Aller au contenu principal

Décisions | Sommaires

1 resultats
C/28360/2024

ACJC/1556/2025 du 30.10.2025 sur JTPI/9210/2025 ( SML ) , JUGE

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/28360/2024 ACJC/1556/2025

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU JEUDI 30 OCTOBRE 2025

 

Entre

A______ SA, sise ______ [GE], recourante contre un jugement rendu par la 3ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 4 août 2025, représentée par Me Pascal PETROZ, avocat, De Boccard Associés SA, rue du Mont-Blanc 3, 1201 Genève,

et

B______ SA, sise ______ [GE], intimée, représentée par Me Christian de PREUX, avocat, de Preux Avocats, rue de la Fontaine 5, case postale 3398, 1211 Genève 3.


EN FAIT

A. Par jugement JTPI/9210/2025 du 4 août 2025, le Tribunal de première instance, statuant par voie de procédure sommaire, a prononcé la mainlevée provisoire de l’opposition formée au commandement de payer, poursuite n° 1______ (ch. 1 du dispositif), a arrêté les frais judiciaires à 500 fr., compensés avec l’avance fournie, mis à la charge de A______ SA, condamnée à les rembourser à B______ SA, ainsi qu’à lui verser la somme de 2'250 fr. à titre de dépens (ch. 2 à 4).

En substance, le Tribunal a considéré que les pièces produites par B______ SA, notamment le contrat d’entreprise et le récapitulatif des plus et moins-values, non contestées par A______ SA, valaient reconnaissance de dette. Les titres versés à la procédure par cette dernière ne permettaient pas de retenir les prétentions récursoires qu’elle avait élevées, sans procéder à d’autres actes d’instruction, relevant de la procédure au fond.

B. a. Par acte expédié le 15 août 2025 à la Cour de justice, A______ SA a formé recours contre ce jugement, sollicitant son annulation. Elle a conclu à ce que la Cour déboute B______ SA de ses conclusions en mainlevée provisoire, sous suite de frais et dépens.

b. Par arrêt ACJC/1156/2025 du 29 août 2025, la Cour a rejeté la requête de suspension du caractère exécutoire du jugement entrepris formée par A______ SA, les frais de la décision étant renvoyés à la décision au fond.

c. Dans sa réponse du 3 septembre 2025, B______ SA a conclu au rejet du recours, sous suite de frais et dépens.

d. Les parties ont respectivement répliqué et dupliqué les 15 et 23 septembre 2025, persistant dans leurs conclusions.

e. Elles ont été avisées par plis du greffe du 13 octobre 2025 de ce que la cause était gardée à juger.

C. Les faits pertinents suivants résultent de la procédure de première instance :

a. A______ SA, de siège à Genève, a notamment pour but la création, la production, la fabrication et la commercialisation de produits d'horlogerie, d'orfèvrerie, d'argenterie, de bijouterie et d'articles de cadeaux.

b. B______ SA, de siège à Genève, a pour but le commerce et la représentation de matériel et appareillage électrique ainsi que de tous travaux d'installation et équipement dans le domaine de l'électricité et du téléphone et location de services.

c. Le 28 juin 2017, A______ SA, représentée par son architecte, et B______ SA ont conclu un contrat d’entreprise SIA 2______ 2013, portant sur des travaux d’installations électriques dans le cadre de la construction et l’extension de trois bâtiments d’ateliers d’horlogerie, pour un prix forfaitaire, TVA incluse, de 2'241'500 fr.

d. Par pli du 12 février 2019, A______ SA a transmis à B______ SA un détail du dommage subi par elle à la suite d’un incident survenu le 25 janvier 2018 sur le chantier, pour la somme de 89'684 fr. 72.

B______ SA a, en vue de garantir ce montant dans l’attente du règlement du sinistre par l’assurance, « bloqué » en ses comptes une somme de 80'000 fr.

e. Le 22 décembre 2023, B______ SA a adressé à A______ SA une facture finale n° 3______, portant sur un montant total brut de 2'287'335 fr. 46, sous déduction de 2'207'335 fr. 46 versés, laissant subsister un solde de 80'000 fr. et 6'160 fr. de TVA.

f. A la requête de B______ SA, l’Office cantonal des poursuites a notifié le
29 janvier 2024 à A______ SA un commandement de payer, poursuite
n° 1______, pour la somme de 86'160 fr., avec intérêts à 5% dès le 30 avril 2019.

Figure, comme titre et date de la créance, « facture 3______ du 22.12.2023 ».

Opposition y a été formée.

g. Le 2 décembre 2024, B______ SA a saisi le Tribunal d’une requête de mainlevée provisoire de l’opposition formée au commandement de payer précité.

Elle a notamment produit un devis complémentaire établi par ses soins le 6 novembre 2024, portant sur un montant total de 302'538 fr. 97. Ce document n’a pas été signé par A______ SA.

h. A l’audience du Tribunal du 16 mai 2025, A______ SA a produit des pièces. Elle a conclu au rejet de la requête, B______ SA ne disposant d’aucune reconnaissance de dette. Elle a opposé en compensation du montant requis en poursuite la même somme à titre de dommage à la suite de l’incident survenu sur le chantier.

B______ SA a soutenu que des travaux d’une grande ampleur avaient été exécutés, lesquels avaient engendré des plus-values. Une indemnisation pour la perte d’exploitation avait été retenue jusqu’à ce que les circonstances du sinistre soient élucidées. Elle a contesté toute compensation.

Le Tribunal a gardé la cause à juger à l’issue de l’audience.

EN DROIT

1. 1.1 S'agissant d'une procédure de mainlevée, seule la voie du recours est ouverte (art. 319 let. b et 309 let. b ch. 3 CPC).

1.2 Le recours, écrit et motivé, doit être introduit auprès de l'instance de recours dans les dix jours à compter de la notification de la décision motivée (art. 251 let. a CPC et 321 al. 1 et 2 CPC).

En l'espèce, le recours a été déposé dans le délai et la forme requis par la loi, de sorte qu'il est recevable de ce point de vue.

1.3 Le pouvoir d'examen de l'autorité de recours est limité à la violation du droit et à la constatation manifestement inexacte des faits (art. 320 CPC).

Les maximes des débats et de disposition s'appliquent (art. 55 al. 1, 255 let. a a contrario et art. 58 al. 1 CPC).

1.4 Les conclusions, allégations de fait et preuves nouvelles sont irrecevables dans le cadre d'un recours (art. 326 al.1 CPC).

1.5 La procédure de mainlevée provisoire est une procédure sur pièces, dont le but n'est pas de constater la réalité de la créance en poursuite, mais l'existence d'un titre exécutoire. Le juge de la mainlevée provisoire examine seulement la force probante du titre produit par le créancier, sa nature formelle - et non la validité de la créance - et lui attribue force exécutoire si le débiteur ne rend pas immédiatement vraisemblables ses moyens libératoires (ATF 145 III 160 consid. 5.1 et la référence). De jurisprudence constante, la procédure de mainlevée, qu'elle soit provisoire ou définitive, est un incident de la poursuite. La décision qui accorde ou refuse la mainlevée est une pure décision d'exécution forcée dont le seul objet est de dire si la poursuite peut continuer ou si le créancier est renvoyé à agir par la voie d'un procès ordinaire. En d'autres termes, le prononcé de mainlevée ne sortit que des effets de droit des poursuites et ne fonde pas l'exception de chose jugée quant à l'existence de la créance (ATF 143 III 564 consid. 4.1; 136 III 583 consid. 2.3 et les références; arrêts du Tribunal fédéral 5A_534/2023 du 13 décembre 2023 consid. 5.2.1; 5A_1015/2020 du 30 août 2021 consid. 3.1). La décision du juge de la mainlevée provisoire ne prive pas les parties du droit de soumettre à nouveau la question litigieuse au juge ordinaire (art. 79 et 83 al. 2 LP; ATF 136 III 528 consid. 3.2; arrêts du Tribunal fédéral 5A_534/2023 précité loc. cit.; 5A_1015/2020 précité loc. cit.).  

2. La recourante reproche au Tribunal d’avoir prononcé la mainlevée provisoire de l’opposition formée au commandement de payer.

2.1.1 Le créancier dont la poursuite se fonde sur une reconnaissance de dette constatée par acte authentique ou sous seing privé peut requérir la mainlevée provisoire (art. 82 al. 1 LP).

Constitue une reconnaissance de dette au sens de l'art. 82 LP, en particulier, l'acte sous seing-privé, signé par le poursuivi ou son représentant, d'où ressort sa volonté de payer au poursuivant, sans réserve ni condition, une somme d'argent déterminée, ou aisément déterminable et exigible (ATF 148 III 145 
consid. 4.1.1; 145 III 20 consid. 4.1.1.1; 139 III 297 consid. 2.3.1; arrêt du Tribunal fédéral 5A_688/2022 du 23 novembre 2022 consid. 4.1.1). Il peut s'agir soit d'une reconnaissance de dette formelle (art. 17 CO), soit d'un ensemble de pièces dans la mesure où il en ressort les éléments nécessaires (ATF 139 III 297 précité).

La reconnaissance de dette peut découler du rapprochement de plusieurs pièces, pour autant que les éléments nécessaires en résultent, ce qui signifie que l'acte signé doit se référer ou renvoyer clairement et directement aux documents qui indiquent le montant de la dette (ATF 132 III 480 consid. 4.1; 130 III 87,
SJ 2004 I 209 consid. 3.1; 122 II 126 consid. 2). Ainsi, pour valoir titre de mainlevée provisoire, une reconnaissance de dette doit chiffrer de manière précise le montant de la prétention déduite en poursuite ou renvoyer à un document écrit qui permet au juge de la mainlevée de déterminer avec exactitude le montant dû (Abbet/Veuillet, La mainlevée provisoire, 2ème éd. 2022, n. 27, 47 et 48 ad art. 82 LP et les références citées).

La reconnaissance de dette sous seing privé doit porter la signature du débiteur, apposée à la main. Le message électronique ne portant pas la signature électronique qualifiée ne vaut pas titre de mainlevée (Abbet/Veuillet, op. cit., n. 15a, 17 et 30 ad art. 82 LP). Des factures - non signées par le débiteur - ne valent pas reconnaissance de dette et ce, même si elles ne sont pas contestées (arrêt du Tribunal fédéral 5P.290/2006 du 12 octobre 2006 consid. 3.2 et les références citées).

Le contrat d'entreprise vaut reconnaissance de dette pour le prix convenu, si l'entrepreneur établit avoir exécuté sa prestation (Abbet/Veuillet, op. cit., n. 183 ad art. 82 LP).

2.1.2 Le juge prononce la mainlevée si le débiteur ne rend pas immédiatement vraisemblable sa libération (art. 82 al. 2 LP).

Le poursuivi peut se prévaloir de tous les moyens de droit civil – exceptions ou objections (par ex. paiement, remise de dette, compensation, accomplissement d'une condition résolutoire, etc.) – qui infirment la reconnaissance de dette (ATF 131 III 268 consid 3.2). Il n'a pas à apporter la preuve absolue (ou stricte) de ses moyens libératoires, mais seulement à les rendre vraisemblables. Le juge n'a pas à être persuadé de l'existence des faits allégués; il doit, en se fondant sur des éléments objectifs, avoir l'impression qu'ils se sont produits, sans exclure pour autant la possibilité qu'ils se soient déroulés autrement (ATF 142 III 720 consid. 4.1). Le juge dispose d'un large pouvoir d'appréciation pour décider si un état de fait est vraisemblable ou non. Plus la reconnaissance de dette est claire plus la vraisemblance de la libération doit être accrue (Abbet/Veuillet, op. cit., n. 107 ad art. 82 LP).

2.1.3 Dans le cadre d'une procédure sommaire, le rôle du juge de la mainlevée n'est pas d'interpréter des contrats ou d'autres documents, mais d'accorder rapidement, après un examen sommaire des faits et du droit, une protection provisoire au requérant dont la situation juridique paraît claire (ACJC/29/2022 du 12 janvier 2022 consid. 2.1.2; ACJC/1178/2016 du 9 septembre 2016 consid. 3.1.1; JT 1969 II 32).

Le juge de la mainlevée provisoire peut uniquement procéder à l'interprétation objective du titre, fondée sur le principe de la confiance; il s'agit en effet d'une question de droit qui, en elle-même, ne nécessite aucune administration de preuve. Il convient de tenir compte non seulement du texte mais également du but de l'acte. Le juge ne peut toutefois prendre en compte que les éléments intrinsèques au titre, à l'exclusion des éléments extrinsèques – en particulier les circonstances ayant entouré la signature du titre ou le comportement des parties – qui échappent à son pouvoir d'examen. Une détermination exhaustive de la volonté des parties ou l'interprétation exhaustive du contrat ne sont pas de la compétence du juge de la mainlevée. Si le sens ou l'interprétation du titre de mainlevée invoqué est source de doutes ou si la reconnaissance de dette ne ressort que d'actes concluants, la mainlevée provisoire doit être refusée. La volonté du poursuivi doit ressortir clairement des pièces produites, à défaut de quoi elle ne peut être déterminée que par le juge du fond (arrêt du Tribunal fédéral 5A_867/2018 du 4 mars 2019 consid. 4.1.3; Abbet/Veuillet, op. cit., n. 35 ad art. 82 LP et les réf. citées).

2.2 Dans le présent cas, les parties ne contestent pas qu’elles ont conclu un contrat d’entreprise, portant sur la somme de 2'241'509 fr. TTC, ni que les travaux objets du contrat ont été exécutés par l’intimée. Cette dernière soutient que des plus-values auraient été rendues nécessaires durant le chantier, ce que la recourante conteste.

Il n’est pas non plus remis en cause que la recourante a versé à l’intimée 2'207'335 fr. 45. Se fondant sur le récapitulatif établi par ses soins, l’intimée soutient que le prix total convenu se serait élevé à 2'287'335 fr. 46 HT. Le Tribunal a considéré que le contrat d’entreprise et le récapitulatif valaient reconnaissance de dette. La recourante reproche au premier juge d’avoir considéré que tel était le cas, se fondant sur lesdites pièces. Ce grief est fondé.

En effet, si la recourante a signé, par l’entremise de son architecte, le contrat d’entreprise, tel n’est pas le cas du récapitulatif établi par l’intimée. Par ailleurs, la facture adressée par l’intimée à la recourante n’a pas non plus été signée par cette dernière et ne vaut pas reconnaissance de dette.

2.3 Par conséquent, le recours sera admis et le jugement entrepris annulé. Il sera statué à nouveau en ce sens (art. 327 al. 3 let. b CPC) que l’intimée sera déboutée de ses conclusions en mainlevée provisoire.

3. 3.1 Lorsque l'instance de recours rend une nouvelle décision, elle se prononce sur les frais de première instance (art. 318 al. 3 CPC par analogie; Jeandin, Commentaire romand, 2ème éd. 2019, n. 9 ad art. 327 CPC).

L'intimée, qui succombe, sera condamnée aux frais judiciaires et dépens des deux instances (art. 106 al. 1 CPC), sous réserve de la décision sur effet suspensif, dans laquelle la recourante a succombé, qui seront mis à la charge de cette dernière.

Les frais judiciaires de première instance, arrêtés à 500 fr., seront confirmés et ceux de recours seront arrêtés à 950 fr., y compris la décision sur effet suspensif (art. 48 et 61 OELP).

Ils seront compensés avec l’avance versée par l’intimée en 500 fr. et celle versée par la recourante en 200 fr. (art. 111 al. 1 CPC). Le solde de l’avance de frais fournie par la recourante lui sera restituée, soit 750 fr.

L'intimée sera condamnée à verser 750 fr. aux Services financiers du Pouvoir judiciaire.

3.2 Les dépens de première instance, arrêtés à 2'250 fr., seront confirmés et ceux de recours seront arrêtés à 1’000 fr., débours et TVA inclus (art. 84, 85, 88, 89 et 90 RTFMC; art. 23, 25 et 26 LaCC).

L'intimée versera ainsi 3’250 fr. à ce titre à la recourante.

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable le recours interjeté le 15 août 2025 par A______ SA contre le jugement JTPI/9210/2025 rendu le 4 août 2025 par le Tribunal de première instance dans la cause C/28360/2024–3 SML.

Au fond :

Annule ce jugement.

Cela fait et statuant à nouveau :

Déboute B______ SA de ses conclusions en mainlevée provisoire de l’opposition formée au commandement de payer, poursuite n° 1______.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais des deux instances :

Arrête les frais judiciaires à 1'450 fr., partiellement compensés avec les avances de frais de 500 fr. et 200 fr. fournies par B______ SA et par A______ SA, acquises à l’Etat de Genève.

Les met à la charge de B______ SA à hauteur de 1'250 fr. et à la charge de A______ SA à hauteur de 200 fr.

Condamne B______ SA à verser aux Services financiers du Pouvoir judiciaire la somme de 750 fr.

Invite les Services financiers du Pouvoir judiciaire à restituer 750 fr. à A______ SA.

Condamne B______ SA à verser à A______ SA 3'250 fr. à titre de dépens.

Siégeant :

Madame Pauline ERARD, présidente; Madame Sylvie DROIN, Madame Nathalie LANDRY-BARTHE, juges; Madame Laura SESSA, greffière.

La présidente :

Pauline ERARD

 

La greffière :

Laura SESSA

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.