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Décisions | Chambre civile

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C/2001/2023

ACJC/484/2023 du 06.04.2023 ( IUO )

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/2001/2023 ACJC/ 484 /2023

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU JEUDI 6 AVRIL 2023

 

Entre

A______ SA, sise ______ [GE], demanderesse suivant action en nullité et en cessation avec requête de mesures provisionnelles déposée au greffe de la Cour de céans le 6 février 2023, comparant par Me François BELLANGER, avocat, 8 rue de Hesse, case postale, 1211 GENEVE 4, en l'Étude duquel elle fait élection de domicile,

et

B______ GMBH, p.a. Monsieur C______, ______ [AG], défenderesse, comparant en personne.

 


EN FAIT

A.           a. A______ SA (ci-après : A______ SA ou la demanderesse) est une société suisse inscrite au registre du commerce de Genève dont le but social est l'acquisition, l'administration et la gestion de participations de sociétés commerciales, financières, industrielles ou immobilières, à l'exclusion des opérations prohibées par la Loi fédérale sur l'acquisition d'immeubles par des personnes à l'étranger (LFAIE).

Elle est titulaire de trois marques verbales "D______" dans les classes 25 (notamment vêtements, chaussures), 35 (notamment conseils aux entreprises, publicité, production textes et musiques), 38 (communication), 41 (notamment organisation manifestations, spectacles), 43 (ancien. 42) (notamment exploitation de cafés, bars, dancings), no 1______ depuis 1995 pour l'une, dans la classe 30 (notamment café, confiserie), no 2______ depuis 2002 pour l'autre et dans les catégories 21 (notamment verrerie, vaisselle), 32 (notamment bières, boissons) et 33 (notamment boissons alcoolisées sauf bière, vins), no 3______ depuis 2022 pour la troisième.

Elle utilise depuis une date indéterminée un logo constitué du terme D______ dont le "D______" initial est stylisé, arrondi à caractère manuscrit.

Elle semble essentiellement active en Suisse romande, bien qu'ayant une clientèle en Suisse allemande par le biais d'un site internet de vente de produits.

b. B______ GMBH (ci-après : B______ GMBH ou la défenderesse) est une société suisse inscrite au registre du commerce du canton d'Argovie dont l'unique associé est C______ et qui a pour but, notamment, l'organisation d'événements, la conception et le design de publicités, la distribution de produits de besoins courants de haute qualité sous le label "D______ E______", la participation à d'autres sociétés, l'acquisition et la vente d'immeubles.

Elle est titulaire de la marque figurative no 4______ "D______/E______ Est. 2020" depuis septembre 2020 pour les classes 35 (cf. ci-dessus), 39 (organisation de voyages), 42 (mise à disposition de plateformes Internet, design et hébergement de portails Internet) et 43 (cf. ci-dessus). Le signe "D______/E______" est constitué d'un "D______" majuscule arrondi, à caractère manuscrit et d'un "E______" minuscule accolé, à caractère manuscrit.

Elle semble essentiellement active en Suisse allemande.

c. Par acte du 6 février 2023, A______ SA a introduit une "action en nullité et en cessation" concluant, notamment, à la constatation de la nullité de la marque déposée par B______ GMBH pour les classes 35 et 43, à l'interdiction de l'utilisation de cette marque pour les classes en question, à l'interdiction de l'utilisation par elle du nom de domaine "D______E______.com", à l'interdiction de l'apposition du sigle "______" sur les produits, emballages, etc., de la défenderesse et à l'interdiction d'en faire usage, notamment par le biais d'internet, et à l'interdiction d'usage du nom D______ pour les classes de produits et services 21, 25, 30, 32, 33, 38 et 41.

Elle expose avoir découvert en juillet 2022 l'existence de la défenderesse et son activité par son représentant en Suisse allemande. La défenderesse utilisait selon elle sa marque de manière à créer une confusion entre ses produits et ceux de la demanderesse, en particulier pour la vente de vins, spiritueux et autres boissons alcoolisées, notamment par le biais de son site internet pour la vente en ligne.

d.   Par le même acte, elle a sollicité le prononcé de mesures provisionnelles visant à ce qu'il soit fait interdiction à B______ GMBH :

d'utiliser le nom de domaine D______E______.com, ainsi que toute promotion de ce site sous quelque forme que ce soit, sous la menace de la peine d'amende prévue par l'article 292 CP qui réprime l'insoumission à une décision de l'autorité (art. 343 al. 1 let. a CPC) ;

d'utiliser sur son site internet le signe "______" stylisé très similaire à celui de D______, sous la menace de la peine d'amende prévue par l'article 292 CP qui réprime l'insoumission à une décision de l'autorité (art. 343 al. 1 let. a CPC) ;

d'utiliser de quelque manière que ce soit l'appellation "D______" ou "D______/E______" sans le reste du nom de la marque, soit autrement que "D______/E______ EST. 2020", avec un "D______" stylisé autrement que le "D______" actuel, sous la menace de la peine d'amende prévue par l'article 292 CP qui réprime l'insoumission à une décision de l'autorité (art. 343 al. 1 let. a CPC).

e. Par pli du 28 février 2023, retiré par B______ GMBH le 2 mars 2023, la Cour a transmis à la défenderesse la requête de la demanderesse et les pièces produites. Elle lui a imparti un délai de dix jours pour se déterminer sur la requête de mesures provisionnelles.

B______ GMBH n'a pas répondu dans le délai imparti.

f.     Dans sa requête de mesures provisionnelles, A______ SA soutient que les conditions au prononcé de telles mesures sont réalisées du fait du risque de confusion créé par l'utilisation de la marque de la défenderesse, en particulier par le biais de son site internet, de sorte que le risque de dommage difficilement réparable pour elle existait en cas de continuation de l'utilisation indue. Elle considère par ailleurs les chances de succès de son action comme bonnes et les mesures requises comme proportionnées.

EN DROIT

1. 1.1 La Chambre civile de la Cour de justice connaît en instance unique des litiges portant sur des droits de propriété intellectuelle ou relevant de la loi contre la concurrence déloyale, lorsque la valeur litigieuse dépasse 30'000 fr. (art. 5 al. 1 let. a et d CPC; art. 120 al. 1 let. a LOJ). Cette compétence vaut également pour statuer sur les mesures provisionnelles requises avant litispendance (art. 5 al. 2 CPC).

1.2 En l'espèce, la demanderesse fonde ses prétentions sur la loi sur les marques et sur celle contre la concurrence déloyale.

Bien qu'elle ne consacre pas une ligne à la condition de recevabilité devant la Cour dépendant de la valeur litigieuse quant à ses prétentions découlant du droit de la concurrence déloyale, la demande doit être déclarée recevable. En effet, l'action en nullité introduite relève du droit des marques et l'action "en cessation", tant du droit de la concurrence déloyale que du droit des marques. L'art. 5 al. 1 lit. a CPC ne prescrivant aucune condition relative à la valeur litigieuse pour les litiges portant sur des droits de propriété intellectuelle, il est admis qu'en cas de fondements multiples de l'action la Cour est compétente pour le tout (VOCK/NATER, Basler Kommentar ZPO 3. Aufl. 2017, no 5 ad art. 5).

2.    Sur mesures provisionnelles, la demanderesse souhaite le prononcé de l'interdiction de l'utilisation, par la défenderesse, du nom de domaine D______E______.com, l'interdiction de l'utilisation par elle sur son site du sigle "______" stylisé et l'interdiction de l'utilisation de "l'appellation" "D______" ou "D______ E______", "soit autrement que "D______/E______ Est. 2020", du fait du risque de confusion susceptible de lui causer un dommage difficilement réparable.

2.1 Aux termes de l'art. 261 al. 1 CPC, le juge ordonne les mesures provisionnelles nécessaires lorsque le requérant rend vraisemblable qu'une prétention dont il est titulaire est l'objet d'une atteinte ou risque de l'être (let. a) et que cette atteinte risque de lui causer un préjudice difficilement réparable (let. b).

Le prononcé de mesures provisionnelles suppose que soient établis, au niveau de la vraisemblance, l'existence d'une prétention au fond, l'existence ou le risque d'une atteinte, cette notion impliquant une certaine urgence et le risque de survenance d'un préjudice difficilement réparable; la mesure ordonnée doit respecter en outre le principe de proportionnalité en ce sens qu'elle doit être à la fois apte à atteindre le but visé, nécessaire, en ce sens que toute autre mesure se révèlerait inapte à sauvegarder les intérêts de la partie requérante, et proportionnée (Bohnet, CR-CPC, 2019, n. 17 ad art. 261);

Le juge se limitera à la vraisemblance des faits et à l'examen sommaire du droit, en se fondant sur les moyens de preuve immédiatement disponibles (ATF 139 III 86 c. 4.2; 131 III 473 c. 2.3).

Les mesures provisionnelles sont soumises à la procédure sommaire (art. 248 let. d CPC), dans le cadre de laquelle, sauf exceptions, la maxime des débats s'applique (art. 55 al. 1 CPC; Bohnet, in Procédure civile suisse, Les grands thèmes pour les praticiens, Neuchâtel 2010, ch. 23 et 26, p. 201 et 202). La maxime de disposition est par ailleurs applicable (art. 58 al. 1 CPC).

2.2

2.2.1 L'action en constatation d'un droit ou d'un rapport juridique prévu par la Loi fédérale sur la protection des marques (LPM – RS 232.11) est ouverte à toute personne qui établit qu'elle a un intérêt juridique à une telle constatation (art. 52 LPM).

Un intérêt juridique à la constatation est reconnu au titulaire d'un droit exclusif sur une dénomination avec laquelle la marque litigieuse entre en conflit (ACJC/1378/2011 publié in: sic! 3/2012, c. 4.1.1 à 4.1.3).

Une marque est un signe propre à distinguer les produits ou les services d'une entreprise de ceux d'autres entreprises (art. 1 al. 1 LPM). Le droit à la marque prend naissance par l'enregistrement (art. 5 LPM) et appartient à celui qui la dépose le premier (art. 6 LPM).

Le droit à la marque confère au titulaire le droit exclusif d'en faire usage pour distinguer les produits ou les services enregistrés et d’en disposer (art. 13 al. 1 LPM). Le titulaire peut interdire à des tiers l’usage des signes dont la protection est exclue en vertu de l’art. 3 al. 1 (art. 13 al. 2 LPM). Cette disposition exclut notamment de la protection les signes identiques ou similaires à une marque antérieure et destinés à des produits ou services similaires, lorsqu'il en résulte un risque de confusion (art. 3 al. 1 let. b et c LPM).

Un risque de confusion au sens de l'art. 3 al. 1 let. c LPM existe lorsque la fonction distinctive de la marque antérieure est atteinte par l'utilisation du signe le plus récent. On admettra cette atteinte lorsqu'il est à craindre que les milieux intéressés se laissent induire en erreur par la similitude des signes et imputent les marchandises qui le portent (ou les services auxquels les signes renvoient) au faux titulaire; on l'admettra aussi lorsque le public arrive à distinguer les signes mais présume des relations en réalité inexistantes, par exemple en y voyant des familles de marques qui caractérisent différentes lignes de produits (ou de services) de la même entreprise ou des produits (services) d'entreprises liées entre elles (ATF 128 III 96 c. 2a; 127 III 160 c. 2; arrêt du Tribunal fédéral 4A_617/2017 du 27 c. 3.1).

L'analyse du risque de confusion implique que l'on examine l'impression d'ensemble qui se dégage de la marque pour l'usager moyen en Suisse, du produit ou du service (ATF 122 III 382 c. 2a et 5a).

Le périmètre de protection d'une marque dépend notamment de sa force distinctive. Pour les marques faibles, il est plus restreint que pour les marques fortes. Sont fortes les marques qui sont imaginatives ou qui ont acquis une notoriété dans le commerce (ATF 122 III 382 c. 2a). Ainsi, une marque ayant acquis une telle notoriété ou présentant un degré élevé de fantaisie bénéficiera d'une sphère de protection accrue, en ce sens que la similarité des signes sera plus facilement admise et on requerra alors d'autant plus de différences entre les marchandises (arrêt du Tribunal fédéral 4C.88/2007 c. 2.2.2; ATF 128 III 96 c. 2c).

L'impression d'ensemble est également déterminante en cas de marque combinée ou mixte. Selon la jurisprudence, il n'y a pas lieu d'accorder schématiquement plus d'importance à l'élément verbal ou à l'élément graphique. Il convient au contraire de vérifier dans chaque cas la force distinctive que revêtent les différents éléments et l'influence qu'ils exercent sur l'impression d'ensemble (Schlosser/Maradan, Commentaire romand, Propriété intellectuelle, 2013, n. 104 ad art. 3 LPM et réf. citées). Lorsque l'un des éléments est générique, descriptif ou banal, la reprise de cet élément ne peut fonder un risque de confusion; lorsque les deux éléments ont une certaine force distinctive, ni l'un ni l'autre ne pourront en principe figurer dans une marque concurrente (Cherpillod, Le droit suisse des marques, 2007, p. 117). Une marque combinée peut le cas échéant porter atteinte à une marque verbale et inversement (Schlosser/Maradan, op. cit., n. 103s ad art. 3 LPM et réf. citées).

En outre, plus les produits ou les services pour lesquels sont enregistrées les marques sont similaires, plus le risque de confusion est grand et plus le nouveau signe doit se distinguer de la marque antérieure pour éviter tout risque de confusion. Ce principe sera appliqué de manière d'autant plus rigoureuse lorsque les deux sortes de produits sont identiques (ATF 122 II 382 c. 3a).

Une marque individuelle sera déclarée nulle si elle ne satisfait pas aux conditions posées par les art. 1 à 4 LPM (Killias/De Selliers, Commentaire romand, Propriété intellectuelle, 2013, n.  85 ad art. 52 LPM).

La LPM ne prévoit pas d'action en radiation d'un enregistrement de marque. Les tribunaux civils doivent se borner à constater la nullité de la marque faisant l'objet de la procédure et l'Institut fédéral de la Propriété intellectuelle doit révoquer l'enregistrement lorsque le jugement entre en force (cf. art. 35 LPM; Mühlstein, Commentaire romand, Propriété intellectuelle, 2013, n. 6 ad art. 35 LPM).

2.2.2 La LCD ne revêt pas un caractère subsidiaire par rapport aux diverses lois qui protègent la propriété intellectuelle; son but est simplement différent (ATF 129 III 353 c. 3.3 p. 358). Chaque disposition en matière de propriété intellectuelle ou de concurrence déloyale a son propre champ d'application. Il est parfaitement possible qu'un même comportement puisse tomber sous le coup de plusieurs dispositions différentes. Dès le moment où les conditions d'application d'une disposition sont réunies et justifient la mesure prise, il n'y a plus d'intérêt à se demander si la même mesure pourrait être prise également sur la base d'une autre disposition (arrêt du Tribunal fédéral 4A_689/2012 c. 2.4).

A teneur de l'art. 2 LCD, est déloyal et illicite tout comportement ou pratique commercial qui est trompeur ou qui contrevient de toute autre manière aux règles de la bonne foi et qui influe sur les rapports entre concurrents ou entre fournisseurs et clients. L'acte de concurrence déloyale doit être objectivement propre à influencer le marché (ATF 136 III 23 c. 9.1). Il n'est toutefois pas nécessaire que l'auteur de l'acte soit lui-même dans un rapport de concurrence avec la ou les entreprises qui subissent les effets de la concurrence déloyale (ATF 126 III 198 c. 2c/aa).

L'art. 3 let. d LCD qualifie de déloyal le comportement de celui qui prend des mesures de nature à faire naître une confusion entre ses propres biens ou services et ceux d'autrui. Le risque de confusion peut d'ailleurs n'être qu'indirect, en ce sens qu'il suffit que l'auteur fasse naître l'idée que deux produits, en soi distincts, proviennent de la même entreprise (arrêt du Tribunal fédéral 4A_467/2007 c. 4.2, in sic! 6/2008 p. 454).

Le risque de confusion existe lorsque l'ensemble des informations que le consommateur attribue aux produits munis d'une certaine marque depuis qu'il les a éprouvés ou parce qu'il en a entendu parler sont attribuées aux produits d'une autre marque, dans la mesure où le consommateur n'est plus en mesure de distinguer les deux marques (risque de confusion directe) ou qu'il entrevoit un lien entre leurs titulaires (risque de confusion indirecte) (ATF 131 III 572 c. 3; arrêt du Tribunal fédéral 4A_167/2019 c. 3.1.1). Cette notion se retrouve à la fois à l'art. 3 al. 1 LPM et à l'art. 3 al. 1 let. d LCD. On distingue entre deux types de risque de confusion : (i) il y a risque de confusion directe lorsque l'on doit craindre que les milieux concernés soient induits en erreur en raison de la similitude des marques et attribuent les marchandises assorties du signe postérieur au titulaire de la marque antérieure; (ii) il y a risque de confusion indirecte, lorsque le public parvient certes à dissocier les signes, mais qu'il infère de leur similitude des liens n'existant pas en réalité, par exemple lorsqu'il est amené à penser qu'il a affaire à des marques de série assortissant différentes lignes de produits d'une même entreprise ou d'entreprises économiquement liées entre elles (SCHLOSSER/MARADAN, op.cit, n. 9 et suivantes ad art. 13 LPM).

Si la notion de risque de confusion est la même dans tout le droit relatif aux signes distinctifs (ATF 131 III 572 c. 3; 128 III 401 C. 5), ce risque ne s'apprécie pas forcément selon les mêmes critères dans les différents domaines du droit (cf. ATF 140 III 297 c. 3.5).

A cet égard, il importe de savoir à quel milieu les produits ou services s'adressent et comment ils sont vendus ou proposés. Pour les articles de masse d'usage quotidien, il faut compter avec une attention et une capacité de distinguer des consommateurs plus réduite que pour les produits ou services spécialisés, dont les acheteurs ou clients se recrutent dans un cercle plus ou moins fermé de professionnels (ATF 126 III 315 consid. 6b/bb; ATF 122 III 382 consid. 2a). En présence de produits pour lesquels on peut s'attendre à une attention accrue de la part de l'acheteur, le risque de confusion doit être admis moins facilement; il en va notamment ainsi des montres (sauf celles très bon marché), des ordinateurs et des logiciels (ACJC/586/2018 c. 2.2; ACJC/1527/2015 c. 2.2.1).

2.3 En l'espèce, la demanderesse est titulaire de la marque verbale "D______" dans diverses classes depuis 1995, 2002 et 2022.

Son intérêt à agir doit dès lors être admis.

Si elle est titulaire des marques mentionnées ci-dessus, elle n'est pas titulaire, à teneur de dossier, d'une marque figurative ou d'une marque combinée comportant un logo, et en particulier un "D______" stylisé.

A ce stade déjà, les chances de succès de son action fondée sur la protection du droit des marques, en tant qu'elle vise le logo utilisé et le design du "D_____" stylisé, ne semblent dès lors pas évidentes.

S'agissant du risque de confusion allégué, notamment fondé sur la LCD, cette question sera examinée dans le cadre de l'arrêt à rendre au fond, le cas échéant et si nécessaire.

La requête de mesures provisionnelles doit cependant être rejetée pour un autre motif.

En effet, l'on ne voit pas, au stade de la vraisemblance, de danger imminent menaçant les droits de la demanderesse, qui justifierait le prononcé de mesures d'urgence.

Cette dernière n'a pas rendu vraisemblable avoir subi ou risquer de subir un préjudice nécessitant une intervention immédiate, du fait du maintien de la situation qui prévaut. Elle n'a pas fait valoir, en particulier, qu'elle aurait manqué des affaires du fait de la situation de fait actuelle. La Cour relève à ce propos que la demanderesse a produit une liste d'achats effectués chez elle par ses clients en Suisse allemande, sans soutenir que le nombre de ces achats aurait pu être plus important si l'activité déployée par la défenderesse l'était d'une autre manière que celle qui existe ou qu'au contraire elle aurait subi une érosion des transactions sur son site internet du fait de l'apparition de l'activité de la défenderesse.

En outre, il ressort du dossier produit par la demanderesse, en l'absence d'élément apporté par la défenderesse, que si certes les sites des deux parties sont accessibles dans toute la Suisse, l'un est rédigé en français (en anglais et en allemand) et semble essentiellement destiné à des clients en Suisse romande, alors que l'autre est rédigé en allemand (et en anglais) et semble s'adresser essentiellement à des clients en Suisse allemande, soit dans des parties du pays qui ne font pas l'objet de l'activité principale du concurrent.

De plus, un élément supplémentaire impose de dénier à la demanderesse toute protection immédiate. En effet, une simple consultation d'Internet fait apparaître ce qui suit :

-          Le site "D______E______.com" n'existe pas (plus ?), une recherche sur cette base conduisant au site "F______E______.com", site qui n'utilise aucunement les signes et termes auxquels fait référence la requérante.

-          Le site par lequel la requérante offre ses produits à la vente en boutique en ligne se nomme "G______.ch", sans contenir le nom de D______. Aucune référence n'est faite à la marque D______ sur celui-ci, et aucun logo tel que décrit dans la requête n'est utilisé.

Il en découle qu'en l'absence de risque de confusion rendu vraisemblable, en l'absence de préjudice rendu vraisemblable et en l'absence d'urgence à agir, la requête de mesures provisionnelles devra être rejetée en totalité, sous suite de frais.

La suite de la procédure, au fond, sera réservée, pour autant que la demanderesse maintienne sa demande.

3.    Les frais judiciaires de la procédure provisionnelle seront arrêtés à 2'500 fr. (art. 26 RTFMC) et mis à la charge de la demanderesse, qui succombe (art. 95 al. 1, art 106 al. 1 CPC). Ils seront compensés, à due concurrence avec l'avance de frais fournie par la requérante, qui demeure dans cette mesure acquise à l'Etat (art. 111 al. 1 CPC). Le solde de l'avance est en l'état conservé pour la suite éventuelle de la procédure au fond.

La citée n'ayant pas participé à la procédure, il n'y a pas lieu à dépens.

Prononcée en instance cantonale unique, la présente décision est susceptible d'un recours en matière civile au Tribunal fédéral indépendamment de la valeur litigieuse (art. 74 al. 2 LTF; art. 5 al. 1 let. a CPC).

Vu sa nature provisionnelle, les moyens sont toutefois limités à l'éventuelle violation de droits constitutionnels (art. 98 LTF).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :


Statuant en instance cantonale unique et sur mesures provisionnelles
:


Déclare recevable la requête de mesures provisionnelles formée le 6 février 2023 par A______ SA à l'encontre de B______ GMBH.

La rejette.

Réserve la suite de la procédure.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires de la procédure à 2'500 fr., les met à la charge de A______ SA et dit qu'ils sont compensés avec l'avance de frais versée qui reste acquise à l'Etat à due concurrence.

Prescrit qu'il n'y a pas lieu à dépens.

Siégeant :

Monsieur Cédric-Laurent MICHEL, président; Madame Pauline ERARD, Madame Paola CAMPOMAGNANI, juges; Madame Camille LESTEVEN, greffière.

 

 

 

Le président :

Cédric-Laurent MICHEL

 

 

La greffière :

Valérie BOCHET MARCHAND

 

 

 

Indication des voies de recours :

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF;
RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne.