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Décisions | Chambre civile

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C/86/2021

ACJC/1689/2022 du 21.12.2022 sur JTPI/4040/2022 ( OO ) , JUGE

Recours TF déposé le 13.02.2023, 5A_127/2023
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/86/2021 ACJC/1689/2022

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

du MERCREDI 21 DECEMBRE 2022

 

Entre

Monsieur A______, domicilié ______, appelant d'un jugement rendu par la 9ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 29 mars 2022, comparant par Me Alain BERGER, avocat, BRS Berger Recordon & de Saugy, boulevard des Philosophes 9, 1205 Genève, en l'Étude duquel il fait élection de domicile,

et

Madame B______, domiciliée ______, intimée, comparant par Me Cyrus SIASSI, avocat, SIASSI McCUNN BUSSARD, avenue de Champel 29, case postale 344,
1211 Genève 12, en l'Étude duquel elle fait élection de domicile.

 


EN FAIT

A. Par jugement JTPI/4040/2022 du 29 mars 2022, communiqué pour notification aux parties le 1er avril 2022 et reçu par elles le 4 avril 2022, le Tribunal de première instance (ci-après : le Tribunal) a "dit et constaté" que le SCARPA n'avait pas la légitimation passive et débouté le demandeur de ses conclusions à l'encontre du SCARPA (chiffre 1 et 2 du dispositif), débouté pour le surplus A______ des fins de sa demande en modification du jugement de divorce (ch. 3), arrêté les frais judiciaires à 1'600 fr., compensés avec les avances fournies par les parties, mis ces frais à la charge de A______ et condamné par conséquent A______ à rembourser à B______ la somme de 200 fr. correspondant à son avance de frais (ch. 4), dit qu'il n'y avait pas lieu à l'allocation de dépens (ch. 5) et débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 6).

En substance, sur le seul point contesté (ch. 3), le Tribunal a retenu qu'il n'y avait pas lieu à suppression de la contribution d'entretien en faveur de l'intimée dans la mesure, d'une part, où celle-ci avait été fixée dans la convention de divorce entre les parties en tenant compte de l'hypothèse d'un concubinage et que, quoiqu'il en soit et d'autre part, la relation entretenue par l'intimée avec son compagnon ne relevait pas du concubinage qualifié.

B. Contre ce jugement, A______ a formé appel le 18 mai 2022, concluant à son annulation et à la suppression dès la date du dépôt de la demande de la contribution d'entretien mensuelle fixée dans le jugement de divorce des parties du 5 décembre 2017 en faveur de l'intimée, sous suite de frais et dépens. Subsidiairement, il conclut à ce qu'il lui soit donné acte de son engagement de verser un montant de 1'000 fr. par mois de contribution à l'intimée jusqu'au 31 mars 2032, sous suite de frais et dépens.

En substance, il fait grief au premier juge d'avoir constaté les faits de manière inexacte ou incomplète en ne retenant pas que les circonstances s'étaient modifiées depuis le prononcé du jugement de divorce du fait du concubinage stable de l'intimée, concubinage qui n'avait pas été envisagé à l'époque et dont l'éventuelle survenance n'avait pas été réglée. Il lui fait reproche, en conséquence, d'avoir violé la loi en ne retenant pas que ces modifications devaient conduire à une nouvelle réglementation de la question de la contribution dans le sens de ses conclusions.

Par mémoire réponse du 1er juillet 2022, déposé au greffe de la Cour, l'intimée a conclu à la confirmation du jugement et au rejet de l'appel sous suite de frais et dépens. D'une part, si l'hypothèse d'un concubinage n'avait pas fait l'objet d'une réglementation spécifique, elle avait bien été prise en compte, cette hypothèse étant prévisible. Par ailleurs, comme retenu par le Tribunal, elle ne se considérait pas dans une relation de concubinage qualifié avec son compagnon, même s'ils faisaient ménage commun depuis plusieurs années, dans la mesure où chacun d'eux assumait ses propres charges. Le Tribunal avait en conséquence appliqué le droit de manière correcte.

Les parties ont persisté dans leurs conclusions initiales par réplique et duplique des 5 septembre, respectivement 7 octobre 2022, à l'issue de quoi la cause a été gardée à juger.

C. Ressortent pour le surplus de la procédure les faits pertinents suivants :

a. A______, né le ______ 1968 à Genève et B______, née le ______ 1968 à C______ [GE], ont contracté mariage le ______ 1993 à D______ (GE).

Deux enfants, aujourd'hui majeurs, sont issus de leur union.

b. Par jugement du 5 décembre 2017, le Tribunal de première instance, statuant sur requête commune, a :

" 1. dissous par le divorce le mariage contracté le ______ 1993 à D______ (GE) par les époux A______, né le ______ 1968 à Genève (GE), originaire de E______ (BE) et Genève (GE), et B______, née [B______] le ______ 1968 à C______ (GE), originaire de F______ (NE), G______ (NE), H______ (NE), Genève (GE) et E______ (BE),

( )

7. octroyé à B______ un droit d'habitation gratuit sur l'immeuble sis no. ______, chemin 1______, [code postal] D______ (immeuble n° 2______ sis sur la commune de D______ (6______) composé des bâtiments 3______, 4______ et 5______) jusqu'au 31 décembre 2021,

8. ordonné à Monsieur le Conservateur du Registre foncier du canton de Genève d'inscrire un droit d'habitation en faveur de B______ sur l'immeuble sis no. ______, chemin 1______, [code postal] D______ (immeuble n° 2______ sis sur la commune de D______ (6______) composé des bâtiments 3______, 4______ et 5______) jusqu'au 31 décembre 2021,

9. donné acte à A______ de son engagement à s'acquitter jusqu'au 31 décembre 2021 de l'intégralité des frais fixes et courants (intérêts hypothécaires, RC ménage, assurance bâtiment, chauffage, eau, électricité) de la maison sise no. ______, chemin 1______, [code postal] D______,

10. donné acte à A______ de son engagement à contribuer à l'entretien de B______, par mois et d'avance, par le versement d'un montant de CHF 2'500.- dès le départ définitif de B______ de la maison sise no. ______, chemin 1______, [code postal] D______, mais au plus tard dès le 1er janvier 2022 et ce jusqu'au 31 mars 2032,

11. dit que le montant de la contribution fixée ci-dessus sous chiffre 10 sera indexé chaque année au coût de la vie, l'indice de base étant celui du mois du prononcé du jugement,

12. donné acte à B______ de son engagement à transférer sa part de copropriété sur la maison sise no. ______, chemin 1______, [code postal] D______ (immeuble n° 2______ sis sur la commune de D______ (6______) composé des bâtiments 3______, 4______ et 5______) à A______ seul,

13. ordonné en conséquence à Monsieur le Conservateur du Registre foncier du canton de Genève de transférer la part de copropriété de B______ sur l'immeuble sis no. ______, chemin 1______, [code postal] D______ (immeuble n° 2______ sis sur la commune de D______ (6______) composé des bâtiments 3______, 4______ et 5______) à A______ exclusivement,

14. donné acte à A______ de son engagement à reprendre à son seul nom les dettes hypothécaires octroyées par [la banque] I______ et totalisant CHF 874'000.-,

15. donné acte à A______ de son engagement à verser à B______, pour la désintéresser de sa part de copropriété de la maison sise no. ______, chemin 1______, [code postal] D______, une soulte d'un montant de CHF 298'000.- payable lors de la vente de la maison ou au plus tard le 31 décembre 2022,

16. donné acte aux parties de ce qu'elles supportent, par moitié chacune, tous les frais liés à l'inscription du droit d'habitation et au transfert de propriété de l'immeuble sis no. ______, chemin 1______, [code postal] D______;

( )

22. ratifié pour le surplus la convention conclue le 26 avril 2017 par A______ et B______ et dit qu'elle fait partie intégrante du présent jugement."

c. La convention signée par les parties le 26 avril 2017 stipulait, sous rubrique " contribution d'entretien post-divorce", après qu'ait été octroyé à l'épouse un droit d'habitation sur la maison familiale jusqu'au 31 décembre 2021, le versement dès le "départ définitif" de l'épouse dudit domicile, par l'époux, par mois, d'avance, d'une somme de 2'500 fr. à titre de "contribution d'entretien", jusqu'au 31 mars 2032, montant indexé au coût de la vie.

La requête commune en divorce déposée le 27 avril 2017 précisait dans le cadre de l'établissement des charges de l'épouse que : "à l'échéance du droit d'habitation, le 31 décembre 2021, un loyer hypothétique de 2'500 fr. peut être retenu dans le budget de Mme B______".

d. B______ a adressé un mail le 13 décembre 2018 à A______, lui indiquant qu'"en raison du fait de l'emménagement avec un tiers", elle quittait la maison objet du droit d'habitation au 1er janvier 2019 et l'invitait à débuter le paiement de la contribution d'entretien fixée en sa faveur, mais lui proposait de la réduire de 500 fr. par mois.

e. Par acte du 5 janvier 2021, A______ a introduit une demande en modification du jugement de divorce du 5 décembre 2017 à l'encontre de B______ et du Service cantonal de recouvrement des pensions alimentaires (SCARPA).

Il a conclu à la suppression de la contribution d'entretien mensuelle en faveur de B______ prévue aux chiffres 10 et 11 du dispositif dudit jugement dès la date du dépôt de sa demande, dans la mesure où son ancienne épouse vivait depuis le 1er janvier 2019 en concubinage avec son compagnon, circonstances que les parties n'avaient pas anticipées à l'époque de la procédure de divorce, ce qui était démontré par le fait que les parties avaient prévu le versement d'un loyer hypothétique de 2'500 fr. à l'échéance du droit d'habitation.

f. Par réponse du 29 avril 2021, B______ a conclu au maintien de la contribution d'entretien mensuelle indexée au coût de la vie due par A______ en sa faveur.

Elle confirmait avoir emménagé au mois de janvier 2019 chez son compagnon J______, ce dont elle avait spontanément informé son ancien conjoint, le loyer mensuel du couple s'élevant à 1'490 fr. charges comprises. Compte tenu de cet emménagement qui engendrait une légère baisse de ses charges, elle avait offert à A______ de réduire de 500 fr. la contribution qu'il était tenu de lui verser. Elle versait 1'000 fr. à son compagnon à titre de participation au loyer et aux frais accessoires et lui remettait en espèce 500 fr. à titre de participation pour les courses. Son compagnon exerçait une activité professionnelle salariée, chacun des concubins étant ainsi indépendant sur le plan financier et assumant seul ses propres charges et dépenses. Il en allait de même pour les vacances. Sa relation avec J______ devait être qualifiée de concubinage simple et non qualifié, chacun des conjoints assumant seul ses charges et dépenses en dehors des charges communes. Le montant de la contribution d'entretien de 2'500 fr. n'avait pas été fixé en fonction d'un loyer hypothétique mais correspondait à un montant forfaitaire fixé en fonction de plusieurs facteurs, dont la renonciation au droit d'habitation et la compensation de la diminution de sa capacité de gain résultant du fait qu'elle avait renoncé à sa carrière dans le milieu bancaire pour se consacrer à sa famille.

g. Lors de l'audience du 29 septembre 2021 du Tribunal, B______ a indiqué qu'elle entretenait une relation avec J______ depuis mars 2018 et confirmé qu'ils vivaient ensemble depuis le mois de janvier 2019. Elle a pour le surplus confirmé les termes de ses conclusions écrites antérieures.

A______ a quant à lui déclaré qu'au moment de la procédure de divorce, le fait que l'un des anciens époux puisse s'installer avec quelqu'un d'autre n'avait pas été discuté dans le cadre de la convention sur les effets accessoires. Il avait néanmoins posé la question à son avocat de l'impact financier d'une remise en couple, celui-ci lui ayant précisé que ce n'était pas au nouveau compagnon éventuel d'assurer l'entretien, sauf en cas de remariage.

h. Le nouveau compagnon de l'intimée a été entendu lors de l'audience du Tribunal du 10 novembre 2021. Il a confirmé vivre avec B______. Celle-ci lui versait chaque mois 1'000 fr. sur son compte bancaire, couvrant sa part des frais généraux tels que le loyer (1'490 fr./2), téléphone, assurance-ménage, électricité, etc. Chacun versait par ailleurs 500 fr. par mois dans le "porte-monnaie commun" pour les frais d'alimentation courants et les autres petites dépenses. Pour ce qui était des vacances, chacun payait sa part. D'une manière générale, ils étaient complètement indépendants financièrement et chacun payait ses frais. Le budget commun, hors "porte-monnaie commun", était d'environ 2'000 fr., couvrant le loyer, les assurances, les frais de téléphone ainsi que les autres petites dépenses. Les frais de ménage étaient répartis 50-50 % quand bien même B______ gagnait moins que lui.

i. Les parties ont plaidé lors de l'audience du Tribunal du 12 janvier 2022, persistant dans leurs conclusions, suite à quoi le jugement querellé a été prononcé.

EN DROIT

1.             1.1 Dans les affaires patrimoniales, l'appel est recevable contre les décisions finales de première instance lorsque la valeur litigieuse au dernier état des conclusions est de 10'000 fr. au moins (art. 308 al. 1 et 2 CPC).

En l'espèce, le litige porte sur le versement de contributions mensuelles qui, capitalisées selon l'art. 92 al. 1 CPC, sont supérieures à 10'000 fr. La voie de l'appel est dès lors ouverte.

Interjeté dans les délai et forme utiles (art. 130, 131, 142 al. 1 et 311 al. 1 CPC), l'appel est recevable sous cet angle.

1.2 La Cour revoit la cause en fait et en droit avec un plein pouvoir d'examen (art. 310 CPC). Les maximes des débats et de disposition (art. 58, 277 al. 1 et 284 al. 3 CPC) sont applicables.

2. L'appelant reproche au Tribunal une constatation inexacte ou incomplète des faits, en ne proposant toutefois aucun autre fait à prendre en compte que ceux qui ressortent de l'état de faits du premier juge ou de complément à l'état de faits sur la base du dossier produit par les parties en première instance. Pas plus ne produit-il de pièce nouvelle. Il reproche bien plutôt au Tribunal l'appréciation qu'il a faite des faits soumis par les parties et retenus par lui, respectivement une violation de la loi de ce fait. Cela étant, l'état de fait utile à la résolution de la procédure d'appel a été dressé par la Cour.

3. L'appelant fait par ailleurs grief au Tribunal d'avoir violé la loi en ne donnant pas suite à ses conclusions et de ne pas avoir supprimé ou réduit la contribution d'entretien litigieuse, alors que l'intimée vivait en concubinage qualifié. Ne le retenant pas, le Tribunal avait violé le droit de ce fait.

3.1.1 La modification de la contribution d'entretien due à l'ex-conjoint, fixée dans un jugement de divorce, est régie par l'art. 129 CC. Selon cette disposition, si la situation du débiteur ou du créancier change notablement et durablement, la rente peut être diminuée, supprimée ou suspendue pour une durée déterminée. La modification de la pension suppose que des faits nouveaux importants et durables soient survenus dans la situation du débirentier ou du crédirentier, qui commandent une réglementation différente. La procédure de modification n'a pas pour but de corriger le premier jugement, mais de l'adapter aux circonstances nouvelles. Le fait revêt un caractère nouveau lorsqu'il n'a pas été pris en considération pour fixer la contribution d'entretien dans le jugement de divorce. Ce qui est déterminant, ce n'est pas la prévisibilité des circonstances nouvelles mais exclusivement le fait que la pension ait été fixée sans tenir compte de ces circonstances futures. On présume néanmoins que la contribution d'entretien a été fixée en tenant compte des modifications prévisibles, soit celles qui, bien que futures, sont déjà certaines ou fort probables (ATF 141 III 376 consid. 3.3.1; 138 III 289 consid. 11.1.1; arrêts du Tribunal fédéral 5A_902/2020 consid. 5.1.1; 5A_230/2019 consid. 6.1).

3.1.2 L'art. 129 CC peut trouver application lorsque le créancier vit dans un concubinage qualifié (arrêts du Tribunal fédéral 5A_373/2015 consid. 4.3.2; 5A_760/2012 consid. 5.1.1). Il faut entendre par concubinage qualifié (ou stable) une communauté de vie d'une certaine durée, voire durable, entre deux personnes, à caractère en principe exclusif, qui présente une composante tant spirituelle que corporelle et économique, et qui est parfois désignée comme communauté de toit, de table et de lit (ATF 145 I 108 consid. 4.4.6; 138 III 157 consid. 2.3.3). Le juge doit dans tous les cas procéder à une appréciation de tous les facteurs déterminants, étant précisé que la qualité d'une communauté de vie s'évalue au regard de l'ensemble des circonstances de la vie commune (ATF 118 II 235 consid. 3b; arrêts du Tribunal fédéral 5A_902/2020 consid. 5.1.2; 5A_964/2018 consid. 3.2.2). Il incombe au débiteur d'entretien de prouver que le créancier vit dans un concubinage qualifié avec un nouveau partenaire (ATF 138 III 97 consid. 3.4.2; 118 II 235 consid. 3c). Le Tribunal fédéral a toutefois posé la présomption - réfragable - qu'un concubinage est qualifié lorsqu'il dure depuis cinq ans au moment de l'ouverture de l'action en modification du jugement de divorce (ATF 138 III 97 cité; 118 II 235 cité). L'existence ou non d'un concubinage qualifié ne dépend pas des moyens financiers des concubins, mais de leurs sentiments mutuels et de l'existence d'une communauté de destins (ATF
124 III 52 consid. 2a/aa; arrêt du Tribunal fédéral 5A_902/2020 cité).

3.1.3 Lorsque le Tribunal homologue une convention sur les effets accessoires du divorce portant sur une question soumise aux maximes de disposition et inquisitoire limitée (ou des débats), seuls les changements importants concernant des faits qui ont été considérés comme certains lors de la convention peuvent justifier une modification de celle-ci. Les faits incertains au moment de l'accord et qui ont précisément fait l'objet de la transaction ("caput controversum") ne peuvent quant à eux faire l'objet d'aucune adaptation dès lors qu'il n'est pas possible de mesurer le caractère notable du changement de circonstances, sous réserve de faits nouveaux qui se trouvent clairement hors du champ d'évolution future des évènements, telle qu'elle est envisagée, même inconsciemment, par les parties au moment de l'accord (ATF 142 III 518 consid. 2.6.1; arrêt du Tribunal fédéral 5A_688/2013 consid. 8.2).

3.1.4 Une convention sur les effets accessoires du divorce est une manifestation de volonté qui doit être interprétée selon les mêmes principes que les autres contrats (arrêts du Tribunal fédéral 5A_760/2012 consid. 5.3.1; 5A_88/2012 consid. 3). Le juge doit recourir en premier lieu à l'interprétation subjective, c'est-à-dire rechercher la réelle et commune intention des parties, le cas échéant empiriquement, sur la base d'indices, sans s'arrêter aux expressions ou dénominations inexactes dont elles ont pu se servir, soit par erreur, soit pour déguiser la véritable nature de la convention (art. 18 al. 1 CO; ATF 135 II 410 consid. 3.2; 133 III 675 consid. 3.3). Au stade des déductions à opérer sur la base d'indices, le comportement que les cocontractants ont adopté dans l'exécution de leur accord peut éventuellement dénoter de quelle manière ils l'ont eux-mêmes compris, et révéler par là leur réelle et commune intention (ATF 132 III 626 consid. 3.1; 129 III 675 consid. 2.3).

Ce n'est que si le juge ne parvient pas à déterminer cette volonté réelle des parties ou s'il constate qu'une partie n'a pas compris la volonté exprimée par l'autre à l'époque de la conclusion du contrat qu'il doit recourir à l'interprétation objective, à savoir rechercher la volonté objective des parties, en déterminant le sens que, d'après les règles de la bonne foi, chacune d'elles pouvait et devait raisonnablement prêter aux déclarations de volonté de l'autre (ATF 133 III 675 consid. 3.3; 132 III 268 consid. 2.3.2). Cette interprétation s'effectue non seulement d'après le texte et le contexte des déclarations, mais également sur le vu des circonstances qui les ont précédées et accompagnées, à l'exclusion des événements postérieurs (ATF 135 III 295 consid. 5.2; 132 III 626 consid. 3.1).

Le fardeau de l'allégation ainsi que de la preuve de l'existence et du contenu d'une volonté subjective qui s'écarte du résultat de l'interprétation objective sont à la charge de la partie qui s'en prévaut (ATF 123 III 35 consid. 2b; 121 III 118 consid. 4b/aa).

Dans un arrêt du Tribunal fédéral 5A_760/2012 du 27 février 2013, la convention de divorce faisant l'objet de la cause prévoyait une contribution d'entretien allouée à l'ex-épouse jusqu'à sa retraite, l'hypothèse du concubinage n'étant pas prévue. Le Tribunal fédéral a retenu que l'on ne pouvait considérer, du simple fait que cette hypothèse était prévisible en général, que les époux l'avaient prise en considération et voulu qu'elle n'ait aucune incidence. Si les parties n'avaient pas mentionné dans leur convention l'hypothèse, en général prévisible, du concubinage, c'était parce qu'elles avaient en l'occurrence exclu sa réalisation. Elles considéraient comme certain qu'après le départ de la fille des parties de son foyer, l'épouse vivrait seule. Ce fait considéré comme certain ne s'étant pas réalisé comme prévu, une modification de la convention était justifiée.

3.2 En l'espèce, le Tribunal a considéré que, certes le concubinage de l'intimée était un fait nouveau pouvant justifier l'entrée en matière sur une application de l'art. 129 CC, mais que d'une part, la question d'un concubinage avait déjà été envisagée et prise en compte par les parties au moment du divorce et que d'autre part, qu'il n'existait pas de concubinage qualifié dans la situation de l'intimée.

3.2.1 S'agissant de la question de la qualification du concubinage de l'intimée, le Tribunal a fait une application erronée des principes qui ont été décrits ci-dessus.

En effet, la relation entre l'intimée et son compagnon, qui durait depuis 3 ans au moment de l'introduction de la demande, dure maintenant depuis près de 5 ans. Elle faisait alors ménage commun avec lui depuis plus de deux ans, à l'heure actuelle depuis près de 4 ans, formant ainsi une communauté de toit, de table et de lit stable au sens de la jurisprudence précitée. Il ressort de l'instruction que le couple se comporte comme un couple marié. Il vit quotidiennement ensemble. Il fait porte-monnaie commun pour tous les frais quotidiens, comme cela ressort des déclarations du compagnon de l'intimée (celle-ci lui verse 500 fr. par mois pour les courses communes et une somme de 1'000 fr. par mois pour sa part de loyer, téléphone, assurance ménage, électricité, etc.). Le couple passe ses vacances, dont il projette le lieu et le déroulement en commun, ensemble. Ni l'intimée ni son compagnon n'ont déclaré que le couple rencontrait des difficultés quelconques, de sorte qu'il doit en être déduit que la relation est comprise, envisagée et vécue comme une relation stable, à long terme. Par conséquent, l'existence de la composante spirituelle et de la communauté de destins d'un concubinage qualifié est également établie. Soutenir le contraire relève de la mauvaise foi.

3.2.2 Cela étant acquis, se pose la question de savoir si la possibilité d'un concubinage avait été envisagée et s'il en avait été tenu compte au moment de la conclusion de la convention de divorce et du prononcé du jugement la ratifiant, puisque si tel est le cas, l'action en modification n'étant pas là pour corriger le jugement de divorce mais pour l'adapter le cas échéant à une évolution imprévisible, une modification ne pourrait avoir lieu.

Il faut d'une part relever ce qui suit : l'état de fait de la présente cause présente des similitudes avec l'arrêt du Tribunal fédéral 5A_760/2012 cité plus haut. Les parties ont conclu une convention de divorce dans le cadre d'un divorce sur requête commune. Une contribution d'entretien a été prévue jusqu'à l'âge de la retraite de l'intimée. Rien n'est prévu expressément pour l'hypothèse d'un concubinage. A la différence de l'état de fait de la cause en question où il s'agissait de maintenir la situation financière de l'épouse après le départ d'un enfant vivant avec elle, la situation présente a ceci de particulier que la contribution prévue en faveur de l'intimée ne devait débuter qu'à l'issue, au plus tard le 31 décembre 2021, c’est-à-dire près de cinq ans après le prononcé du divorce, d'un droit d'habitation octroyé en sa faveur sur la maison familiale, cette contribution faisant par ailleurs expressément référence à un "loyer hypothétique" pris en compte au moment du terme du droit d'habitation. Il ressort effectivement des termes de la convention, mis en relation avec les termes de la demande commune en divorce, que le montant de ce que la demande qualifie de contribution d'entretien devait en réalité constituer une aide au paiement d'un loyer après le terme du droit d'habitation, loyer fixé raisonnablement à 2'500 fr. L'intimée l'avait par ailleurs parfaitement compris puisqu'alors qu'elle libérait le logement sur lequel elle bénéficiait du droit d'habitation avant son terme, elle a requis le paiement de la contribution mais s'est déclarée disposée à en réduire le montant "du fait de l'emménagement avec un tiers". Elle a démontré par là qu'elle considérait bien ladite contribution comme une participation à une charge de loyer qu'elle remarquait elle-même s'avérer excessive au vu du loyer effectif qui serait le sien depuis son concubinage.

D'autre part et sur la question de savoir si l'hypothèse d'un concubinage de l'épouse avait été envisagée et prise en compte au moment de la conclusion de la convention, la seule question à ce propos posée par l'appelant à son conseil d'alors ne saurait être suffisante pour admettre que les parties avaient envisagé et réglé, ce qu'elles n'ont précisément pas fait, la situation d'un possible concubinage et ses effets sur la "contribution" fixée. Comme rappelé ci-dessus, c'est si vrai qu'au moment où elle s'est mise en ménage avec son compagnon, l'intimée a proposé à l'appelant de réduire la contribution à titre de loyer qu'il lui devait, pour tenir précisément compte de ce fait non prévu. La situation certaine envisagée par les parties selon laquelle, en remplacement du droit d'habitation, un loyer à hauteur de 2'500 fr. devait être supporté par l'intimée ne s'étant pas réalisée, les conditions pour une modification du jugement de divorce étaient remplies.

Par conséquent, le jugement entrepris doit être annulé.

3.2.3 Reste la question de la quotité de la réduction de la contribution fixée initialement. L'appelant conclut principalement à la suppression de ladite contribution et subsidiairement à sa diminution à un montant de 1'000 fr., correspondant à la charge effective de loyer alléguée par l'intimée, alors que cette dernière conclut à la confirmation de la contribution fixée.

En cas de modification du jugement de divorce, l'étendue de la nouvelle rente relève de l'appréciation du juge qui applique les règles du droit et de l'équité (art. 4 CC) (Pichonnaz, CR-CC I, no 70 ad art 129).

Dans la mesure de ce qui précède quant au type de contribution prévue par les parties dans leur convention de divorce, quant au montant effectif du loyer versé par l'intimée (1'000 fr.) du fait du concubinage, non contesté, et de l'indépendance financière non contestée de l'intimée (sans que cela n'affecte en rien la qualification du concubinage stable (cf. ci-dessus c.3.2.1)), celle-ci n'ayant, selon la convention, pas touché de contribution pendant la durée de l'exercice effectif du droit d'habitation, la contribution mensuelle sera nouvellement fixée à 1'000 fr. par mois dès le dépôt de la demande (Pichonnaz, CR-CC I, no 95 ad art 129), couvrant la charge de loyer assumée par l'intimée.

Le chiffre 10 du dispositif du jugement de divorce sera dès lors annulé.

Il n'existe aucun motif cependant d'annuler le chiffre 11 dudit dispositif, stipulant l'indexation de ce montant, comme requis par l'appelant, celui-ci n'émettant par ailleurs aucun grief sur ce point.

4.1 Les frais judiciaires et dépens sont mis à la charge de la partie succombant (art. 95 et 106 al. 1 1ère phrase CPC). Le Tribunal peut s'écarter des règles générales et répartir les frais selon sa libre appréciation, notamment lorsque le litige relève du droit de la famille (art. 107 al. 1 ch. c CPC). Lorsque la Cour statue à nouveau, elle se prononce sur les frais fixés par le Tribunal de première instance (art. 318 al. 3 CPC).

4.2 En l'espèce, le Tribunal a arrêté le montant des frais judiciaires de première instance à 1'600 fr. Ce montant sera confirmé. Quant à la répartition de ces frais, au vu de l'issue du litige en seconde instance, chaque partie les supportera par moitié dans la mesure où l'appelant avait conclu uniquement à la suppression complète de la contribution. Ils seront compensés par les avances de frais (appelant : 1'400 fr., intimée : 200 fr.) versées. L'intimée sera condamnée à payer à l'appelant la somme de 600 fr. en remboursement de sa part de frais.

Le Tribunal n'a pas alloué de dépens de première instance, ce qui sera confirmé.

4.3 Les frais judiciaires d'appel seront fixés à 1'250 fr. (art. 96 CPC; art. 30 et 35 RTFMC). Ils seront mis à la charge de l'intimée qui succombe, l'appelant ayant subsidiairement conclu à la réduction de la contribution finalement octroyée, à laquelle s'est opposée l'intimée, et compensés avec l'avance de frais de même montant fournie par l'appelant, qui demeure acquise à l'Etat de Genève (art. 111 al. 1 CPC).

L'intimée sera condamnée à payer en remboursement desdits frais le montant en question à l'appelant.

Des dépens réduits, vu la nature du litige, seront octroyés à l'appelant à la charge de l'intimée à hauteur de 800 fr.

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté par A______ contre le jugement JTPI/4040/2022 rendu le 29 mars 2022 par le Tribunal de première instance dans la cause C/86/2021.

Au fond :

Annule les chiffres 3 et 4 du dispositif du jugement attaqué.

Cela fait :

Annule le chiffre 10 du jugement du Tribunal de première instance (JTPI/16168/2017) du 5 décembre 2017.

et statuant à nouveau :

Condamne A______ à payer, par mois, d'avance, en mains de B______ dès le 1er février 2021 et jusqu'au 31 mars 2032, la somme de 1'000 fr. à titre de contribution d'entretien.

Arrête les frais judiciaires de première instance à 1'600 fr. et les compense avec les avances effectuées par les parties qui restent acquises à l'Etat.

Les met à la charge des parties par moitié chacune.

Condamne en conséquence B______ à payer à A______ la somme de 600 fr. au titre de remboursement de sa part de frais.

Dit qu'il n'y a pas lieu à dépens.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires d'appel à 1'250 fr., les met à la charge de B______ et les compense avec l'avance de frais de même montant fournie par A______, laquelle demeure acquise à l'Etat.


 

Condamne B______ à verser 1'250 fr. à A______ à titre de remboursement de ladite avance.

Condamne B______ à verser à A______ la somme de 800 fr. à titre de dépens d'appel.

Siégeant :

Monsieur Cédric-Laurent MICHEL, président; Madame Pauline ERARD, Madame Paola CAMPOMAGNANI, juges; Madame Camille LESTEVEN, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.