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Décisions | Chambre civile

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C/25543/2019

ACJC/1545/2022 du 11.11.2022 sur JTPI/2798/2022 ( OS ) , RENVOYE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/25543/2019 ACJC/1545/2022

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU VENDREDI 11 NOVEMBRE 2022

 

Entre

A______ Sàrl, sise ______ [GE], appelante d'un jugement rendu par la 15ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 7 mars 2022, comparant par Me B______, avocat, ______, en l'Étude duquel elle fait élection de domicile,

et

Monsieur C______, domicilié ______, Grande-Bretagne, intimé, comparant par Me Dimitri IAFAEV, avocat, Rappard Romanetti, Iafaev & Avocats, boulevard des Philosophes 11, 1205 Genève, en l'Étude duquel il fait élection de domicile.

 

 


EN FAIT

A. Par jugement JTPI/2798/2022 du 7 mars 2022, reçu le 9 mars 2022 par toutes les parties, le Tribunal de première instance (ci-après: le Tribunal), statuant par voie de procédure simplifiée, a autorisé C______ à sortir de A______ Sàrl (chiffre 1 du dispositif), autorisé par conséquent C______ à requérir du Registre du commerce de Genève la radiation de sa qualité d’associé avec signature individuelle de A______ Sàrl (ch. 2), réservé la suite de la procédure (ch. 3) et renvoyé la décision sur les frais à la décision finale (ch. 4).

B. a. Par acte expédié au greffe de la Cour de justice le 8 avril 2022, A______ Sàrl a formé appel à l'encontre de ce jugement, dont elle a sollicité l'annulation, sous suite de dépens.

Elle a fait grief au premier juge d'avoir admis l'existence de justes motifs de sortie et d'avoir autorisé la sortie de C______. A cet égard, elle a soutenu que la sortie n'était pas réalisable au sens de l'art. 825a CO, dès lors que les parts de C______ n'avaient pas fait l'objet d'une offre d'achat, que le capital de la société ne pouvait être réduit et que la sortie aurait ainsi pour conséquence que la société détienne ses parts sociales propres d'une valeur nominale supérieure à 35% du capital social (cf. consid. C.c ci-dessous).

b. Dans sa réponse du 30 mai 2022, C______ a conclu au rejet de l'appel, sous suite de frais et dépens.

Il fait valoir qu'il existait des justes motifs de sortie et que celle-ci pouvait être autorisée par le Tribunal dès lors que la société pouvait aliéner ses parts sociales.

c. Par réplique et duplique des 2 et 19 août 2022, les parties ont persisté dans leurs conclusions respectives.

d. Par avis du 7 septembre 2022, le greffe de la Cour a informé les parties que la cause avait été gardée à juger.

C. Les faits pertinents suivants résultent de la procédure :

a. A______ Sàrl a pour but toutes activités dans le domaine des ______ aux propriétés exceptionnelles, notamment leur fabrication, leur commerce et leur achat, ainsi que l'importation et l'exportation de ______ et de matières premières nécessaires à leur production.

Cette société a été fondée en 2013 notamment par C______, associé, et D______, associé gérant.

b. Le capital social de la société est de 20'000 fr. divisé en deux-cents parts d'une valeur nominale de 100 fr. chacune.

C______ et D______ détiennent chacun la moitié des parts sociales.

c. A teneur de l'art. 6 des statuts, la cession des parts sociales requiert l'approbation de l'assemblée des associés (al. 3), avec la précision que celle-ci peut refuser de donner son approbation sans en indiquer les motifs (al. 4).

Selon l'art. 10 des statuts, les associés s'abstiennent de tout ce qui porte préjudice aux intérêts de la société (al. 2). Ils ne peuvent exercer d'activités qui font concurrence à la société (al. 3).

Chaque associé dispose d'un droit de préemption sur les parts sociales des autres associés qu'il peut exercer aux conditions suivantes : lorsqu'un associé vend des parts sociales et qu'il déclenche ainsi un cas de préemption au sens de la loi, il est tenu de l'annoncer aux autres associés et aux gérants par courrier recommandé dans les 30 jours dès le cas de préemption. Les titulaires du droit de préemption peuvent l'exercer dans un délai de 60 jours à compter de la réception de la communication du cas de préemption. Le droit s'exerce par un envoi recommandé aux gérants (art. 11 al. 1 à 3 des statuts). Le droit de préemption sur les parts sociales doit s'exercer à la valeur réelle des parts sociales au moment de la survenance du cas de préemption (art. 12 al. 1 des statuts).

Le droit de vote de chaque associé se détermine en fonction de la valeur nominale des parts sociales qu'il détient (art. 20 al. 1 des statuts). Aux termes de l'art. 21 des statuts, l'assemblée des associés prend ses décisions à la majorité absolue des voix représentées (al. 1). Le président de l'assemblée des associés a voix prépondérante (al. 2).

Par ailleurs, à teneur de l'art. 35 des statuts, chaque associé a le droit de sortir de la société aux conditions suivantes : 1. Il respecte un délai de congé de trois mois pour la fin d'un exercice social ; 2. La société dispose, au moment de la reprise, de fonds propres disponibles à concurrence des moyens nécessaires pour acquérir les parts sociales de l'associé sortant à leur valeur réelle et 3. La société ne franchit pas la limite maximale de 35% de parts sociales propres lors de la reprise (al. 1). Chaque associé peut par ailleurs requérir du juge l'autorisation de sortir de la société pour de justes motifs (al. 5).

d. Par contrat de travail du 21 juillet 2017, C______ a été engagé par A______ Sàrl en qualité de chimiste pour une durée déterminée, soit du 22 septembre 2017 au 21 septembre 2018. Un salaire mensuel brut de 2'000 fr. était versé pour 10 heures de travail par semaine, ainsi qu'un 13ème salaire au prorata temporis.

e. C______ a notamment collaboré à l'élaboration de procédés technologiques servant à la fabrication de ______ au sein de A______ Sàrl.

f. Des désaccords ont progressivement opposé les associés, à tel point qu'en octobre 2018, C______ a fait part à D______ de son désir de sortir de la société.

g. Les deux associés ne partageaient pas la même vision du développement de la société. C______ proposait de vendre les ______ fabriqués par A______ Sàrl sur F______ [site américain de commerce en ligne] ou G______ [site chinois de commerce électronique], tandis que D______ voulait concentrer l'activité de la société sur le secteur de l'horlogerie.

h. Lors d'un échange de courriels du 4 février 2019, les associés s'opposaient également sur la propriété des procédés de fabrication des ______ développés par C______ et sur la rémunération y relative de ce dernier. Ils exprimaient également leurs divergences sur les dépenses et le financement du matériel de la société, ainsi que sur le salaire de C______ et sur le nombre de jours passés par ce dernier au sein de la société en 2017 et 2018.

A la fin de cet échange, D______ indiquait à C______ qu'il était préférable qu'il quitte la société; il lui proposait de racheter ses parts pour un montant de 10'000 fr. ainsi que le matériel lui appartenant, se trouvant en possession de la société, à hauteur de 18'334 fr. 43.

i. Fin février 2019, C______ a contacté E______, une relation d'affaires de A______ Sàrl, lui indiquant qu'il allait bientôt quitter la société et qu'il comptait développer et vendre un certain type de ______, dont le procédé de fabrication n'appartenait pas à la société.

j. Lors d'un échange de courriels de mai 2019, D______ a indiqué à C______ – qui voulait passer dans les locaux de la société pour y récupérer une partie de son matériel – que les serrures avaient été changées en raison de l'obtention d'une patente de fondeur de métaux précieux par la société.

k. Par courriel du 17 juillet 2019, D______ a informé C______ qu'une assemblée générale se tiendrait le 8 août 2019 à 14h30 dans les locaux de l'Etude de Me B______ et lui transmettait "the financial statements 2018" et "my report for 2018". Le point 11 de l'ordre du jour était le suivant "Discussion on the actual and future status (departure/termination(partnership) of C______ within A______ Sàrl".

l. Par courriel du 27 août 2019, D______ a demandé à C______ de ne pas entrer illégalement dans les locaux de la société ("please don't enter illegally at A______ facilities").

m. Par courriel du 2 septembre 2019, D______ a informé C______ qu'une nouvelle assemblée générale était convoquée le 23 septembre 2019. Les parties n'ont pas produit l'ordre du jour de cette assemblée.

n. Par courriels des 3 et 4 septembre 2019, C______ a indiqué à D______ qu'il n'avait plus le sentiment de faire partie du projet. D______ avait tout pris et ne le laissait même plus entrer dans les locaux de la société. Il voulait quitter le projet ("I do not feel I am in the project. You took everything and do not even allow me to enter the company's office. I would like to quit the project"). C______ a demandé à son associé s'il était intéressé de racheter ses parts ou s'il pouvait les vendre à la société contre une juste indemnisation. Il a manifesté son désir d'entamer des discussions avant la date de l'assemblée générale, afin de pouvoir finaliser l'accord relatif à sa sortie et au rachat de ses parts à l'occasion de celle-ci.

o. Par courriel du 16 septembre 2019, D______ lui a répondu qu'il était préférable de discuter clairement de ces questions lors de l'assemblée générale du 23 septembre 2019.

p. Par courriel du lendemain, C______ a indiqué qu'il voulait discuter de l'approbation du transfert de 50% de ses parts à H______ et du rachat des autres 50% par la société.

q. Par retour de courriel, D______ a répondu qu'il était hors de question de faire entrer quelqu'un d'autre dans la société ("one thing out of question is to bring someone else into the company"). Il a ajouté que la question du futur/ de la sortie de C______ dans la société serait discutée après l'assemblée générale.

r. Sur un document intitulé "A______ Sàrl Registre des parts sociales" daté du 23 septembre 2019, il est inscrit à la main que C______ a refusé de signer la liste des présences à l'assemblée générale.

s. En septembre 2019, C______ a créé avec I______ la société J______ Ltd à K______ (Grande-Bretagne). Il y occupe le poste de directeur.

t. Par courrier du 15 octobre 2019, C______ s'est plaint à A______ Sàrl du non-paiement de son salaire des mois d'avril et septembre 2018, du fait qu'il ne parvenait pas à récupérer l'équipement professionnel qui lui appartenait et qui se trouvait dans les locaux de la société, dont D______ avait changé les serrures et, enfin, du refus de ce dernier de lui remettre les éléments relatifs à la comptabilité de la société pour les années 2015 à 2019.

u. Par courrier du 6 novembre 2019, A______ Sàrl lui a répondu qu'il n'avait pas travaillé le nombre d'heures convenues par le contrat du 21 juillet 2017. En particulier, il n'avait travaillé qu'une quinzaine de jours entre les mois de janvier et juillet 2018 pour ne plus revenir ensuite, de sorte qu'il n'avait aucune prétention à faire valoir. Par ailleurs, il avait violé son devoir de fidélité et de non-concurrence en démarchant des clients de A______ Sàrl. La société a également reproché à C______ de s'être introduit dans les locaux de la société pour y prendre du matériel. Elle lui demandait de fournir la liste du matériel emporté et se tenait à disposition pour examiner le matériel qui devait encore lui être rendu. Enfin, C______ ne s'était pas présenté, respectivement avait fait obstruction, aux trois assemblées générales organisées en 2019, ce qui avait provoqué leur annulation et entravé le bon fonctionnement de la société.

v. Par courriel du 4 mars 2020, D______ a remis à C______ une convocation pour une assemblée générale fixée au 26 mars 2020 à 14h30 dans les locaux de Me B______. Etaient joints à ce courriel les "financial statements 2018 & 2019", ainsi que "my report for 2018 & 2019". Le point 14 de l'ordre du jour prévoyait une "discussion sur la création et les objectifs de J______ Ltd, une société créée à K______ (UK) le ______ 2019 par C______ et I______". Le point 15 de l'ordre du jour avait la teneur suivante : "Discussion sur le statut actuel et futur (départ/partenariat) de C______ au sein de A______ Sàrl ainsi que la transformation de A______ Sàrl en une société anonyme courant 2020".

w. Le 20 mars 2020, en raison des conditions sanitaires liées la pandémie de Covid19, D______ a proposé de procéder à l'assemblée générale par courriel. Il demandait à son associé de lui indiquer son vote (oui, non ou abstention) sur les points de l'ordre du jour et, concernant les points 14 et 15, de lui fournir une réponse détaillée.

x. Le 23 mars 2020, C______ a répondu qu'il n'avait pas l'intention de participer à l'assemblée générale du 26 mars 2020 car "aucun des points mentionnés dans l'ordre du jour de l'assemblée précitée ne peut être accepté". Concernant sa sortie de la société, il persistait dans les termes de la requête déposée en conciliation [le 8 novembre 2019] par-devant le Tribunal (cf. consid. D. a. infra).

y. A teneur du procès-verbal de l'assemblée du 26 mars 2020, la question de la sortie de C______ de la société n'a pas été réglée, celui-ci n'ayant formulé aucun commentaire ni fourni aucune information à cet égard.

z. z.a Le 16 décembre 2020, A______ Sàrl et D______ ont déposé plainte pénale contre C______ pour concurrence déloyale au sens de l'art. 23 LCD.

Cette plainte a fait l'objet d'une décision de non-entrée en matière le 24 août 2021.

z.b Sur requête de A______ Sàrl du mois de mars 2021, le Tribunal a désigné L______ SA pour stocker les objets de C______ que la société avait préalablement fait inventorier par un huissier judiciaire.

D. a. Par demande du 8 novembre 2019, non conciliée le 19 décembre 2019 et introduite le 20 décembre 2019, C______ a conclu, sous suite de frais et dépens, à ce que le Tribunal l'autorise à sortir de A______ Sàrl au sens de l'art. 822 al. 1 CO, ordonne au préposé du Registre du commerce d'inscrire sa radiation et condamne A______ Sàrl à lui payer un montant correspondant à la valeur réelle de ses parts sociales, soit à tout le moins 20'000 fr., valeur qui pourrait être déterminée par un expert, dont il a préalablement conclu à la nomination.

Il a fait valoir qu'il avait eu d'importantes divergences avec D______ quant aux dépenses de la société. De plus, le précité ne lui payait plus son salaire depuis août 2018 et ne lui permettait pas de participer au bénéfice de la société. Il n'avait plus accès aux locaux et ne pouvait plus accomplir son travail pour ce motif. D______ lui avait même suggéré de quitter la société, ce qui démontrait que celui-ci n'avait pas d'intérêt dans la poursuite de son sociétariat. Son associé refusait aussi de lui restituer son matériel. Enfin, D______ ne voulait pas lui racheter ses parts et refusait de le laisser les transférer à un tiers, de sorte que le sociétariat ne pouvait plus lui être imposé. La valeur des parts pourrait être déterminée par l'expert qui serait mandaté par le Tribunal; il l'évaluait à 20'000 fr. à tout le moins.

b. Par réponse du 25 mai 2020, A______ Sàrl, a conclu, sous suite de frais et dépens, préalablement à l'irrecevabilité de la demande, principalement, à son rejet.

Elle a reproché à C______ d'avoir violé son devoir de fidélité et l'interdiction de faire concurrence prévus à l'art. 10 des statuts, en fondant en septembre 2019 J______ LTD, une entreprise concurrente en Grande-Bretagne, active dans le domaine des ______. De plus, C______ avait voulu imposer de vendre ses parts à un tiers en violation du droit de préemption prévu en faveur de chaque associé par l'art. 11 des statuts. Il n'avait pas non plus respecté l'art. 35 des statuts, lequel concernait le droit de sortie d'un associé et, bien qu'elle-même s'était montrée disposée à évoquer sa sortie lors des assemblées générales, l'intéressé avait fait obstruction à toute négociation y relative lors des assemblées générales des 8 août et 23 septembre 2019 qui avaient dû être interrompues. Il avait aussi fait opposition à tous les points de l'ordre du jour de l'assemblée générale du 26 mars 2020. Enfin, il s'était écoulé trop de temps entre la demande de sortie et les circonstances évoquées à son appui. L'associé ne pouvait ainsi invoquer aucun juste motif de sortie.

c. Par ordonnance du 7 décembre 2020, confirmée par arrêt ACJC/456/2021 de la Cour du 30 mars 2021, le Tribunal a notamment limité la procédure à la question préalable des justes motifs à la sortie de C______ de la société A______ Sàrl.

d. A l'audience du 27 janvier 2022, le Tribunal a procédé à l'audition de témoins et à l'interrogatoire des parties.

M______, employé de A______ Sàrl depuis 2014, a déclaré que la plupart des outils que C______ indiquait avoir lui-même achetés pour la société n'était pas utilisée par la société. Il lui était impossible de dire s'ils avaient servi par le passé. L'équipement actuellement employé par la société avait été financé par cette dernière. Les installations mises au point en collaboration avec C______ n'étaient plus utilisées par la société depuis deux ou trois ans. D'autres avaient pris le relais. Il ignorait qui avait développé les technologies utilisées par la société.

C______ a déclaré que parmi les points de divergence les plus importants qu'il avait eus avec son associé, il y avait le fait qu'il avait dû, courant 2017, utiliser ses salaires pour acheter des produits et de la marchandise pour l'entreprise, sans que ces dépenses ne lui soient remboursées. De plus, il avait développé chez A______ Sàrl un procédé technologique, à sa connaissance toujours utilisé par la société, et considérait que sa "propriété intellectuelle et (sa) technologie" n'étaient pas en sécurité chez A______ Sàrl. Il n'avait jamais pu participer aux bénéfices de la société. Il n'avait pas récupéré le matériel inventorié par huissier car cette liste était incomplète et, en tout état de cause, il lui avait été impossible de se rendre à Genève pendant le confinement dû à l'épidémie de Covid19. Il a précisé qu'il avait eu accès aux locaux de la société jusqu'en août 2019, période à laquelle D______ lui avait demandé de ne plus s'y rendre. Ce dernier n'avait pas voulu qu'il vende ses parts à H______ car il ne voulait pas qu'il introduise une autre personne dans la société.

A______ Sàrl, soit pour elle D______, a indiqué que C______ ne l'avait pas assignée devant le Tribunal des prud'hommes. Aucun dividende n'avait été versé aux associés ces dernières années. Le bénéfice avait été reporté chaque année sur l'exercice suivant, notamment en raison de l'absence de C______ aux assemblées générales. Selon lui, quelques 200'000 fr. avaient été versés à C______ depuis la création de la société au titre de salaires, alors qu'il n'était venu travailler qu'une douzaine de jours en 2018. L'offre qu'il avait faite, par courriel du 4 février 2019, de racheter les parts de C______ pour 10'000 fr. devait être discutée en assemblée générale, ce qui n'avait pas eu lieu. L'offre était tombée car ils n'avaient pas trouvé d'accord. D______ avait reçu deux montants de 17'500 fr. de la société, correspondant à des salaires impayés en raison de problèmes de liquidités auxquels la société avait dû faire face.

A l'issue des plaidoiries finales, au cours desquelles chaque partie a persisté dans ses conclusions, le Tribunal a gardé la cause à juger.

E. Dans le jugement entrepris, le Tribunal a retenu que l'art. 35 des statuts prévoyait les conditions formelles pour sortir de la société mais pas de motif particulier, de sorte que les conditions de l'art. 822 al. 1 CO étaient pertinentes pour juger de l'existence de justes motifs. Le fait que C______ n'ait pas respecté la procédure de l'art. 35 des statuts, relative au droit de sortie, ne faisait pas obstacle à l'examen de l'existence de juste motifs au sens de la disposition légale précitée dès lors que le droit de sortie qui y est prévu est de droit impératif. C______ n'était pas parvenu à vendre ses parts depuis 2018 et la procédure n'avait pas permis d'établir qu'il aurait voulu imposer de vendre ses parts à un tiers, alors que la proposition qu'il avait faite en ce sens avait été refusée par la société. La cessibilité des parts était très restreinte et était subordonnée, selon les statuts, à l'approbation de l'assemblée des associés qui était autorisée à refuser sans en donner les raisons. Il ne pouvait être reproché à C______ d'être responsable de la situation en raison de son absence aux assemblées. En effet, les deux associés avaient le même nombre de parts sociales, donc le même droit de vote, mais D______ œuvrait systématiquement comme président, de sorte qu'il imposait sa volonté à son associé. La situation était donc totalement bloquée. Il fallait ajouter à cela l'importante mésentente entre les deux associés, laquelle paralysait le bon déroulement des assemblées générales. La confiance avait été rompue et les deux associés n'avaient pas la même vision des activités que devrait mener la société. Il s'agissait d'une petite structure, avec uniquement deux associés qui de surcroît travaillaient ensemble. Le caractère personnel était très marqué chez A______ Sàrl, ce qui rendait d'autant moins viable une solution dans laquelle perdurait un conflit aigu entre associés. On comprenait d'ailleurs mal pourquoi D______ s'opposait à la sortie de son associé, alors même qu'il avait proposé de racheter les parts de ce dernier pour 10'000 fr., sauf à considérer qu'il faisait passer les intérêts de la société après ses desiderata personnels ou après son envie de contrarier son associé, de telles motivations n'étant pas protégées. Enfin, la plainte pénale démontrait l'existence de graves divergences et l'impossibilité de continuer à imposer le sociétariat à C______. Il fallait donc admettre l'existence de justes motifs de sortie.

EN DROIT

1.             1.1 L'appel est recevable contre les décisions finales et les décisions incidentes de première instance lorsque, dans les affaires patrimoniales, la valeur litigieuse au dernier état des conclusions est de 10'000 francs au moins (art. 308 al. 1 let. a et al. 2 CPC).

Selon l'art. 237 al. 1 CPC, une décision est de nature incidente, lorsque l'instance de recours pourrait prendre une décision contraire qui mettrait fin au procès et permettrait de réaliser une économie de temps ou de frais appréciable. La décision incidente est sujette à un recours immédiat, respectivement un appel immédiat selon la valeur litigieuse en cause; elle ne peut être attaquée ultérieurement avec la décision finale (art. 237 al. 2 CPC).

En l'occurrence, le jugement entrepris est une décision incidente immédiatement attaquable, puisque le prononcé par la Cour d'une décision contraire aurait pour conséquence de mettre fin au procès entre l'appelante et l'intimé, contre laquelle la voie de l'appel est ouverte au vu de la valeur litigieuse supérieure à 10'000 fr.

1.2 Interjeté dans le délai utile et suivant la forme prescrite par la loi (art. 130, 131, 142 al. 1 et 311 al. 1 CPC), l'appel est recevable.

1.3 La Cour revoit la cause avec un plein pouvoir d'examen (art. 310 CPC). Elle applique la maxime des débats et le principe de disposition (art. 55 al. 1 et 58 al. 1 CPC).

2. L'appelante fait grief au Tribunal d'avoir autorisé la sortie de l'intimé. Elle fait valoir qu'il n'existe pas de justes motifs et que la sortie n'est pas réalisable.

2.1 Un associé peut requérir du juge l’autorisation de sortir de la société pour de justes motifs (art. 822 al. 1 CO).

Le droit de sortie judiciaire pour justes motifs est impératif. Ce droit participe des principes applicables à la résiliation des rapports juridiques de durée. Il revêt une importance particulière vu la cessibilité limitée des parts de la Sàrl. Le droit de sortie légal pour justes motifs permet également de protéger la personnalité de l’associé sortant. La sortie pour justes motifs doit toutefois conserver un caractère exceptionnel (Buchwalder, in CR CO II, 2e éd., 2017, ad art. 822 n. 2).

La notion de justes motifs suppose que, au regard de l’ensemble des circonstances, la continuation du sociétariat ne puisse plus être objectivement et raisonnablement imposée au demandeur. Les justes motifs pertinents peuvent relever aussi bien de la sphère de la société que de la situation personnelle d'un associé. L’existence de justes motifs s’apprécie sur la base de l’ensemble des circonstances du cas d’espèce. Dans une société au caractère personnel marqué, on tiendra compte des éléments personnels liés aux associés (Buchwalder, op. cit., ad art. 822 n. 4 ; Message S.à r.l., FF 2002 3018 ad art. 822 CO; Premand, Les sociétés de famille dans les formes de la société anonyme et à responsabilité limitée, Genève - Zurich - Bâle 2010, p. 232). Les justes motifs supposent une pesée des intérêts entre l’intérêt de l’associé demandeur à sortir de la société et celui des autres associés à la continuation du sociétariat du demandeur (Buchwalder, op. cit., ad art. 822 n. 4).

Des exemples de justes motifs ont été donnés par la doctrine : l'abus de confiance répété, la mise en échec de la participation au bénéfice, la dissimulation des chiffres commerciaux, le refus arbitraire d'approbation lors du transfert des parts à un tiers, de graves différences d'opinion, des conflits d'intérêts continus, le rejet de l'époux comme associé, la violation répétée des statuts et des décisions de l'assemblée. Les justes motifs peuvent consister dans les relations entre l'associé et la société, la personne des associés (restants) ou dans celle de l'associé souhaitant sortir. Les motifs peuvent être d'ordre non seulement matériel mais également d'ordre plus personnel (Premand, op. cit., p. 231 et les réf. citées).

Des motifs qui résultent d'une violation par l'associé de ses obligations envers la société ou les autres associés ne devraient pas constituer des justes motifs de sortie (art. 2 al. 2 CC). On exclura également des circonstances prévisibles, préexistantes ou causées par le demandeur (Buchwalder, op. cit., ad art. 822 n. 8).

Une restriction excessive de la cession de parts sociales peut – selon les circonstances personnelles et matérielles – représenter un juste motif qui légitime une sortie de la société (Message S.à r.l., FF 2002 2986 ad art. 786 CO). Selon certains auteurs, plus le transfert des parts sociales est rendu difficile, plus le droit de sortie doit être considéré comme une solution pour l'associé concerné. Le droit de sortie constitue ainsi une « porte de sortie » pour l'associé qui n'a pas le moyen de quitter la société par la voie traditionnelle de la vente de ses parts. Au contraire, lorsque le droit de céder ses parts sociales est plus ouvert ou libre, le droit de sortie devrait être attribué moins facilement. Le droit de sortie dépend ainsi de l'usage qu'aura fait chaque société des possibilités de réglementation de cession des parts et de l'utilisation du système relatif aux restrictions à la transmissibilité, voire à l'exclusion de la cession. Il incombera dès lors au juge de prendre en considération la difficulté de céder les parts sociales pour des motifs juridiques ou factuels lors de la pesée des intérêts relative au droit de sortie pour justes motifs. Ainsi, le juge devra favoriser la sortie, si une cession des parts semble difficile ou exclue (Premand, op. cit., p. 233 et les réf. citées).

2.2 En l'espèce, il s'agit d'examiner s'il existe des justes motifs de sortie tels que retenus par le Tribunal.

Tout d'abord, l'appelante a un caractère personnel marqué dès lors qu'elle n'est composée que de deux associés, qui travaillent ensemble. Or, les relations entre les précités sont mauvaises et leur mésentente est importante. Cela fait plusieurs années que leurs opinions divergent sur de nombreux points, tels que le développement et les dépenses de la société, la propriété du matériel de la société, le salaire de l'intimé ainsi que la participation des associés au bénéfice de la société. Depuis août 2019, l'intimé a même été interdit d'entrée dans les locaux par l'associé gérant. Les divergences entre les deux associés sont si importantes qu'elles empêchent le bon déroulement des assemblées générales, entravant le fonctionnement de la société. L'appelante et D______ ont également formé une action en consignation de matériel et déposé une plainte pénale à l'encontre de l'intimé, ce qui démontre encore les difficultés de communication et de collaboration entre les deux associés, entre lesquels le lien de confiance est complètement rompu.

S'agissant de la cessibilité des parts, les statuts de l'appelante prévoient la possibilité pour l'assemblée des associés de refuser la cession des parts sociales sans en indiquer les motifs, de sorte que le transfert des parts sociales est relativement restreint. Dans les faits, D______ a catégoriquement refusé que l'intimé transfère ses parts sociales à H______, tiers acquéreur. L'associé gérant a, par ailleurs, explicitement indiqué qu'il refuserait de faire entrer qui que ce soit d'autre au sein de la société, de sorte que la cession des parts sociales de l'intimé à un tiers est exclue. De surcroît, D______ a déclaré devant le Tribunal que sa proposition de février 2019 de racheter lui-même les parts de son associé était tombée faute d'accord. Il n'a plus formulé d'autre proposition depuis lors et s'oppose à la sortie judiciaire de l'intimé dans le cadre de la présente procédure. Un rachat des parts sociales par l'unique autre associé de la société n'est ainsi pas envisageable. En conséquent, il apparaît très difficile, voire exclu pour l'intimé d'aliéner ses parts sociales.

Par ailleurs, contrairement à ce qu'allègue l'appelante, il ne ressort pas du dossier que la sortie de l'intimé n'a pu être négociée en raison de circonstances causées par ce dernier lors des assemblées générales. Il semblerait plutôt que les associés ne sont pas parvenus à s'accorder sur la valeur des parts de l'intimé, que l'associé gérant avait offert de racheter à leur valeur nominale, ni à négocier la clause de non-concurrence souhaitée par le précité.

Il est vraisemblable que c'est aussi ce qui a conduit D______ à s'opposer à la sortie de l'intimé, bien qu'il ne souhaite manifestement plus collaborer avec celui-ci, lui ayant même interdit d'entrer dans les locaux de la société. Ces motifs ne constituent toutefois pas un intérêt protégeable de l'associé gérant à la continuation du sociétariat de l'intimé. De son côté, ce dernier a perdu toute envie de participer au développement de la société au sein de laquelle il ne se sent plus le bienvenu. Partant, la pesée des intérêts penche en faveur de l'intérêt de l'intimé à pouvoir sortir de la société.

Au vu de ce qui précède, c'est à bon droit que le Tribunal a jugé qu'il existait des justes motifs de sortie au sens de l'art. 822 CO.

Cela étant, malgré la limitation de la procédure à la question préalable des justes motifs à la sortie de l'intimé de la société, le Tribunal ne s'est pas contenté d'admettre l'existence desdits justes motifs. Il a également autorisé l'intimé à sortir de la société et à requérir la radiation de sa qualité d'associé de l'appelante, ce qui n'était pas l'objet de la procédure à ce stade.

Il convient, en conséquence, d'annuler les chiffres 1 et 2 du dispositif du jugement entrepris, cela fait, d'admettre l'existence de justes motifs de sortie et de renvoyer la cause au Tribunal pour la suite de la procédure.

3.             3.1 Si l'instance d'appel statue à nouveau, elle se prononce sur les frais de la première instance (art. 318 al. 3 CPC).

Compte tenu du renvoi de la cause au Tribunal, il se justifie d'inviter ce dernier à statuer sur l'ensemble des frais judiciaires et dépens de première instance dans le jugement qu'il rendra au terme de la procédure de renvoi.

3.2 Les frais judiciaires de l'appel, arrêtés à 1'000 fr. (art. 36 RTFMC), seront mis à la charge de l'appelante qui succombe matériellement (art. 106 al. 1 CPC). Ils seront entièrement compensés avec l'avance fournie par celle-ci, qui reste acquise à l'Etat de Genève (art. 111 al. 1 CPC).

Il sera renoncé à allouer des dépens à ce stade.

* * * * *



PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté le 8 avril 2022 par A______ Sàrl contre le jugement JTPI/2798/2022 rendu le 7 mars 2022 par le Tribunal de première instance dans la cause C/25543/2019.

Au fond :

Annule les chiffres 1 et 2 du jugement entrepris et statuant à nouveau sur ces points :

Admet l'existence de justes motifs à la sortie de C______ de A______ Sàrl.

Renvoie la cause au Tribunal de première instance pour la suite de la procédure.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Arrête les frais d'appel à 1'000 fr., les met à la charge de A______ Sàrl et dit qu'ils sont compensés avec l'avance de frais fournie par cette dernière, laquelle reste acquise à l'Etat de Genève.

Renonce à allouer des dépens.

Siégeant :

Monsieur Cédric-Laurent MICHEL, président; Mesdames Pauline ERARD et Paola CAMPOMAGNANI, juges; Madame Camille LESTEVEN, greffière.

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 113 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours constitutionnel subsidiaire.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF inférieure à 30'000 fr.