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Décisions | Chambre civile

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C/9317/2020

ACJC/1179/2023 du 12.09.2023 sur JTPI/4745/2023 ( OO )

Normes : CPC.99.al1.leta
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/9317/2020 ACJC/1179/2023

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU MARDI 12 SEPTEMBRE 2023

 

Entre

A______, ______[GE], intimée sur appel et requérante sur requête de sûretés, comparant par Me Julie VAISY, avocate, Harari Avocats, rue du Rhône 100, Case postale 3403, 1211 Genève 3, en l'Étude de laquelle elle fait élection de domicile,

et

Monsieur B______, domicilié ______, Emirats Arabes Unis, appelant d'un jugement rendu par la 23ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 20 avril 2023, et cité sur requête de sûretés, comparant par Me Matteo INAUDI, avocat, Ming Halpérin Burger Inaudi, avenue Léon Gaud 5, case postale, 1211 Genève 12, en l'Étude duquel il fait élection de domicile.

 


EN FAIT

A.           Par jugement JTPI/4745/2023 du 20 avril 2023, le Tribunal de première instance (ci-après : le Tribunal) a condamné B______ à verser à A______ (ci-après : A______ ou la banque) la somme de USD 926’016.09 avec intérêts à 5% l’an dès le 21 avril 2020 (chiffre 1 du dispositif), arrêté les frais judiciaires à 33'000 fr., compensés avec l’avance fournie par A______, les a mis à la charge de B______, celui-ci étant condamné à les verser à sa partie adverse (ch. 2), condamné B______ à verser à A______ la somme de 33'000 fr. TTC à titre de dépens (ch. 3) et débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 4).

En substance, le Tribunal a retenu que les parties avaient été contractuellement liées dans le cadre d’une relation bancaire. B______ effectuait des opérations à terme sur le pétrole. La banque n’était pas tenue d’assurer la sauvegarde générale des intérêts de son client, ni d’assumer un devoir général d’information, tant au sujet des ordres donnés que sur le développement probable des investissements choisis et sur les mesures à prendre pour limiter les risques. Partant, la banque n’avait pas violé ses devoirs contractuels en n’informant pas B______ de l’évolution du marché le 20 avril ou le 21 avril 2020 au matin. La banque avait par ailleurs respecté la procédure d’appel de marge et était fondée à fermer les positions de son client le 21 avril 2020 en début d’après-midi, sans le consentement de celui-ci. Il se justifiait dès lors de faire droit aux conclusions en paiement prises par la banque à l’encontre de B______.

B.            a. Le 23 mai 2023, B______, par une écriture de 23 pages, a formé appel contre ce jugement, concluant à son annulation, ainsi qu’à l’annulation de l’ordonnance de preuves ORTPI/1184/2022 du 31 octobre 2022, au déboutement de la banque de toutes ses conclusions et à la condamnation de celle-ci à lui payer la somme de USD 50'000 avec intérêts à 5% dès le 21 avril 2020, avec suite de frais et dépens.

b. Par avis du 24 mai 2023, le greffe de la Cour de justice (ci-après : la Cour) a informé A______ de ce qu’un appel avait été formé par B______ contre le jugement du 20 avril 2023.

c. Après versement de l’avance de frais requise de l’appelant, la Cour, par acte du 23 juin 2023, a transmis à A______ l’acte d’appel et lui a fixé un délai de 30 jours dès réception pour y répondre.

d. Le 10 juillet 2023, A______ a sollicité le versement de sûretés en garantie de ses dépens. Elle a exposé que B______ était domicilié à C______ (Emirats arabes unis), état non partie à la Convention de La Haye du 1er mars 1954 relative à la procédure civile ou à celle du 25 octobre 1980 tendant à faciliter l’accès international à la justice, ni à un traité bilatéral qui exclurait la nécessité de fournir des sûretés en garantie des dépens.

A______ a conclu à la condamnation de sa partie adverse à fournir de telles sûretés à hauteur de 33'000 fr. a minima.

e. Dans ses écritures du 24 juillet 2023, B______ a allégué que A______, qui invoquait une créance globale, intérêts compris au 24 juillet 2023, d’une somme de USD 1'076'879.45, avait obtenu le séquestre, en mains de la banque D______, d’un montant de 1'660'000 fr., correspondant à près de USD 1'930'000. Ce montant excédait par conséquent non seulement le montant de la créance avec intérêts, mais également les éventuels dépens qui pourraient être alloués à A______, laquelle était dès lors suffisamment protégée et devait être déboutée de ses conclusions. Subsidiairement, B______ a conclu à ce que les éventuelles sûretés ne dépassent pas la somme de 9'652 fr.

f. A______ a répliqué le 31 juillet 2023. Elle a soutenu que le séquestre ordonné sur les avoirs détenus dans les livres de la banque D______ ne visait pas les dépens de la présente procédure d’appel, de sorte que sa position, s’agissant desdits dépens, n’était pas protégée. Pour le surplus et contrairement à ce que soutenait sa partie adverse, la cause présentait certaines difficultés, puisqu’elle traitait d’un litige de nature bancaire, faisant appel à des compétences particulièrement importantes et transversales en matière de droit et de marchés financiers. B______ avait en outre fait valoir des conclusions reconventionnelles, pour lesquelles il sollicitait une expertise judiciaire. Enfin, l’appel visait non seulement le jugement du 20 avril 2023, mais également l’ordonnance de preuve du 31 octobre 2022. Il n’y aurait dès lors pas lieu à réduction des dépens.

g. B______ a dupliqué le 11 août 2023, reprenant les arguments d’ores et déjà invoqués.

h. Par avis du greffe de la Cour du 5 septembre 2023, les parties ont été informées de ce que la cause était gardée à juger sur la requête de sûretés.

i. Entretemps, soit le 28 août 2023, A______ a fait parvenir à la Cour de justice son mémoire réponse à l’appel, lequel n’a, en l’état, pas encore été transmis à l’appelant.

 

 

EN DROIT

1.             1.1 L'article 99 al. 1 CPC prévoit que le demandeur doit, sur requête du défendeur et pour autant que l'une ou l'autre des conditions énumérées sous lettres a à d soient remplies, fournir des sûretés en garantie du paiement des dépens.

A teneur du texte de la loi, seul le défendeur de première instance peut requérir des sûretés du demandeur. Néanmoins des sûretés peuvent également être exigées en deuxième instance, pour les frais futurs (arrêt du Tribunal fédéral
4A_26/2013 du 5 septembre 2013 consid. 2 et les références citées; rüegg, in Basler Kommentar, 2010, Schweizerische Zivilprozessordnung, spühler/tencio/infanger (éd.), 2017, n° 5 ad art. 99 CPC; sterchi, in Berner Kommentar ZPO, Kommentar zum schweizerischen Privatrecht, 2012, n° 10 ad art. 99 LPC).

1.2 En l’espèce, la requérante a formé sa demande de sûretés avant de rédiger son mémoire de réponse à l’appel, quand bien même, en raison des échanges d’écritures, cette question n’est finalement tranchée que postérieurement au dépôt de ladite écriture de réponse. Il n’en demeure pas moins que la requête a été formée en temps utile.

2. 2.1.1 Selon l'art. 99 al. 1 CPC, le demandeur doit, sur requête du défendeur, fournir des sûretés en garantie du paiement des dépens notamment lorsqu'il n'a pas de domicile ou de siège en Suisse (art. 99 al. 1 let. a CPC). Certaines conventions internationales ou accords bilatéraux peuvent toutefois exclure le paiement de telles sûretés (art. 2 CPC).

L'institution des sûretés, connue antérieurement sous la dénomination de "cautio judicatum solvi" a pour but de donner au défendeur une assurance raisonnable que, s'il gagne son procès, il pourra effectivement recouvrer les dépens qui lui seront alloués à la charge de son adversaire : le procès implique en effet des dépenses que le défendeur n'a pas choisi d'exposer et dont il est juste qu'il puisse se faire indemniser si la demande dirigée contre lui était infondée (TAPPY, op. cit. n. 3 ad art. 99 CPC; SUTER/VON HOLZEN, in Kommentar zur Schweizerischen Zivilprozessordnung [ZPO], SUTTER-SOMM/ HASENBÖHLER/LEUENBEGER [éd.], 2ème éd., 2013, n. 2 ad art. 99 CPC).

2.1.2 La procédure sommaire est applicable. Le juge se fondera essentiellement sur les allégations et preuves des parties. S'agissant d'une question de recevabilité (art. 59 al. 2 let. f), le juge pourra cependant établir les faits d'office (TAPPY, op. cit. n. 13 et 15 ad art. 101 CPC).

2.2.2 En l’espèce, il n’est pas contesté que le cité est domicilié à C______, dans les Emirats arabes unis. Aucune convention qui le dispenserait de fournir des sûretés en garantie des dépens ne lie la Suisse aux Emirats arabes unis. Il en découle que le principe du versement de sûretés est acquis.

Le cité a certes allégué que la requérante était au bénéfice d’un séquestre portant sur des avoirs déposés auprès de la banque D______, lequel excède la créance qu’elle invoque, en capital et intérêts. Il ressort toutefois de la procédure que ledit séquestre est fondé sur la créance au fond que la requérante invoque à l’encontre du cité, les éventuels dépens qui pourraient lui être alloués à l’issue de la procédure d’appel n’ayant pas été pris en considération. L’existence de ce séquestre ne prive par conséquent pas la requérante du droit de solliciter, sur la base de l’art. 99 CPC, le versement de sûretés en garantie de ses éventuels dépens. La requérante sera ainsi assurée, en cas de gain du procès, que les dépens dus lui seront rapidement versés, sans avoir besoin de notifier la moindre poursuite au cité, ce qui correspond au but visé par l’art. 99 CPC.

Il reste à déterminer le montant desdites sûretés.

3.             3.1.1 Les sûretés doivent couvrir en principe les dépens présumés que les appelants auraient à verser aux intimés en cas de perte totale du procès (TAPPY, op. cit., n. 7 ad art. 100 CPC; RÜEGG, op. cit., n° 5 ad art. 99 CPC). Selon l'art. 95 al. 3 CPC, les dépens comprennent les débours nécessaires (let. a), le défraiement d'un représentant professionnel (let. b) et lorsqu'une partie n'a pas de représentant professionnel, une indemnité équitable pour les démarches effectuées, dans les cas où cela se justifie (let. c).

Les débours nécessaires sont estimés, sauf éléments contraires, à 3% du défraiement et s’ajoutent à celui-ci (art. 25 LaCC).

La juridiction fixe les dépens d’après le dossier en chiffres ronds incluant la taxe sur la valeur ajoutée (art. 26 al. 1 CaCC).

Le tarif des frais, qui comprend celui des dépens, est fixé par les cantons (art. 95 al. 1 et 96 CPC).

Selon le règlement fixant le tarif des frais en matière civile du canton de Genève entré en vigueur le 1er janvier 2011, le défraiement d'un représentant professionnel est, en règle générale, proportionnel à la valeur litigieuse, laquelle est déterminée par les conclusions (art. 91 al. 1 CPC). Sans effet sur les rapports contractuels entre l'avocat et son client, il est fixé d'après l'importance de la cause, ses difficultés, l'ampleur du travail et le temps employé (art. 84 RTFMC; art. 20 al. 1 LaCC).

L'art. 23 LaCC permet toutefois de fixer un défraiement inférieur ou supérieur aux taux minima et maxima prévus, lorsqu'il existe une disproportion manifeste entre la valeur litigieuse et l'intérêt des parties au procès ou entre le taux applicable et le travail effectif de l'avocat.

3.1.2 Pour une valeur litigieuse au-delà de 600'000 fr. et jusqu’à 1'000'000 fr., l’art. 85 RTFMC prévoit des dépens à hauteur de 25'400 fr. plus 1,5% de la valeur litigieuse dépassant 600'000 fr.

Le défraiement est réduit dans la règle d’un à deux tiers par rapport au tarif de l’article 85 dans les procédures d’appel et de recours (art. 90 RTFMC).

3.2. En l'espèce, la valeur litigieuse s'élève à 976'016.09 USD, dans la mesure où le cité a conclu à l’annulation du jugement attaqué, lequel l’a condamné à payer la somme de 926'016.09 USD à sa partie adverse et qu’il conclut en outre, reconventionnellement, à la condamnation de la requérante à lui verser 50'000 USD. Au jour du dépôt de l’acte d’appel, cette somme correspondait à un montant de 892'371 fr. (1 USD = 0.9143 fr., cours moyen en mai 2023).

En application des art. 85 et 90 RTFMC, le défraiement auquel la requérante pourrait prétendre en cas de gain du procès serait compris, en chiffres ronds, sans prendre en compte les critères prévus à l'art. 23 LaCC, entre 10'990 fr. et 21'981 fr., débours et TVA compris (art. 25 et 26 LaCC; 25'400 fr. + [1,5% de 292'371 fr. = 4'385 fr. ], soit 29'785 fr., montant réduit d’un à deux tiers, + 3% de débours et 7,7% de TVA).

La procédure porte sur des questions relatives à un litige bancaire, qui ne saurait être qualifié de simple, sans être toutefois d’une grande complexité, étant relevé que le mémoire d’appel comprend 23 pages. A priori, les dépens se situeront plutôt dans le haut de la fourchette, sans toutefois justifier l’application de l’art. 23 LaCC.

Dès lors et au vu de ce qui précède, les sûretés seront fixées, en chiffre rond, à 20'000 fr.

4. Les sûretés ainsi fixées devront être fournies par le cité en espèces, auprès des Services financiers de l'Etat de Genève, ou sous forme de garantie d'une banque établie en Suisse ou d'une société d'assurance autorisée à exercer en Suisse (art. 100 al. 1 CPC) et ce dans un délai de 30 jours dès notification du présent arrêt. A défaut et à l’échéance d’un délai supplémentaire, l’appel ne sera pas pris en considération (art. 101 al. 3 CPC).

5. Les frais judiciaires de la procédure de sûretés seront arrêtés à 600 fr., compensés avec l'avance de frais de même montant versée par la requérante, qui demeure acquise à l'Etat de Genève (art. 111 al. 1 CPC). Ils seront mis à la charge du cité, qui succombe pour l’essentiel et qui sera condamné à les verser à la requérante.

Le cité sera en outre condamné à verser à la requérante la somme de 1'000 fr. à titre de dépens.

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable la requête en constitution de sûretés formée le 10 juillet 2023 par A______ dans la cause C/9317/2020.

Au fond :

Condamne B______ à fournir des sûretés en garantie des dépens d'appel de A______ à hauteur de 20’000 fr., en espèces auprès des Services financiers du Pouvoir judiciaire ou sous forme de garantie d'une banque établie en Suisse ou d'une société d'assurance autorisée à exercer en Suisse et ce dans un délai de 30 jours dès notification du présent arrêt.

Dit que si les sûretés ne sont pas fournies à l’échéance d’un délai supplémentaire, il ne sera pas entré en matière sur l’appel.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires de la présente décision à 600 fr. et les compense avec l'avance versée par A______, qui reste acquise à l'Etat de Genève.

Les met à la charge de B______ et le condamne à verser la somme de 600 fr. à A______.

Condamne par ailleurs B______ à verser à A______ la somme de 1'000 fr. à titre de dépens.

Siégeant :

Madame Paola CAMPOMAGNANI, présidente; Monsieur Laurent RIEBEN et Madame Ursula ZEHETBAUER GHAVAMI, juges; Madame Jessica ATHMOUNI, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.