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Décisions | Chambre civile

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C/14690/2019

ACJC/421/2022 du 25.03.2022 sur JTPI/13371/2021 ( OO ) , CONFIRME

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/14690/2019 ACJC/421/2022

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

du VENDREDI 25 MARS 2022

 

Entre

A______, sise ______ [BE], appelante d'un jugement rendu par la 10ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 19 octobre 2021, comparant par
Me Serge ROUVINET, avocat, Rouvinet Avocats, rue De-Candolle 6, case postale, 1211 Genève 4, en l'Étude duquel elle fait élection de domicile,

et

Monsieur B______, domicilié ______, France, intimé, comparant par
Me Gilles-Antoine HOFSTETTER, avocat, avenue de Mon-Repos 24, case
postale 6483, 1002 Lausanne, en l'Étude duquel il fait élection de domicile.

 


EN FAIT

A. Par jugement incident JTPI/13371/2021 rendu le 19 octobre 2021, notifié à A______ (ci-après, A______) le 22 octobre 2021, le Tribunal de première instance (ci-après, le Tribunal), a déclaré recevable la demande en paiement introduite par B______ à l'encontre de A______ le 26 novembre 2019 (chiffre 1 du dispositif), dit que les conclusions de B______ en paiement de ses prétentions pour perte de gain passée, perte de gain future, atteinte à l'avenir économique, dommage de rente, ainsi que frais d'avocat et autres débours ne pouvaient l'être qu'en francs suisses (ch. 2), dit que les conclusions de B______ en paiement de ses prétentions pour dommage domestique, dommage d'assistance et tort moral ne pouvaient l'être qu'en euros (ch. 3), débouté en conséquence d'emblée B______ de ses conclusions III a), IV a), III b), IV b), III c), IV c), III d), IV d), II e), II f), II g), II h), III i) et IV i) (ch. 4), arrêté les frais judiciaires limités au litige restreint à 4'000 fr., compensés intégralement avec l'avance versée par B______ (ch. 5) et mis à la charge des parties à raison de la moitié chacune (ch. 6), condamné en conséquence A______ à verser 2'000 fr. à B______ (ch. 7), dit que les dépens limités au litige restreint étaient compensés (ch. 8) et réservé la suite de la procédure (ch. 9).

B. a. Par acte déposé le 19 novembre 2021 au greffe de la Cour de justice (ci-après, la Cour), A______ a formé appel de ce jugement et sollicité l'annulation du ch. 4 de son dispositif. Cela fait, elle a conclu à ce que la Cour déboute B______ de toutes ses conclusions, sous suite de frais judiciaires et dépens.

b. B______ a conclu au rejet de l'appel, sous suite de frais judiciaires et dépens.

c. Les parties ont répliqué, respectivement dupliqué et persisté dans leurs conclusions.

d. Par avis du 8 février 2022, la Cour a informé les parties de ce que la cause était gardée à juger.

C. Les faits pertinents suivants résultent du dossier :

a. B______, ressortissant français né le ______ 1979, est domicilié en France. Il était déjà domicilié dans cet Etat à l'époque des faits relatés ci-après.

b. Le 20 août 2010, circulant en motocycle immatriculé en France sur la route de Jussy en direction de Thônex, B______ a été victime d'un accident de circulation impliquant notamment un autre véhicule, en l'occurrence un camion immatriculé en Suisse que conduisait C______, ressortissant suisse domicilié en Suisse.

A______ est l'assurance responsabilité civile de C______.

c. Les circonstances exactes de l'accident, ainsi que ses conséquences précises sur la santé de B______, sont disputées entre les parties. Il est néanmoins constant que B______ a subi de graves blessures.

d. A l'époque de l'accident, B______ était employé en Suisse. Son lieu de travail se trouvait à D______ (GE). Son salaire était libellé en francs suisses.

e. Il est incontesté qu'à la suite de son accident, B______ a suivi un plan de réadaptation selon les mesures d'intervention précoces prises par l'Assurance Invalidité (ci-après, l'AI) sous forme d'orientation professionnelle et de cours de formation.

A la suite de l'intervention de l'AI, B______ a continué de travailler en Suisse pour le même employeur. Il a toutefois changé d'emploi le 1er septembre 2018, mais toujours auprès d'un employeur suisse.

f. Le 25 juin 2019, B______ a déposé au greffe du Tribunal une requête de conciliation aux termes de laquelle il concluait à ce que A______ soit condamnée, sous suite de frais et dépens, à lui verser les sommes suivantes (cf. ch. II de ses conclusions):

a)      38'570 fr. avec intérêts à 5% l'an courant dès le 1er mars 2015 (perte de gain passée) ;

b)      252'031 fr. avec intérêts à 5% l'an courant dès la date du jugement à intervenir (perte de gain future) ;

c)      186'200 fr. avec intérêts à 5% l'an courant dès le 20 août 2010 (atteinte à l'avenir économique) ;

d)     65'739 fr. avec intérêts à 5% l'an courant dès la date du jugement à intervenir (dommage de rente) ;

e)      126'545 fr. avec intérêts à 5% l'an dès le 1er mars 2015 (dommage domestique passé) ;

f)       163'232 fr. avec intérêts à 5% l'an dès la date du jugement à intervenir (dommage domestique futur) ;

g)      20'373 fr. avec intérêts à 5% l'an dès le 1er octobre 2011 (dommage d'assistance passée) ;

h)      37'000 fr. avec intérêts à 5% l'an dès le 20 août 2010 (tort moral) ;

i)        80'000 fr. avec intérêts à 5% courant dès le 25 juin 2019 (frais et débours de mandataire).

g. L'audience de conciliation a eu lieu le 26 août 2019. Le procès-verbal de celle-ci contient notamment les déclarations suivantes :

"Me HOFSTETTER [conseil de B______]:

J'examinerai la question de la monnaie dans laquelle les conclusions doivent être déposées.

Les parties:

Nous sommes d'accord que l'autorisation de procéder soit délivrée après réception des éventuelles conclusions modifiées de la partie demanderesse.

Sur quoi, le Tribunal réserve la suite de la procédure."

h. Par courrier de son conseil du 4 octobre 2019, B______ a fait parvenir à l'autorité de conciliation une requête contenant des conclusions "modifiées/ complétées". Copie de celles-ci a également été transmise au conseil de A______.

B______ y reprend les conclusions principales précitées (cf. supra let. f.) complétées avec les conclusions subsidiaires et plus subsidiaires suivantes, également prises sous suite de frais et dépens:

"Subsidiairement :

                        III.     A______ est débitrice de B______ et lui doit paiement des montants suivants:

a)      € 34'783.95 avec intérêts à 5% l'an courant dès le 1er mars 2015;

b)      € 227'291.65 avec intérêts à 5% l'an courant dès la date du jugement à intervenir;

c)      € 167'922.60 avec intérêts à 5% l'an courant dès le 20 août 2010;

d)      € 59'286.05 avec intérêts à 5% l'an courant dès la date du jugement à intervenir;

e)      € 114'123.35 avec intérêts à 5% l'an dès le 1er mars 2015;

f)        € 147'209.15 avec intérêts à 5% l'an dès la date du jugement à intervenir;

g)      € 18'373.20 avec intérêts à 5% l'an dès le 1er octobre 2011;

h)      € 33'368.10 avec intérêts à 5% l'an dès le 20 août 2010;

i)        € 72'147.20 avec intérêts à 5% courant dès le 25 juin 2019.

Plus subsidiairement :

                   IV.          A______ est débitrice de B______ et lui doit paiement des montants suivants:

a)      € 36'255.80 avec intérêts à 5% l'an courant dès le 1er mars 2015;

b)      € 227'291.65 avec intérêts à 5% l'an courant dès la date du jugement à intervenir;

c)      € 141'512.- avec intérêts à 5% l'an courant dès le 20 août 2010;

d)      € 59'286.05 avec intérêts à 5% l'an courant dès la date du jugement à intervenir;

e)      € 118'952.30 avec intérêts à 5% l'an dès le 1er mars 2015;

f)        € 147'209.15 avec intérêts à 5% l'an dès la date du jugement à intervenir;

g)      € 16'705.86 avec intérêts à 5% l'an dès le 1er octobre 2011;

h)      € 28'120.- avec intérêts à 5% l'an dès le 20 août 2010;

i)        € 72'147.20 avec intérêts à 5% courant dès le 25 juin 2019."

Les conclusions subsidiaires correspondent, selon les explications de B______, à la contrevaleur en euros des conclusions principales en francs suisses, au taux de change de 1 fr./0,90184 EUR en vigueur au 25 juin 2019. Les conclusions plus subsidiaires correspondent également à la contrevaleur en euros des conclusions principales, mais cette fois-ci au taux de change en vigueur au jour à compter duquel les prétentions articulées sont réclamées.

i. Par courrier de son conseil du 18 octobre 2019, prenant position quant aux conclusions modifiées de sa partie adverse, A______ a indiqué à l'autorité de conciliation que sa position était "claire, en ce sens qu'il n'y a[vait] aucune conciliation possible". Elle rappelait à la juge conciliatrice que l'autorisation de procéder devait être délivrée à réception des conclusions modifiées de la partie demanderesse.

j. Le 22 octobre 2019, l'autorité de conciliation a délivré l'autorisation de procéder. Les conclusions modifiées de la partie demanderesse étaient annexées à celle-ci.

k. Par acte expédié le 26 novembre 2019 au greffe du Tribunal de première instance, B______ a introduit sa demande à l'encontre de A______. L'intégralité des conclusions principales, subsidiaires et plus subsidiaires précitées y était reprise.

Le juge saisi de la cause est désormais un autre que celui qui était chargé de la procédure de conciliation.

l. Par mémoire réponse déposé au greffe du Tribunal de première instance le 13 mars 2020, A______ a conclu au déboutement sous suite de frais et dépens de la demande formée à son encontre.

m. Un deuxième échange d'écritures a été ordonné. Les parties ont persisté dans leurs conclusions respectives aux termes de leurs mémoires de réplique, respectivement duplique.

n. Lors des premières plaidoiries, tenues lors de l'audience de débats d'instruction et débats principaux du 20 janvier 2021, A______ a, par la voix de son conseil, sollicité la limitation du litige à la question de l'éventuelle violation de l'art. 84 CO par B______, soit la question de la monnaie dans laquelle les prétentions du demandeur étaient formulées. Elle a indiqué estimer que le procédé utilisé par B______ dans ses conclusions consistant à énumérer successivement et en bloc, dans ses conclusions principales, neuf chefs de conclusions en francs suisses (chiffre II. let. a à i de ses conclusions), puis dans ses conclusions subsidiaires les neuf postes de son préjudice allégué en euros (taux de conversion au 25 mai 2019; chiffre III let. a. à i.) puis enfin les neuf postes de son préjudice allégué en euros toujours, mais issus de différents taux de conversion de devises (chiffre IV let. a. à i.), n'était pas conforme à la jurisprudence du Tribunal fédéral en la matière, puisqu'il n'appartenait pas au juge de trier in fine entre ces conclusions pour savoir lesquelles devaient impérativement être libellées en francs suisses et lesquelles devaient l'être en euros. Le procédé devait en toute hypothèse conduire au déboutement intégral du demandeur.

B______, par la voix de son conseil, a contesté cette interprétation de la jurisprudence. Il était fondé à procéder de la sorte. Il relevait du devoir de diligence de son conseil de "formuler ce qui d[evait] l'être pour permettre en toutes hypothèses la recevabilité des conclusions". Il ne s'opposait cela étant pas à la limitation du litige, la question pouvant faire l'objet d'une décision judiciaire préalable avant instruction.

Les parties se sont déclarées d'accord que la question fasse l'objet de plaidoiries écrites.

o. Par ordonnance du 19 avril 2021 (ORTPI/396/2021), le Tribunal a limité le litige aux questions de la recevabilité, du droit applicable et du bien-fondé des conclusions principales, subsidiaires et plus subsidiaires prises par B______ dans la demande introduite le 29 novembre 2019, sous l'angle de la monnaie dans laquelle les conclusions sont formulées et de leur formulation.

Il a ordonné la tenue de plaidoiries finales écrites sur litige restreint.

p. Dans ses plaidoiries écrites sur litige restreint du 28 mai 2021, A______ a conclu au déboutement sous suite de frais de la demande formée à son encontre.

B______ a, quant à lui, conclu à la recevabilité ainsi qu'au bien-fondé des conclusions qu'il avait prises.

q. Par ordonnance du 24 août 2021, le Tribunal a gardé la cause à juger sur litige restreint.

r. Dans le jugement entrepris, le Tribunal, après avoir admis sa compétence et l'applicabilité du droit suisse, a examiné la recevabilité des conclusions de B______. Les conclusions introduites devant le Tribunal étaient en l'occurrence les mêmes que celles reproduites dans l'autorisation de procéder. Ainsi, elles étaient recevables, sans que l'éventuel bénéfice d'une faveur procédurale du juge conciliateur ne joue aucun rôle. A______ prétendait que le juge conciliateur avait fait part de ses doutes quant à la devise des conclusions, mais elle avait pourtant acquiescé à la délivrance de l'autorisation de procéder après réception des conclusions modifiées. En outre, contrairement à ce que soutenait A______, des conclusions formulées dans une certaine devise, suivies de conclusions subsidiaires dans une autre devise, n'étaient pas alternatives, ce procédé étant admissible. Puis, le Tribunal a examiné chacune des conclusions de B______ pour déterminer leur admissibilité en fonction de la devise dans laquelle elles étaient formulées. Cette deuxième partie du jugement n'est pas remise en cause en appel.

EN DROIT

1. 1.1 Interjeté dans les délai et forme prévus par la loi (art. 130, 131, 142 et suivants et 311 CPC) par une partie qui y a intérêt (art. 59 al. 2 let. a CPC), à l'encontre d'une décision incidente (art. 237 et 308 al. 1 let. a CPC), dans une affaire patrimoniale dont la valeur litigieuse au dernier état des conclusions de première instance était supérieure à 10'000 fr. (art. 308 al. 2 CPC), l'appel est recevable.

1.2 La valeur litigieuse étant supérieure à 30'000 fr., la procédure ordinaire est applicable (art. 219 et suivants CPC). La cause est soumise aux maximes des débats (art. 55 al. 1 CPC) et de disposition (art. 58 al. 1 CPC).

1.3 L'appel peut être formé pour violation du droit et/ou constatation inexacte des faits, la Cour disposant d'un pouvoir d'examen complet (art. 310 CPC).

2. Par un premier grief, l'appelante reproche au Tribunal d'avoir retenu qu'une éventuelle intervention de la juge conciliatrice ayant amené la modification des conclusions de l'intimé ne jouait aucun rôle en l'espèce.

2.1
2.1.1
Selon l'art. 56 CPC, le tribunal interpelle les parties lorsque leurs actes ou déclarations sont peu clairs, contradictoires, imprécis ou manifestement incomplets et leur donne l'occasion de les clarifier ou de les compléter. Le devoir d'interpellation du juge constitue une atténuation de la maxime des débats, selon laquelle les parties doivent en principe alléguer les faits constituant le cadre du procès. Le but de l'art. 56 CPC est ainsi d'éviter qu'une partie ne soit déchue de ses droits parce que ses allégués de fait et ses offres de preuves sont affectés de défauts manifestes (arrêts du Tribunal fédéral
5A_375/2015 du 26 janvier 2016 consid. 7.1, non publié in ATF 142 III 102; 5A_921/2014 du 11 mars 2015 consid. 3.4.2, 4A_78/2014-4A_80/2014 du 23 septembre 2014 consid. 3.3.3). De jurisprudence constante, le devoir d'interpellation du juge ne doit pas servir à réparer des négligences procédurales (arrêts du Tribunal fédéral 4A_375/2015 du 26 janvier 2016 consid. 7.1, non publié in ATF 142 III 102; arrêts précités 5A_921/2014 du 11 mars 2015 consid. 3.4.2, 4A_78/2014-4A_80/2014 du 23 septembre 2014 consid. 3.3.3; 4A_444/2013 du 5 février 2014 consid. 6.3.3, 4D_57/2013 du 2 décembre 2013 consid. 3.2, 5A_115/2012 du 20 avril 2012 consid. 4.5.2). L'intervention du juge ne doit pas non plus avantager unilatéralement une partie et aboutir à une violation du principe de l'égalité des armes (arrêts du Tribunal fédéral précités 4A_375/2015 consid. 7.1, non publié in ATF 142 III 102; 4A_78/2014-4A_80/2014 consid. 3.3.3, 4A_444/2013 consid. 6.3.3). L'interpellation est limitée par le cadre du procès; le juge ne doit ainsi pas rendre les parties attentives à des faits qu'elles n'ont pas pris en considération, ni les aider à mieux présenter leur cause, ni leur suggérer des arguments pertinents (ATF 146 III 413 consid. 4.2; 142 III 462 consid. 4.3)

Si la jurisprudence et la doctrine contiennent de nombreux développements sur le cas où une partie reproche au juge de ne pas être intervenu alors qu'il en aurait eu l'obligation, les conséquences d'une situation où une partie reproche au juge d'être intervenu alors qu'il n'aurait pas dû le faire sont par contre moins précisées.

S'agissant du premier cas de figure, soit lorsque le juge refuse d'intervenir alors qu'il aurait dû le faire, il incombe à la partie de démontrer, lors de son appel ou de son recours, que, si le juge était intervenu, sa position de partie se serait trouvée améliorée. Il faut alors que l'autorité de recours modifie le jugement en fonction de ce que la partie aurait fait si elle avait été bien informée, respectivement renvoie la cause à l'autorité précédente pour qu'elle en reprenne l'instruction en tenant compte du comportement omis (Sutter-Somm / Seiler, Handkommentar zur Schweizerischen Zivilprozessordnung, Art. 1-408 ZPO, 2021, n. 14 ad art. 56 CPC).

La seule conséquence envisagée par la doctrine et la jurisprudence lorsque le juge outrepasse son devoir d'intervention et interpelle une partie alors qu'il n'aurait pas dû le faire est celle d'une éventuelle récusation (art. 47 et suivants CPC). En effet, si la communication de certaines informations à une partie (par exemple en lien avec l'assistance judiciaire) peut être comprise dans le rôle du juge, le fait de donner des conseils excède celui-ci et peut donner lieu à l'obligation de se récuser. Il est particulièrement délicat de trouver la limite entre le devoir d'interroger et le conseil : il est inadmissible d'inviter une partie à modifier sa demande ou à soulever l'exception de compensation ou de prescription. Il en va de même lorsque la partie est invitée à procéder d'une certaine façon ou lorsque son attention est attirée sur une erreur juridique qu'elle a commise (Diggelmann, ZPO Schweizerische Zivilprozessordnung, Kommentar, 2ème 2016, n. 42 ad art. 47 CPC; Göksu, Fachhandbuch Zivilprozessrecht, 2020, p. 164; Lienhard, Die materielle Prozessleitung der Schweizerischen Zivilprozessordnung, 2013, p. 99 et suivantes; Wildhaber Bohnet, Le devoir d'interpellation du Tribunal en procédure civile suisse, Jusletter 23 septembre 2013; Gehri, Basler Kommentar - ZPO, 3ème éd. 2017, n. 15 ad art. 56 CPC; arrêt du Tribunal fédéral 4A_444/2013 du 5 février 2013 consid. 6.3.3). Ainsi, le juge viole son obligation de neutralité et d'impartialité lorsqu'il indique par exemple à une partie la possibilité de soulever une exception. Cette question n'est toutefois pas réglée par le CPC. Le Tribunal doit chercher la vérité et non aider les parties à trouver des arguments juridiques (Sutter-Somm / Seiler, op. cit., n. 43 ad art. 56 CPC). Une partie de la doctrine estime que le fait d'exercer son devoir d'interpellation à l'égard d'une seule partie n'est pas en soi critiquable, ce qui l'est par contre c'est de s'engager de manière visible (voire émotionnelle) en faveur d'une partie, par exemple en lui conseillant instamment de procéder d'une certaine manière. Une apparence de prévention peut aussi naître lors d'une prise de contact par le juge avec une partie en l'absence de l'autre (Sarbach, ZPO Kommentar, Schweizerische Zivilprozessordnung, 2ème éd. 2015, n. 8 ad art. 56 CPC).

Le Tribunal fédéral a notamment jugé que la prise de contact téléphonique d'une greffière, après discussion avec le juge, avec l'une des parties pour obtenir des éclaircissements sur la requête qu'elle avait déposée donnait une apparence de partialité justifiant la récusation (arrêt du Tribunal fédéral 5A_462/2013 du 12 novembre 2013 consid. 3.3).

2.1.2 Selon l'art. 47 al. 1 let. f CPC, les magistrats se récusent lorsqu'ils pourraient être prévenus de toute autre manière que celles mentionnées aux let. a à e du même alinéa. L'art. 47 al. 1 let. f CPC concrétise les garanties découlant de l'art. 30 al. 1 Cst., qui a, de ce point de vue, la même portée que l'art. 6 § 1 CEDH. La garantie d'un juge indépendant et impartial permet de demander la récusation d'un magistrat dont la situation ou le comportement est de nature à susciter des doutes quant à son impartialité (ATF 140 III 221 consid. 4.2; 134 I 20 consid. 4.2; arrêts du Tribunal fédéral 5A_674/2016 du 20 octobre 2016 consid. 3.1; 5A_171/2015 du 20 avril 2015 consid. 6.1).

Conformément à l'art. 49 al. 1 CPC, la partie qui entend obtenir la récusation d'un magistrat se doit d'agir "aussitôt" après la connaissance du motif de récusation.

La partie qui a connaissance d'un motif de récusation doit l'invoquer aussitôt, sous peine d'être déchue du droit de s'en prévaloir ultérieurement (ATF 138 I 1 consid. 2.2 et les arrêts cités; 132 II 485 consid. 4.3; 119 Ia 221 consid. 5a). Il est, en effet, contraire aux règles de la bonne foi de garder en réserve le moyen pour ne l'invoquer qu'en cas d'issue défavorable de la procédure (ATF 136 III 605 consid. 3.2.2).

Les actes de procédure auxquels a participé une personne tenue de se récuser doivent être annulés et renouvelés si une partie le demande dans les dix jours après qu'elle a eu connaissance du motif de récusation (art. 51 al. 1 CPC). Si un motif de récusation n'est découvert qu'après la clôture de la procédure, les dispositions sur la révision sont applicables (art. 51 al. 3 CPC).

2.2 En l'espèce, le fait que l'intimé aurait bénéficié lors de l'audience de conciliation d'une "faveur procédurale" de la juge chargée de cette partie de la procédure est contesté. Il ne ressort pas du procès-verbal de l'audience de conciliation que la juge aurait donné des conseils à l'intimé au sujet de la formulation des conclusions, plus particulièrement sur la devise choisie, bien que l'intimé admette tout de même que ce sujet a été discuté.

Cette question de la preuve d'une éventuelle aide indue (au regard de l'art. 56 CPC) apportée par la juge conciliatrice en faveur de l'intimé peut demeurer ouverte au vu de ce qui suit.

Selon la jurisprudence, lorsque le juge n'interpelle pas un justiciable alors qu'il aurait dû le faire, il appartient à la partie concernée de démontrer qu'elle aurait pu réagir de façon adéquate à l'interpellation et, donc, améliorer sa position procédurale. Au contraire, lorsque le juge intervient alors qu'il ne devait pas le faire, il apparaît impossible, surtout lorsque cette situation survient au stade de la conciliation, de démontrer que la partie concernée n'aurait pas pu, ultérieurement et par elle-même, réparer la lacune concernée, plus particulièrement en lien avec la formulation des conclusions qui peut être modifiée entre la phase de conciliation et les débats principaux (art. 230 CPC). Il s'agit ici d'un raisonnement purement spéculatif qui ne peut pas fonder une conviction suffisante, même hypothétique, et pour lequel aucune preuve décisive ne peut être apportée.

C'est sans doute la raison pour laquelle ni la doctrine, ni la jurisprudence n'envisagent une autre possibilité que la récusation du juge concerné comme réparation à une violation "positive" de l'art. 56 CPC : le magistrat peut donner une impression de partialité en faveur d'une partie (en excédant son devoir d'interpellation) et pourrait ainsi devoir éventuellement être déchargé du dossier. Il n'est ainsi pas possible de retirer à la partie concernée le bénéfice de l'aide indue dont elle aurait profité, aucune disposition du code ne prévoyant une telle solution.

Or, la juge conciliatrice est déjà dessaisie du dossier, de sorte qu'une récusation est dépourvue de sens.

De surcroît, ayant toutes les informations en mains au moment où l'intimé a reformulé ses conclusions, l'appelante l'a laissé procéder et n'a formulé aucune opposition jusqu'après la saisine du juge du fond. Elle a même sollicité la délivrance de l'autorisation de procéder sur la base des conclusions modifiées. Cela exclut donc tant la possibilité d'obtenir une récusation à ce stade, qui serait demandée tardivement, que l'application de l'art. 51 al. 3 CPC, qui prévoit l'application des règles sur la révision, lorsqu'un motif de récusation apparaît après la clôture de la procédure, ce qui n'est pas le cas.

Par ailleurs, en laissant l'intimé modifier ses conclusions, sans s'opposer, ni réagir et même en invitant la juge conciliatrice à délivrer l'autorisation de procéder, le comportement procédural de l'appelante, qui se plaint de la reformulation des conclusions devant le juge du fond seulement, se situe à la limite de la bonne foi procédurale qui peut être attendue des parties (art. 52 CPC).

Le grief lié à une violation de l'art. 56 CPC sera donc rejeté.

3. Par un second grief, l'appelante considère que les conclusions de l'intimé n'étaient pas formulées correctement. Le fait que certaines d'entre elles soient subsidiaires à d'autres aurait dû interdire au Tribunal de statuer comme il l'avait fait dans la décision entreprise.

3.1 Selon l'art. 221 al. 1 let. b CPC, la demande contient des conclusions. Les parties doivent formuler des conclusions précises et déterminées, qui puissent être reprises dans le dispositif de jugement en cas d'admission de la demande (ATF 142 III 102 consid. 5.3.1).

A teneur de l'art. 90 CPC, le demandeur peut réunir dans la même action plusieurs prétentions contre le même défendeur. Cela étant, le cumul alternatif – par lequel le demandeur invoque plusieurs prétentions, en laissant toutefois le tribunal ou le défendeur décider sur laquelle ou lesquelles d'entre elles il sera statué – est en revanche considéré comme contraire à l'exigence de précision des conclusions et dès lors, comme irrecevable (ATF 142 III 683 consid. 5.4 et la note de Bastons Bulletti in CPC Online, newsletter du 17.11.2016).

Des conclusions formulées comme tendant à obtenir le paiement de "158'500 euros, soit 195'333 fr. 80" sont indiscutablement "peu claires". Si, au moment d'introduire la demande, le demandeur n'est pas certain de la monnaie effectivement exigible, il lui est loisible d'énoncer des conclusions principales dans une monnaie et des conclusions subsidiaires dans l'autre. Elle peut aussi le faire lors d'une audience, en réponse à une question du juge, ce jusqu'à l'ouverture des débats principaux. Une fois qu'une seule devise a été choisie, par contre, l'action ne peut aboutir par une condamnation que si la somme éventuellement due l'est dans cette devise (arrêt du Tribunal fédéral 4A_265/2017 du 13 février 2018 consid. 6).

3.2 En l'espèce, l'appelante reproche au Tribunal d'avoir opéré un "tri" entre les conclusions principales, subsidiaires et plus subsidiaires de l'intimé, alors que ces deux dernières catégories ne pouvaient entrer en considération qu'en cas de rejet des conclusions principales.

En lien avec ce grief, l'intérêt de l'appelante à recourir n'est pas évident (art. 59 al. 2 let. a CPC). En effet, il apparaît que la décision entreprise aboutit à écarter une partie des conclusions de l'intimé, avant d'avoir examiné le fond de la cause, ce qui tend plutôt à favoriser l'appelante. Celle-ci souhaiterait cependant que toutes les conclusions de l'intimé soient écartées à ce stade.

Le seul motif qu'elle invoque à l'appui de cette solution a trait à l'existence de conclusions subsidiaires, dans une devise différente des conclusions principales, mais portant sur le même fondement juridique. Toutefois, ainsi que cela ressort du jugement entrepris et de la jurisprudence, il est admissible pour un demandeur de conclure principalement dans une devise et subsidiairement dans une autre, lorsqu'il doute de la solution correcte au début de la procédure. Il ne saurait donc être retenu que les conclusions de l'intimé manquent de clarté.

D'ailleurs, l'appelante ne formule, logiquement, pas de critique sur la décision du premier juge d'écarter certaines des conclusions principales de l'intimé à ce stade déjà. Ainsi, le juge est d'ores-et-déjà en mesure d'examiner, conformément aux arguments juridiques de l'appelante elle-même, certaines des conclusions subsidiaires, puisque les conclusions principales correspondantes ont été rejetées.
En tous les cas, les conclusions de l'intimé ne souffrent pas d'un manque de clarté, puisque l'on comprend aisément ce qu'il demande et pour quelle raison.

Les griefs de l'appelante seront rejetés, dans la mesure de leur recevabilité.

4. Le jugement entrepris sera donc confirmé.

5. Les frais de l'appel seront arrêtés à 2'000 fr., compte tenu de la valeur litigieuse et du fait que l'examen de la cause a été limité à une question juridique (art. 7, 17 et 35 RTFMC), et mis à la charge de l'appelante, qui succombe (art. 106 CPC). Ils seront compensés avec l'avance fournie par cette dernière, laquelle demeure acquise à l'Etat (art. 111 al. 1 CPC).

Vu l'issue du litige, l'appelante sera, en outre, condamnée aux dépens de sa partie adverse, arrêtés à 2'000 fr. (art. 84, 85, 89 et 90 RTFMC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté le 19 novembre 2021 par A______ contre le jugement JTPI/13371/2021 rendu le 19 octobre 2021 par le Tribunal de première instance dans la cause C/14690/2019.

Au fond :

Confirme le jugement entrepris.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires d'appel à 2'000 fr., les met à la charge de A______ et les compense avec l'avance versée, qui demeure acquise à l'Etat de Genève.

Condamne A______ à verser à B______ 2'000 fr. à titre de dépens d'appel.

Siégeant :

Monsieur Cédric-Laurent MICHEL, président; Monsieur Laurent RIEBEN, Madame Paola CAMPOMAGNANI, juges; Madame Jessica ATHMOUNI, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.