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Décisions | Chambre civile

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C/297/2022

ACJC/418/2024 du 26.03.2024 sur JTPI/14139/2022 ( OO ) , RENVOYE

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/297/2022 ACJC/418/2024

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU MARDI 26 MARS 2024

 

Entre

Mineur A______, domicilié c/o Madame B______, ______, Genève, appelant d'un jugement rendu par la 16ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 28 novembre 2022, représenté par C______, p.a. Service de protection des mineurs, route des Jeunes 1E, 1227 Les Acacias,

et

Monsieur D______, domicilié c/o Madame E______, ______, Norvège, intimé.

 

 


EN FAIT

A. a. F______, née le ______ 1984 en Somalie, de nationalité suisse, est établie à Genève depuis 2004.

Elle y a entretenu une relation avec G______, de nationalité norvégienne, dont est issue une fille, H______, née le ______ 2007.

b. Fin 2013, F______ a quitté Genève pour la Norvège afin d'y rejoindre G______ qui y avait trouvé du travail.

Ils se sont toutefois rapidement séparés en 2014. H______ est restée auprès de son père. F______ est demeurée en Norvège, nonobstant l'absence de titre de séjour dans ce pays. Depuis juillet 2016, G______ a souhaité qu'il n'y ait plus de contacts entre F______ et leur fille en raison des dysfonctionnements de la mère.

c. F______ a donné naissance, hors mariage, le ______ 2016 à I______ (Norvège), à l'enfant A______.

Etant né prématurément, à 33 semaines, la période légale de sa conception s'étend du 25 novembre 2015 au 25 mars 2016.

Le nom du père de l'enfant n'a pas été enregistré à sa naissance par les autorités norvégiennes.

d. Avant et pendant la grossesse de F______, les services sociaux norvégiens ont constaté que la précitée souffrait d'une addiction à divers toxiques, notamment à l'alcool, et ordonné son placement forcé en institution. Après la naissance de l'enfant, ne pouvant bénéficier de l'aide sociale en Norvège, F______ a manifesté le souhait de revenir avec l'enfant à Genève où vivait sa mère et où elle disposait d'un réseau social. Les services sociaux norvégiens, constatant que la mère n'était pas à même de prendre soin de son enfant, ont organisé un rapatriement encadré à Genève, afin qu'une prise en charge de la famille soit assurée dès son arrivée en décembre 2016.

e. Dans le cadre d'une procédure de protection de l'enfant A______, F______ a été entendue par le Tribunal de protection de l'adulte et de l'enfant (ci-après : TPAE) le 10 août 2017. Elle a déclaré qu'après s'être séparée de G______, elle avait rencontré un nouveau compagnon en Norvège, relation à laquelle elle avait mis fin après avoir appris que son compagnon avait été toxicomane dans sa jeunesse et après avoir perdu le bébé qu'elle attendait de lui, en raison d'une infection urinaire. S'agissant de A______, elle a affirmé qu'il "avait deux pères", ce par quoi elle voulait dire qu'elle n'était pas sûre de l'identité de son géniteur et avait donné deux noms au représentant du Service de protection des mineurs (ci-après SPMi), soit J______ et D______.

f. Par ordonnance du 10 août 2017, le TPAE a prononcé le retrait de la garde de A______ et du droit de déterminer son lieu de résidence à F______. L'enfant a été placé en foyer, puis intégré en famille d'accueil le 18 juillet 2018.

En raison de la dégradation de l'état de santé et de la situation sociale de F______, les relations personnelles entre A______ et sa mère ont été suspendues en 2020 par le TPAE.

g. En 2018, une expertise ADN, effectuée avec l'accord de l'intéressé, a réfuté la paternité de J______ sur l'enfant A______.

Une démarche identique auprès de D______ a échoué, faute de localisation de l'intéressé. Ce n'est qu'en 2021 que le SPMi a obtenu une adresse du Consulat général de Norvège à Genève.

h. Le 4 janvier 2022, l'enfant, représenté par sa curatrice, a déposé par-devant le Tribunal de première instance (ci-après : le Tribunal) une demande en constatation de la filiation paternelle et en fixation de la contribution d'entretien à l'encontre de D______.

i. Valablement atteint, D______ n'a pas répondu à la demande.

j. F______ a été entendue lors de l'audience du Tribunal du
9 novembre 2022. Elle a notamment déclaré qu'elle s'était établie en Norvège en 2013 avec G______, le père de H______, auquel elle n'était mariée que religieusement. Elle avait quitté celui-ci durant son séjour en Norvège, sans pouvoir préciser à quel moment, mais il n'était pas le père de A______. Elle avait ensuite entretenu une relation intime avec J______. Ce dernier était présent à son accouchement car il pensait que A______ était son fils. Elle pensait que D______ était le père de l'enfant car elle avait entamé une relation avec celui-ci lorsque celle avec J______ s'était terminée. Elle n'était pas en mesure d'indiquer durant quelle période elle avait connu D______ et n'avait plus de contacts avec lui car elle avait perdu son numéro de téléphone. Ni G______, ni d'autres personnes de son entourage en Norvège n'avaient connaissance de sa relation avec D______. Elle ne disposait d'aucun échange de courriels ou de messages (SMS ou WhatsApp) avec ce dernier. Elle avait également perdu en cours de grossesse un autre enfant, issu d'une relation entretenue avec un autre homme, lorsqu'elle se trouvait en Norvège. Au total, elle s'était retrouvée cinq fois enceinte. Elle a, enfin, précisé souffrir d'alcoolisme et d'un trouble psychique borderline.

Le mineur, représenté par sa curatrice, a persisté dans ses conclusions. Il a fait valoir que F______ avait toujours été constante dans ses déclarations et que l'absence de réponse de D______ devait être considéré comme un acquiescement à la demande.

A l'issue de l'audience, le Tribunal a gardé la cause à juger.

B. Par jugement JTPI/14139/2022 du 28 novembre 2022, le Tribunal a débouté A______ de ses conclusions (ch. 1), arrêté les frais judiciaires à 1'250 fr., les laissant à la charge de l’Etat de Genève, sous réserve d'une décision de l'assistance juridique (ch. 2), dit qu'il n'était pas alloué de dépens (ch. 3) et débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 4).

Il a considéré que la mère de l'enfant avait été dans l'impossibilité de dater sa relation avec D______ de sorte qu'il n'était pas possible de considérer qu'une cohabitation avec celui-ci durant la période de conception de l'enfant avait été rendue vraisemblable. En particulier, il n'était pas possible d'exclure la paternité de G______, qui avait cohabité avec elle selon ses dires durant une partie de son séjour en Norvège. Compte tenu de l'absence de témoin ou d'échanges, tels que messages ou courriels, entre la mère de l'enfant et D______, aucun élément ne venait étayer l'existence d'une telle relation aux dates pertinentes.

Partant, le Tribunal a estimé qu'une expertise de paternité ordonnée par voie de commission rogatoire à l'encontre de D______ en Norvège apparaissait en l'état exploratoire.

C. a. Par acte déposé le 23 décembre 2022 à la Cour de justice (ci-après : la Cour), A______ a appelé de ce jugement, qu'il a reçu le 1er décembre 2022. Il a conclu, sous suite de frais judiciaires et dépens des deux instances, à l'annulation de cette décision et, cela fait, à ce que la Cour mandate le Centre universitaire romand de médecine légale pour effectuer une expertise ADN permettant de déterminer son lien de parenté avec D______, décerne une commission rogatoire à l'autorité norvégienne compétente pour ordonner le prélèvement ADN de D______, constate, cas échéant, la paternité de ce dernier et en ordonne la transcription dans les registres de l'Etat civil. Il a également pris des conclusions chiffrées en versement d'une contribution à son entretien.

Il a produit des pièces nouvelles.

b. D______ n'ayant pas répondu à l'appel dans le délai qui lui avait été imparti par la Cour, les parties ont été informées par courriers du 28 mars 2023 que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1. 1.1 L'appel est recevable contre les décisions finales et les décisions incidentes de première instance (art. 308 al. 1 let. a CPC). Dans les affaires patrimoniales, l'appel est recevable si la valeur litigieuse au dernier état des conclusions est de 10'000 francs au moins (art. 308 al. 2 CPC).

En l'espèce, le jugement querellé est une décision finale de première instance rendue dans une affaire non pécuniaire dans son ensemble (arrêt du Tribunal fédéral 5A_844/2019 du 17 septembre 2021 consid. 1), puisque portant notamment sur la constatation de paternité, de sorte que la voie de l'appel est ouverte.

1.2 Interjeté auprès de l'autorité compétente (art. 120 al. 1 let. a LOJ), selon la forme prescrite par la loi (art. 130, 131 et 311 CPC) et dans le délai utile de
30 jours (art. 311 al. 1 CPC), l'appel est recevable.

1.3 La Cour revoit la cause avec un plein pouvoir d'examen en fait et en droit
(art. 310 CPC). En particulier, elle contrôle librement l'appréciation des preuves effectuée par le juge de première instance (art. 157 CPC en relation avec l'art. 310 let. b CPC) et vérifie si celui-ci pouvait admettre les faits qu'il a retenus
(ATF 138 III 374 consid. 4.3.1).

1.4 Les maximes d'office et inquisitoire illimitée sont applicables aux questions concernant l'enfant mineur (art. 55 al. 2, 58 al. 2 et 296 CPC), ce qui a pour conséquence que la Cour n'est pas liée par les conclusions des parties (art. 296
al. 3 CPC), ni par l'interdiction de la reformatio in pejus (ATF 129 III 417
consid. 2.1.1; arrêt du Tribunal fédéral 5A_841/2018, 5A_843/2018 du
12 février 2020 consid. 5.2).

2. L'appelant a produit des pièces nouvelles.

2.1 Selon l'art. 317 al. 1 CPC, les faits et les moyens de preuve nouveaux ne sont pris en considération en appel que s'ils sont invoqués ou produits sans retard
(let. a) et s'ils ne pouvaient pas être invoqués ou produits devant la première instance bien que la partie qui s'en prévaut ait fait preuve de diligence (let. b).

Dans les causes de droit de la famille concernant les enfants mineurs, où les maximes d'office et inquisitoire illimitée s'appliquent, tous les novas sont admis, même si les conditions de l'art. 317 al. 1 CPC ne sont pas réunies
(ATF 144 III 349 consid. 4.2.1), et ce jusqu'aux délibérations, lesquelles débutent dès que l'autorité d'appel a communiqué aux parties que la cause a été gardée à juger (ATF 142 III 413 consid. 2.2.5 et 2.2.6 in JdT 2017 II p. 153 ss; arrêt du Tribunal fédéral 5A_364/2020 du 14 juin 2021 consid. 8.1).

2.2 En l'espèce, les pièces nouvelles produites devant la Cour sont recevables, ainsi que les faits qui s'y rapportent, dès lors qu'elles sont en lien avec la question de la paternité de l'intimé sur l'enfant mineur et qu'elles ont été déposées avant que la Cour n'informe les parties de ce que la cause était gardée à juger.

3. Compte tenu de la résidence habituelle de l'enfant à Genève, les parties ne remettent pas en question, à juste titre, la compétence des tribunaux genevois
(art. 66 LDIP), ni l'application du droit suisse (art. 68 al. 1 et 69 LDIP).

4. 4.1 A teneur de l'art. 261 al. 1 CC, la mère et l'enfant peuvent intenter action pour que la filiation soit constatée à l'égard du père. L'action est intentée contre le père (art. 261 al. 1 ab initio CC).

Selon l'art. 262 al. 1 CC, la paternité est présumée lorsque, entre le trois centième et le cent quatre-vingtième jour avant la naissance de l'enfant, le défendeur a cohabité avec la mère.

L'action peut être intentée avant ou après la naissance de l'enfant, mais au plus tard par la mère, une année après la naissance, et par l'enfant, une année après qu'il a atteint l'âge de la majorité (art. 263 al. 1 CC).

Pour faire naître la présomption de paternité, le demandeur peut se contenter de prouver (art. 8 CC) qu'il y a eu cohabitation au cours de la période légalement ou effectivement déterminante (Meier/Stettler, Droit de la filiation, 2019, n. 191, p. 118). Le juge ne peut conclure à la cohabitation lorsque celle-ci n'est que vraisemblable, mais il recourra largement à la preuve par indices, la multiplication de ceux-ci lui permettant de se forger une intime conviction (Meier/Stettler, op. cit., n. 195, p. 120).

La présomption de paternité du défendeur fondée sur la preuve de la cohabitation n'est infirmée que si le défendeur prouve que sa paternité est exclue ou qu'elle est moins vraisemblable que celle d'un tiers (art. 262 al. 3 CC).

Si le demandeur est dans l’impossibilité de faire naître la présomption de l'art. 262 al. 1 CC, il peut apporter la preuve directe de la paternité du défendeur. Cette preuve doit être rapportée grâce à une expertise scientifique, soit à l’heure actuelle une analyse ADN. Cela étant, avant de pouvoir requérir cette analyse, le demandeur doit rendre la cohabitation vraisemblable ou donner un caractère plausible à la paternité par un autre moyen, ce afin d'éviter qu'il ne désigne un père potentiel de manière totalement fantaisiste (Meier/Stettler, op. cit., n. 202 et 203, p. 122).

4.2 En l'espèce, à juste titre, le premier juge a considéré que l'appelant n'avait pas réussi à prouver qu'il y avait eu cohabitation entre l'intimé et sa mère au cours de la période de sa conception et qu'il avait ainsi échoué à faire naître la présomption de paternité de l'intimé. En effet, la mère de l'appelant a été dans l'impossibilité d'établir ne serait-ce qu'approximativement la période durant laquelle elle avait cohabité avec l'intimé. Aucun autre indice n'a été produit permettant d'acquérir la conviction d'une telle cohabitation.

L'appelant reproche au Tribunal d'avoir considéré que G______ pourrait être son père. Il n'est toutefois pas pertinent d'examiner si la paternité de G______ sur l'appelant pourrait apparaître plus vraisemblable que celle de l'intimé dès lors que la présomption de paternité de ce dernier a été écartée. Il n'y a donc pas matière à chercher à la renverser par une paternité plus vraisemblable. En tout état, au vu de la séparation et de la dégradation des relations entre F______ et G______ entre 2014 et 2016, la persistance de la cohabitation entre eux pendant la durée légale de conception est peu vraisemblable. C'est ainsi avec raison que l'appelant a critiqué le jugement dans cette mesure.

En l'absence de présomption de paternité au sens de l'art. 262 al. 1 CC, l'appelant reproche au Tribunal de lui avoir refusé le droit de faire administrer la preuve directe de la paternité de l'intimé par une expertise ADN, au motif que cette démarche était exploratoire. La mère de l'appelant a déclaré de manière constante, au SPMi, au TPAE, puis au Tribunal, avoir entretenu des relations avec deux hommes autour de la date de conception de l'enfant, même si la durée exacte de ces relations n'a pas pu être déterminée. Le mode de vie atypique, la perception temporelle approximative et les affections dont souffre la mère de l'appelant ne sont pas suffisants pour dénier toute crédibilité à ses déclarations, répétées et cohérentes s'agissant des deux pères potentiels, et les assimiler à des "désignations fantaisistes" au sens de la doctrine susmentionnée. La paternité du premier géniteur potentiel ayant été définitivement écartée par une analyse ADN, la paternité de l'intimé est rendue suffisamment vraisemblable pour que l'appelant soit autorisé à requérir une expertise ADN.

Le jugement entrepris sera par conséquent annulé en tant qu'il a débouté l'appelant de son action en constatation de la filiation paternelle.

4.3 L'état de fait doit être complété sur des point essentiels et des preuves doivent être administrées pour statuer sur la paternité. Dans la mesure où celle-ci aura pu être établie, l'action alimentaire, qui n'a pas du tout été examinée par le premier juge, devra faire l'objet d'une instruction et d'une décision. La cause sera par conséquent renvoyée au Tribunal pour instruction complémentaire, notamment expertise ADN par voie de commission rogatoire, et nouvelle décision (art. 318
al. 1 let. c CPC).

5. 5.1 Compte tenu du renvoi de la cause au Tribunal, le sort des frais de première instance sera réglé avec le jugement final de première instance (art. 104
al. 1 CPC).

5.2 Vu les circonstances du cas d'espèce, la Cour renoncera à la perception de frais judiciaires d'appel, qui seront laissés à la charge de l'Etat de Genève (art. 107 al. 2 CPC).

Au vu de la nature familiale du litige, l'appelant supportera ses propres dépens d'appel (art. 107 al. 1 let c. CPC), étant relevé que l'intimé n'a pas comparu.

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté le 23 décembre 2022 par A______ contre le jugement JTPI/14139/2022 rendu le 28 novembre 2022 par le Tribunal de première instance dans la cause C/297/2022.

Au fond :

Annule ce jugement.

Renvoie la cause au Tribunal de première instance pour instruction complémentaire dans le sens des considérants, notamment une expertise ADN tendant à déterminer la paternité de l'intimé sur l'appelant, et nouvelle décision.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Renonce à la perception de frais judiciaires d'appel.

Dit que chaque partie supporte ses propres dépens d'appel.

Siégeant :

Madame Ursula ZEHETBAUER GHAVAMI, présidente; Madame Nathalie RAPP, Monsieur Jean REYMOND, juges; Madame Barbara NEVEUX, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.