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Décisions | Chambre civile

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C/2082/2021

ACJC/621/2024 du 14.05.2024 sur ORTPI/155/2024 ( OS ) , IRRECEVABLE

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/2082/2021 ACJC/621/2024

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU MARDI 14 MAI 2024

 

Entre

Monsieur A______, domicilié ______, Pays-Bas, recourant contre une ordonnance rendue par le Tribunal de première instance de ce canton le 2 février 2024, représenté par Me Gilles ROBERT-NICOUD, avocat, MCE Avocats, rue du Grand-Chêne 1, case postale 1106, 1001 Lausanne,

et

B______ SA, sise ______ [GE], intimée, représentée par Me Luc RECORDON, avocat, rue du Grand-Chêne 4 et 8, case postale 7283, 1002 Lausanne.

 


EN FAIT

A.           Par ordonnance de preuve ORTPI/153/2023 du 2 février 2023, le Tribunal de première instance a notamment refusé les autres moyens de preuve [que l'interrogatoire, voire la déposition, des parties] requis par B______ SA (ch. 3), écarté les pièces nouvelles 34 et 35 de la précitée (ch. 4), convoqué une audience de débats principaux consacrée à l'interrogatoire des parties et aux plaidoiries finales, dont la date a été fixée (ch. 5 et 6), et annoncé que la cause serait gardée à juger à l'issue de l'audience (ch. 7).

Le Tribunal a retenu que l'identité des témoins requis n'avait été communiquée qu'avec les déterminations sur la duplique, et que les pièces 34 et 35 avaient été déposées au même moment, soit tardivement dans la procédure, au caractère simplifié, et gouvernée par la maxime des débats.

Par arrêt du 17 octobre 2023, la Cour a déclaré irrecevable le recours formé par B______ SA contre les chiffres 3 à 7 du dispositif de l'ordonnance précitée.

Elle a retenu que rien ne permettait de considérer que B______ SA subirait un préjudice difficilement réparable du fait de l'ordonnance attaquée. Elle a incidemment observé que, comme le soulevait la précitée, le Tribunal avait considéré à tort que l'identité du témoin n'avait été communiquée qu'après la duplique, alors que cette identité figurait dans l'annexe à la demande en justice.

B.            Par ordonnance de preuve ORTPI/155/2024 du 2 février 2024, expédiée aux parties le même jour, le Tribunal, après avoir ordonné la reprise de la procédure, a complété son ordonnance susmentionnée du 2 février 2023 en admettant comme moyen de preuve supplémentaire pour B______ SA l'audition en qualité de témoin de C______, en lien avec les allégués désignés dans la "liste de témoins" déposée par la précitée le 5 décembre 2022 (ch. 1), maintenu pour le surplus les termes de l'ordonnance susvisée (ch. 2), fixé un délai à B______ SA pour procéder à une avance de frais complémentaire (ch. 3), convoqué une audience de débats principaux consacrée à l'interrogatoire des parties ainsi qu'à l'audition de C______, fixée au 26 février 2024 (ch. 4 et 5), et a réservé la suite de la procédure (ch. 6).

Le Tribunal a modifié son ordonnance rendue précédemment, relativement à l'audition du témoin C______, en se référant à l'art. 154 CPC, à son pouvoir d'appréciation et aux considérants de l'arrêt de la Cour du 17 octobre 2023.

C.           Le 15 février 2024, A______ a formé recours contre l'ordonnance précitée. Il a conclu à l'annulation de celle-ci, sous suite de frais et dépens.

B______ SA a conclu à l'irrecevabilité du recours, subsidiairement au rejet de celui-ci.

Par avis du 22 avril 2024, les parties ont été informées de ce que la cause était gardée à juger.

 

D.           Il résulte de la procédure de première instance les faits pertinents suivants :

Le 24 juin 2021, B______ SA a saisi le Tribunal de première instance d'une demande "en la forme d'une action partielle" en paiement de 30'000 fr. avec suite d'intérêts moratoires et de frais et dépens, dirigée contre A______. Elle a allégué détenir contre le précité une créance de 30'560'000 fr. représentant des commissions sur opérations financières, qu'elle n'a fait valoir dans la présente procédure qu'à concurrence du montant susmentionné.

Elle a formé des allégués, offrant en preuves de ceux-ci diverses pièces, qu'elle a déposées, ainsi que des déclarations de témoins, dont elle n'a pas fourni l'identité dans son acte, et "subsidiairement" une expertise; elle a joint à sa demande une liste de témoins, qui porte uniquement le nom de C______, sans indication des coordonnées de celui-ci non plus que des allégués de la demande concernés par l'offre de preuve sous forme de témoignage. Plusieurs de ces allégués comportent la mention du nom de C______.

A______ a conclu au déboutement de B______ SA, avec suite de frais et dépens.

Il a offert en preuve de ses allégués des pièces, qu'il a déposées, ainsi que son propre interrogatoire.

Les parties ont répliqué et dupliqué, persistant dans leurs conclusions respectives.

B______ SA a déposé des déterminations sur duplique, avec une liste de témoins, comportant uniquement le nom de C______, suivi d'une adresse et d'une liste d'allégués de la demande et de la réplique. Elle a versé deux pièces (n. 34 et 35).

A l'audience de débats d'instruction tenue par le Tribunal le 5 décembre 2022, B______ SA a persisté dans ses conclusions, et déposé une nouvelle liste de témoins, comportant, outre le nom de C______, celui de deux témoins supplémentaires, avec indication de leurs coordonnées et d'allégués relatifs, ainsi que des noms d'experts. A______ s'est opposé à l'audition des témoins nouvellement annoncés, à celle de C______ sur des allégués de la réponse et de la duplique, ainsi qu'à l'expertise requise à titre subsidiaire.

Sur quoi, les débats d'instruction ont été clos. Les parties, dans le cadre des premières plaidoiries, ont persisté dans leurs conclusions respectives, puis le Tribunal a annoncé qu'il rendrait une ordonnance de preuve.

Vu le recours dirigé contre cette ordonnance, le Tribunal a suspendu la procédure par ordonnance du 26 février 2023.

Après que l'arrêt de la Cour du 27 octobre 2023 avait été rendu, le Tribunal a rendu l'ordonnance présentement attaquée.

Le journal de procédure ne fait pas mention d'une audience qui se serait tenue le 26 février 2024.

EN DROIT

1. 1.1 Le recours est recevable contre les décisions finales, incidentes et provisionnelles de première instance qui ne peuvent pas faire l'objet d'un appel (art. 319 let. a CPC) et contre les autres décisions et ordonnances d'instruction de première instance dans les cas prévus par la loi (art. 319 let. b ch. 1 CPC) ou lorsqu'elles peuvent causer un préjudice difficilement réparable (ch. 2).

Par définition, les décisions visées à l'art. 319 let. b CPC ne sont ni finales, ni partielles, ni incidentes, ni provisionnelles. Il s'agit de décisions d'ordre procédural par lesquelles le tribunal détermine le déroulement formel et l'organisation matérielle de l'instance (Jeandin, Commentaire romand, Code de procédure civile, 2ème éd. 2019, n. 11 ad art. 319 CPC; Freiburghaus/Afheldt, Kommentar zur Schweizerischen Zivilprozessordnung, 3ème éd. 2016, n. 11 ad art. 319 CPC).

La décision est incidente, à teneur de l'art. 237 al. 1 CPC, si l'instance de recours pourrait prendre une décision contraire qui mettrait fin au procès et permettrait de réaliser une économie de temps ou de frais appréciable (arrêt du Tribunal fédéral 4A_545/2014 du 10 avril 2015 consid. 2.1).

1.2 Dans le cadre de la décision querellée, le Tribunal a notamment statué sur un moyen de preuve. Il a ainsi rendu une ordonnance d'instruction par laquelle il a statué sur le déroulement et la conduite de la procédure. Ladite ordonnance peut faire l'objet d'un recours conformément à l'art. 319 let. b CPC.

Les développements, difficilement intelligibles, du recourant, selon lesquels la décision attaquée ne serait pas une ordonnance d'instruction, mais une décision incidente au sens de l'art. 319 let. a CPC, ne convainquent pas. En effet, on ne distingue pas comment une décision contraire à celle adoptée par le premier juge mettrait fin au procès.

1.3.1 Le recours, écrit et motivé, doit être déposé auprès de l'instance de recours dans un délai de dix jours à compter de la notification de la décision (art. 321 al. 1 et 2 CPC).

1.3.2 En l'espèce, le recours a été introduit dans le délai prévu par la loi (art. 130, 131, 145 al. 1 let. a, 146 al. 1 et 321 CPC).

Le recourant a conclu à l'annulation de l'entier de l'ordonnance. On comprend toutefois de ses arguments qu'il ne remet en cause que le chiffre 1 du dispositif de celle-ci, portant sur l'admission du témoignage de C______, ainsi que les chiffres 4 et 5 dudit dispositif, qui en procèdent, étant encore relevé l'absence d'intérêt à remettre en cause une audience appointée à une date échue et qui n'a en tout état pas eu lieu. Le recourant ne s'en prend ni à la reprise de la procédure qui a été ordonnée, ni à l'avance de frais exigée de l'intimée, qui ne le concerne pas.

Il sera dès lors admis que le recours est recevable à la forme, sous les réserves qui précèdent.

2. Reste à déterminer si l'ordonnance attaquée est susceptible de causer un préjudice difficilement réparable au recourant, les autres hypothèses visées par l'art. 319 let. b ch. 1 CPC n'étant pas réalisées.

2.1 Constitue un "préjudice difficilement réparable" au sens de l'art. 319 let. b ch. 2 CPC toute incidence dommageable, y compris financière ou temporelle, qui ne peut être que difficilement réparée dans le cours ultérieur de la procédure. L'instance supérieure devra se montrer exigeante, voire restrictive, avant d'admettre l'accomplissement de cette dernière condition, sous peine d'ouvrir le recours à toute décision ou ordonnance d'instruction, ce que le législateur a clairement exclu : il s'agit de se prémunir contre le risque d'un prolongement sans fin du procès (parmi d'autres : ACJC/1458/2022 du 3 novembre 2022 consid. 2.1).

En d'autres termes, la notion de préjudice difficilement réparable doit être interprétée restrictivement puisque la personne touchée disposera le moment venu de la faculté de remettre en cause la décision ou ordonnance en même temps que la décision au fond : il incombe au recourant d'établir que sa situation procédurale serait rendue notablement plus difficile et péjorée si la décision querellée était mise en œuvre, étant souligné qu'une simple prolongation de la procédure ou un accroissement des frais ne suffisent pas. On retiendra l'existence d'un préjudice difficilement réparable lorsque ledit préjudice ne pourra plus être réparé par un jugement au fond favorable au recourant, ce qui surviendra par exemple lorsque des secrets d'affaires sont révélés ou qu'il y a atteinte à des droits absolus à l'instar de la réputation, de la propriété et du droit à la sphère privée (Jeandin, op. cit., n. 22 et 22a ad art. 319 CPC). En principe, le rejet d'une réquisition de preuve par le juge de première instance n'est pas susceptible de générer un préjudice difficilement réparable, sauf dans des cas exceptionnels à l'instar du refus d'entendre un témoin mourant ou du risque que les pièces dont la production est requise soient finalement détruites (Jeandin, op. cit., n. 22b ad art. 319 CPC).

Selon la jurisprudence, la décision refusant ou admettant des moyens de preuve offerts par les parties ne cause en principe pas de préjudice difficilement réparable puisqu'il est normalement possible, en recourant contre la décision finale, d'obtenir l'administration de la preuve refusée à tort ou d'obtenir que la preuve administrée à tort soit écartée du dossier (arrêts du Tribunal fédéral 4A_58/2021 du 8 décembre 2021 consid. 1.2; 4A_248/2014 du 27 juin 2014; 4A_339/2013 du 8 octobre 2013 consid. 2; 5A_315/2012 du 28 août 2012 consid. 1.2.1).

Il appartient au recourant d'alléguer et d'établir la possibilité que la décision attaquée lui cause un préjudice difficilement réparable, à moins que cela ne fasse d'emblée aucun doute (par analogie ATF 134 III 426 consid. 1.2 et 133 III 629 consid. 2.3.1).

2.2 En l'espèce, le recourant soutient, à bien le comprendre, que la décision ordonnant l'audition du témoin C______ représenterait l'admission d'une preuve contraire à la loi, dans la mesure où précédemment le Tribunal avait écarté ce témoignage par une ordonnance entrée en force. Il s'agirait ainsi d'une reconsidération, non prévue par le CPC.

Le recourant fonde sa thèse sur deux lectures d'auteurs, dont il travestit le propos pour l'un et dont il extrapole la portée pour l'autre. Il croit en effet déceler dans le commentaire de l'art. 154 CPC (CR-CPC SCHWEIZER ad art. 154 n. 12) le principe selon lequel cette disposition ne trouverait pas application "si une ordonnance sur preuve a été contestée sans succès et a en conséquence l'autorité de chose jugée", alors que l'auteur a posé que le tribunal pouvait modifier ses ordonnances de preuve aussi longtemps qu'il n'avait pas jugé. Il voit aussi dans le commentaire de l'art. 319 CPC (CR-CPC JEANDIN, ad art. 319 n. 23), qui précise que l'admission d'une preuve contraire à la loi fonderait un préjudice difficilement réparable, matière à affirmer que tel serait le cas en l'espèce, au vu de la reconsidération "n'ayant aucune base légale".

Le sort de ce moyen est scellé par la lettre de l'art. 154 CPC, qui permet expressément au Tribunal de modifier ou compléter ses ordonnances en tout temps, peu important que celles-ci aient ou non fait l'objet d'un recours. Ainsi, l'ordonnance attaquée ne relève pas d'une institution inconnue du CPC, telle que la reconsidération, mais de l'exercice de la faculté offerte par la disposition précitée, tant que la cause n'est pas retenue à juger sur le fond. Il n'y a donc rien d'illégal à la modification opérée par le premier juge; la preuve par témoignage (prévue par l'art. 168 al. 1 let. a CPC) ainsi ordonnée n'est pas contraire à la loi.

En définitive, au vu de ce qui précède, rien ne permet de retenir que le recourant subirait un préjudice difficilement réparable du fait de l'ordonnance attaquée, puisqu'il pourra remettre en cause cette décision dans le cadre d'un appel contre le jugement au fond, si celui-ci lui était défavorable.

Le recours sera par conséquent déclaré irrecevable.

3. Le recourant, qui succombe, supportera les frais judiciaires du recours, fixés à 1'000 fr. (art. 104 al. 1, 105 et 106 al. 1 CPC; art. 41 RTFMC), compensés avec l'avance effectuée, acquise à l'Etat de Genève.

Il versera à l'intimée 1'000 fr. (art. 105 al. 2 CPC; 84, 85, 87 et 90 RTFMC; art. 25 et 26 LaCC) à titre de dépens de recours.

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

Déclare irrecevable le recours formé le 15 février 2024 par A______ contre l'ordonnance ORTPI/155/2024 rendue le 2 février 2024 par le Tribunal de première instance dans la cause C/2082/2021.

Arrête les frais judiciaires du recours à 1'000 fr. compensés avec l'avance effectuée, acquise à l'Etat de Genève, et les met à la charge de A______.

Condamne A______ à verser à B______ SA 1'000 fr. à titre de dépens de recours.

Siégeant :

Monsieur Ivo BUETTI, président; Madame Sylvie DROIN, Monsieur
Jean REYMOND, juges; Madame Camille LESTEVEN, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.