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Décisions | Chambre civile

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C/3555/2023

ACJC/1246/2024 du 08.10.2024 sur OTPI/228/2024 ( SDF ) , MODIFIE

Normes : CPC.276
En fait
En droit
Par ces motifs

république et

canton de genève

POUVOIR JUDICIAIRE

C/3555/2023 ACJC/1246/2024

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU MARDI 8 OCTOBRE 2024

 

Entre

Madame A______, domiciliée c/o M. B______, ______, appelante d'une ordonnance rendue par la 26ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 8 avril 2024, représentée par Me Olfa DESCHENAUX, avocate, c/o Lawffice SA, rue Général-Dufour 22, case postale 315, 1211 Genève 4,

et

Monsieur C______, p.a. D______ [association], ______, intimé, représenté par
Me Sandy ZAECH, avocate, TerrAvocats Genève, rue Saint-Joseph 29, case
postale 1748, 1227 Carouge.

 


EN FAIT

A. a. A______, née le ______ 1987, et C______, né le ______ 1986, tous deux de nationalité marocaine, se sont mariés le ______ 2022 à Genève, sans conclure de contrat de mariage.

b. Aucun enfant n'est issu de cette union.

c. Les époux vivent séparés depuis le 8 août 2022, date à laquelle C______ a quitté la Suisse pour le Maroc.

Il est revenu vivre à Genève une date indéterminée.

d. Le 24 février 2023, A______ a requis du Tribunal de première instance (ci-après: le Tribunal) qu'il prononce l'annulation du mariage, subsidiairement le divorce. Elle a notamment conclu à ce qu'il lui soit donné acte de ce qu'elle renonçait à toute contribution d'entretien.

Elle a allégué avoir appris trois semaines après le mariage que son conjoint entretenait une autre relation, raison pour laquelle il avait quitté la Suisse en août 2022. Elle était convaincue qu'il l'avait épousée dans le seul but d'obtenir une autorisation de séjour en Suisse.

e. Le 25 mai 2023, C______ a écrit au Tribunal pour l'informer du fait qu'il n'avait pas reçu la citation à comparaître à l'audience du 5 juin 2023 qui lui avait été envoyée à l'adresse du domicile conjugal. Il n'y habitait plus, son épouse l'ayant forcé à partir, et logeait désormais au sein d'un hébergement d'urgence à Genève, dont l'adresse avait été communiquée au Tribunal.

f. Lors de l'audience devant le Tribunal du 5 juin 2023, C______ a conclu au déboutement de A______ de toutes ses conclusions.

g. Par acte du 12 janvier 2024, C______ s'est opposé à l'annulation du mariage et, subsidiairement, s'est déclaré d'accord avec le principe du divorce. Il a assorti sa réponse d'une requête de mesures provisionnelles, concluant à ce que A______ soit condamnée à lui verser, par mois et d'avance, dès le 1er septembre 2022, le montant de 2'740 fr. au titre de contribution d'entretien.

Il a exposé, en substance, qu'il connaissait de longue date A______ et avait entamé une relation amoureuse avec elle en 2018. Il était prévu que les époux partent ensemble au Maroc en août 2022 suite à leur mariage, mais A______ avait décidé à la dernière minute qu'elle ne viendrait pas. Il n'avait pas pu regagner le domicile conjugal à son retour en Suisse, A______ le refusant. Il émargeait à l'aide sociale.

h. Lors de l'audience du 14 mars 2024 du Tribunal, A______ s'est opposée au prononcé des mesures provisionnelles requises par son époux. Elle a fait valoir que C______ n'avait apporté aucune contribution financière au ménage et lui avait emprunté de l'argent sans jamais la rembourser, si bien qu'il avait profité de sa générosité pour s'enrichir à ses dépens. Sur le plan financier, A______ a notamment allégué que sa prime d'assurance-maladie avait récemment augmenté, sans autre précision.

C______ a persisté dans ses conclusions sur mesures provisionnelles.

La cause a été gardée à juger sur mesures provisionnelles au terme de l'audience.

i. La situation personnelle et financière des parties se présente comme suit:

i.a A______ travaille en qualité de vendeuse pour la société E______ SA. S'agissant de ses revenus, non contestés, elle a réalisé un salaire mensuel moyen net de 3'656 fr. en 2022 et de 3'990 fr. en 2023.

Le Tribunal a arrêté ses charges mensuelles à 2'407 fr. 45, comprenant son montant de base OP (1'200 fr.), son loyer (950 fr.), son assurance-maladie, subside déduit (187 fr. 45) et ses frais de transport (70 fr.).

Pour la première fois en appel, A______ allègue avoir dû emprunter, au moment de l'introduction de la demande d'annulation de mariage, 9'000 fr. à un ami, remboursables en 18 mensualités de 500 fr., ainsi que 12'000 fr. à la banque F______, remboursables en 84 mensualités de 184 fr. 80. Elle expose en outre verser une allocation mensuelle de 500 fr. à sa mère depuis fin mars 2024 et allègue que sa prime d'assurance-maladie s'élève désormais à 457 fr. 15.

i.b Le Tribunal a retenu que C______ émargeait à l'aide sociale et ne disposait d'aucun revenu propre. Celui-ci a déclaré qu'il avait travaillé en Norvège de 2015 à 2020, en qualité de chauffeur de camion.

A______ soutient qu'il réaliserait des revenus dissimulés.

Les charges de C______ ont été arrêtées par le Tribunal à 1'336 fr. 10, comprenant son montant de base OP (1'200 fr.), son assurance-maladie (66 fr. 10) et ses frais de transport (70 fr.). Aucun montant n'a été retenu à titre de loyer, C______ ayant allégué qu'il logeait toujours au sein d'un hébergement d'urgence.

B. Par ordonnance OTPI/228/2024 du 8 avril 2024, le Tribunal, statuant sur mesures provisionnelles, a condamné A______ à verser à son époux, par mois et d'avance, la somme de 1'336 fr. avec effet rétroactif au 1er septembre 2022, à titre de contribution à son entretien (chiffre 1 du dispositif), réservé la décision finale du Tribunal quant au sort des frais judiciaires (ch. 2), dit qu'il n'était pas alloué de dépens (ch. 3) et débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 4).

En substance, le Tribunal a retenu que C______ ne percevait aucun revenu et émargeait à l'aide sociale. Ses charges mensuelles incompressibles s'élevaient à 1'336 fr. 10. A______ bénéficiait quant à elle d'un disponible mensuel de 1'582 fr. 85, de sorte qu'elle était en mesure de verser à C______ une contribution d'entretien correspondant au montant des charges de ce dernier.

C. a. Par acte expédié le 22 avril 2024 à la Cour de justice, A______ a appelé de cette décision qu'elle a reçue le 11 du même mois et dont elle a sollicité l'annulation, avec suite de frais et dépens. Préalablement, elle a conclu à l'octroi de l'effet suspensif et à la production par C______ de tous les documents prouvant ses revenus actuels et les moyens financiers dérivés de son activité de chauffeur-livreur.

Elle a allégué des faits nouveaux et produit des pièces nouvelles, à savoir une reconnaissance de dette datée du 6 octobre 2023, par laquelle elle se reconnaît débitrice du montant de 9'000 fr. envers un dénommé G______ (pièce 2), un contrat de crédit conclu avec H______ le 2 août 2022, portant sur un montant de 12'000 fr. (pièce 3), sa police d'assurance-maladie pour l'année 2024 (pièce 4), une déclaration sur l'honneur signée le 22 avril 2024 par sa mère, dans laquelle celle-ci affirme que l'appelante lui verse un montant de 400 fr. à 500 fr. par mois (pièce 5), la preuve d'un virement de 372 fr. 64 en faveur de sa mère (pièce 6), plusieurs captures d'écran, dont celle du profil Instagram de C______ où figure la mention "the best offers and programs for luxe car rental" (pièce 7), ainsi que, selon ce qui est indiqué, l'impression d'une page internet du Service des automobiles et de la navigation du canton de Vaud portant sur un véhicule immatriculé au nom de la société I______ SA (pièce 8).

b. Invité à se déterminer sur la demande d'effet suspensif de son épouse, C______ a conclu au rejet de cette requête. Il a produit deux pièces nouvelles, soit des captures d'écran de son compte Instagram et une attestation établie le 4 juillet 2024 par son assistant social.

c. Par arrêt ACJC/897/2024 du 9 juillet 2024, la Cour, statuant sur la requête formée à titre préalable par A______, a suspendu le caractère exécutoire du chiffre 1 du dispositif de l'ordonnance querellée, en tant qu'il porte sur les contributions d'entretien du 1er septembre 2022 à fin mars 2024, rejeté la requête pour le surplus et dit qu'il serait statué sur les frais liés à la décision dans l'arrêt rendu sur le fond.

d. Dans sa réponse du 15 juillet 2024, C______ a conclu, sous suite de frais et dépens, à la confirmation de l'ordonnance attaquée, ainsi qu'à l'irrecevabilité des faits nouvellement allégués par A______ et des pièces 2 à 4, 7 et 8 produites par cette dernière.

e. A______ n'a pas fait usage de son droit de réplique.

f. Par avis de la Cour du 7 août 2024, les parties ont été avisées de ce que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1. 1.1 L'appel est recevable contre les décisions de première instance sur mesures provisionnelles, dans les causes non patrimoniales ou dont la valeur litigieuse, au dernier état des conclusions devant l'autorité inférieure, est supérieure à 10'000 fr. (art. 308 al. 1 let. b et al. 2 CPC).

Capitalisée conformément à l'art. 92 al. 2 CPC, la quotité contestée des contributions d'entretien litigieuses est en l'espèce supérieure à 10'000 fr., de sorte que la voie de l'appel est ouverte.

Formé en temps utile et selon la forme prescrite par la loi (art. 130 al. 1, 142 al. 3 et 314 al. 1 CPC), l'appel est donc recevable.

1.2 L'appelante a allégué des faits nouveaux et produit des pièces nouvelles.

1.2.1 Selon l'art. 317 al. 1 CPC, les faits et les moyens de preuve nouveaux ne sont pris en considération en appel que s'ils sont invoqués ou produits sans retard (let. a) et s'ils ne pouvaient pas être invoqués ou produits devant la première instance bien que la partie qui s'en prévaut ait fait preuve de diligence (let. b).

S'agissant des vrais nova, soit les faits qui se sont produits après le jugement de première instance - ou plus précisément après les débats principaux de première instance (art. 229 al. 1 CPC) -, la condition de nouveauté posée par l'art. 317 al. 1 let. b CPC est sans autre réalisée et seule celle d'allégation immédiate (art. 317 al. 1 let. a CPC) doit être examinée. Cela étant, les pièces ne sont pas recevables en appel pour la seule raison qu'elles ont été émises postérieurement à l'audience de première instance. La question à laquelle il faut répondre pour déterminer si la condition de l'art. 317 al. 1 CPC est remplie est celle de savoir si le moyen de preuve n'aurait pas pu être obtenu avant la clôture des débats principaux de première instance (arrêt du Tribunal fédéral 5A_266/2015 du 24 juin 2015 consid. 3.2.2).

1.2.2 En l'espèce, tant la reconnaissance de dette du 6 octobre 2023 (pièce 2) que le contrat de crédit du 2 août 2022 (pièce 3) sont des pièces antérieures à la date à laquelle le Tribunal a gardé la cause à juger. L'appelante fait valoir que la reconnaissance de dette ne pouvait être produite plus tôt, du fait que son créancier ne souhaitait pas voir son nom mentionné dans des documents judiciaires. Quant au contrat de crédit, elle soutient l'avoir égaré et retrouvé récemment. S'il est permis de douter de ces affirmations qui ne sont étayées par aucun élément, l'appelante n'a en tout état pas allégué l'existence même de ces dettes en première instance, alors qu'elle aurait été en mesure de le faire. Elle n'a donc pas fait preuve de la diligence requise, si bien que ces pièces et les faits qui s'y rapportent sont irrecevables.

S'agissant de sa police d'assurance-maladie (pièce 4), cette pièce est également antérieure au prononcé de l'ordonnance querellée. Lors de l'audience devant le Tribunal du 14 mars 2024, l'appelante s'est bornée à exposer que sa prime avait récemment augmenté sans en chiffrer le montant; elle n'a pas produit sa police d'assurance et n'expose pas pourquoi elle aurait été empêchée de le faire. Ces nova seront par conséquent déclarés irrecevables également.

Les pièces 5 et 6 concernent des faits survenus postérieurement à la date à laquelle le premier juge a gardé la cause à juger et ont été produites sans retard par l'appelante, de sorte qu'elles sont recevables.

S'agissant des pièces 7 et 8, celles-ci se rattachent selon toute vraisemblance à des faits antérieurs à la mise en délibération de la cause par le Tribunal. L'appelante se contente d'indiquer qu'elle aurait "découvert" ces éléments le 15 avril 2024 sans rendre vraisemblable qu'elle n'était pas en mesure d'en avoir connaissance avant en faisant preuve de la diligence requise. Par conséquent, ces pièces, de même que les faits qui s'y rapportent, sont irrecevables. Elles ne sont, en tout état de cause, pas pertinentes pour l'issue du litige.

1.3 La Cour revoit la cause en fait et en droit avec un plein pouvoir d'examen (art. 310 CPC).

Les mesures provisionnelles prises dans le cadre d'une action en divorce étant soumises à la procédure sommaire (art. 248 let. d, 271 let. a et 276 al. 1 CPC applicables par analogie à l'annulation de mariage selon l'art. 294 al. 1 CPC), la cognition de la Cour est toutefois limitée à la simple vraisemblance des faits et à un examen sommaire du droit, l'exigence de célérité étant privilégiée par rapport à celle de sécurité (ATF 127 III 414 consid. 2b/bb = JdT 2002 I 352; arrêt du Tribunal fédéral 5A_792/2016 du 23 janvier 2017 consid. 4.1).

L'appel doit être motivé (art. 311 al. 1 CPC). Il incombe ainsi au recourant de démontrer le caractère erroné de la motivation attaquée. Pour satisfaire à cette exigence, il ne suffit pas au recourant de renvoyer à une écriture antérieure, ni de se livrer à des critiques toutes générales de la décision attaquée. La motivation doit être suffisamment explicite pour que l'instance d'appel puisse la comprendre aisément (ATF 138 III 374 consid. 4.3.1; arrêts du Tribunal fédéral 5D_65/2014 du 9 septembre 2014 consid. 5.4.1; 5D_190/2014 du 12 mai 2015 consid. 2; 4A_97/2014 du 26 juin 2014 consid. 3.3).

La maxime de disposition est applicable s'agissant de la contribution d'entretien due à l'épouse (arrêt du Tribunal fédéral 5A_757/2013 du 14 juillet 2014 consid. 2.1).

1.4 La cause présente des éléments d'extranéité en raison de la nationalité marocaine des parties.

A raison, ces dernières ne remettent en cause ni la compétence des juridictions genevoises pour connaître du litige (art. 45a al. 1 et 59 LDIP) ni l'application du droit suisse (art. 45a al. 2 et 45a al. 3 LDIP).

2. L'appelante sollicite la production par l'intimé de tous les documents prouvant ses revenus actuels et les moyens financiers dérivés de son activité de chauffeur-livreur.

2.1 Conformément à l'art. 316 al. 3 CPC, l'instance d'appel peut librement décider d'administrer des preuves. Le juge peut, par une appréciation anticipée des preuves déjà disponibles, refuser d'administrer une preuve supplémentaire offerte par une partie s'il considère que celle-ci serait impropre à ébranler sa conviction (ATF 141 I 60 consid. 3.3; arrêt du Tribunal fédéral 5A_82/2022 du 26 avril 2022 consid. 5.1 et les références citées).

2.2 En l'espèce, les éléments fournis par l'appelante ne suffisent pas à rendre vraisemblable le fait que l'intimé exercerait actuellement une activité rémunérée (cf. infra consid. 3.2.2). Au surplus, l'intimé a allégué émarger à l'aide sociale et produit son décompte de prestations de l'Hospice général. Il nie l'existence de revenus cachés et, partant, celle des documents réclamés par l’appelante. Dans ces conditions, l'astreindre à fournir ces pièces constituerait une vaine formalité.

La Cour estime être suffisamment renseignée pour statuer de sorte que la conclusion de l'appelante sera rejetée.

3. L'appelante critique le principe et le montant de la contribution d'entretien fixée par le premier juge.

3.1 Dans le cadre d'une procédure de divorce, le Tribunal ordonne les mesures provisionnelles nécessaires. Selon l'art. 276 al. 1 CPC, applicable par le renvoi de l'art. 294 CPC concernant les actions en annulation du mariage, les dispositions régissant la protection de l'union conjugale sont applicables par analogie (art. 276 al. 1 CPC).

3.1.1 En cas de suspension de la vie commune, la loi prévoit que le juge fixe les contributions d'entretien à verser au conjoint ainsi qu'aux enfants (art. 176 al. 1 ch. 1 CC).

Le principe et le montant de la contribution d'entretien due selon l'art. 176 al. 1 ch. 1 CC se déterminent en fonction des facultés économiques et des besoins respectifs des époux. Même lorsqu'on ne peut plus sérieusement compter sur une reprise de la vie commune, l'art. 163 CC demeure la cause de l'obligation d'entretien (ATF 145 III 169 consid. 3.6; 140 III 337 consid. 4.2.1; 138 III 97 consid. 2.2; arrêt du Tribunal fédéral 5A_255/2022 du 6 juillet 2023 consid. 3.1). Le juge doit donc partir de la convention, expresse ou tacite, que les conjoints ont conclue au sujet de la répartition des tâches et des ressources entre eux (art. 163 al. 2 CC; arrêt du Tribunal). Il doit ensuite prendre en considération qu'en cas de suspension de la vie commune, le but de l'art. 163 CC, soit l'entretien convenable de la famille, impose à chacun des époux le devoir de participer, selon ses facultés, aux frais supplémentaires qu'engendre la vie séparée. Si leur situation financière le permet encore, le standard de vie antérieur choisi d'un commun accord – qui constitue la limite supérieure du droit à l'entretien afin de ne pas anticiper sur la répartition de la fortune – doit être maintenu pour les deux parties. Quand il n'est pas possible de conserver ce standard, les conjoints ont droit à un train de vie semblable. Il se peut donc que, suite à cet examen, le juge doive modifier la convention conclue pour la vie commune afin de l'adapter à ces faits nouveaux, la reprise de la vie commune n'étant ni recherchée, ni vraisemblable. C'est dans ce sens qu'il y a lieu de comprendre la jurisprudence selon laquelle, lorsque la séparation est irrémédiable, le juge doit prendre en considération, dans le cadre de l'art. 163 CC, les critères applicables à l'entretien après le divorce pour statuer sur la contribution d'entretien et, en particulier, sur la question de la reprise ou de l'augmentation de l'activité lucrative d'un époux. En revanche, le juge des mesures protectrices ne doit pas trancher, même sous l'angle de la vraisemblance, les questions de fond, objet du procès en divorce, en particulier celle de savoir si le mariage a influencé concrètement la situation financière du conjoint (ATF 147 III 293 consid. 4.4; 140 III 337 précité consid. 4.2.1; 137 III 385 précité consid. 3.1, précisant l'arrêt paru aux ATF 128 III 65; arrêt du Tribunal fédéral 5A_884/2022, 5A_889/2022 du 14 septembre 2023 consid. 8.2.1, publié in Newsletter DroitMatrimonial.ch décembre 2023).

Pour le dire autrement, lorsqu'il ne peut raisonnablement plus être compté sur une reprise de la vie commune, seule une application par analogie à l'entretien selon l'art. 163 CC du principe de la primauté du principe de l'autonomie financière – et donc l'examen d'un éventuel revenu hypothétique (et d'un éventuel délai pour s'adapter) – est possible (néanmoins a priori pas obligatoire). On ne peut en revanche pas appliquer d'autres règles ou critères découlant de l'art. 125 CC (notamment : limitation dans le temps de la contribution d'entretien; critère du caractère lebensprägend du mariage; critère de la durée du mariage) pour limiter l'entretien entre conjoints fondé sur l'art. 163 CC. Cela signifie, en particulier, que le droit au maintien du même train de vie que durant la vie commune, sous réserve des moyens financiers et des éventuels coûts supplémentaires liés à la séparation, perdure tant que dure l'union conjugale.

3.1.2 Pour calculer les contributions d'entretien, il convient d'appliquer la méthode dite en deux étapes, ou méthode du minimum vital avec répartition de l'excédent (ATF 147 III 265, in SJ 2021 I 316; 147 III 293 et 147 III 301).

Cette méthode implique d'établir dans un premier temps les moyens financiers à disposition, en prenant en considération tous les revenus du travail, de la fortune, les prestations de prévoyance ainsi que le revenu hypothétique éventuel.

Il s'agit ensuite de déterminer les besoins, en prenant pour point de départ les lignes directrices pour le calcul du minimum vital du droit des poursuites selon l'art. 93 LP, en y dérogeant s'agissant du loyer (participation de l'enfant au logement du parent gardien) (ATF 147 III 265 consid. 7.1). Dans la mesure où les moyens financiers le permettent, la contribution d'entretien doit être étendue au minimum vital dit de droit familial. (ATF 147 III 265 consid. 7.2).

L'éventuel excédent doit ensuite se répartir selon la règle des "grandes et petites têtes" (par quoi il faut entendre adultes et enfant mineurs), tout en tenant compte de la situation concrète. Le juge peut néanmoins s'écarter de cette répartition par grandes et petites têtes en expliquant les motifs (ATF 147 III 265 consid. 7; Burgat, Entretien de l'enfant, des précisions bienvenues : une méthode (presque) complète et obligatoire pour toute la Suisse; analyse de l'arrêt du Tribunal fédéral 5A_311/2019, Newsletter DroitMatrimonial.ch janvier 2021).

3.1.3 Pour fixer la contribution d'entretien, le juge doit en principe tenir compte du revenu effectif des parties (ATF 143 III 233 consid. 3.2, 137 III 102 consid. 4.2.2.2; arrêt du Tribunal fédéral 5A_464/2022 du 31 janvier 2023 consid. 3.1.2).

Tant le débiteur d'entretien que le créancier peuvent se voir imputer un revenu hypothétique supérieur à leur revenu effectif. Il s'agit ainsi d'inciter la personne à réaliser le revenu qu'elle est en mesure de se procurer et qu'on peut raisonnablement exiger d'elle afin de remplir ses obligations (ATF 143 III 233 consid. 3.2; 137 III 102 consid. 4.2.2.2; arrêt du Tribunal fédéral 5A_963/2018 du 23 mai 2019 consid. 3.3.3). Lorsqu'il entend tenir compte d'un revenu hypothétique, le juge doit examiner deux conditions cumulatives. Le juge doit d'abord déterminer si l'on peut raisonnablement exiger de la personne concernée qu'elle exerce une activité lucrative ou augmente celle-ci, eu égard, notamment, à sa formation, à son âge et à son état de santé; il s'agit d'une question de droit. Il doit ensuite établir si cette personne a la possibilité effective d'exercer l'activité ainsi déterminée et quel revenu elle peut en obtenir, compte tenu des circonstances subjectives susmentionnées, ainsi que du marché du travail; il s'agit là d'une question de fait (ATF 147 III 308 consid. 4; 143 III 233 consid. 3.2). Afin de déterminer si un revenu hypothétique doit être imputé, les circonstances concrètes de chaque cas sont déterminantes. Les critères dont il faut tenir compte sont notamment l'âge, l'état de santé, les connaissances linguistiques, la formation (passée et continue), l'expérience professionnelle, la flexibilité sur les plans personnel et géographique, la situation sur le marché du travail, etc. (ATF
147 III 308 consid. 5.6; arrêt du Tribunal fédéral 5A_257/2023 du 4 décembre 2023 consid. 7.2 et les références).

Il y a en principe lieu d'accorder à la partie à qui l'on veut imputer un revenu hypothétique un délai approprié pour s'adapter à sa nouvelle situation; ce délai doit être fixé en fonction des circonstances du cas particulier (ATF 129 III 417 consid. 2.2; 114 II 13 consid. 5; arrêts 5A_192/2021 du 18 novembre 2021 consid. 7.1.1; 5A_484/2020 précité loc. cit.; 5A_534/2019 du 31 janvier 2020 consid. 4.1).

3.1.4 Les contributions pécuniaires fixées par le juge en procédure de mesures protectrices de l'union conjugale peuvent être réclamées pour l'avenir et pour l'année qui précède l'introduction de la requête (art. 173 al. 3 CC; ATF 115 II 201 consid. 2; arrêt du Tribunal fédéral 5A_623/2022 du 7 février 2023 consid. 4.1). L'effet rétroactif vise à ne pas forcer l'ayant droit à se précipiter chez le juge, mais à lui laisser un certain temps pour convenir d'un accord à l'amiable (ATF 115 II 201 consid. 4a). Il ne se justifie que si l'entretien dû n'a pas été assumé en nature ou en espèces ou dès qu'il a cessé de l'être (arrêt du Tribunal fédéral 5A_994/2022 du 1er décembre 2023 consid. 6.3 et les références).

3.2
3.2.1
En l'espèce, l'appelante fait d'abord valoir que la contribution d'entretien fixée par le Tribunal violerait son minimum vital. Elle conteste ses charges telles que retenues par le premier juge en se prévalant de frais et dettes qu'elle allègue pour la première fois au stade de l'appel.

S'agissant du crédit bancaire (184 fr.), du prêt consenti par le dénommé G______ (500 fr.) et de l'augmentation de la prime d'assurance-maladie de l'appelante (207 fr.), ces frais seront écartés de ses charges, dès lors que les pièces produites sur ce point sont irrecevables (cf. supra condid. 1.2.2). Quant à l'allocation de 500 fr. que l'appelante prétend verser à sa mère chaque mois, l'unique "preuve de virement" produite (pièce 6) porte sur un montant de 372 fr. 64, lequel ne correspond ainsi pas aux frais qu'elle a allégués. Cette seule pièce ne rend par ailleurs pas vraisemblable le versement récurrent d'une telle somme en mains de sa mère.

Au vu de ce qui précède, les charges de l'appelante seront arrêtées à 2'407 fr. 45, conformément à ce qu'a retenu le premier juge.

3.2.2 L'appelante soutient ensuite que l'intimé réaliserait des revenus non déclarés.

D'une part, elle fait valoir que son conjoint travaillerait en qualité de chauffeur-livreur pour l'entreprise I______ SA. Elle aurait en effet découvert qu'il était en possession d'un véhicule appartenant à la société précitée. La pièce produite à l'appui de son allégation, soit l'impression d'une page internet du Service des automobiles et de la navigation du canton de Vaud, est irrecevable (cf. supra consid. 1.2.2). En tout état de cause, force est de constater que si la pièce démontre bien que le véhicule concerné est immatriculé au nom de I______ SA, il ne permet en rien d'affirmer que l'intimé, dont le nom ne figure pas sur le document, en serait l'actuel détenteur.

D'autre part, l'appelante soutient que son époux posséderait une entreprise de location de voitures dont il ferait la publicité via ses réseaux sociaux. La pièce produite, soit un lot de photographies qu'elle dit provenir de la page Instagram de l'intimé, est cependant irrecevable (cf. supra consid. 1.2.2). En tout état, seule la première capture d'écran produite par l'appelante provient vraisemblablement de la page Instagram de son conjoint, ce dernier l'ayant admis. Il n'est en revanche pas possible de déterminer si le reste des captures d'écran (principalement des clichés de véhicules de marque J______) proviennent bien de ses réseaux sociaux, ce que l'intéressé conteste. A ce stade, ces éléments ne suffisent donc pas à rendre vraisemblable que l'intimé serait actif dans le secteur de la location de voitures et qu'il en tirerait des revenus.

Compte tenu de ce qui précède, c'est à raison que le Tribunal a retenu, dans le cadre des mesures provisionnelles, que l'intimé ne percevait aucun revenu propre.

3.2.3 L'appelante fait grief au Tribunal de ne pas avoir imputé de revenu hypothétique à l'intimé, étant relevé que le premier juge s'est limité à relever qu'il ne percevait aucun revenu et émargeait à l'aide sociale.

Il convient cependant de tenir compte du fait que, âgé de 38 ans seulement, l'intimé a travaillé en qualité de chauffeur de camion en Norvège durant cinq ans et n'a allégué aucun problème de santé susceptible de restreindre sa capacité de gain. S'agissant de la possibilité effective de trouver un emploi, il n'a produit aucune preuve de recherches, de sorte qu'il n'a pas rendu vraisemblable qu'il rencontrerait des difficultés à se réinsérer sur le marché du travail. Il n'a certes peut-être pas de connaissances de la langue française, mais cela ne constitue pas un obstacle insurmontable dans un canton tel que Genève pour occuper un emploi non qualifié, dans la restauration ou le nettoyage par exemple. Enfin, il n'est pas rendu vraisemblable qu'il avait été convenu entre les parties que l'intimé ne travaillerait pas et que l'appelante subviendrait intégralement à ses besoins et ce, alors que ses revenus sont modestes. Un revenu hypothétique doit donc être imputé à l'intimé.

Dans la mesure où l'intimé n'a certes jamais travaillé en Suisse mais où il ne pouvait ignorer qu'il devrait trouver un emploi, à tout le moins depuis qu'il a eu connaissance, en 2023, de la procédure introduite par l'intimée et qu'il peut être exigé de lui qu'il ne limite pas le champ de ses recherches d'emploi à la profession de chaufeur, un délai d'adaptation au 1er janvier 2025 lui sera accordé.

Selon le calculateur national de salaire disponible en ligne (https://www.detachem ent.admin.ch/Calculateur-de-salaires/lohnberechnung), le salaire brut médian dans la région lémanique pour une personne de 38 ans, sans formation, ni fonction de cadre, ni année de service, est de 5'340 fr. par mois pour une activité à 100% (40 heures hebdomadaires) dans le secteur des transports terrestres, à savoir pour la fonction de "chauffeur poids lourd". Après déduction de 15% de charges sociales, le salaire précité peut être arrêté à 4'539 fr. net par mois. Le salaire minimum à Genève peut quant à lui être évalué à environ 3'600 fr. nets par mois.

Ainsi, même en tenant compte de ce dernier montant, qui ouvre les possibilités d'emploi de l'intimé à d'autres professions que celle de chauffeur, l'intimé est en mesure de couvrir ses charges avec le salaire qu'il est capable d'obtenir.

L'appelante sera dès lors condamnée à verser une contribution à l'entretien de l'intimé jusqu'au 31 décembre 2024 uniquement.

3.2.4 L'appelante soutient que des contributions d'entretien ne sont dues que pour l'avenir, et non rétroactivement au 1er septembre 2022.

En l'espèce, le versement d'une contribution d'entretien n'est, en principe, pas limité à l'avenir. Cela étant, la requête de mesures provisionnelles n'a été formée que le 12 janvier 2024, de sorte qu'un effet rétroactif ne pourrait remonter que jusqu'au 12 janvier 2023. En outre, bien que l'intimé avait connaissance de l'action en annulation du mariage formée par son épouse le 25 mai 2023 au plus tard, date à laquelle il a écrit au Tribunal pour l'informer de son changement d'adresse, il a attendu le 12 janvier 2024 pour requérir le prononcé de mesures provisionnelles, sans exposer de motif pourquoi il ne l'avait pas fait avant, telles par exemple des discussions à l'amiable.

Le dies a quo des contributions d'entretien sera donc fixé à la date du dépôt de sa requête de mesures provisionnelles, soit par simplification, le 1er janvier 2024.

3.3 En définitive et compte tenu de ce qui précède, le chiffre 1 du dispositif de l'ordonnance entreprise sera réformé en ce sens que l'appelante sera condamnée à verser à l'intimé une contribution de 1'336 fr. par mois du 1er janvier 2024 au 31 décembre 2024, dont elle est en mesure de s’acquitter au vu de ses revenus (3'990 fr.) et charges (2'407 fr.).

4. La modification du jugement attaqué ne justifie pas que la décision sur les frais de première instance soit revue.

Les frais judiciaires d'appel, incluant l'émolument de décision sur effet suspensif, seront fixés à 1'000 fr. (art. 31 et 37 RTFMC). Ils seront mis à la charge des parties par moitié chacune compte tenu de la nature et de l'issue du litige (art. 95, 104 al. 1, 105, 106 et 107 al. 1 let. c CPC). Les parties plaidant toutes deux au bénéfice de l'assistance judiciaire, lesdits frais seront provisoirement laissés à la charge de l'Etat de Genève, qui pourra en requérir le remboursement ultérieurement (art. 122 al. 1 let. b, 123 al. 1 CPC et 19 RAJ).

Pour les mêmes motifs, chaque partie supportera ses propres dépens d'appel (art. 106 al. 2 et 107 al. 1 let. c CPC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté le 22 avril 2024 par A______ contre l'ordonnance OTPI/228/2024 rendue le 8 avril 2024 par le Tribunal de première instance dans la cause C/3555/2023.

Au fond :

Annule le chiffre 1 du dispositif de l'ordonnance entreprise et statuant à nouveau sur ce point:

Condamne A______ à payer à C______, à titre de contribution à son entretien, par mois et d'avance, 1'336 fr. du 1er janvier 2024 au 31 décembre 2024.

Confirme l'ordonnance querellée pour le surplus.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires d'appel à 1'000 fr. et les met à la charge de A______ et C______ par moitié entre eux.

Laisse provisoirement lesdits frais à la charge de l'Etat de Genève, qui pourra en demander le remboursement ultérieurement.

Dit que chaque partie supportera ses propres dépens d'appel.

Siégeant :

Monsieur Laurent RIEBEN, président; Madame Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, Madame Ursula ZEHETBAUER GHAVAMI, juges; Madame Sophie MARTINEZ, greffière.

 

 

 

 


 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.