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Décisions | Chambre civile

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C/19684/2020

ACJC/1579/2022 du 30.11.2022 sur ORTPI/611/2022 ( OO ) , IRRECEVABLE

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/19684/2020 ACJC/1579/2022

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

du mardi 29 novembre 2022

 

Entre

A______ SA, sise c/o B______ SA, ______ [GE], recourante à l'encontre d'une ordonnance rendue par la 3ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 27 mai 2022, comparant par Me Robert ASSAEL, avocat, c/o Mentha Avocats, rue de l'Athénée 4, case postale 330, 1211 Genève 12, en l'Étude duquel elle fait élection de domicile,

et

1) C______ LTD, sise ______, Grande-Bretagne,

2) D______ LTD, sise ______, Grande-Bretagne,

3) E______ LTD, sise ______, Grande-Bretagne,

4) F______ LTD, sise ______, Grande-Bretagne,

5) G______ LTD, sise ______, Grande-Bretagne,

 


 

 

Le présent arrêt est communiqué aux parties par plis recommandés du 5 décembre 2022.

 

 

 

 

 

 

 


 

6) H______ LTD, sise ______, Grande-Bretagne,

7) I______ LTD, sise ______, Grande-Bretagne,

8) J______ LTD, sise ______, Grande-Bretagne,

9) K______ LTD, sise ______, Grande-Bretagne,

intimées comparant toutes par Me François CANONICA, avocat, Canonica & Associés, rue François-Bellot 2, 1206 Genève, en l'Étude duquel elle fait élection de domicile.


 

EN FAIT

A. Par ordonnance ORTPI/611/2022 du 27 mai 2022, notifiée à A______ SA le 30 mai 2022, le Tribunal de première instance a rejeté la requête en suspension de A______ SA et réservé le sort des frais à la décision finale.

B. a. Par acte expédié le 9 juin 2022 à la Cour, A______ SA forme recours contre cette ordonnance, concluant, avec suite de frais judiciaires et dépens, à ce que la Cour l'annule et, cela fait, prononce la suspension de la procédure jusqu'à droit jugé définitif dans la procédure pénale P/18980/2018.

b. Dans leur réponse du 10 août 2022, C______ LTD, D______ LTD, E______ LTD, F______ LTD, G______ LTD, H______ LTD, I______ LTD, J______ LTD et K______ LTD concluent, avec suite de frais judiciaires et dépens, à l'irrecevabilité du recours et à son rejet. Subsidiairement, elles concluent à ce que les paragraphes 1 à 44 du recours soient déclarés irrecevables.

c. Les parties n'ont pas répliqué, respectivement dupliqué.

d. Par courrier du greffe de la Cour du 7 septembre 2022, les parties ont été informées de ce que la cause était gardée à juger.

C. Les faits pertinents suivants ressortent de la procédure :

a. Le 23 décembre 2020, C______ LTD, D______ LTD, E______ LTD, F______ LTD, G______ LTD, H______ LTD, I______ LTD, J______ LTD et K______ LTD ont déposé une demande en paiement à l'encontre de A______ SA, concluant à ce que celle-ci soit condamnée à leur restituer quatorze diamants, et, subsidiairement, à leur payer 1'495'000 USD, avec intérêts à 5 % l'an dès le 2 juillet 2019. A titre préalable, elles ont notamment conclu à ce que le Tribunal sollicite du Ministère public genevois de verser à la procédure un tirage du dossier de la procédure pénale P/18980/2018.

En substance, elles ont allégué avoir conclu une police d'assurances - en qualité de souscriptrices - avec L______ INC (preneuse d'assureur). L______ INC avait confié à A______ SA plusieurs diamants, cette dernière envisageant une vente à un tiers. Quatorze des diamants envoyés à A______ SA par L______ INC avaient été subtilisés dans les locaux de A______ SA entre le 24 et le 26 septembre 2018 par une personne qui s'était présentée sous le nom de M______ et dont le vrai nom était N______, en raison d'un manque de diligence de A______ SA dans la surveillance de ces diamants. L______ INC avait ainsi subi un dommage de 4'321'169.80 USD, que C______ LTD, D______ LTD, E______ LTD, F______ LTD, G______ LTD, H______ LTD, I______ LTD, J______ LTD et K______ LTD avaient indemnisé à hauteur de 1'495'000 USD, étant subrogées à L______ INC pour faire valoir les droits y relatifs envers A______ SA, responsable, selon elles, de ce dommage.

Aux dires de C______ LTD, D______ LTD, E______ LTD, F______ LTD, G______ LTD, H______ LTD, I______ LTD, J______ LTD et K______ LTD, les diamants avaient été subtilisés selon le procédé suivant : O______ – administrateur de A______ SA – était en contact avec P______ – attaché à l'Ambassade d'Azerbaïdjan – en lequel il plaçait sa confiance. P______ avait présenté Q______ à O______, ce dernier s'étant dit intéressé à investir dans les diamants. C'est ainsi que Q______ et P______ s'étaient rendus dans la boutique de A______ SA et avaient indiqué vouloir acquérir vingt diamants en vrac, exposant qu'une tierce personne viendrait procéder à l'examen et à la sélection des diamants, puis au paiement trois jours plus tard. Le 11 juillet 2018, Q______ avait annoncé sa visite en présence d'un dénommé M______, pour le lendemain, insistant pour voir l'ensemble des pierres. Lors de trois visites successives tenues les 24, 25 et 26 septembre 2018, M______ avait subtilisé vingt-quatre diamants, leur substituant des zircons cubiques au moment de leur mise sous scellés, les parties étant convenues que les diamants seraient mis sous scellés et conservés par A______ SA jusqu'au paiement du prix qui devait intervenir trois jours après la dernière visite, soit le 29 septembre 2018. Le 29 septembre 2018, surpris de ne point voir revenir M______, O______ avait ouvert les scellés et, après un examen attentif, s'était rendu compte de ce que les diamants avaient été remplacés par des zircons cubiques.

b. Dans sa réponse du 18 mai 2021, A______ SA a notamment conclu à ce que C______ LTD, D______ LTD, E______ LTD, F______ LTD, G______ LTD, H______ LTD, I______ LTD, J______ LTD et K______ LTD soient déboutées de toutes leurs conclusions. Préalablement, elle a notamment conclu à ce que la procédure soit suspendue jusqu'à droit jugé définitif dans la procédure pénale P/2______/2018. Elle a également conclu à ce que soient déclarées recevables, puis admises, ses requêtes d'appel en cause dirigées contre N______, Q______ et P______.

En substance, A______ SA a allégué avoir pris toutes les précautions qui pouvaient être raisonnablement attendues d'elle, de sorte qu'elle n'était pas responsable du dommage subi par L______ INC, respectivement par C______ LTD, D______ LTD, E______ LTD, F______ LTD, G______ LTD, H______ LTD, I______ LTD, J______ LTD et K______ LTD. Elle avait déposé une plainte pénale après s'être aperçue que les diamants lui avaient été dérobés, soit le 28 septembre 2018. Elle avait complété sa plainte pénale le 5 octobre 2018 pour la diriger contre Q______, M______ (dont l'identité réelle était N______) et inconnu. Le 8 octobre 2018, le Ministère public avait adressé un mandat d'enquête à la police. Les 20 décembre 2019 et 26 mai 2020, le Ministère public avait émis des ordonnances de séquestre de deux diamants en main de GEMOLOGICAL INSTITUTE OF AMERICA. Cette procédure pénale avait notamment permis de révéler les adresses de N______, Q______ et P______.

A______ SA a soutenu que la procédure devrait être suspendue jusqu'à droit jugé définitif dans la procédure pénale P/2______/2018, celle-ci devant permettre d'éclaircir les circonstances exactes du vol (terme utilisé dans son sens commun), qui n'étaient pas clairement établies. Au demeurant, le dommage n'était pas encore déterminable dès lors que certains diamants avaient pu être retrouvés et que la procédure pénale visait à tous les récupérer.

b. Dans le délai qui leur a été imparti, C______ LTD, D______ LTD, E______ LTD, F______ LTD, G______ LTD, H______ LTD, I______ LTD, J______ LTD et K______ LTD se sont déterminées sur la requête de suspension de la procédure, concluant à son rejet.

c. Les parties se sont encore chacune déterminées à une reprise sur la question de la suspension de la procédure, persistant dans leurs positions respectives.

D. En substance, l'ordonnance querellée a retenu que A______ SA n'avait pas indiqué dans quel délai la procédure pénale arriverait à son terme, celle-ci étant au demeurant ouverte depuis plusieurs années sans que l'un des auteurs n'ait été arrêté, de sorte que le principe de célérité commandait de rejeter la requête en suspension.

EN DROIT

1. Une décision de refus de suspension de la procédure - à la différence du prononcé de la suspension (cf. art. 126 al. 2 en lien avec art. 319 lit. b ch. 1 CPC) - est susceptible de recours immédiat stricto sensu (arrêts du Tribunal fédéral 5D_182/2015 du 2 février 2016 consid. 1.3; 5A_545/2017 du 13 avril 2018 consid. 3.2), dans un délai de 10 jours (art. 321 al. 2 CPC), pour violation du droit et constatation manifestement inexacte des faits (art. 320 CPC), pour autant que le recourant soit menacé d'un préjudice difficilement réparable (art. 319 let. b ch. 2 CPC).

En l'espèce, le recours a été déposé dans le délai et la forme requis par la loi (art. 143 al. 1, et 321 al. 1 et 2 CPC).

2.  Reste à examiner si l'ordonnance querellée peut causer à la recourante un préjudice difficilement réparable au sens de l'art. 319 let. b ch. 2 CPC, ce qui est contesté par les intimées.

2.1.1 La notion de "préjudice difficilement réparable" est plus large que celle de "préjudice irréparable" consacré par l'art. 93 al. 1 let. a LTF. Ainsi, elle ne vise pas seulement un inconvénient de nature juridique, mais toute incidence dommageable, y compris financière ou temporelle, pourvu qu'elle soit difficilement réparable. L'instance supérieure devra se montrer exigeante, voire restrictive, avant d'admettre la réalisation de cette condition, sous peine d'ouvrir le recours à toute décision ou ordonnance d'instruction, ce que le législateur a clairement exclu. Il s'agit de se prémunir contre le risque d'un prolongement sans fin du procès (ATF 138 III 378 consid. 6.3; 137 III 380 consid. 2; Colombini, Code de procédure civile, condensé de la jurisprudence fédérale et vaudoise, 2018, n° 4.1.3 ad art. 319 CPC; Jeandin, CR CPC, 2ème éd. 2019, n° 22 ad art. 319 CPC et références citées).

Le préjudice sera ainsi considéré comme difficilement réparable s'il ne peut pas être supprimé ou seulement partiellement, même dans l'hypothèse d'une décision finale favorable au recourant (Reich, Schweizerische Zivilprozessordnung, 2010, n° 8 ad art. 319 CPC; Jeandin, op. cit., n° 22a ad art. 319 CPC).

Il appartient au recourant d'alléguer et d'établir la possibilité que la décision incidente lui cause un préjudice difficilement réparable, à moins que cela ne fasse d'emblée aucun doute (par analogie : ATF 134 III 426 consid. 1.2 et 133 III 629 consid. 2.3.1; Haldy, Commentaire romand, Code de procédure civile, 2ème éd., 2019, n. 9 ad art. 126 CPC).

Le risque de ne pas obtenir gain de cause ne constitue pas un dommage difficile à réparer, mais un risque inhérent à toute procédure judiciaire. Un accroissement des frais ou une simple prolongation de la procédure ne représentent pas non plus un tel préjudice (Spühler, in Basler Kommentar, Schweizerische Zivilprozessordnung, 2017, n. 7 ad art. 319 CPC; Hoffmann-Nowotny, ZPO-Rechtsmittel, Berufung und Beschwerde, 2013, n. 25 ad art. 319 CPC).

2.1.2 Le juge civil n'est pas lié par le jugement pénal (art. 53 CO). En outre, le Tribunal fédéral a relevé que le juge civil était tout aussi à même d’entendre les témoins, d’apprécier leurs déclarations et les pièces tirées du dossier pénal, puis d’établir les faits pertinents pour le sort de la cause (arrêt du Tribunal fédéral 4A_683/2014 du 17 février 2015 consid. 2.1 et 2.2).

2.2 En l'espèce, la recourante soutient que le dommage difficilement réparable résiderait dans le risque de recevoir des jugements contradictoires, si les procédures civile et pénale devaient se poursuivre en parallèle. Il y aurait également une "conséquence financière substantielle à devoir mener les deux procédures en parallèle".

Elle n'expose en revanche pas en quoi la procédure pénale pourrait influer sur la procédure civile dont est question, ce qui n'est pas manifeste.

La procédure pénale vise à poursuivre les auteurs des infractions qui auraient mené à la subtilisation des diamants confiés à la recourante; cette question diffère de celle de l'examen de la responsabilité de cette dernière à l'égard des intimées, ce d'autant plus que le juge civil n'est pas lié par les constatations et conclusions du juge pénal.

Au demeurant, s'il est vrai que les circonstances dans lesquelles les potentielles infractions ont été commises peuvent avoir une influence sur l'issue du présent litige, celles-ci pourront être appréciées par le juge civil. Ce dernier est à même d'entendre des témoins et d'apprécier leurs déclarations, ainsi que d'ordonner l'apport éventuel de la procédure pénale, lequel a d'ailleurs d'ores et déjà été requis par les intimées. Si la procédure pénale, encore en cours, connaissait ultérieurement des développements pertinents pour l'issue du procès civil, ceux-ci pourraient être allégués à titre de faits nouveaux.

Aussi, la recourante n'a pas démontré le risque de recevoir des jugements contradictoires.

Par ailleurs, la "conséquence financière substantielle" à devoir mener deux procédure en parallèle est aisément réparable.

Par conséquent, faute de risque de préjudice difficilement réparable, le recours sera déclaré irrecevable.

3. Les frais judiciaires de recours seront mis à la charge de la recourante, qui succombe (art. 106 al. 1 CPC). Ils seront arrêtés à 1'000 fr. (art. 41 RTFMC) et entièrement compensés avec l’avance de même montant versée par la recourante, qui reste acquise à l’Etat de Genève (art. 111 al. 1 CPC).

La recourante sera en outre condamnée à payer aux intimées, créancières solidaires, 2'000 fr., débours compris mais sans TVA au vu du siège à l'étranger de ces dernières, à titre de dépens de recours (art. 20, 23 al. 1, 25 et 26 LaCC; art. 85, 87 et 90 RTFMC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare irrecevable le recours interjeté le 9 juin 2022 par A______ SA contre l'ordonnance OTPI/611/2020 rendue le 27 mai 2022 par le Tribunal de première instance dans la cause C/19684/2020.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires de recours à 1'000 fr., les met à la charge de A______ SA et les compense avec l'avance de frais versée, qui reste acquise à l'Etat de Genève.

Condamne A______ SA à verser à C______ LTD, D______ LTD, E______ LTD, F______ LTD, G______ LTD, H______ LTD, I______ LTD, J______ LTD et K______ LTD, créancières solidaires, la somme de 2'000 fr. à titre de dépens de recours.

Siégeant :

Madame Ursula ZEHETBAUER GHAVAMI, présidente; Madame Sylvie DROIN, Monsieur Ivo BUETTI, juges; Madame Camille LESTEVEN, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.


Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.