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Décisions | Chambre civile

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C/23820/2020

ACJC/164/2022 du 01.02.2022 sur ORTPI/1071/2021 ( OO ) , JUGE

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/23820/2020 ACJC/164/2022

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU MARDI 1ER FEVRIER 2022

Entre

Madame A______, domiciliée ______, Monaco, recourante contre une ordonnance rendue par la 13ème chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 4 octobre 2021, comparant par Me Urs SAAL, avocat, Budin & Associés, rue De-Candolle 17, case postale 166, 1211 Genève 12, en l'Étude duquel elle fait élection de domicile,

et

B______ LIMITED, sise ______[GE], intimée, comparant par Me Andrew GARBARSKI, avocat, Bär & Karrer SA, quai de la Poste 12, case postale 5056, 1211 Genève 11, en l'Étude duquel elle fait élection de domicile.


EN FAIT

A.           Par ordonnance du 4 octobre 2021, expédiée pour notification aux parties le lendemain, le Tribunal de première instance a condamné A______ à fournir, soit en espèces, soit sous forme d'une garantie bancaire établie en Suisse ou d'une société d'assurance autorisée à exercer en Suisse, des sûretés en garantie des dépens d'un montant de 30'672 fr. (ch. 1 du dispositif), a imparti à celle-ci un délai de 45 jours dès notification de sa décision pour déposer lesdites sûretés soit en espèces auprès des Services financiers du Pouvoir judiciaire soit sous forme de garantie auprès de lui-même (ch. 2), prescrit qu'à défaut de dépôt à l'échéance du délai, la demande serait déclarée irrecevable (ch. 3), arrêté les frais à 1'500 fr., compensés avec l'avance fournie par B______ LIMITED et mis à la charge de A______, condamnée à les rembourser à la précitée, ainsi qu'à lui verser 1'200 fr. à titre de dépens (ch. 4 et 5) et réservé la suite de la procédure (ch. 6).

Pour calculer le montant des dépens, le Tribunal a pris en considération la valeur litigieuse, calculée au sens de l'art. 85 RTFMC, et écarté, sans motivation particulière, l'application de l'art. 89 LaCC [recte RTFMC].

B.            Par acte du 18 octobre 2021, A______ a formé recours contre l'ordonnance précitée. Elle a conclu à l'annulation de celle-ci, cela fait à ce qu'il lui soit donné acte de son accord de fournir des sûretés d'un montant de 5'698 fr., dans un délai de 45 jours, auprès des Services financiers du Pouvoir judiciaire, avec suite de frais et dépens.

Par décision du 26 octobre 2021, la Cour a rejeté la requête de suspension de l'effet exécutoire attaché à l'ordonnance entreprise, formée par A______.

B______ LTD a conclu au rejet du recours, avec suite de frais et dépens.

Par avis du 22 novembre 2021, les parties ont été informées de ce que la cause était gardée à juger.

C.           Il résulte de la procédure de première instance les faits pertinents suivants :

a. Le 23 novembre 2020, A______, domiciliée à Monaco, a saisi le Tribunal d'une "action en revendication (selon l'art. 107 LP)", dirigée contre B______ LTD, incorporée à C______. Elle a articulé une valeur litigieuse de 750'000 fr., correspondant, selon elle, à la valeur estimée d'un tableau intitulé "D______" de E______, inventorié dans le séquestre n° 1______ ordonné par le Tribunal le 28 août 2019 sur les biens de sa mère, F______, à la requête de B______ LTD.

A titre préalable, elle a requis la production de pièces, un second échange d'écritures, une suspension de la procédure et une jonction de la procédure.

b. Le 3 mars 2021, B______ LTD a sollicité du Tribunal notamment qu'il fixe la valeur litigieuse de l'action à 1'903'040 fr., et ordonne la fourniture de sûretés en garantie des dépens à hauteur du montant minimum de 27'760 fr. Ce montant tenait compte d'une réduction, en application de l'art. 89 RTFMC, de celui fixé sur la base de l'art. 85 RTFMC, rapporté à une valeur litigieuse de 1'903'040 fr, et comprenait l'ajout de débours.

Par ordonnance du 23 juin 2021, le Tribunal a rejeté la requête de B______ LTD tendant à l'augmentation de la valeur litigieuse articulée par A______.

Le 18 août 2021, A______ a conclu à être dispensée de la fourniture de sûretés, à titre subsidiaire à ce qu'il lui soit donné acte de son engagement de verser 5'696 fr. au maximum à ce titre. Dans le corps de son écriture, elle a spécifié ce qui suit: "Le montant [des sûretés] ne devrait pas dépasser CHF 5'696.-, voire CHF 12'341.-". Ces montants, débours compris, correspondaient à la quotité fixée en application de l'art. 85 RTFMC (calculée sur la valeur litigieuse de 750'000 fr.), et réduite en fonction de l'art. 89 RTFMC soit au minimum soit à la moyenne des chiffres de la fourchette appliquée (allant de 5'696 fr. à 18'986 fr.).

Le 30 août 2021, B______ LTD a persisté dans sa requête de fourniture de sûretés; elle a requis que le montant en soit fixé à 18'986 fr. au minimum, priant le Tribunal de "s'en tenir strictement à la règle de principe prévue à l'art. 89 RTFMC, soit à une réduction de deux tiers du tarif établi selon l'art 85 RTFMC".

EN DROIT

1.             Les décisions relatives aux avances de frais et aux sûretés peuvent faire l'objet d'un recours (art. 103 CPC).

Le présent recours, formé dans le délai légal de dix jours (art. 321 al. 2 CPC), est recevable, sauf en ce qui a trait aux chiffres 2, 3 et 6 du dispositif qui ne font pas l'objet de critiques de la recourante.

2.             L'unique grief que la recourante adresse à la décision attaquée tient à ce que le Tribunal a écarté l'application de l'art. 89 RTFMC dans son calcul du montant des dépens prévisibles, correspondant aux sûretés à fournir.

2.1 Selon l'art. 99 al. 1 let. a CPC, le demandeur doit, sur requête du défendeur fournir des sûretés en garantie du paiement des dépens lorsqu'il n'a pas de domicile ou de siège en Suisse.

Il ressort de l'art. 99 al. 1 CPC que les sûretés doivent couvrir en principe les dépens présumés que le demandeur aurait à verser au défendeur en cas de perte totale du procès. Pour fixer le montant des sûretés, le juge mènera donc de façon anticipée le raisonnement qu'il opérerait à l'issue de la procédure au moment de fixer les dépens, définis à l'art. 95 al. 3 CPC (arrêt du Tribunal fédéral 4A_497/2020 du 19 octobre 2021 destiné à la publication, consid. 4.3.2. et les références citées).

Il est possible de formuler des conclusions chiffrées, mais ceci n'est pas exigé par la loi (ATF 140 III 444 consid. 3.2.2).

2.2 Pour calculer les dépens présumés et, partant, le montant des sûretés, il faut s'en remettre au droit cantonal (art. 96 CPC).

Aux termes de l'art. 20 al. 1 LaCC, dans les contestations portant sur des affaires pécuniaires, le défraiement d'un représentant professionnel est, en règle générale, proportionnel à la valeur litigieuse; il est fixé dans les limites figurant dans un règlement du Conseil d'État, d'après l'importance de la cause, ses difficultés, l'ampleur du travail et le temps employé. L'art. 23 LaCC dispose à son alinéa 1 que, lorsqu'il y a une disproportion manifeste entre la valeur litigieuse et l'intérêt des parties au procès ou entre le taux applicable selon la présente loi et le travail effectif de l'avocat, la juridiction peut fixer un défraiement inférieur ou supérieur aux taux minimums et maximums prévus. L'art. 25 LaCC prévoit que les débours nécessaires sont estimés, sauf éléments contraires, à 3% du défraiement et s'ajoutent à celui-ci.

Le tarif servant de base au défraiement d'un représentant professionnel dans les affaires pécuniaires figure à l'art. 85 al. 1 RTFMC; sans préjudice de l'art. 23 LaCC, le défraiement peut s'en écarter de plus ou moins 10% pour tenir compte des éléments rappelés à l'art. 84 RTFMC (qui reprennent ceux énoncés à l'art. 20 al. 1 LaCC). Selon le tarif, lorsque la valeur litigieuse se situe au-delà de 600'000 fr., le défraiement correspond à. 25'400 fr., plus 1,5% de la valeur litigieuse dépassant 600'000 fr.

Pour les affaires judiciaires relevant de la loi fédérale sur la poursuite pour dettes et la faillite, du 11 avril 2019, le défraiement est, dans la règle, réduit à deux tiers et au plus à un cinquième du tarif de l'article 85 RTFMC
(art. 89 RTFMC).

2.3 L'art. 107 al. 5 LP prévoit que le tiers peut ouvrir action en constatation de son droit contre celui qui le conteste (débiteur ou créancier) dans le cadre de la saisie.

L'action relève du droit de la poursuite et a un effet réflexe ("Reflexwirkung") sur le droit matériel, selon la majorité de la doctrine, la minorité ne mettant ce point de vue en question que dans le cas de la participation du débiteur (ROHNER, Kurzkommentar SchKG, 2014, ad art. 109 LP n. 1).

2.4 En l'espèce, les sûretés ordonnées ne sont pas contestées dans leur principe, mais uniquement dans leur quotité, sous l'angle de l'application de l'art. 89 RTFMC.

Cette disposition vise les affaires judiciaires relevant de la LP, sans autre précision, pour prévoir un abattement par rapport au montant calculé selon la valeur litigieuse. Elle se situe directement après l'art. 88 RTFMC, qui prévoit le même principe pour les affaires sommaires.

Diverses procédures de la LP sont soumises à la procédure sommaire, selon l'art. 251 CPC. L'art. 83 al. 2 LP prévoit expressément que l'action en libération de dette est instruite en la forme ordinaire; la Cour (ACJC/1330/2015 du 30 octobre 2015) en a déduit que cette action ne relevait pas de la LP et que, partant, l'art. 89 RTFMC ne s'y appliquait pas.

Au vu de ce qui précède, il apparaît que le champ d'application de l'art. 89 RTFMC s'étend à des actions de la LP, dont la loi ne spécifie pas expressément de quelle procédure elles relèvent.

Vu le caractère de droit des poursuites reconnu par la doctrine à l'action fondée sur l'art. 107 LP, il apparaît conforme au sens du RTFMC de la soumettre à l'art. 89 RTFMC, comme l'ont soutenu au demeurant tant la recourante que l'intimée, à tout le moins dans ses écritures de première instance.

Certes, il est concevable de déroger à cette disposition. En l'occurrence, aucun élément n'a été avancé qui commanderait de s'en écarter.

Dès lors, comme l'avance la recourante, le montant des dépens prévisible, fondé sur l'art. 85 et l'art. 89 RTFMC, majoré des débours se situerait entre 5'696 fr. et 18'986 fr, ce dernier montant étant celui que l'intimée avait elle-même admis comme montant minimum devant le Tribunal.

La recourante n'expose pas quelles circonstances commanderaient une réduction du montant dû au minimum énoncé ci-dessus. L'intimée relève pour sa part le travail important que pourrait engendrer la procédure, évoquant la vraisemblance de devoir procéder à deux échanges d'écritures.

Il s'agit en effet là de l'une de plusieurs conclusions préalables soumises par la recourante, ce qui ne laisse pas présager d'une procédure particulièrement simple et rapide. Dès lors, il se justifie de retenir le quotient de réduction le plus faible prévu par l'art. 89 RTFMC.

Pour le surplus, l'appelante critique l'ajout de la TVA, opéré par le Tribunal, lequel apparaît en effet inapproprié, au vu du domicile étranger des parties.

Le recours étant partiellement fondé, le chiffre 1 de la décision attaquée sera annulé. La cause étant en état d'être jugée (art. 327 al. 3 let. b CPC), il sera statué à nouveau dans le sens que la recourante sera condamnée à verser des sûretés en garantie des dépens de 18'986 fr., débours compris.

3.             La recourante a obtenu gain de cause sur le principe de son argumentation de recours, mais non sur la quotité des sûretés, auxquelles elle s'opposait entièrement devant le Tribunal, tandis que l'intimée a obtenu ses conclusions de première instance mais non de recours. Il se justifie donc que les deux parties supportent par moitié les frais judiciaires des décisions relatives aux sûretés en garantie des dépens (art. 106 al. 2 CPC), qui seront arrêtés à 2'300 fr. pour la première et la seconde instances (art. 21, 39 RTFMC), compensés avec les avances effectuées, acquises à l'Etat de Genève. La recourante versera dès lors 350 fr. à l'intimée.

Pour les mêmes raisons, chacune des parties supportera ses propres dépens pour les deux instances cantonales.

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable le recours formé par A______ contre les chiffres 1, 4 et 5 du dispositif de l'ordonnance OTPI/1071/2020 rendue le 4 octobre 2021 par le Tribunal de première instance dans la cause C/23820/2020, et irrecevable pour le surplus.

Au fond :

Annule les chiffres 1, 4 et 5 du dispositif de cette ordonnance et statuant à nouveau sur ces points :

Condamne A______ à fournir, soit en espèces, soit sous forme de garantie bancaire d'une banque établie en Suisse ou d'une société d'assurance autorisée à exercer en Suisse, des sûretés en garantie des dépens d'un montant de 18'986 fr.

Déboute les parties de toutes autres conclusions de recours.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires de première instance et de recours en lien avec les décisions relatives aux sûretés en garantie des dépens à 2'300 fr., compensés avec les avances effectuées acquises à l'Etat de Genève.

Les met à la charge de chacune des parties par moitié.

Condamne A______ à verser à B______ LTD 350 fr.

Dit que chacune des parties supporte ses propres dépens de première instance et de recours.

Siégeant :

Madame Ursula ZEHETBAUER GHAVAMI, présidente; Madame Sylvie DROIN, Madame Nathalie RAPP, juges; Madame Jessica ATHMOUNI, greffière.

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière civile; la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 72 à 77 et 90 ss de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110). Il connaît également des recours constitutionnels subsidiaires; la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 113 à 119 et 90 ss LTF. Dans les deux cas, le recours motivé doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué. L'art. 119 al. 1 LTF prévoit que si une partie forme un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.