoire peut attendre la fin de ce délai, car la procédure ne s'en trouve pas retardée (arrêts du Tribunal fédéral 5A_790/2016 du 9 août 2018 consid. 3.4; 4A_707/2016 précité consid. 3.3.2).

2.2 En l'espèce, l'appelant allègue pour la première fois en appel qu'il aurait souffert de nombreuses angoisses suite à l'agression, que la procédure l'aurait constamment confronté aux dites angoisses et que la "décision [du Tribunal] a[urait] ravivé ses angoisses (difficulté de sommeil, anxiété)".

Dans la mesure où les angoisses alléguées par l'appelant sont antérieures à la clôture des débats de première instance et où il n'expose pas pour quelle raison il aurait été empêché de s'en prévaloir devant le Tribunal en faisant preuve de la diligence requise, les faits nouveaux y relatifs sont irrecevables, y compris ceux portant sur ses angoisses actuelles, dès lors qu'elles sont dans la continuité de celles qui, selon l'appelant, existaient auparavant. Il en va de même de la pièce nouvelle produite à l'appui de ces faits en tant qu'elle porte sur les angoisses de l'appelant. En effet, quand bien même l'attestation médicale est postérieure au moment où le Tribunal a gardé la cause à juger, elle porte sur les angoisses de l'appelant depuis l'altercation et aurait ainsi pu être obtenue et produite en première instance déjà. En tant qu'elle porte sur les difficultés de l'appelant à dormir, sa recevabilité et celle de ce fait nouveau peuvent demeurer indécises dès lors que ce fait est sans incidence sur l'issue du litige (cf. infra consid. 4.2). Il en va de même de la pièce 21 produite à l'appui de sa réplique au sujet des insomnies alléguées.

Dans sa réplique, il fait valoir que depuis le jugement de première instance, il est suivi notamment pour de l'hypertension. Dans la mesure où l'appelant allègue que cette affection est présente depuis le jugement de première instance, il aurait pu s'en prévaloir dans son appel. Faute de l'avoir fait, l'invocation de ce fait – au demeurant non établi – est tardive, de sorte qu'il est irrecevable.

3.             L'appelant reproche au Tribunal d'avoir retenu qu'une faute concomitante lui était imputable et d'avoir ainsi réduit son dommage.

3.1.1 A teneur de l'art. 41 al. 1 CO, celui qui cause, d'une manière illicite, un dommage à autrui, soit intentionnellement, soit par négligence ou imprudence, est tenu de le réparer.

Le juge détermine le mode ainsi que l'étendue de la réparation, d'après les circonstances et la gravité de la faute (art. 43 al. 1 CO).

Selon l'art. 46 al. 1 CO, en cas de lésions corporelles, la partie qui en est victime a droit au remboursement des frais et aux dommages-intérêts qui résultent de son incapacité de travail totale ou partielle, ainsi que de l'atteinte portée à son avenir économique.

3.1.2 Selon l'art. 44 al. 1 CO, le juge peut réduire les dommages-intérêts, ou même n'en point allouer, lorsque la partie lésée a consenti à la lésion ou lorsque des faits dont elle est responsable ont contribué à créer le dommage, à l'augmenter, ou qu'ils ont aggravé la situation du débiteur.

Il y a faute concomitante lorsque le lésé omet de prendre des mesures que l'on pouvait attendre de lui et qui étaient propres à éviter la survenance ou l'aggravation du dommage; autrement dit, si le lésé n'a pas pris les mesures qu'une personne raisonnable, placée dans les mêmes circonstances, aurait pu et dû prendre dans son propre intérêt. La faute concomitante suppose que l'on puisse reprocher au lésé un comportement blâmable, en particulier un manque d'attention ou une attitude dangereuse, alors qu'il n'a pas déployé les efforts d'intelligence ou de volonté que l'on pouvait attendre de lui pour se conformer aux règles de la prudence. La réduction de l'indemnité - dont la quotité relève de l'appréciation du juge - suppose que le comportement reproché au lésé soit en rapport de causalité naturelle et adéquate avec la survenance du préjudice (arrêts du Tribunal fédéral 6B_54/2021 du 26 septembre 2022 consid. 3.1 et les références citées; 6B_1280/2019 du 5 février 2020 consid. 5.1; ).

3.2 En l'espèce, il est établi que l'intimé s'est rendu coupable de lésions corporelles simples sur la personne de l'appelant lors de l'altercation qui les a opposés le 25 avril 2017 et qu'il a été condamné par ordonnance pénale pour ces faits.

Il n'est pas contesté qu'il doit indemniser l'appelant pour le dommage subi, en l'occurrence pour son manque à gagner qui a résulté de l'incapacité de travail induite par ses blessures. Chiffrant ce dommage à 16'440 fr. – montant qui n'est pas critiqué par l'appelant –, le Tribunal a toutefois réduit de moitié les dommages-intérêts alloués à l'appelant au motif que la procédure n'avait pas permis d'établir avec certitude l'origine de la bagarre et que la faute des parties était comparable puisqu'elles avaient pris une part active à l'altercation et s'étaient toutes deux données des coups.

3.2.1 L'appelant remet en cause le raisonnement du premier juge et fait valoir qu'aucun élément du dossier ne permet de remettre en cause le déroulement des faits tels qu'il les a présentés.

Or, l'absence de preuve contraire ne permet pas à elle seule de tenir sa version pour établie.

L'appelant se prévaut en vain du fait que l'intimé a été condamné par ordonnance pénale pour des faits qu'il a lui-même admis et qu'il n'a pas fait opposition à celle-ci, puisqu'il ne ressort pas avec certitude de la procédure pénale que l'intimé serait à l'origine de l'altercation au cours de laquelle il s'est rendu coupable de lésions corporelles simples, celui-ci ayant également allégué dans le cadre de cette procédure avoir réagi aux insultes de l'appelant sans que l'instruction n'ait pu faire la lumière sur ce point. Ses actes étaient par ailleurs répréhensibles indépendamment de l'origine de la querelle.

Le fait que l'intimé n'ait pas porté plainte contre l'appelant, que ce dernier n'a ainsi pas fait l'objet d'une condamnation ni même d'une procédure pénale et que le Ministère public n'a jamais fait mention d'une quelconque participation de sa part à l'altercation n'est pas davantage propre à établir que l'intimé aurait initié l'altercation.

Enfin, la constance des déclarations de l'appelant ne suffit pas non plus à cet égard, ni le fait que l'intimé soit revenu sur ses déclarations à la police selon lesquelles il avait été la cible de sept à dix chauffeurs de taxi qui l'avaient frappé, après avoir visionné les images de vidéosurveillance. Si cette contradiction est certes de nature à décrédibiliser ses propos, elle ne permet en revanche pas de tenir pour établie la version de l'appelant quant à l'origine de la querelle.

Dans ces conditions et dans la mesure où aucun des témoins entendus n'a assisté au début de l'altercation, le Tribunal était fondé à retenir que la procédure n'avait pas permis d'en établir l'origine avec certitude.

3.2.2 L'appelant fait ensuite valoir qu'aucun élément du dossier ne permet d'établir une quelconque faute de sa part.

Son grief est infondé. En effet, si le témoin C______ n'a pas été en mesure de dire qui de l'appelant ou de l'intimé donnait des coups, le témoin D______ a en revanche expressément déclaré que les parties se donnaient réciproquement des coups. Cela est par ailleurs corroboré par le constat médical produit par l'intimé, dont il ressort qu'il présentait, juste après les faits, notamment un hématome ainsi qu'une ecchymose au niveau de l'œil et des douleurs au niveau des côtes. Contrairement à ce que soutient l'appelant, l'absence de procédure pénale à son encontre démontre uniquement que l'intimé n'a pas porté plainte pour ces faits – étant précisé que les lésions corporelles simples ne sont poursuivies que sur plainte (art. 123 al. 1 CP) – et non qu'il n'a pas lui-même donné des coups.

3.2.3 Dans la mesure où l'origine de l'altercation n'est pas établie et où les parties se sont mutuellement données des coups au cours de l'altercation, c'est à raison que le Tribunal a retenu que leur faute était comparable et réduit, en conséquence, de moitié l'indemnité allouée.

Pour le surplus, bien que l'appelant sollicite le paiement de cette indemnité avec intérêts à 5% dès le 25 avril 2017, il ne formule aucune critique au sujet du dies a quo des intérêts fixé par le Tribunal au 1er août 2017, date moyenne de survenance du dommage.

Partant, le chiffre 1 du dispositif du jugement entrepris sera entièrement confirmé.

Au vu du principe de disposition applicable au présent litige et de l'interdiction de la reformatio in pejus, il n'est pas utile d'examiner le grief de l'intimé sur la quotité du dommage.

4.             L'appelant fait grief au Tribunal de l'avoir débouté de sa prétention en réparation de son tort moral.

4.1 En vertu de l'art. 47 CO, le juge peut, en tenant compte de circonstances particulières, allouer à la victime de lésions corporelles une indemnité équitable à titre de réparation morale.

L'indemnité pour tort moral a pour but exclusif de compenser le préjudice que représente une atteinte au bien-être moral. Le principe d'une indemnisation du tort moral et l'ampleur de la réparation dépendent d'une manière décisive de la gravité de l'atteinte et de la possibilité d'adoucir de façon sensible, par le versement d'une somme d'argent, la douleur physique ou morale (ATF 132 III 117 consid. 2.2.2; 123 III 306 consid. 9b; arrêt du Tribunal fédéral 4A_631/2017 du 24 avril 2018 consid. 3.1).

Les circonstances particulières évoquées dans la norme consistent dans l'importance de l'atteinte à la personnalité du lésé (ATF 141 III 97 consid. 11.2). Les lésions corporelles, qui englobent tant les atteintes physiques que psychiques, doivent en principe impliquer une importante douleur physique ou morale ou avoir causé une atteinte durable à la santé. Parmi les circonstances qui peuvent, selon les cas, justifier l'application de l'art. 47 CO, figurent notamment une longue période de souffrance ou d'incapacité de travail, de même que des préjudices psychiques importants, tel un état post-traumatique avec changement durable de la personnalité (arrêts du Tribunal fédéral 6B_45/2022 du 21 septembre 2022 consid. 2.3.2; 6B_768/2018 du 13 février 2019 consid. 3.1.2).

Comme telles, les lésions corporelles ne suffisent pas pour admettre l'existence d'un tort moral. L'exigence légale de "circonstances particulières" signifie que ces lésions, comme la souffrance qui en résulte, doivent revêtir une certaine gravité (Werro/Perritaz, in Commentaire romand, Code des obligations, 2021, n. 4 ad art. 47 CO).

L'indemnité pour tort moral est une prétention de nature civile. Dès lors, le fardeau de la preuve des faits déterminants incombe au demandeur (art. 8 CC; ATF 127 IV 215 consid. 2d in SJ 2001 I 555).

4.2 En l'espèce, l'altercation entre les parties a provoqué une fracture et une tuméfaction de la cheville droite de l'appelant, ainsi que des plaies superficielles. En tant que telles, ces lésions ne sont pas d'une gravité propre à entraîner des souffrances d'une durée ou d'une intensité particulière, quoiqu'en dise l'appelant sans démontrer son propos.

Compte tenu de sa profession de chauffeur de taxi, ces lésions ont certes entraîné une incapacité totale de travailler pendant trois mois et demi et une incapacité partielle durant trois mois supplémentaires. La perte de gain qui en a résulté a toutefois été indemnisée par le Tribunal et l'appelant a retrouvé sa pleine capacité de travail. Il n'est par ailleurs pas établi qu'il aurait gardé des séquelles physiques, ce qu'il n'a pas même allégué – son épouse ayant uniquement mentionné, à titre de séquelles, que l'appelant ne comprenait toujours pas ce qui lui était arrivé.

L'appelant se prévaut toutefois d'une souffrance morale à la suite de l'altercation. Il allègue que cette situation avait engendré une tristesse et une déprime l'empêchant de vivre normalement, qu'il avait peur de sortir et craignait de recroiser l'intimé, ce qui avait eu pour effet de limiter ses interactions sociales et contribué à son isolement. Or, outre le fait que l'appelant n'a pas allégué en temps utile en première instance qu'il avait souffert d'isolement, son épouse a déclaré en audience que des amis venaient lui rendre visite, ce qui contredit ses propos. Les déclarations du couple sont par ailleurs ambivalentes puisqu'ils ont à la fois déclaré que l'appelant ne sortait pas car il avait peur et en raison de son plâtre. L'appelant n'a du reste pas démontré les souffrances morales précitées et n'a pas éprouvé le besoin de consulter un psychologue à cet égard, ce qui tend à démontrer que la douleur morale ressentie n'a en tout état pas atteint le degré d'importance requis pour le versement d'une indemnité pour tort moral. Les faits à l'origine des souffrances alléguées ne sont par ailleurs pas de nature à générer une longue période de souffrance, ni des préjudices psychiques importants.

C'est en vain que l'appelant se prévaut d'un état d'anxiété suite à l'altercation, laquelle aurait également été générée par la situation financière précaire dans laquelle la famille aurait été plongée en raison de l'absence de revenus suite à l'altercation, puisque son anxiété a été invoquée pour la première fois en appel et est irrecevable (cf. supra consid. 2.2). Il allègue également pour la première fois que la famille se serait grandement endettée, ce qu'il ne démontre par ailleurs aucunement et n'est en tout état pas déterminant en tant que tel pour l'allocation d'une indemnité pour tort moral, les conséquences financières des faits dommageables étant en effet indemnisées sur la base de l'art. 46 CO.

Dans ses écritures d'appel, l'appelant fait enfin valoir qu'il souffre désormais d'insomnies. A supposer que ce fait nouveau et les pièces y relatives soient recevables, le lien de causalité avec l'altercation litigieuse n'est pas établi. En effet, bien que l'appelant allègue que ses difficultés de sommeil seraient dues au stress prolongé engendré par l'agression et la présente procédure, il ne l'établit pas, l'attestation médicale produite évoquant de telles difficultés en raison du jugement entrepris qui retient une faute de l'appelant comparable à celle de l'intimé. C'est donc la faute que lui a imputée le jugement querellé qui serait à l'origine des insomnies alléguées et non l'altercation en tant que telle. Il apparaît par ailleurs surprenant que des difficultés à dormir, attribuées par l'appelant au stress engendré par l'agression et la procédure, seraient apparues plus de sept ans après les faits, ce qui remet également en cause le lien de causalité entre l'altercation et les insomnies alléguées. En tout état, les difficultés de sommeil telles qu'évoquées par l'appelant, sans que leur degré de gravité ni l'impact sur sa santé ne soit établi, ne permettent pas de retenir que ses souffrances morales seraient suffisamment importantes pour justifier le versement d'une indemnité pour tort moral.

Au vu de ce qui précède, le Tribunal était fondé à rejeter les prétentions de l'appelant à ce titre. Le jugement entrepris sera par conséquent également confirmé sur ce point.

5.             5.1 L'appelant conclut à l'annulation des chiffres 2 et 3 du dispositif du jugement entrepris portant sur les frais et dépens de première instance et à ce que ceux-ci soit mis à la charge de l'intimé. Il ne formule toutefois aucun grief sur ces points. Dans la mesure où le jugement entrepris est confirmé, la fixation et la répartition des frais et dépens de première instance, qui sont conformes au règlement fixant le tarif des frais en matière civile (RTFMC; E 1 05 10), seront également confirmés.

5.2 Les frais judiciaires d'appel seront arrêtés à 1'800 fr. (art. 17 et 35 RTFMC) et mis à la charge de l'appelant, qui succombe (art. 106 al. 1 CPC).

Celui-ci plaidant au bénéfice de l'assistance judiciaire, ces frais seront provisoirement laissés à la charge de l'Etat de Genève, lequel pourra en réclamer le remboursement ultérieurement aux conditions fixées par la loi (art. 122 et 123 CPC; art. 19 RAJ – E 2 05.04).

L'appelant sera en outre condamné à payer à l'intimé la somme de 1'000 fr., débours et TVA compris, à titre de dépens d'appel (art. 84, 85 et 90 RTFMC; art. 20, 25 et 26 LaCC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté le 17 juin 2024 par A______ contre les chiffres 1 à 3 du dispositif du jugement JTPI/5835/2024 rendu le 13 mai 2024 par le Tribunal de première instance dans la cause C/15137/2018.

Au fond :

Confirme ce jugement.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires d'appel à 1'800 fr., les met à la charge de A______ et dit qu'ils sont provisoirement supportés par l'Etat de Genève.

Condamne A______ à verser 1'000 fr. à B______ à titre de dépens d'appel.

Siégeant :

Madame Jocelyne DEVILLE-CHAVANNE, présidente; Madame
Verena PEDRAZZINI RIZZI, Madame Nathalie LANDRY-BARTHE, juges;
Madame Camille LESTEVEN, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 113 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours constitutionnel subsidiaire.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF inférieure à 30'000 fr.