Décisions | Chambre civile
ACJC/664/2023 du 23.05.2023 sur JTPI/12577/2022 ( OO ) , CONFIRME
En droit
Par ces motifs
république et | canton de genève | |
POUVOIR JUDICIAIRE C/14609/2017 ACJC/664/2023 ARRÊT DE LA COUR DE JUSTICE Chambre civile DU MARDI 23 MAI 2023 |
Entre
Madame A______, domiciliée ______, Mexique, appelante d'un jugement rendu par la 19ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 24 octobre 2022, comparant par Me Josef ALKATOUT, avocat, Borel & Barbey, rue de Jargonnant 2, case postale 6045, 1211 Genève 6, en l'Étude duquel elle fait élection de domicile,
et
Monsieur B______, domicilié ______ [VD], intimé comparant par
Me Magda KULIK, avocate, KULIK SEIDLER, rue du Rhône 116, 1204 Genève, en l'Étude de laquelle il fait élection de domicile.
A. Par jugement JTPI/12577/2022 rendu le 24 octobre 2022, le Tribunal de première instance a préalablement constaté que le nouveau patronyme de A______ est A______ (ch. 1er du dispositif), puis a déclaré irrecevable la demande en complément de jugement de divorce formée le 29 juin 2017 par A______ à l'encontre de B______ (ch. 2), a arrêté les frais judiciaires à 83'795 fr., qu'il a compensés avec les avances fournies par les parties et mis à la charge de A______, a condamné en conséquence cette dernière à verser à B______ 17'670 fr. (ch. 3) ainsi que 10'000 fr. à titre de dépens (ch. 4) et a débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 5).
B. a. Par acte déposé au greffe de la Cour de justice le 15 novembre 2022, A______ a appelé de ce jugement, qu'elle a reçu le 27 octobre 2022. Elle conclut à l'annulation des chiffres 2 à 5 du dispositif de ce jugement et, cela fait, à ce que sa demande en complément de jugement de divorce formée le 29 juin 2017 soit déclarée recevable et la cause renvoyée au Tribunal pour instruction au fond, sous suite de frais et dépens.
b. B______ a conclu au déboutement de A______, sous suite de frais judiciaires et dépens.
c. Par avis du 27 décembre 2022, les parties ont été informées de ce que la cause a était gardée à juger.
C. Les faits pertinents suivants résultent du dossier :
a. B______, né le ______ 1963, de nationalités russe et chypriote, et A______, née [A______] le ______ 1971, de nationalités russe et suisse, se sont mariés le ______ 2004 à C______ (Russie).
Deux enfants sont issues de cette union, D______, née le ______ 2003, et E______, née le ______ 2006, toutes deux de nationalités russe et suisse.
b. Les parties ont vécu ensemble à Genève de 2005 à 2015.
Elles se sont séparées fin 2015. A______ est demeurée au domicile conjugal sis à F______ [GE] avec D______ et E______. B______ s'est installé à G______ (Vaud).
En décembre 2018, A______ et les enfants ont été vivre à H______ (Espagne), avec l'accord de B______. En juin 2020, A______ a informé le Tribunal qu'en raison de la crise sanitaire, elle s'était provisoirement installée avec ses filles à I______ (Valais).
Il résulte des indications figurant sur la page de garde de son acte d'appel ainsi que de ses déclarations lors de l'audience tenue devant le Tribunal le 22 juin 2022 que A______ est actuellement domiciliée avec ses filles à J______ (Mexique).
B______ s'est installé à K______ (Emirats Arabes Unis) courant 2018, puis à L______ par la suite. Il est, selon la page de garde de son écriture de réponse du 21 décembre 2022, actuellement domicilié à M______ (Vaud).
c. Le 18 mars 2016, B______ et A______ ont conclu un accord de séparation aux termes duquel ils sont, en substance, convenus de répartir leur patrimoine à parts égales et de renoncer au versement d'une contribution post divorce entre époux. Ils ont décidé de maintenir l'autorité parentale conjointe sur les enfants, la garde exclusive étant attribuée à A______ avec la réserve d'un large droit de visite en faveur de B______. La contribution à l'entretien des enfants était fixée à 10'000 fr. par mois et par enfant, augmentée par la suite à 15'000 fr.
Ils sont convenus de déposer une demande commune en divorce devant les tribunaux suisses avant le 1er janvier 2017.
d. En novembre 2016, les époux ont, d'un commun accord, initié une procédure de divorce à C______ (Russie).
Le 14 novembre 2016, B______ a déposé une demande en ce sens par-devant le Juge de paix de l'arrondissement judiciaire du district O______ à C______ [Russie].
Le 24 novembre 2016, A______, représentée par son conseil, a formellement acquiescé à la demande déposée par B______, précisant qu'il n'y avait pas de dispute sur le partage de leur propriété commune et confirmant que les époux s'étaient mis d'accord concernant l'habitation, l'éducation et l'entretien des enfants.
Le 2 décembre 2016, A______ et B______ ont signé un nouvel accord de séparation réglant les effets accessoires de leur divorce. Aux termes de cet accord, ils sont notamment convenus de répartir leur patrimoine à raison de des actifs en faveur de A______ et en faveur de B______ et de fixer la contribution à l'entretien des enfants à 12'500 fr. par mois et par enfant, dès le 1er janvier 2017 et ce jusqu'à ce que les enfants aient atteint l'âge de 25 ans, si elles suivaient une formation ou des études de manière régulière. Ils sont en outre convenus de poursuivre en ce sens la procédure de divorce initiée en Russie.
Le 6 décembre 2016, A______ a sollicité l'ajournement de l'audience judiciaire fixée le 12 décembre 2016, au motif qu'elle avait eu connaissance d'éléments nécessitant des pourparlers avec son époux, notamment concernant le partage de leurs biens communs, ainsi que la nécessité de trouver un accord complémentaire concernant l'entretien des enfants.
Le 22 décembre 2016, une audience s'est tenue devant le juge de paix russe.
Par jugement de divorce du 22 décembre 2016, statuant après audition des époux, le juge de paix de l'arrondissement judiciaire du district O______ à C______ a dissous le mariage contracté par les époux A______ et B______. Le juge russe a relevé que B______ avait présenté une demande aux termes de laquelle il n'y avait pas de litige portant sur la séparation des biens et qu'un accord portant sur la résidence, l'éducation et l'entretien des enfants avait été trouvé. Le représentant de A______ avait accepté la demande de B______ lors de l'audience et avait confirmé qu'il n'existait pas de litige entre les parties portant sur la séparation des biens qui étaient en propriété commune et qu'un accord sur la résidence et l'éducation des enfants avait été trouvé. Le juge a relevé avoir examiné les documents écrits de l'affaire et considéré que la demande était fondée, précisant qu'il reconnaissait l'acceptation de la demande par A______ dans la mesure où elle ne contrevenait pas à la loi et ne lésait pas les droits et les intérêts légaux des autres personnes.
Ce jugement n'a fait l'objet d'aucun appel.
e. Entre le 16 décembre 2016 et le 18 janvier 2017, en exécution de l'accord de séparation du patrimoine, A______ a perçu de B______ les sommes de USD 1'020'000 en espèces et USD 12'014'793.03 en titres.
f. Par courrier du 1er mars 2017, A______ a informé B______ qu'elle révoquait la convention du 2 décembre 2016 en raison de la contrainte qu'elle considérait avoir subie pour signer ces accords, qu'elle estimait préjudiciables à ses intérêts. Elle se considérait dès lors liée par la convention du 18 mars 2016, laquelle devait toutefois être ajustée au vu des conséquences sur sa situation financière suite au comportement de B______ depuis la signature de la convention du 2 décembre 2016.
g. Par courrier du 9 novembre 2017, A______ a informé B______ qu'elle se prévalait également du motif de lésion et plus particulièrement de l'exploitation de son état de gêne.
h. Après avoir intenté la présente procédure en complément du jugement de divorce devant les tribunaux genevois le 29 juin 2017 (consid. D. ci-après), A______ a, en date du 27 novembre 2019, assigné B______ en constatation de la nullité de l'accord passé par les époux le 2 décembre 2016 sur le partage de leurs biens devant les autorités [de] C______. Elle invoquait la nullité de l'accord en raison de l'absence de la forme notariée exigée par le droit russe.
Par ordonnance de renvoi de la demande en justice du 29 novembre 2019, le Juge du district de P______ de C______ a renvoyé la demande de A______ contre B______ sur reconnaissance de la nullité de l'accord sur le partage des biens et dit que la demanderesse avait le droit de déposer une telle demande devant la juridiction compétente en la matière.
A______ a contesté cette décision par acte du 11 décembre 2019, concluant à l'annulation de l'ordonnance du 29 novembre 2019 et au renvoi de la cause au Tribunal du district de P______ pour nouvelle décision.
Par décision du 24 novembre 2020, ce Tribunal a refusé de satisfaire les demandes de A______ sur l'invalidation de l'accord sur le partage des biens. Il a retenu que les époux étaient domiciliés en Suisse durant le mariage, qu'ils avaient conclu un simple accord écrit sur le partage de leurs biens, que leurs signatures avaient été certifiées notamment par l'avocat N______, que, selon cet accord, les parties étaient convenus de l'application du droit suisse et d'une élection de for en faveur des tribunaux à Genève, et qu'un procès les opposait devant un tribunal suisse. Sur la base de ces éléments, ce Tribunal a considéré qu'au vu de la clause d'élection de for en faveur des tribunaux genevois et du domicile genevois des époux, leurs obligations étaient soumises au droit suisse.
Cette décision pouvait être contestée par le dépôt d'un appel à former auprès du Tribunal municipal de C______ dans un délai d'un mois à compter de son entrée en vigueur.
Aucun appel n'a été formé dans ce délai par A______.
D. a. Entretemps, par acte du 29 juin 2017, A______ a saisi le Tribunal de première instance d'une action en complément du jugement de divorce.
Elle a conclu à ce que le Tribunal constate le caractère lacunaire du jugement de divorce rendu par les tribunaux russes le 22 décembre 2016 et complète en conséquence ce jugement sur les effets accessoires du divorce. Elle a pris des conclusions sur le sort et l'entretien des enfants, l'attribution de la jouissance exclusive du domicile familial sis à F______ [GE] et la liquidation du régime matrimonial.
b. Dans sa réponse, B______ a conclu à ce que le Tribunal constate que l'action en complément du jugement de divorce étranger déposée par A______ était une action en révision, constate l'absence de compétence du juge suisse pour procéder à la révision du jugement, déclare irrecevable l'action en complément du jugement de divorce du 22 décembre 2016, à l'exception des conclusions relatives aux droits parentaux, subsidiairement, constate que l'action en révision était tardive.
Il soutient que le juge russe a statué sur l'ensemble des effets accessoires en particulier la liquidation du régime matrimonial des époux et l'entretien des enfants, si bien qu'il n'y avait plus de place pour une action en complément du divorce, laquelle était dès lors irrecevable, la demande de A______ visant en réalité uniquement à revoir le jugement et non à le compléter.
c. A plusieurs reprises, le Tribunal a statué sur des mesures provisionnelles requises par A______ portant notamment sur les droits parentaux et l'entretien de D______ et E______, la jouissance du domicile conjugal et l'accord des parties quant à la mise en vente de ce bien immobilier.
d. Le Tribunal a ordonné une expertise aux fins de déterminer l'étendue et la portée du jugement de divorce russe. Dans son avis de droit établi le 23 octobre 2019, l'Institut suisse de droit comparé a notamment relevé ce qui suit :
Le droit russe permettait aux époux de conclure une convention afin de liquider certains aspects de la vie conjugale, en particulier la liquidation du régime matrimonial et l'entretien et l'éducation des enfants. Il ne les obligeait pas à faire ratifier une convention sur les effets accessoires du divorce. Il ne contenait pas d'indication sur l'absence de litige sur la répartition des biens dans les considérants d'un jugement de divorce. La question de savoir si des conventions sous-jacentes à un jugement de divorce étaient incorporées à ce jugement n'était pas traitée dans la doctrine.
Lorsqu'un tribunal constatait l'absence de litige sur la division du régime matrimonial, cela n'empêchait pas qu'il y ait litige, et résolution judiciaire, à une date ultérieure : le droit russe prévoyait de manière explicite un délai de trois ans pour faire valoir des éventuelles violations des intérêts lors du partage de la propriété commune devant le juge. Le droit russe permettait aux époux de demander une décision judiciaire sur la dissolution du régime matrimonial (séparation de la propriété commune) dans un délai de trois ans après la découverte d'une éventuelle violation de leurs droits.
En raison de l'obligation du juge de vérifier et de se prononcer sur les aspects concernant les enfants, les aspects concernant la résidence, l'éducation et l'entretien des enfants étaient en principe incorporés au jugement. Selon la doctrine, il n'était pas rare que des juges ne vérifient les accords des parents par rapport aux enfants que de manière marginale, voire pas du tout.
C'est en premier lieu la dissolution du mariage qui bénéficiait de l'autorité de la chose jugée. En raison de l'obligation du juge de se prononcer sur les aspects relatifs aux enfants, il était probable que cette partie bénéficiait également de l'autorité de la chose jugée. Compte tenu du délai de trois ans prévu par le droit russe pour soumettre la liquidation de leurs rapports patrimoniaux, les experts estimaient qu'un accord (ou l'absence de désaccord) mentionné par un tribunal ne revêtait pas l'autorité de chose jugée tant qu'il n'avait pas fait l'objet d'une procédure.
Une décision judiciaire avait force de chose jugée lorsqu'elle n'était plus susceptible de recours ordinaire en appel ou cassation, ou lorsque les délais pour les exercer étaient expirés. Lorsqu'une décision avait force de chose jugée, elle acquérait l'autorité de chose jugée; elle faisait alors obstacle à ce que les mêmes parties présentent les mêmes demandes sur les mêmes fondements; cela n'excluait pas la possibilité d'instaurer un nouveau délai de procédure pour introduire, dans certaines circonstances, un recours en révision sur la base de faits nouveaux.
e. Le 27 mars 2020, le Tribunal a limité la procédure à la question de la recevabilité de la demande sous l'angle de la compétence à raison du lieu.
Il a gardé la cause à juger sur cette question à l'issue de l'audience tenue le 9 novembre 2020.
f. La suspension de la procédure requise par A______ le 25 juin 2020 en raison de la procédure initiée à C______ en vue de faire constater la nullité des accords du 2 décembre 2016 a été refusée par le Tribunal le 30 mars 2021.
g. Par jugement du 30 mars 2021, le Tribunal a déclaré irrecevable la demande en complément de jugement de divorce formée par A______.
Il a considéré que les questions relatives au partage des biens des ex-époux et au sort des enfants avaient été soumises au juge russe, qui avait statué sur ces points. Il n'y avait ainsi, en l'absence de lacune sur ces questions, plus de place pour une action en complément du jugement de divorce.
h. Par arrêt du 22 mars 2022, la Cour a annulé ce jugement en tant qu'il déclarait la demande irrecevable et a renvoyé la cause au Tribunal pour nouvelle décision.
Considérant que le premier juge avait refusé d'entrer en matière sur la demande au motif que les prétentions formulées avaient déjà fait l'objet d'un jugement de divorce russe alors qu'il avait limité la procédure à la seule question de sa compétence à raison du lieu, la Cour a renvoyé la cause au premier juge afin qu'il tranche la question de sa compétence territoriale et examine s'il apparaissait opportun de limiter la procédure à la question plus large de la recevabilité des prétentions de A______ en vue de traiter simultanément les différentes conditions de recevabilité de la demande.
i. Les 5 et 19 avril 2022, les parties ont toutes deux sollicité que la procédure soit limitée à la question plus large de la recevabilité de la demande.
L'ex-épouse a informé le Tribunal de ce qu'elle s'était remariée et portait depuis lors le nom de A______.
j. Le 30 mai 2022, le Tribunal a limité la procédure à la question de sa compétence à raison du lieu et à la recevabilité des conclusions déposées par A______.
Lors des plaidoiries finales tenues le 22 juin 2022, les parties ont persisté dans leurs conclusions respectives. Le Tribunal a gardé la cause à juger à l'issue de l'audience.
E. Dans le jugement querellé, le Tribunal a retenu que les questions relatives au partage des biens des ex-époux ainsi que celles relatives au sort des enfants avaient été soumises au juge russe, qui avait ainsi statué sur ces points. En l'absence de lacune sur ces questions, il n'y avait plus de place pour une action en complément de jugement de divorce, de sorte que le Tribunal n'était pas compétent pour statuer sur une telle action. Pour le surplus, il ne lui appartenait pas de constater ni de ratifier les accords du 2 décembre 2016.
Le premier juge a considéré que les parties avaient conclu un accord réglant les effets accessoires de leur divorce le 2 décembre 2016 et que l'appelante avait notamment requis l'ajournement de l'audience fixée au 12 décembre 2016 en raison de discussions des parties portant sur le partage des biens communs du couple et sur l'entretien des enfants, de sorte que ces points avaient clairement été au centre de la procédure en divorce soumise au juge russe. Ce dernier avait retenu que l'intimé avait présenté une requête aux termes de laquelle il n'y avait pas de litige sur la séparation des biens et qu'un accord avait été trouvé sur la résidence et l'éducation des enfants. Sur la base de ces éléments, le juge russe avait considéré que la demande en divorce était fondée et que son acceptation par l'appelante pouvait être reconnue en ce qu'elle ne contrevenait pas à la loi et ne lésait pas les droits et intérêts légaux des autres personnes. L'accord des parties n'avait certes pas été formellement incorporé au jugement de divorce russe, mais selon l'expertise de l'Institut suisse de droit comparé, il n'existait aucune indication dans la doctrine russe selon laquelle les conventions sous-jacentes à un jugement de divorce devaient y être incorporées.
1. Formé dans les délai et forme prescrits par la loi contre une décision finale prononcée par le Tribunal dans une cause patrimoniale dont la valeur litigieuse est supérieure à 10'000 fr., l'appel est recevable (art. 308 al. 1 et 2, 311 al. 1 CPC).
2. 2.1 Le tribunal examine d'office s'il est compétent à raison du lieu (art. 59 al. 2 let. b et 60 CPC).
2.2 Les tribunaux suisses sont compétents pour connaître d'une action en complément ou en modification d'un jugement de divorce s'ils ont prononcé ce jugement ou s'ils sont compétents en vertu des articles 59 ou 60 LDIP; sont réservées les dispositions de la LDIP sur la protection des mineurs (art. 64 al. 1 LDIP).
2.2.1 En vertu de l'art. 59 LDIP, sont compétents pour connaître d'une action en divorce ou en séparation de corps les tribunaux suisses du domicile de l'époux défendeurs ou les tribunaux suisses du domicile de l'époux demandeur, si celui-ci réside en Suisse depuis une année ou est suisse.
La compétence internationale se détermine au moment du dépôt de la demande; elle demeure ensuite valable pour toute la durée de la procédure (perpetuatio fori; ATF 129 III 404 consid. 4.3.2; 116 II 209 consid. 2b; BOPP/GROB, in Internationales Privatrecht (Basler Kommentar), 2021, n. 21 et 22 ad art. 59 LDIP).
2.2.2 En matière de protection des enfants, la compétence des autorités judiciaires ou administratives suisses, la loi applicable ainsi que la reconnaissance et l'exécution des décisions ou mesures étrangères sont régies par la Convention de la Haye du 19 octobre 1996 concernant la compétence, la loi applicable, la reconnaissance, l'exécution et la coopération en matière de responsabilité parentale et de mesures de protection des enfants (ci-après : CLaH96; art. 85 al. 1 LDIP). Cette convention s'applique aux enfants jusqu'à ce qu'ils aient atteint l'âge de 18 ans (art. 2 CLaH96) et régit entre autres les questions relatives à l'attribution de l'autorité parentale, de la garde et à la réglementation des relations personnelles, à l'exclusion des obligations alimentaires (art. 3 let. a et b et art. 4 let. e CLaH96; ATF 142 III 56 consid. 2.1.2; 132 III 586 consid. 2.2.1). Selon l'art. 5 de cette convention, les autorités tant judiciaires qu'administratives sont compétentes pour prendre des mesures tendant à la protection de sa personne ou de ses biens; en cas de changement de la résidence habituelle de l'enfant dans un autre Etat contractant, sont compétentes les autorités de l'Etat de la nouvelle résidence habituelle (art. 5 al. 1 et 2 CLaH96; dérogation au principe de perpetuatio fori ATF 123 III 411 consid. 2a; SCHWANDER, in Internationales Privatrecht (Basler Kommentar), 2021, n. 50 ad art. 85 LDIP).
2.2.3 L'entretien de l'enfant ne tombant pas sous le coup de la CLaH96, la compétence internationale pour compléter un jugement étranger en matière d'obligations alimentaire reste régie par les art. 64 al. 1 ou 59 LDIP (ATF
124 III 176 consid. 4).
2.3.1 En l'espèce, le Tribunal s'est déclaré incompétent à raison du lieu au motif que le jugement russe ne présentait aucune lacune susceptible d'être complétée.
L'appelante relève à juste titre que le premier juge s'est contenté d'analyser la seconde condition de recevabilité liée à l'autorité de chose jugée sans examiner sa compétence à raison du lieu. L'on ne saurait en revanche la suivre lorsqu'elle en déduit que le Tribunal aurait ainsi implicitement admis sa compétence ratione loci. Il convient dès lors d'examiner si les tribunaux genevois sont compétents à raison du lieu pour connaître de l'action en complément de divorce formée par l'appelante.
2.3.2 En l'occurrence, les parties ont vécu ensemble à Genève avec leurs filles de 2005 jusqu'à leur séparation en 2015. B______ s'est ensuite installé à G______ (Vaud), puis les parties ont toutes deux quitté la Suisse en 2018, B______ s'étant installé à K______ (Emirats Arabes Unis) courant 2018 et A______ avec les filles à H______ (Espagne) en décembre 2018.
Les parties étaient ainsi toutes deux domiciliées en Suisse avec leurs filles lorsque l'appelante a déposé son action en complément du jugement de divorce le 29 juin 2017. Les tribunaux genevois étaient alors compétents à raison du lieu pour en connaître.
La CLaH96 dérogeant au principe de la perpetuatio fori s'agissant des mesures de protection des mineurs, régissant notamment les droits parentaux, les prétentions formulées par l'appelante en lien avec la réglementation de l'autorité parentale, de la garde effective et des relations personnelles ne sont plus du ressort des tribunaux genevois depuis le départ de l'appelante et de ses filles pour l'Espagne en décembre 2018.
Les tribunaux genevois demeurent en revanche compétents à raison du lieu pour examiner les autres effets accessoires au divorce pour lesquels l'appelante sollicite le complément du divorce prononcé par le juge russe, puisque le for acquis lors du dépôt de la demande perdure en vertu du principe de la perpetuatio fori.
Il ne sera, partant, pas entré en matière sur les prétentions de l'appelante tendant à ce que le jugement russe soit complété quant à l'attribution de l'autorité parentale et de la garde des enfants, à la réglementation des relations personnelles entre celles-ci et leur père, aux modalités de prises de décisions concernant les enfants et autres mesures de protection les concernant, faute de compétence ratione loci des tribunaux genevois.
3. Les autorités judiciaires genevoises étant compétentes à raison du lieu pour connaître des autres effets accessoires au divorce, il convient à présent d'examiner si le juge matrimonial suisse peut entrer en matière sur les prétentions y relatives de l'appelante au regard du jugement de divorce prononcé par les autorités judiciaires russes, ce qui implique de commencer par déterminer si ce jugement est reconnaissable en Suisse.
3.1 Le tribunal examine d'office si le litige ne fait pas l'objet d'une décision entrée en force (art. 59 al. 2 let. e et 60 CPC).
La procédure en complément suppose que le jugement de divorce étranger présente une lacune (ATF 134 III 661 consid. 3.2). Si le juge du divorce a déjà statué sur des prétentions matrimoniales, il n'y a plus de place pour une action en complément du jugement de divorce, seule une action en modification étant alors recevable (arrêt du Tribunal fédéral 5A_475/2015 du 17 décembre 2015, consid. 1.3).
Un jugement de divorce étranger ne peut être complété ou modifié que s'il peut être reconnu en Suisse; ce n'est qu'à cette condition que se pose la question de savoir s'il existe une décision judiciaire à compléter ou à modifier (BOPP/GROB, Internationales Privatrecht, Basler Kommentar (2021), n. 3 ad art. 64 LDIP).
L'action en complément de jugement de divorce n'est pas destinée à permettre à une partie de faire valoir ultérieurement des prétentions matrimoniales qui, en raison d'une négligence de sa part, n'ont pas été jugées (arrêt du Tribunal fédéral 5A_227/2015 du 16 novembre 2015 consid. 2.2.2).
3.2 Une décision étrangère est reconnue en Suisse si la compétence des autorités judiciaires ou administratives de l'Etat dans lequel la décision a été rendue était donnée, si la décision n'est plus susceptible de recours ordinaire ou si elle est définitive, et s'il n'y a pas de motif de refus au sens de l'art. 27 (art. 25 LDIP).
La compétence des autorités étrangères est notamment donnée lorsqu'elle résulte d'une disposition de la LDIP (art. 26 let. a LDIP). Les décisions étrangères de divorce ou de séparation de corps sont reconnues en Suisse lorsqu'elles ont été rendues dans l'Etat du domicile ou de la résidence habituelle, ou dans l'Etat national de l'un des époux, ou si elles sont reconnues dans un de ces Etats (art. 65 al. 1 LDIP).
La reconnaissance doit être refusée si elle est manifestement incompatible avec l'ordre public suisse (art. 27 al. 1 LDIP). La décision étrangère ne peut pas faire l'objet d'une révision au fond (art. 27 al. 3 LDIP).
3.3 En l'espèce, le jugement de divorce rendu le 22 décembre 2016 a été prononcé par les tribunaux russes, qui sont compétents à raison du lieu en vertu de l'art. 65 al. 1 LDIP au regard de la nationalité russe des parties. Il n'est plus susceptible de recours et aucun motif de refus au sens de l'art. 27 LDIP n'a été soulevé. Il s'ensuit que le jugement de divorce prononcé par les tribunaux [de] C______ le 22 décembre 2016 peut être reconnu en Suisse.
3.4 Il y a ensuite lieu d'examiner si ce jugement fait obstacle à ce que les prétentions formulées par l'appelante soient tranchées par les juges genevois en raison de l'autorité de chose jugée, ou s'il présente une lacune susceptible d'être complétée.
Dans le jugement de divorce rendu le 22 décembre 2016, le juge matrimonial russe a dissous le mariage contracté par les parties, en relevant que celles-ci avaient trouvé un accord sur la résidence, l'éducation et l'entretien des enfants, que leur accord ne contrevenait pas à la loi et ne lésait pas les droits et intérêts légaux des autres personnes et qu'il n'existait pas de litige quant à la séparation de leurs biens.
Les actes de la procédure russe font par ailleurs ressortir que l'appelante a sollicité l'ajournement de l'audience fixée au 12 décembre 2016 en raison de discussions des parties portant sur le partage des biens communs du couple et sur l'entretien des enfants et qu'elles ont signé un accord en date du 2 décembre 2016 portant notamment sur le partage de leurs rapports patrimoniaux et l'entretien de leurs filles. Il s'avère ainsi que ces points ont fait l'objet de négociations entre les parties dans la procédure en divorce russe et ont été finalisées dans leur accord signé le 2 décembre 2016. Ces questions ont ainsi été réglées par les parties dans leur convention de divorce passée dans le cadre de la procédure de divorce devant les autorités russes.
Reste à déterminer si le jugement de divorce russe revêt l'autorité de chose jugée pour l'ensemble de ces éléments.
3.4.1 Les parties ne contestent pas que le prononcé de la dissolution de leur mariage bénéficie de l'autorité de chose jugée.
3.4.2 Le juge russe du divorce a par ailleurs retenu que les parties avaient trouvé un accord sur la résidence, l'éducation et l'entretien des enfants et que leur accord ne lésait pas les droits et intérêts légaux des autres personnes. A cet égard, il ressort du rapport établi par l'Institut suisse de droit comparé que le juge russe du divorce a l'obligation de vérifier et de se prononcer sur les aspects concernant les enfants, soit sur la résidence, l'éducation et l'entretien de ceux-ci. Il était probable, selon l'Institut, qu'en raison de cette obligation, ces aspects du litige bénéficiaient de l'autorité de chose jugée. Ces éléments conduisent à retenir que la convention passée par les parties le 6 décembre 2016 a été ratifiée par le juge du divorce en ce qui concerne les aspects relatifs à leurs enfants. Le jugement de divorce russe revêt en conséquence l'autorité de chose jugée et ne présente, partant, pas de lacune qu'il reviendrait au juge suisse de combler.
3.4.3 S'agissant ensuite de la liquidation des rapports patrimoniaux des parties, le juge du divorce russe a relevé qu'aucun litige n'opposait les parties à cet égard. Il est vrai que les parties ont négocié les termes de leur convention de divorce dans le cadre de la procédure russe et que, selon le rapport de l'Institut suisse de droit comparé, le droit russe n'oblige pas les parties à faire ratifier une convention sur les effets accessoires du divorce, qu'il ne contient pas d'indication sur l'absence de litige sur la répartition des biens dans les considérants d'un jugement de divorce et que la question de savoir si des conventions sous-jacentes à un jugement de divorce étaient incorporées à ce jugement n'est pas traitée dans la doctrine. Cela étant, il résulte également du rapport de cet Institut que le constat par le juge matrimonial de l'absence de litige quant à la division du régime matrimonial n'empêchait pas les époux de soumettre au juge par la suite, dans un délai de trois ans, d'éventuelles prétentions en lien avec le partage de leurs biens. L'appelante gardait ainsi la possibilité de faire valoir ses prétentions en liquidation des rapports patrimoniaux des parties dans un procès séparé dans un délai de trois ans, ce qu'elle a d'ailleurs fait en déposant le 27 novembre 2019 une demande en constatation de la nullité de l'accord du 2 décembre 2016 devant les tribunaux [de] C______. Ces derniers ont refusé d'entrer en matière non pas au motif que la liquidation des rapports patrimoniaux des époux avait déjà été réglée dans le cadre du jugement de divorce, mais en raison de leur incompétence à raison du lieu. Il découle de ce qui précède que le constat judiciaire de l'absence de litige quant au partage des biens des époux par le juge du divorce n'a pas acquis l'autorité de chose jugée tant que les prétentions en liquidation des rapports patrimoniaux pouvaient encore être soumises au juge matrimonial.
3.4.4 C'est en revanche à raison que l'intimé se prévaut de ce que l'appelante ne saurait, par le biais de l'action en complément du jugement de divorce, faire valoir des prétentions matrimoniales qui n'ont pas été jugées en raison d'une négligence de sa part. L'appelante n'a en effet pas entrepris toutes les démarches que l'on pouvait attendre d'elle pour soumettre ses prétentions en liquidation des rapports patrimoniaux au juge russe du divorce : l'on ne peut certes pas lui reprocher d'avoir renoncé à recourir contre le jugement de divorce pour faire valoir ses prétentions en liquidation des rapports patrimoniaux, dès lors qu'il ne résulte pas du dossier qu'elle ait eu connaissance des éléments l'ayant conduite à remettre en cause l'accord passé par les parties le 2 décembre 2016 avant l'échéance du délai de recours et que le droit russe lui permettait en tout état de faire valoir de telles prétentions dans un délai de trois ans. L'appelante a en revanche renoncé à contester la décision des tribunaux [de] C______ du 24 novembre 2020, refusant d'entrer en matière sur sa demande en invalidation de la convention de divorce du 2 décembre 2016. Elle ne saurait, dans ces circonstances, agir en complément du jugement de divorce par devant les tribunaux genevois alors qu'elle a omis d'épuiser toutes les voies de droit à sa disposition pour faire valoir de telles prétentions devant les tribunaux russes.
4. En définitive, il résulte des considérants qui précèdent que les tribunaux genevois ne sont pas compétents à raison du lieu pour statuer sur les droits parentaux et les mesures de protection concernant les enfants. L'entretien des enfants a par ailleurs déjà fait l'objet d'une décision russe bénéficiant de l'autorité de chose jugée. Enfin, la liquidation des rapports patrimoniaux entre les parties n'a pas pu être soumise au juge matrimonial russe en raison de la négligence imputable à l'appelante, qui ne saurait y remédier par la voie de l'action en complément du jugement de divorce.
Son action en complément du jugement de divorce déposée devant les tribunaux genevois le 29 juin 2017 est, dans ces circonstances, irrecevable.
Le jugement entrepris est dès lors confirmé par substitution de motifs.
5. 5.1 Il n'y a pas lieu de revoir le sort des frais judiciaires de première instance, vu que l'appelante n'a pas critiqué leur quotité et qu'elle n'a pas obtenu gain de cause dans son appel.
5.2 Compte tenu de l'importance de la procédure, dont la valeur litigieuse s'élève à plus de 20'000'000 fr. sans même retenir de la valeur des biens immobiliers dont le partage est sollicité, les frais judiciaires d'appel seront arrêtés à 40'000 fr., partiellement compensés avec l'avance fournie par l'appelante, qui reste acquise à l'Etat de Genève, et mis à la charge de l'appelante, qui succombe (art. 95 al. 1 et 2; art. 106 al. 1 CPC; art. 17ss, 30 et 35 RTFMC). L'appelante sera en conséquence condamnée à verser 38'500 fr. à l'Etat de Genève, soit pour lui aux Services financiers du Pouvoir judiciaire (art. 111 al. 1 et 2 CPC). Des dépens d'appel seront en outre alloués à l'intimé à raison de 40'000 fr. (art. 95 al. 1 et 106 al. 1 CPC; art. 84ss, 85 et 90 RTFMC).
* * * * *
La Chambre civile :
A la forme :
Déclare recevable l'appel interjeté le 15 novembre 2022 par A______ contre le jugement JTPI/12577/2022 rendu le 24 octobre 2022 par le Tribunal de première instance dans la cause C/14609/2017.
Au fond :
Confirme ce jugement.
Déboute les parties de toutes autres conclusions.
Sur les frais :
Arrête les frais judiciaires d'appel à 40'000 fr., les met à la charge de A______ et les compense partiellement avec l'avance fournie, qui reste acquise à l'Etat de Genève.
Condamne A______ à verser 38'500 fr. à l'Etat de Genève, soit pour lui aux Services financiers du Pouvoir judiciaire.
Condamne A______ à verser 40'000 fr. à B______ à titre de dépens d'appel.
Siégeant :
Madame Ursula ZEHETBAUER GHAVAMI, présidente; Madame Sylvie DROIN, Madame Nathalie RAPP, juges; Madame Jessica ATHMOUNI, greffière.
Indication des voies de recours :
Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.
Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.