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Décisions | Chambre civile

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C/5220/2021

ACJC/1667/2022 du 13.12.2022 sur JTPI/13818/2021 ( OO ) , CONFIRME

Normes : LP.250; LP.221; LP.285
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/5220/2021 ACJC/1667/2022

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

du MARDI 13 DECEMBRE 2022

 

Entre

1) Madame A______, domiciliée ______ [GE],

2) Madame B______, domiciliée ______ [GE]

appelantes d'un jugement rendu par le Tribunal de première instance de ce canton le 2 novembre 2021, comparant toutes deux par Me Bernard CRON, avocat, Lexpro, rue Rodolphe-Töpffer 8, 1206 Genève, en l'Étude duquel elles font élection de domicile,

et

LA MASSE EN FAILLITE DE LA SUCCESSION DE FEU MADAME C______, représentée par l'Office cantonal des faillites, route de Chêne 54, case postale,
1211 Genève 6, intimée.


EN FAIT

A. Par jugement JTPI/13818/2021 du 2 novembre 2021, reçu le lendemain par les parties, le Tribunal de première instance (ci-après : le Tribunal), statuant par voie de procédure ordinaire sur action en contestation de l'état de collocation, a débouté A______ et B______ des fins de leur demande introduite le 11 mars 2021 à l'encontre de la Masse en faillite de la succession de feu MADAME C______ (chiffre 1 du dispositif), mis à charge de A______ et B______ les frais judiciaires arrêtés à 1'200 fr., compensés avec l'avance de même montant versée par ces dernières (ch. 2), dit qu'il n'était pas alloué de dépens (ch. 3) et débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 4).

B. a. Par acte expédié au greffe de la Cour le 3 décembre 2021, A______ et B______ appellent de ce jugement, concluant, avec suite de frais judiciaires et dépens d'appel, à ce que la Cour l'annule et, cela fait, colloque les créances de A______ et B______ contre C______ de 200'000 fr. chacune en troisième classe dans l'état de collocation de la faillite de la succession de feu C______ et ordonne à l'administration de la faillite de la succession de feu C______ de rectifier l'état de collocation en conformité avec le jugement à rendre.

b. Dans sa réponse du 23 février 2022, LA MASSE EN FAILLITE DE LA SUCCESSION DE FEU MADAME C______ a conclu, avec suite de frais judiciaires et dépens, au déboutement de A______ et B______ et à la confirmation du jugement entrepris.

c. Les parties ont respectivement répliqué et dupliqué, persistant chacune dans leurs conclusions respectives.

d. Elles ont été informées par pli du greffe de la Cour de justice (ci-après : la Cour) du 11 mai 2022 que la cause était gardée à juger.

C. Les faits pertinents suivants ressortent de la procédure :

a. C______ est décédée à Genève le ______ 2020 à l'âge de 86 ans.

Par courrier du 1er mai 2020 à la Justice de paix, les héritiers de la défunte, à savoir ses enfants A______, B______ et D______, ont répudié la succession.

Par jugement du 18 mai 2020, le Tribunal a ordonné la liquidation de la succession selon les règles de la faillite.

b. Dans l'inventaire de la faillite du ______ 2020, l'Office cantonal des faillites (ci-après : l'Office) a inscrit deux prétentions de 200'000 fr. à l'encontre de A______, respectivement de B______, avec l'indication suivante :

"Prétention soumise à une action révocatoire à l'encontre de Madame B______ [respectivement A______] pour la somme de CHF 200'000.- correspondant à une avance sous forme de prêt octroyé par la défunte (cf. déclarations d'impôts). Moyennant une donation du 1er mars 2020 dont copie en langue arabe et traduction est versée au dossier".

c. Le document en langue arabe auquel l'Office fait référence dans l'inventaire de la faillite est une note manuscrite rédigée par C______ le 1er mars 2020 à l'attention de ses filles A______ et B______, dont la traduction certifiée conforme est la suivante :

"Mes chéries ! A l'occasion de l'approche de mon anniversaire dans quelques jours, j'ai souhaité vous offrir cette année un cadeau afin de vous exprimer mes sentiments et vous remercier de vos nombreux sacrifices. Vous avez sacrifié vos vies et vos bonheurs et vous avez abandonné tous les plaisirs de la vie pour me servir, pour vous occuper de moi et pour vous charger de toutes mes affaires privées depuis le jour du décès de votre père. Puis en raison du décès de sa majesté, le Sultan E______, et au vu de mon inquiétude de voir l'argent d'aide suspendu . J'ai décidé, de ce fait, que vous alliez considérer la somme (l'avance) qui s'élève à 200'000 francs pour chacune d'entre vous comme un cadeau – et non pas comme une avance – pour vous de ma part . une sorte de remerciement et d'appréciation sachant que cet argent ne vaudrait jamais rien devant le sacrifice de vos vies dans le but de me rendre heureuse .

Mes chères filles, merci.

Votre mère/ C______"

d. Par courrier du 18 décembre 2020 à l'Office, A______ et B______ ont, sous la plume de leur conseil, produit chacune une créance de 200'000 fr. dans la succession de leur mère, exposant ce qui suit :

"Pour s'occuper de leur mère et la soigner, mes mandantes ont renoncé à une vie indépendante ainsi qu'à une carrière professionnelle, se consacrant au bien-être de leur mère et l'hébergeant dans leur appartement depuis le décès de Monsieur F______, leur père, fin 2003.

Reconnaissant ledit dévouement de ses filles, Madame C______ leur a pardonné sa propre créance de CHF 200'000.00 contre chacune de ses filles, la compensant contre celle de ses filles, résultant des services et soins procurés à leur mère durant 17 ans".

e. L'état de collocation dressé le 19 février 2021 par l'Office rejette les productions de A______ et B______, au motif que "les actes de feu [C______] sont révocables articles 286 LP et suivants. Votre mandante est donc dès lors redevable de la somme de CHF 200'000.- dans la succession de [leur] maman feue (sic) Madame C______ (Cf. courrier du 28.02.2021 de l'OCF)".

Il ressort de cet état de collocation que le dividende probable pour les créances colloquées en troisième classe est de 42.56 %.

f. Par acte expédié au Tribunal le 11 mars 2021, A______ et B______ ont formé une action en contestation de l'état de collocation à l'encontre de la masse en faillite de la succession de feu C______, concluant à titre principal, sur les points encore litigieux en appel, à ce que le Tribunal colloque les créances respectives de 200'000 fr. de A______ et B______ à l'encontre de leur mère en troisième classe dans l'état de collocation de la faillite de la succession de feu C______. A titre subsidiaire, sur les points encore litigieux en appel, elles concluent à ce que les créances réciproques de 200'000 fr. de A______, respectivement B______, et de C______ soient éliminées par compensation et ainsi écartées tant de l'état de collocation que de l'inventaire de la succession en faillite de feu C______.

g. Dans sa réponse du 17 mai 2021, LA MASSE EN FAILLITE DE LA SUCCESSION DE FEU MADAME C______ a conclu à ce que A______ et B______ soient déboutées de toutes leurs conclusions.

h. Lors de l'audience du 23 juin 2021, les parties ont plaidé, persistant chacune dans leurs conclusions respectives.

A l'issue de l'audience, elles ont été informées que la cause était gardée à juger.

D. En substance, le jugement querellé retient, sur la question encore litigieuse en appel, qu'il ne pouvait être déduit des allégations de A______ et B______ une quelconque créance en leur faveur, puisque, même à admettre leur position, ni elles ni leur mère ne devaient plus rien depuis mars 2021, ce qui excluait l'inscription d'une quelconque créance en leur faveur à l'état de collocation. Dans une motivation subsidiaire, le Tribunal a exposé que A______ et B______ n'avaient pas démontré l'existence d'une créance en leur faveur dont la cause serait leur droit à une indemnité équitable au sens de l'art. 334 CC, l'accomplissement des conditions de cette dernière disposition, en particulier celle du ménage commun, n'étant pas démontré.

EN DROIT

1. 1.1 Dans les affaires patrimoniales, l'appel est recevable contre les décisions finales de première instance si la valeur litigieuse est de 10'000 fr. au moins au dernier état des conclusions (art. 308 al. 1 let. a et al. 2 CPC).

En matière de contestation de l'état de collocation, la valeur litigieuse correspond au dividende probable devant revenir à la prétention litigieuse, soit au gain possible du procès (ATF 140 III 65 consid. 3.2, 138 III 675 consid. 3.1;
135 III 545 consid. 1).

En l'espèce, dans la mesure où il ressort de l'état de collocation dressé par l'Office des faillites le 19 février 2021 que le dividende probable sera, pour les créances colloquées en troisième classe, de 42.56 % et que le litige portait, au dernier état des conclusions de première instance, sur la collocation en troisième classe de deux créances de 200'000 fr. ainsi que de deux créances de 30'000 fr., la valeur litigieuse s'élève à 195'776 fr. (42.56 % x 460'000 fr.), de sorte que la voie de l'appel est ouverte.

1.2 L'appel, motivé et formé par écrit dans un délai de trente jours à compter de la notification de la décision, est recevable (art. 130, 131, 145 al. 1 let. b et 311 al. 1 CPC).

1.3 La Cour revoit la cause avec un plein pouvoir d'examen (art. 310 CPC). Elle applique en outre la maxime des débats et le principe de disposition (art. 55 al. 1 et 58 al. 1 CPC).

2. L'appelante reproche au Tribunal d'avoir procédé à une constatation inexacte des faits sur plusieurs points. En tant que de besoin, l'état de fait présenté ci-dessus a été rectifié et complété, de sorte que ce grief ne sera pas examiné plus avant.

3. Les appelantes reprochent au premier juge de n'avoir pas admis leurs créances respectives de 200'00 fr. dans l'état de collocation.

3.1.1 Le créancier qui conteste l'état de collocation parce que sa production a été écartée en tout ou en partie ou parce qu'elle n'a pas été colloquée au rang qu'il revendique intente une action en contestation de l'état de collocation dirigée contre la masse en faillite (art. 250 al. 1 LP; Marchand, Précis de droit des poursuites, 2022, n. 589; Jaques, Commentaire romand, Poursuite pour dettes et faillite, 2005, n. 6 ad art. 250 LP).

L'action en contestation de l'état de collocation selon l'art. 250 LP est une action de droit des poursuites avec effet réflexe de droit matériel (ATF 133 III 386, consid. 4.3.3, et les références citées). Elle a pour but de déterminer la masse passive, c'est-à-dire celle des créances qui participent à la répartition du patrimoine du débiteur failli, en fonction de leur existence, de leur montant, de leur rang et d'éventuels privilèges. L'action en contestation de l'état de collocation a pour seul but de corriger l'état de collocation et n'a pas davantage d'effet de chose jugée en dehors de la procédure de faillite que l'état de collocation lui-même. Le rapport d'obligation en tant que tel - entre le débiteur et le créancier - n'est ainsi pas déterminé de manière définitive. L'existence d'une créance est certes soumise à l'appréciation du juge, mais n'est pas l'objet d'un jugement définitif (ATF 133 III 386, cons. 4.3.3, et les références citées). Ce n'est qu'à titre préjudiciel que la question de l'existence et de l'étendue de la créance concernée fait l'objet d'un examen au fond fondé sur le droit matériel (Jaques, Commentaire romand, Poursuite pour dettes et faillite, 2005, n. 1 ad art. 250 LP).

En cas d'action dirigée contre la masse en faillite, il appartient au créancier dont la production a été écartée de prouver l'existence de sa créance ainsi que le rang auquel elle devrait selon lui être colloquée, en application de l'art. 8 CC (Hunkeler, Kurzkommentar SchKG, 2014, n. 38 ss. ad art. 250 LP).

3.1.2 Selon l'art. 221 al. 1 LP, l'Office procède, dès qu'il a reçu communication de l'ouverture de la faillite, à l'inventaire des biens du failli et prend les mesures nécessaires pour leur conservation.

L'inventaire ne détermine pas l'appartenance d'un élément du patrimoine à la masse en faillite, ni n'entraîne le dessaisissement du failli, mais donne une vision d'ensemble sur le patrimoine du failli et tend à assurer sa conservation (Vouilloz, Commentaire romand, Poursuite pour dettes et faillite, 2005, n. 3 ad art. 221 LP). Il s'agit d'une mesure interne de l'administration de la faillite, qui n'a aucun effet sur la situation juridique des tiers (ATF 114 III 21 consid. 5b = JdT 1990 II 43; 90 III 18 consid. 1). Elle n'a d'autre but et d'autre conséquence que d'énumérer et d'établir les biens et les droits que la masse considère comme appartenant au failli, y compris les droits litigieux ou contestés (arrêts du Tribunal fédéral 5A_53/2013 du 17 mai 2013 consid. 4.2 et 5A_517/2012 du 24 août 2012 consid. 4.1.2) et de servir de base aux réclamations ultérieures de celle-ci (ATF 38 I 734 consid. 2). La masse décide de faire valoir les droits inventoriés ou d'y renoncer. En cas de renonciation, les créanciers qui le demanderont obtiendront qu'il leur en soit fait cession, de façon à pouvoir poursuivre la réalisation des droits litigieux en lieu et place de la masse (art. 260 al. 1 LP; ATF 104 III 23 consid. 2).

3.1.3 Selon l'article 285 al. 1 LP, la révocation a pour but de soumettre à l'exécution forcée les biens qui lui ont été soustraits par suite d'un acte mentionné aux articles 286 à 288 LP.

Selon l'art. 286 LP, toute donation et toute disposition à titre gratuit, à l’exception des cadeaux usuels, sont révocables si elles ont été faites par le débiteur dans l’année qui précède la saisie ou la déclaration de faillite.

3.1.4 Aux termes de l'art. 334 CC, les enfants ou petits-enfants majeurs qui vivent en ménage commun avec leurs parents ou grands-parents et leur consacrent leur travail ou leurs revenus ont droit de ce chef à une indemnité équitable.

3.1.5 Conformément à l’art. 120 al. 1 CO, lorsque deux personnes sont débitrices l’une envers l’autre de sommes d’argent ou d’autres prestations de même espèce, chacune des parties peut compenser sa dette avec sa créance, si les deux dettes sont exigibles.

3.2 En l'espèce, les appelantes soutiennent détenir chacune une créance de 200'000 fr. à l'encontre de leur mère en application de l'art. 334 CC, lesquelles devraient être inscrites à l'état de collocation dressé par l'intimée.

Ce raisonnement ne peut être suivi. Même à admettre que les créances de 200'000 fr. découlant de l'application de l'art. 334 CC auxquelles prétendent les appelantes seraient fondées, elles ont été éteintes par compensation avec les créances que leur mère détenait à leur encontre en remboursement des montants de 200'000 fr. qu'elle leur avait prêtés, ce qu'illustre la note du 1er mars 2020 de C______. Les créances litigieuses n'avaient donc pas à être admises à l'état de collocation.

La question de la validité de la compensation sera cas échéant traitée si l'intimée ou les créanciers cessionnaires décident d'intenter l'action révocatoire inscrite à l'inventaire contre les appelantes, au motif que l'abandon par C______ des créances de 200'000 fr. à l'encontre de chacune de ses filles constituerait des libéralités révocables. Les appelantes pourront alors faire valoir la position qu'elles défendent ici, à savoir que les abandons de créances par leur mère ne constitueraient pas des libéralités, mais éteindraient par compensation les créances qu'elles-mêmes détiendraient à l'encontre de leur mère en vertu de l'art. 334 CC. Cette question ne se pose pas dans la présente procédure qui se limite à la contestation des dettes portées à l'état de collocation et ne permet pas d'examiner les actifs portés à l'inventaire – inventaire qui n'a de surcroît aucune portée sur la situation juridique des tiers.

Par conséquent, le jugement querellé intégralement confirmé, sans qu'il ne soit besoin d'examiner l'éventuel bienfondé des créances que les appelantes prétendent détenir à l'encontre de leur mère.

4. Les frais judiciaires d'appel seront arrêtés à 1'200 fr. (art. 95 al. 1 et 2, 104 al. 1 et 105 CPC; art. 19 LaCC; art. 7, 17 et 35 RTFMC), compensés entièrement avec l'avance de frais de même montant versée par les appelantes et mis à leur charge en totalité (art. 106 al.1 et 111 al. 1 CPC).

Les appelantes seront aussi condamnées, solidairement entre elles, aux dépens d'appel de leur partie adverse, arrêtés à 1'150 fr., TVA et débours compris (art. 85, 89 et 90 RTFMC; art. 25 et 26 LaCC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté par A______ et B______ contre le jugement JTPI/13818/2021 rendu le 2 novembre 2021 par le Tribunal de première instance dans la cause C/5220/2021.

Au fond :

Confirme le jugement entrepris.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires d'appel à 1'200 fr., les met à charge de A______ et B______, prises solidairement entre elles, et les compense avec l'avance fournie, qui reste acquise à l'Etat de Genève.

Condamne A______ et B______, prises solidairement entre elles, à verser à LA MASSE EN FAILLITE DE LA SUCCESSION DE FEU MADAME C______ la somme de 1'150 fr. à titre de dépens d'appel.

Siégeant :

Madame Ursula ZEHETBAUER GHAVAMI, présidente; Madame Sylvie DROIN, Monsieur Jean REYMOND, juges; Madame Camille LESTEVEN, greffière.

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.