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Décisions | Chambre civile

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C/11264/2023

ACJC/568/2024 du 06.05.2024 ( IUS ) , REJETE

Normes : CPC.261.al1; CPC.262; LDA.2.al3; CPC.158
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/11264/2023 ACJC/568/2024

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU LUNDI 6 MAI 2024

 

Entre

A______, sise ______, Maroc, requérante sur mesures provisionnelles, représentée par Me Marc JOORY, avocat, Python, rue François-Bellot 3, 1206 Genève,

et

1) B______ INC, sise ______, Canada, citée,

2) C______ CORPORATION, sise ______, Canada, autre citée,

Toutes deux représentées par Me Léonard STOYANOV et Me Kilian SCHARLI, avocats, MLL Meyerlustenberger Lachenal Froriep SA, rue du Rhône 65, case
postale 3199, 1211 Genève 3.

 


EN FAIT

A. a. La société A______ (ci-après: A______), ayant son siège au Maroc, fournit notamment des solutions de paiement électronique.

b. D______ ASIA LTD (ci-après : D______ LTD) était une société à responsabilité limitée dont le siège se situait à Hong Kong. Son but social ne ressort pas du dossier soumis à la Cour de justice.

Elle était détenue par C______ CORPORATION, société basée au Canada (ci-après: C______ CORP).

En janvier 2021, la société B______ INC, dont le siège est à E______ au Canada, a fait l'acquisition de C______ CORPORATION.

c. Par contrat de licence (Software License Agreement), conclu le 22 août 2007, A______ a octroyé à D______ LTD une licence d'utilisation non-exclusive et non transférable du logiciel F______, lequel consiste en un logiciel de gestion de moyens de paiement électronique.

Selon l'art. 2.4 du contrat, sous réserve des droits expressément accordés par le contrat ou par toute autre disposition impérative de la loi applicable au contrat, le "client" ne bénéficie d'aucun accord exprès ou implicite pour copier, décompiler, sous-licencier, louer, reproduire ou permettre à un tiers (autre qu'un affilié du client) d'utiliser le logiciel, ni pour créer un logiciel dérivé. Le client peut toutefois créer d'autres programmes et fonctionnalités sur le logiciel s'il le juge nécessaire ou souhaitable pour la conduite de ses propres affaires. A______ n'est pas responsable de la régression ou de la maintenance des programmes non développés par A______.

Aux termes de l'art. 17.6 du Contrat, si A______ a des motifs raisonnables de soupçonner que le logiciel est utilisé d'une manière incompatible avec les termes du contrat, elle a le droit d'en vérifier l'utilisation faite par le client, dans les locaux du client […].

L'art. 19.2 du contrat prévoit qu'en cas de manquement d'une partie à ses obligations contractuelles, de telle sorte que l'autre partie risque de subir un préjudice important, la partie lésée peut lui adresser une sommation assortie d'un délai de 45 jours pour y remédier. Si le manquement persiste à l'échéance du délai, la partie lésée est en droit de résilier le contrat de plein droit par courrier recommandé.

L'art. 22 du contrat de licence prévoit une élection de droit suisse et un for à Genève pour tout litige résultant ou en lien avec la validité du contrat, son interprétation, son exécution ou son inexécution alléguée.

d. Parallèlement à ce contrat, A______ et D______ LTD ont signé, le même jour, un contrat de maintenance prévoyant un montant forfaitaire annuel devant être payé par D______ LTD en échange de la disponibilité des équipes de A______, intervenant à la demande de D______ LTD, pour divers services mentionnés dans le contrat (art. 14).

e. A compter du 5 octobre 2021, soit quelques mois après que la société B______ INC a repris le groupe D______ LTD, A______ et C______ CORP se sont engagées à trouver un accord financier concernant le "volume des ventes", qui portait sur deux millions de cartes commandées pour les années 2020 à 2022. En novembre 2021, A______ a adressé une offre pour signature à C______ CORP, laquelle a formulé une contre-proposition le 13 mai 2022.

Les courriels échangés dans ce cadre étaient adressés à C______ CORP, soit pour elle un manager basé à G______, au Canada. A compter du mois de mai 2022, un représentant de B______ INC était également mis en copie des correspondances, dont celle portant sur la contre-proposition du 13 mai 2022.

f. Une rencontre a été organisée le 15 août 2022 entre A______ et C______ CORP. A la suite de ce rendez-vous, A______ a transmis à C______ CORP la facture concernant les frais de maintenance pour l'année 2021 et a fait deux propositions pour le prix des cartes.

g. Le 21 septembre 2022, A______ a mis C______ CORP et B______ INC en demeure de payer le montant de 160'101 USD pour les frais de maintenance et a à nouveau sollicité de C______ CORP qu’elle fournisse des informations concernant "le volume des cartes", puis a sollicité la réalisation d’un audit, au sens de l'art. 17.6 du contrat de licence.

h. Plusieurs échanges de courriels ont eu lieu entre A______ et C______ CORP.

i. Par courrier du 18 janvier 2023, B______ INC a répondu qu'aucun audit ne serait effectué, A______ n’ayant pas de motif valable pour le requérir. Elle a également prétendu que "D______ LTD" était en droit de procéder à des modifications du logiciel, ce que A______ conteste. B______ INC a, en outre, contesté les frais de maintenance, alléguant qu’aucun service n’avait été rendu par A______.

j. Le 15 février 2023, A______ a mis B______ INC en demeure de se conformer aux termes du contrat de licence et de donner suite à la requête d’audit.

k. Le 17 février 2023, B______ INC a fait parvenir à A______, par courriel, un avis de résiliation du contrat de maintenance, avec effet au 22 août 2023.

l. Par courrier du 27 avril 2023, A______ a mis un terme au contrat de licence conclu le 22 août 2007.

B______ INC a indiqué, le 17 mai 2023, ne pas considérer la résiliation du contrat de licence comme valable ; tous les droits issus du contrat de licence demeuraient en force.

B. a. Par requête du 2 juin 2023, A______ a saisi la Cour de justice d’une requête de mesures superprovisionnelles et provisionnelles ainsi que d'une requête de preuve à futur dirigées contre B______ INC et C______ CORP.

Sur mesures superprovisionnelles et provisionnelles, elle conclut à ce que la Cour ordonne la cessation immédiate de l’utilisation du logiciel F______ par C______ CORP et B______ INC.

A titre de requête de preuve à futur à titre superprovisionnel et provisionnel, elle conclut à ce qu’il soit ordonné à C______ CORP de permettre l’inspection, par A______, en conformité avec l’art. 17.6 du contrat de licence, dans les bureaux de C______ CORP sis au Maroc, ainsi que dans tous les bureaux de C______ CORP et B______ INC dans lesquels le logiciel F______ est exploité. Subsidiairement, elle conclut à ce que la réalisation d’une expertise auprès de C______ CORP et B______ INC soit ordonnée afin de pouvoir déterminer l’ampleur des violations du contrat de licence ainsi que des droits d’auteur de A______ et portant sur les questions suivantes : quels logiciels ont-ils été créés par C______ CORP et B______ INC et quel est leur nombre; quel est le volume de cartes (et non pas uniquement de cartes actives) produites par B______ INC/D______ LTD ?

A l'appui de sa requête, elle allègue qu’il est vraisemblable que B______ INC porte atteinte à ses droits en continuant d’utiliser le logiciel F______, que cela lui causait "indéniablement" un préjudice, puisqu’il s’agissait d’une atteinte directe à ses droits d’auteur et qu’une réparation financière ne serait pas de nature à compenser intégralement son préjudice. Par ailleurs, en modifiant les codes sources du logiciel, notamment pour produire et éditer des logiciels dérivés et d’autres modifications, D______ LTD avait porté atteinte à l’intégrité de l’œuvre. Partant, il était "manifeste" qu’une protection immédiate était nécessaire, l’atteinte étant "confirmée". En outre, il existait un risque que les preuves disparaissent, ou qu’elles soient détériorées, C______ CORP et B______ INC n’ayant jamais voulu se conformer aux obligations du contrat de licence, ainsi qu’aux requêtes de A______ portant sur la réalisation d’un audit. Il était par ailleurs probable que certaines preuves aient déjà été compromises.

b. Par arrêt du 6 juin 2023, la Cour de justice a rejeté la requête de mesures superprovisionnelles et la requête de preuve à futur à titre superprovisionnel formées par A______, faute pour celle-ci d'avoir rendu vraisemblable l'urgence à statuer, réservé la suite de la procédure sur mesures provisionnelles et renvoyé la question des frais judiciaires à la décision à rendre sur mesures provisionnelles.

c. Dans leur réponse commune, B______ INC et C______ CORP concluent, à la forme, à l'irrecevabilité des requêtes de mesures provisionnelles et de preuve à futur dirigées contre elles. Au fond, elles concluent à ce qu'il soit dit et constaté qu'elles ne sont pas parties au contrat de licence du 22 août 2007 et à ce que A______ soit déboutée de toutes ses conclusions prises à leur encontre. Subsidiairement, elles sollicitent la fourniture de sûretés à hauteur de 250'000 fr. par A______.

d. Les parties ont répliqué et dupliqué, en persistant dans leurs conclusions.

e. Elles ont été informées par avis de le Cour du 29 janvier 2024 de ce que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1. La requérante fonde sa requête sur le contrat de licence du 22 août 2007 ainsi que sur la loi sur le droit d'auteur et les droits voisins du 9 octobre 1992 (LDA).

1.1 Les citées invoquent l'incompétence de la Cour à raison de la matière pour connaître du litige, alléguant que, bien qu'une prétendue violation des droits de propriété intellectuelle soit invoquée, le fond du litige relève en réalité de la validité de la résiliation du contrat de licence et de l'éventuelle violation du contrat.

1.1.1 En vertu de l'art. 5 al. 1 let. a CPC, le droit cantonal institue la juridiction compétente pour statuer en instance unique sur les litiges portant sur des droits de propriété intellectuelle, y compris en matière de nullité, de titularité et de licences d’exploitation, ainsi que de transfert et de violation de tels droits.

Cette compétence vaut également pour statuer sur les mesures provisionnelles requises avant litispendance (art. 5 al. 2 CPC).

Le Tribunal fédéral a admis, en se basant sur de nombreux avis de doctrine, que les actions contractuelles fondées sur l'inexécution ou la mauvaise exécution des contrats de licence ou de cession des droits de propriété intellectuelle entraient dans le champ d'application de l'art. 5 al. 1 let. a CPC (arrêt du Tribunal fédéral 4A_372/2022 du 11 juillet 2023 consid. 1 et les auteurs cités, dont Sutter-Somm/Seiler, in Handkommentar zur Schweizerischen Zivilprozessordnung, 2021, n. 6 ad art. 5 CPC; Haas/Schlumpf, in Kurzkommentar Schweizerische Zivilprozessordnung, 3ème éd. 2021, n. 4 ad art. 5 CPC; Stoudmann, in Code de procédure civile, Petit commentaire, 2020, n. 5 ad art. 5 CPC; Vock/Nater, in Basler Kommentar [ZPO], 3ème éd. 2017, n. 4 ad art. 5 CPC).

A Genève, la Chambre civile de la Cour de justice est compétente pour connaître des prétentions soumises à la juridiction de l'instance cantonale unique (art. 120 al. 1 let. a LOJ).

1.1.2 En l'espèce, l'objet du litige est directement lié à la mauvaise exécution du contrat de licence ainsi qu'à la validité de la résiliation notifiée par la requérante, ce qui est admis par les deux parties. Bien que l'action entreprise trouve un fondement de nature contractuelle, elle demeure dans le champ des compétences attribuées à la Cour de justice en tant qu'instance unique par l'art. 5 al. 1 let. a CPC, conformément à la doctrine et à la jurisprudence du Tribunal fédéral.

Le grief des citées doit ainsi être rejeté, la Cour étant compétente en raison de la matière.

1.2 La Cour de justice est également compétente à raison du lieu, compte tenu de la clause d'élection de for en faveur des juridictions genevoises contenue dans le contrat de licence litigieux. En effet, le présent litige porte précisément sur la validité dudit contrat, son exécution ou son inexécution alléguée, telles que prévues par cette clause. Par ailleurs, la validité de cette clause n'est, à juste titre, pas remise en cause, dans la mesure où tant les fors institués en matière de propriété intellectuelle (art. 109 al. 2 LDIP) que ceux institués par les règles générales des contrats (art. 112 ss LDIP) ne constituent pas des fors impératifs, de sorte qu'une prorogation de for est possible (Bonomi, in Commentaire romand LDIP et CL; 2011, n. 4 ad art. 112 LDIP; Ducor, in Commentaire romand LDIP et CL; 2011, n. 4 ad art. 112 LDIP).

1.3 Le droit suisse est applicable, conformément à l'élection de droit convenue par les parties dans le contrat de licence (art. 110 al. 3 et 122 al. 2 LDIP).

1.4 Les mesures provisionnelles étant soumises à la procédure sommaire (art. 248 let. d CPC), avec administration restreinte des moyens de preuve, la cognition du juge est limitée à la simple vraisemblance des faits et à un examen sommaire du droit (ATF 131 III 473 consid. 2.3; 127 III 474 consid. 2b/bb; arrêt du Tribunal fédéral 5A_293/2019 du 29 août 2019 consid. 4.2).

2. Les citées invoquent l'irrecevabilité de la requête au motif que les conclusions ne sont pas formulées de manière suffisamment précise.

2.1 Selon la jurisprudence, les conclusions doivent être précises et être libellées de manière à pouvoir être reprises telles quelles dans le dispositif, afin de pouvoir être exécutées sans qu'une clarification soit nécessaire. Des conclusions pécuniaires doivent être chiffrées. Cette exigence découle aussi du principe de disposition (art. 58 al. 1 CPC), qui interdit au juge d'allouer plus que ce qui est réclamé (ATF 137 III 617 consid. 4.3; arrêt du Tribunal fédéral 4A_60/2022 du 21 mars 2023 consid. 7.3.1 et les références doctrinales citées).

Les conclusions s'interprètent selon le principe de la confiance, à la lumière de la motivation qui les sous-tend. Vu l'interdiction du formalisme excessif, il suffit que l'on comprenne, à la lecture du mémoire, ce que le justiciable requiert, respectivement quel montant il réclame (ATF 137 III 617 consid. 6.2; arrêts du Tribunal fédéral 4A_60/2022 du 21 mars 2023 consid. 7.3.1; 5A_65/2022 du 16 janvier 2023 consid. 3.3.1).

2.2 En l'espèce, la requérante a conclu à la cessation de l'utilisation du logiciel F______ par les citées. Le logiciel en question est décrit dans la partie EN FAIT de la requête et fait l'objet, en étant défini comme tel, du contrat de licence discuté par les parties depuis le début de la procédure (cf. requête du 2 juin 2023, allégué n. 6 et 7). Partant, le logiciel dont il est question est parfaitement identifiable par les citées et son appellation n'engendre aucune source de confusion ou d'erreur, ce qui n'est du reste pas allégué. Les conclusions de la requérante sont ainsi suffisantes et peuvent être exécutées sans autre clarification supplémentaire. Elles répondent aux exigences de forme.

Partant, la requête de mesures provisionnelles et de preuve à futur est recevable.

3. Les citées contestent leur légitimation passive, se prévalant de la relativité des contrats et du fait qu'elles ne sont pas parties au contrat de licence du 22 août 2007 ni au contrat de maintenance.

3.1 La qualité pour agir (légitimation active) et la qualité pour défendre (légitimation passive) sont des questions de droit matériel, de sorte qu'elles ressortissent au droit privé fédéral s'agissant des actions soumises à ce droit (ATF 133 III 180 consid. 3.4, JdT 2010 I 239, SJ 2007 I 387; 130 III 417 consid. 3.1; arrêts du Tribunal fédéral 4A_127/2022 du 28 juin 2022 consid. 3.3; 4A_1/2014 du 26 mars 2014 consid. 2.3). Elles se déterminent selon le droit au fond et leur défaut conduit au rejet de l'action qui intervient indépendamment de la réalisation des éléments objectifs de la prétention litigieuse (ATF 138 III 537 consid. 2.2.1; arrêt du Tribunal fédéral 5A_212/2020 du 26 janvier 2022 consid. 4).

L'interdiction de l'abus de droit (art. 2 al. 2 CC) est un principe fondamental de l'ordre juridique suisse (art. 5 al. 3 Cst.). Constitue un abus de droit l'attitude contradictoire d'une partie. Lorsqu'une partie adopte une certaine position, elle ne peut pas ensuite soutenir la position contraire, car cela revient à tromper l'attente fondée qu'elle a créée chez sa partie adverse; si elle le fait, c'est un venire contra factum proprium, qui constitue un abus de droit. La prétention de cette partie ne mérite alors pas la protection du droit (arrêt du Tribunal fédéral 4A_590/2016 du 26 janvier 2017 consid. 2.1).

3.2 En l'espèce, les contrats de licence et de maintenance du 22 août 2007 ont certes été conclus avec la société D______ ASIA LTD. Il ressort toutefois de la procédure que celle-ci a cessé d'exister et que ses activités ont été reprises par les citées lors de l'acquisition par B______ INC de C______ CORP, laquelle détenait D______ LTD. Les modalités de cette acquisition ne ressortent pas du dossier. Cependant, il apparaît à la lecture des correspondances échangées entre les parties que depuis ladite acquisition, la relation contractuelle s'est poursuivie avec C______ CORP et B______ INC. En effet, depuis lors, les contacts se sont déroulés avec C______ CORP, soit pour elle des représentants basés au Canada, laquelle a négocié les modalités relatives au contrat de licence litigieux, dont l'accord financier concernant le "volume des ventes", pris part aux réunions à ce sujet et formulé une contre-proposition. Pour sa part, B______ INC était intégrée aux discussions, à tout le moins depuis le mois de mai 2022 en étant en copie des courriels. Elle s'est également positionnée à certaines occasions, notamment pour s'opposer à la demande d'audit. A aucun moment les citées n'ont soutenu ne pas être liées par les contrats conclus avec la requérante, alors même qu'elles discutaient de leur contenu depuis plusieurs mois. Elles n'ont pas non plus allégué ne pas utiliser le logiciel F______ dont il était question. Au contraire, dans leurs courriers des 18 janvier et 17 mai 2023, elles estimaient être en droit de procéder à des modifications du logiciel - et donc de l'utiliser – et soutenaient que le contrat de licence demeurait en force. Enfin, B______ INC a elle-même procédé à la résiliation du contrat de maintenance le 17 février 2023, agissant ainsi comme une partie au contrat.

Il est dès lors rendu vraisemblable que les citées ont repris les droits et obligations des contrats de licence et de maintenance conclus le 22 août 2007 avec la requérante. Soutenir le contraire constitue une attitude contradictoire, contraire aux règles de la bonne foi. Il y a dès lors lieu d’admettre que les citées ont la légitimation passive.

4. La requérante sollicite le prononcé de mesures provisionnelles en cessation, alléguant que les citées portent atteinte à ses droits en continuant d'utiliser le logiciel F______ et que cela lui causerait "indéniablement" un préjudice puisqu'il s'agit d'une atteinte directe à ses droits d'auteur.

4.1.1 Selon l'art. 261 al. 1 CPC, le juge ordonne les mesures provisionnelles nécessaires lorsque le requérant rend vraisemblable qu'une prétention dont il est titulaire est l'objet d'une atteinte ou risque de l'être et que cette atteinte risque de lui causer un préjudice difficilement réparable (art. 261 al. 1 CPC).

Le tribunal peut ordonner toute mesure provisionnelle propre à prévenir ou à faire cesser le préjudice, notamment une interdiction (art. 262 let. a CPC).

Celui qui requiert des mesures provisionnelles doit rendre vraisemblable qu'une prétention dont il est titulaire est l'objet d'une atteinte - ou risque de l'être - et qu'il s'expose de ce fait à un préjudice difficilement réparable (ATF 139 III 86 consid. 5; arrêt du Tribunal fédéral 5D_219/2017 du 24 août 2018 consid. 4.2.2).

Le dommage difficilement réparable au sens de l'art. 261 al. 1 let. b CPC est principalement de nature factuelle. Il concerne tout préjudice, patrimonial ou immatériel, et peut même résulter du seul écoulement du temps pendant le procès. Le dommage est constitué, pour celui qui requiert les mesures provisionnelles, par le fait que, sans celles-ci, il serait lésé dans sa position juridique de fond et, pour celui qui recourt contre le prononcé de telles mesures, par les conséquences matérielles qu'elles engendrent (ATF 138 III 378 consid. 6.3 et les références citées). Est notamment difficilement réparable le préjudice qui sera plus tard impossible ou difficile à mesurer ou à compenser entièrement. En d'autres termes, il s'agit d'éviter d'être mis devant un fait accompli dont le jugement au fond ne pourrait pas complètement supprimer les effets (arrêts du Tribunal fédéral 4A_50/2019 du 28 mai 2019 consid. 6.6.2; 4A_611/2011 du 3 janvier 2012 consid. 4.1).

Lorsque les conditions mentionnées ci-dessus sont remplies, le juge doit accorder la protection immédiate. Cependant, la mesure qu'il prononce doit être proportionnée au risque de l'atteinte et le choix de la mesure doit tenir compte des intérêts de l'adversaire. La pesée d'intérêts, qui s'impose pour toute mesure envisagée (ATF 131 III 473 consid. 2.3; RSPC 2006 69), prend en compte le droit présumé du requérant à la mesure conservatoire et les conséquences que celle-ci entraînerait pour le requis (arrêts du Tribunal fédéral 1C_377/2023 du 7 décembre 2023 consid. 4.1; 1C_294/2019 du 26 juin 2019 consid. 5.2; Bohnet, in Commentaire romand CPC, 2ème éd., 2019, n. 17 ad art. 261 CPC et les références citées).

S'agissant de mesures équivalant à une exécution anticipée du jugement à rendre, les exigences sont particulièrement strictes. Plus la mesure envisagée porte une atteinte grave à la situation juridique de la partie adverse et plus son caractère irréversible est prononcé, plus il convient d'être restrictif dans son octroi (ATF 138 III 378 consid. 6.4; 131 III 473 consid. 2.2; 3.2; RSPC 2006 69). Ces exigences élevées ne portent pas seulement sur la vraisemblance comme mesure de la preuve requise, mais également sur l’ensemble des conditions d’octroi de la mesure provisionnelle, en particulier sur l’appréciation de l’issue du litige au fond et sur celle des inconvénients que la décision incidente pourrait créer à chacune des deux parties (ATF 131 III 473 consid. 3.2; arrêt du Tribunal fédéral 4A_367/2008 consid. 4.2, sic ! 2009 159-161, Bohnet, in op.cit., n. 18 ad art. 261 CPC).

4.1.2 Selon l'art. 2 al. 3 LDA, les programmes d'ordinateurs (logiciels) sont considérés comme des œuvres soumises à la protection du droit d'auteur.

L'art. 62 al. 1 LDA prévoit que la personne qui subit ou risque de subir une violation de son droit d’auteur ou d’un droit voisin peut demander au tribunal de l’interdire, si elle est imminente (let. a), de la faire cesser, si elle dure encore (let. b) ou d’exiger de la partie défenderesse qu’elle indique la provenance et la quantité des objets confectionnés ou mis en circulation de manière illicite qui se trouvent en sa possession, et les destinataires et la quantité des objets qui ont été remis à des acheteurs commerciaux (let. c).

4.2 En l'espèce, les mesures requises par la requérante, qui portent sur la cessation immédiate de l'utilisation de son logiciel par les citées, sont similaires aux conclusions qu'elle entend prendre au fond et s'apparentent ainsi à des mesures anticipées du jugement à rendre, de sorte que leur octroi doit être admis de manière restrictive.

La violation du contrat alléguée n'est pas de nature à causer un préjudice difficilement réparable dans la mesure où l'éventuelle utilisation illicite du logiciel pourrait être compensée par une indemnité financière similaire, par exemple, à la redevance contractuelle correspondant à une utilisation légitime. Pour le surplus, la requérante n'a pas rendu suffisamment vraisemblable qu'elle aurait subi un dommage immatériel. Le fait que les citées auraient créé un logiciel dérivé en modifiant les codes sources du logiciel sous licence, dépassant ainsi le cadre des modifications autorisées par l'art. 2.4 du contrat litigieux, repose sur ses seules allégations sans être corroboré par des éléments probants. Aucun élément ne permet, en l'état, de retenir une atteinte à l'intégrité de l'œuvre. Or, comme elle le reconnaît elle-même, toute violation du droit d'auteur n'implique pas systématiquement un dommage difficilement réparable.

Il s'ensuit que la requérante n'a pas rendu suffisamment vraisemblable qu'elle risque de subir un préjudice difficilement réparable en cas de refus des mesures provisionnelles dont elle requiert le prononcé.

Partant, sa requête sera rejetée.

5. La requérante sollicite une inspection des locaux, subsidiairement une expertise, à titre de preuve à futur, invoquant tant un risque de disparition des preuves qu'un intérêt digne de protection à quantifier l'étendue de son dommage afin de chiffrer sa (future) demande au fond.

5.1 La preuve à futur constitue une mesure probatoire spéciale prévue à l'art. 158 CPC. A teneur de cette disposition, le tribunal administre les preuves en tout temps (hors procès), lorsque la loi confère un droit d'en faire la demande (let. a) ou lorsque la mise en danger des preuves (let. b, 1er cas) ou un intérêt digne de protection (let. b, 2ème cas) est rendu vraisemblable par le requérant.

Dans le premier cas de la let. b, le tribunal administre les preuves en tout temps lorsque la mise en danger de celles-ci est rendue vraisemblable par le requérant. Cette preuve à futur a pour but d'assurer la conservation de la preuve, lorsque le moyen de preuve risque de disparaître ou que son administration ultérieure se heurterait à de grandes difficultés. Une partie peut donc requérir une expertise ou une autre preuve sur des faits qu'elle entend invoquer dans un procès éventuel (preuve à futur "hors procès"), en vue de prévenir la perte de ce moyen de preuve.

Dans le deuxième cas de la let. b, la preuve à futur "hors procès" est destinée à permettre au requérant de clarifier les chances de succès d'un procès futur, de façon à lui éviter de devoir introduire un procès dénué de toute chance. Il s'agit là d'une nouvelle institution, qui n'était connue que de certains droits de procédure cantonaux, tels ceux des cantons de Vaud et Berne. Le requérant doit établir qu'il a un intérêt digne de protection à l'administration de la preuve. Il ne lui suffit pas d'alléguer avoir besoin d'éclaircir des circonstances de fait; il doit rendre vraisemblable l'existence d'une prétention matérielle concrète contre sa partie adverse, laquelle nécessite l'administration de la preuve à futur (ATF 142 III 40 consid. 3.1.1; 140 III 16 consid. 2.2.2).

La procédure de preuve à futur n'a pas pour objet d'obtenir qu'il soit statué matériellement sur les droits ou obligations des parties, mais seulement de faire constater ou apprécier un certain état de fait. Le tribunal ne statue pas sur le fond. Une fois les opérations d'administration de la preuve terminées, le juge clôt la procédure et statue sur les frais et dépens (ATF 142 III 40 consid. 3.1.3; 140 III 16 consid. 2.2.2; 138 III 76 consid. 2.4.2; arrêt du Tribunal fédéral 4A_606/2018 du 4 mars 2020, consid. 3.).

5.2 En l'espèce, une mise en danger imminente des preuves n'est pas rendue vraisemblable. La requérante se limite à soutenir, de manière générale, qu'il convient d'agir sans délai car il est probable que certaines preuves aient déjà été compromises ou risquent de l'être de manière imminente, sans fournir davantage d'explications. Par ailleurs, les mesures requises à titre de preuve à futur devraient être exécutées dans les locaux des citées, situés au Maroc et au Canada. Leur mise en œuvre, si elle n'était pas volontairement exécutée par les citées, ne pourrait être requise que par la voie de l'entraide internationale, ce qui nécessiterait une durée particulièrement longue et réduirait ainsi à néant les effets escomptés quant à une exécution rapide en vue de pallier l'éventuel risque de disparition des preuves tel qu'allégué par la requérante.

En ce qui concerne la condition alternative de l'intérêt digne de protection, la requérante fait valoir qu'elle entend établir et chiffrer le dommage éprouvé par le biais de la présente requête de preuve. Les mesures requises ne sont ainsi pas destinées à permettre à la requérante de clarifier les chances de succès d'une future demande afin d'éviter un procès dénué de toute chance, mais visent, selon ses propres explications, uniquement à chiffrer son dommage. Elle n'est dès lors pas empêchée d'agir au fond et de solliciter les mesures d'instruction souhaitées, disposant notamment de la possibilité d'intenter une action non chiffrée au sens de l'art. 85 CPC si, comme elle le soutient, elle est dans l'impossibilité d'articuler d'entrée de cause le montant réclamé. Partant, elle ne dispose pas d'un intérêt digne de protection à administrer la preuve requise hors procès.

Cette requête sera donc également rejetée.

6. Les frais judiciaires, comprenant ceux relatifs à la décision rendue sur mesures superprovisionnelles, seront arrêtés à 4'000 fr. (art. 26 RTFMC) et entièrement compensés avec l'avance fournie par la requérante à hauteur du même montant, qui demeure acquise à l'Etat de Genève (art. 111 al. 1 CPC). Bien que la requérante succombe dans sa requête, les frais d'appel ont été en grande partie causés par les citées, lesquelles ont soulevé de nombreux arguments, parfois contraires au principe de la bonne foi ou frisant la témérité, pour s'opposer à la requête et dans lesquels ces dernières ont entièrement succombé. Il se justifie dès lors de répartir les frais judiciaires pour moitié à la charge de la requérante et pour moitié à la charge des citées (art. 107 al. 1 let. f et 108 CPC). Les citées seront en conséquence condamnées à verser 2'000 fr. à la requérante à titre de restitution partielle de l'avance fournie (art. 111 al. 2 CPC).

La requérante sera, en outre, condamnée aux dépens d'appel des citées, fixés à 1'000 fr., pour les mêmes motifs que ceux précédemment exposés (art. 84, 85 et 88 RTFMC et art. 23 al. 1 LaCC), débours compris, mais sans TVA compte tenu de leur domicile à l'étranger (ATF 141 IV 344 consid. 4.1).

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PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable la requête de mesures provisionnelles et de preuve à futur formée le 2 juin 2023 par A______ à l'encontre de B______ INC et de C______ CORP dans la cause C/11264/2023.

Au fond :

Rejette la requête.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais d'appel :

Arrête les frais judiciaires à 4'000 fr., dit qu'ils sont compensés avec l'avance de frais versée par A______, qui reste acquise à l’Etat de Genève, et les met pour moitié à la charge de A______ et pour moitié à la charge de B______ INC et C______ CORP, prises solidairement entre elles.

Condamne B______ INC et C______ CORPORATION, prises solidairement entre elles, à verser 2'000 fr. à A______ à titre de frais judiciaires.

Condamne A______ à verser à B______ INC et C______ CORP, prises solidairement entre elles, 1'000 fr. à titre de dépens.

Siégeant :

Monsieur Cédric-Laurent MICHEL, président; Madame Pauline ERARD, Madame Paola CAMPOMAGNANI, juges; Madame Sophie MARTINEZ, greffière.

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.