Décisions | Chambre civile
ACJC/680/2024 du 14.05.2024 ( OO ) , IRRECEVABLE
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||
POUVOIR JUDICIAIRE C/10583/2021 ACJC/680/2024 ARRÊT DE LA COUR DE JUSTICE Chambre civile DU MARDI 14 MAI 2024 |
Entre
Monsieur A______, domicilié ______ [GE], recourant contre une ordonnance rendue par la 12ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 8 décembre 2023, représenté par Me K______, avocat,
et
Monsieur B______, domicilié ______ [GE], intimé, représenté par
Me Manuel MOURO, avocat, MBLD Associés, rue Joseph-Girard 20, case
postale 1611, 1227 Carouge,
Monsieur C______, domicilié ______, France, intimé, représenté par
Me Lorenzo PARUZZOLO, route des Acacias 6, case postale 588, 1211 Genève 4,
Maître D______, domicilié Etude E______, ______ [GE], intimé.
A. a. Le 27 janvier 2022, A______ a saisi le Tribunal de première instance (ci-après : le Tribunal) d’une action en nullité de dispositions pour cause de mort, dirigée contre B______, C______, F______ et Me D______, notaire. Il a notamment conclu à ce que la nullité du testament olographe daté du 7 septembre 2020 de G______, décédée le ______ 2021, soit prononcée et à ce qu’il soit dit qu’il est héritier institué de la succession de cette dernière en vertu du testament olographe daté du 7 octobre 2018.
G______ était la sœur de F______, lui-même père de A______ et C______. B______ n’avait aucun lien de parenté avec la défunte, à laquelle il rendait des services. Me D______ a été désigné exécuteur testamentaire par la défunte.
b. B______ a conclu au déboutement de A______ de toutes ses conclusions et à ce qu’il soit dit qu’il est héritier, avec C______, de feu G______.
c. F______, représenté par sa curatrice, s’en est rapporté à justice.
d. C______ a conclu au déboutement de A______ des fins de sa demande.
e. Au terme de l’audience de débats d’instruction du 2 décembre 2022, le Tribunal a ouvert les débats principaux et a ordonné l’audition des Drs H______ et I______.
f. Ceux-ci ont été entendus lors de l’audience du 17 février 2023.
La Dre I______ a indiqué d’emblée ne pas se souvenir de G______ ; elle n’était donc pas en mesure de répondre à des questions en lien avec sa capacité de discernement. Le dossier médical de la défunte se trouvait aux HOPITAUX UNIVERSITAIRES DE GENEVE (HUG).
A l’issue de l’audience, le Tribunal a invité les HUG à lui remettre le dossier médical de la défunte, ce qui a été fait le 25 avril 2023.
g. Par ordonnance du 28 avril 2023, le Tribunal a fixé aux parties un délai au 31 mai 2023 afin qu’elles se déterminent sur la suite de la procédure, le dossier reçu des HUG leur ayant alors été communiqué.
h. F______ est décédé en date du ______ 2023.
Par ordonnance du 9 mai 2023, le Tribunal a ordonné la suspension de la procédure, celle-ci devant être reprise à la requête de la partie la plus diligente.
i. Cette reprise a été sollicitée par B______ par courrier du 31 mai 2023.
j. Par ordonnance du 5 octobre 2023, le Tribunal a ordonné la reprise de la procédure et fixé une audience de débats d’instruction, voire de débat principaux et de plaidoiries finales au 8 décembre 2023.
k. Par courrier du 24 novembre 2023, le conseil de A______ a précisé à l’attention du Tribunal que les personnes présentes au chevet de G______ le 7 septembre 2023 (recte : 2020) étaient F______ et B______. A______ sollicitait une nouvelle audition de la Dre I______, ainsi que l’audition, sous forme d’interrogatoire des parties, de B______.
l. Lors de l’audience du 8 décembre 2023, A______ a persisté à solliciter la réaudition de la Dre I______, ainsi que celle de B______ sur sa visite à G______ le 7 septembre 2020. A______ a en revanche renoncé à l’audition du témoin J______, qu’il avait précédemment sollicitée.
B______ s’est opposé aux actes d’instruction sollicités par A______.
B. Au terme de l’audience du 8 décembre 2023, le Tribunal s’est prononcé comme suit : « Sur quoi, le Tribunal considère que les événements relatés dans le courrier de Me K______ du 24 novembre 2023, pour tant (sic) qu’ils soient considérés comme des allégués, le sont tardivement au regard du fait que le dossier médical des HUG lui a été communiqué par ordonnance du 28 avril 2023. Le Tribunal refuse par conséquent de réentendre la Dre I______ qui a déjà témoigné qu’elle ne se souvenait plus du tout de la patiente et refuse d’entendre B______ sur les événements du courrier du 24 novembre 2023 de Me K______ ».
Le conseil de A______ a demandé la récusation du Tribunal, considérant qu’il avait préjugé.
Le Tribunal a « ajourné l’audience ».
C. a. Le 18 décembre 2023, A______ a formé recours contre « l’ordonnance de preuves rendue le 8 décembre 2023 par le Tribunal de première instance », concluant à son annulation et au renvoi de la cause au premier juge pour instruction de la procédure.
Le recourant a fait grief au Tribunal d’avoir refusé l’audition d’une partie ainsi que la réaudition d’un témoin, valablement requises, ce qui le privait notamment de la possibilité de prouver que la volonté de la défunte n’était pas librement formée en raison de l’influence extérieure exercée sur elle, question qui n’avait jamais pu être abordée, notamment en raison du silence de B______ sur sa visite à l’hôpital le jour de la rédaction des dispositions testamentaires attaquées. Le Tribunal entendait par conséquent statuer, sans avoir instruit la cause. Le préjudice difficilement réparable pour le recourant résidait dans le fait que l’ordonnance litigieuse aurait comme potentielle conséquence de conduire à son déboutement. « En effet si le Tribunal devait retenir que feue G______ avait rédigé son testament librement, le recourant aurait, certes, la possibilité théorique de recourir, mais cette possibilité n’existerait en fait pas, à la rigueur de la procédure, au stade d’une procédure d’appel ou de recours ».
b. Les 22 et 25 janvier 2024, B______ et C______ ont conclu à l’irrecevabilité du recours formé par A______.
c. Ce dernier a répliqué le 12 février 2024, persistant dans ses conclusions.
d. B______ a dupliqué le 26 février 2024 et persisté dans les siennes.
e. Par avis du greffe de la Cour du 12 avril 2024, les parties ont été informées de ce que la cause était gardée à juger.
1. 1.1 Le recours est recevable contre des décisions et ordonnances d'instruction de première instance, dans les cas prévus par la loi (art. 319 let. b ch. 1 CPC) ou lorsqu'elles peuvent causer un préjudice difficilement réparable (art. 319 let. b ch. 2 CPC).
Par définition, les décisions visées à l'art. 319 let. b CPC ne sont ni finales, ni partielles, ni incidentes, ni provisionnelles. Il s'agit de décisions d'ordre procédural par lesquelles le tribunal détermine le déroulement formel et l'organisation matérielle de l'instance (Jeandin, in Commentaire romand, Code de procédure civile, 2ème éd., 2019, CPC, n. 11 ad art. 319 CPC; Freiburghaus/Afheldt, Kommentar zur Schweizerischen Zivilprozessordnung, 3ème éd., 2016, n. 11 ad art. 319 ZPO).
Le recours, écrit et motivé, est introduit auprès de l'instance de recours dans les dix jours à compter de la notification de la décision pour les ordonnances d'instruction (art. 321 al. 1 et 2 CPC).
1.2 En l’espèce, au terme de l’audience du 8 décembre 2023, le Tribunal a refusé de mettre en œuvre des moyens de preuve offerts par le recourant, soit la réaudition de la Dre I______ et l’audition de l’une des parties intimées. Ce faisant, le Tribunal a pris une décision d’ordre procédural, qui doit être qualifiée d’ordonnance de preuve, laquelle peut faire l'objet d'un recours au sens de l'art. 319 let. b ch. 2 CPC.
Interjeté dans le délai imparti et suivant la forme prévue par la loi (art. 130, 131 et 321 al. 1 et 2 CPC), le recours est recevable sous cet angle.
2. Il reste à déterminer si l'ordonnance querellée est susceptible de causer un préjudice difficilement réparable au recourant au sens de l'art. 319 let. b ch. 2 CPC.
2.1 La notion de préjudice difficilement réparable est plus large que celle de "préjudice irréparable" au sens de l'art. 93 al. 1 let. a LTF (ATF 138 III 378 consid. 6.3). Constitue un préjudice difficilement réparable toute incidence dommageable (y compris financière ou temporelle), qui ne peut être que difficilement réparée dans le cours ultérieur de la procédure. L'instance supérieure doit se montrer exigeante, voire restrictive avant d'admettre l'accomplissement de cette condition, sous peine d'ouvrir le recours à toute décision ou ordonnance d'instruction, ce que le législateur a clairement exclu : il s'agit de se prémunir contre le risque d'un prolongement sans fin du procès (parmi plusieurs : ACJC/1396/2022 du 18 mars 2022 consid. 2.1; Jeandin, op. cit., n. 22 ad art. 319 CPC).
Le préjudice sera ainsi considéré comme difficilement réparable s'il ne peut pas être supprimé ou seulement partiellement, même dans l'hypothèse d'une décision finale favorable au recourant (ATF 134 III 188 consid. 2.1 et 2.2), ce qui surviendra par exemple lorsque des secrets d'affaires sont révélés ou qu'il y a atteinte à des droits absolus à l'instar de la réputation, de la propriété et du droit à la sphère privée, ou encore, lorsqu'une ordonnance de preuve ordonne une expertise ADN présentant un risque pour la santé ce qui a pour corollaire une atteinte à la personnalité au sens de l'art. 28 CC (Jeandin, op. cit., n. 22a ad art. 319 CPC et les références citées).
En règle générale, la décision refusant ou admettant des moyens de preuve offerts par les parties ne cause pas de préjudice difficilement réparable puisqu'il est normalement possible, en recourant contre la décision finale, d'obtenir l'administration de la preuve refusée à tort ou, à l'inverse, d'obtenir que la preuve administrée à tort soit écartée du dossier (arrêts du Tribunal fédéral 4A_248/2014 du 27 juin 2014 consid. 1.2.3, 4A_339/2013 du 8 octobre 2013 consid. 2; 5A_315/2012 du 28 août 2012 consid. 1.2.1; Colombini, Code de procédure civile, 2018, p. 1024).
Il appartient au recourant d'alléguer et d'établir la possibilité que la décision incidente lui cause un préjudice difficilement réparable, à moins que cela ne fasse d'emblée aucun doute (ATF 134 III 426 consid. 1.2 par analogie).
Si la condition du préjudice difficilement réparable n'est pas remplie, le recours est irrecevable et la partie doit attaquer la décision incidente avec la décision finale sur le fond (Message du Conseil fédéral, FF 2006 6841, p. 6984; Jeandin, op. cit., n. 24ss. ad art. 319 CPC).
2.2 En l’espèce, le Tribunal a refusé d’auditionner une partie et d’entendre à nouveau un témoin. Or, si le jugement au fond devait être défavorable au recourant, celui-ci pourrait former appel devant la Cour, laquelle statuera avec un plein pouvoir d’examen, et faire valoir l’ensemble de ses griefs, y compris à l’égard de l’ordonnance du 8 décembre 2023. Le recourant pourra ainsi se plaindre du refus du Tribunal, selon lui injustifié, de procéder aux mesures d’instruction requises. Si la Cour devait admettre ses griefs, elle pourra alors retourner la cause au Tribunal afin qu’il procède aux auditions refusées à tort, rien ne permettant de retenir que l’écoulement du temps les rendrait impossibles. Le recourant n’a en effet pas allégué que la Dre I______ ou l’intimé B______ seraient atteints d’une maladie grave ou sur le point de partir à l’étranger.
Au vu de ce qui précède, faute d’un préjudice difficilement réparable, le recours doit être déclaré irrecevable.
3. Les frais de la procédure de recours seront arrêtés à 1'000 fr. (art. 41 RTFMC), mis à la charge du recourant, qui succombe (art. 106 al. 1 CPC) et compensés avec l’avance de frais versée, qui reste acquise à l’Etat de Genève (art. 111 al. 1 CPC).
Des dépens, à hauteur de 1'000 fr., TVA et débours compris, seront alloués à B______ et de 500 fr., TVA et débours compris, compte tenu de la brièveté de sa réponse, à C______.
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La Chambre civile :
Déclare irrecevable le recours interjeté par A______ contre l’ordonnance rendue le 8 décembre 2023 par le Tribunal de première instance dans la cause C/10583/2021.
Arrête les frais judiciaires de la procédure de recours à 1'000 fr., les met à la charge de A______ et les compense avec l’avance de frais versée, qui reste acquise à l’Etat de Genève.
Condamne A______ à verser la somme de 1'000 fr. à B______, à titre de dépens de recours.
Condamne A______ à verser la somme de 500 fr. à C______, à titre de dépens de recours.
Siégeant :
Madame Pauline ERARD, présidente; Madame Paola CAMPOMAGNANI, Madame Stéphanie MUSY, juges; Madame Camille LESTEVEN, greffière.
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Indication des voies de recours :
Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière civile; la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 72 à 77 et 90 ss de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110). Il connaît également des recours constitutionnels subsidiaires; la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les
art. 113 à 119 et 90 ss LTF. Dans les deux cas, le recours motivé doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué. L'art. 119 al. 1 LTF prévoit que si une partie forme un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.
Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.