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C/29373/2024

ACJC/1401/2025 du 09.10.2025 sur ORTPI/532/2025 ( SFC ) , IRRECEVABLE

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/29373/2024 ACJC/1401/2025

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU JEUDI 9 OCTOBRE 2025

 

Entre

A______ SA, sise ______, recourante contre une ordonnance rendue par la 5ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 25 avril 2025, représentée par Me B______, avocat,

et

C______ SARL, sise c/o D______, ______, intimée, représentée par
Me Albert RIGHINI, avocat, RVMH Avocats, rue Gourgas 5, case postale 31,
1211 Genève 8.

 


EN FAIT

A. a. A______ SA, sise à Genève, a comme but social les conseils, la gestion et le courtage en assurances et prévoyance ainsi que toutes autres opérations dérivées. Le capital-actions s’élève à 200'000 fr. et est composé de 200 actions de 1'000 fr. chacune. Celles-ci ont été au porteur jusqu’au 1er mai 2021, date à laquelle elles ont été converties de par la loi en actions nominatives.

F______, G______ et H______ figurent au registre du commerce comme administrateurs avec signature collective à deux, depuis l’inscription de la société le ______ 2004.

b. Le 1er septembre 2017, F______, G______ et I______ ont conclu une convention d’actionnaires, dont le préambule indiquait que, le jour même, F______, qui détenait 190 actions de la société, en avait vendu 120 à I______ et 10 à G______, de sorte que le capital-actions de la société était réparti à hauteur de 60 actions pour F______, 20 pour G______ et 120 pour I______.

L'art. 4 de la convention dispose que, lorsqu'un actionnaire quitte son emploi au sein de la société ou s'il est incapable de travailler pour une durée dépassant 24 mois, il doit proposer par écrit de vendre ses actions aux autres actionnaires. Si les autres actionnaires ne peuvent faire l'acquisition des actions en totalité ou en partie, le vendeur est libre de les vendre à tout tiers de son choix. Toutefois, les autres actionnaires de la société disposeront d'un droit de préemption.

c. Le ______ 2017, I______ a fait procéder à l’inscription au registre du commerce de Genève de C______ SARL, société de participation dont il détient toutes les parts sociales et est l’associé gérant.

I______ soutient que les actions de A______ SA ont été achetées par C______ SARL, ce qui est contesté par F______.

Le prix d’acquisition des actions (1'200'000 fr.) a été débité du compte bancaire de C______ SARL en faveur de F______ le 21 septembre 2017. La société de participation détenait l’original du certificat d’actions n° 2 établi le 19 mai 2017 pour les 120 actions au porteur.

d. I______ a été engagé par A______ SA en qualité de responsable du développement commercial dès le 11 septembre 2017. Il a été licencié avec effet au 30 avril 2018, suite à des tensions apparues entre lui-même, d'une part, et F______ et l'ensemble des employés de la société, d'autre part. Il a été inscrit au registre du commerce comme administrateur avec signature collective à deux de A______ SA de janvier à août 2018.

e. Par courrier du 11 avril 2018, F______ et G______ ont indiqué à I______ qu'il avait l'obligation, selon l'art. 4 de la convention d'actionnaires, de proposer à la vente ses actions aux actionnaires restants. Ils lui ont fixé pour ce faire un délai au 20 avril 2018.

f. La société de participation et I______ se sont présentés à l'assemblée générale ordinaire de A______ SA du 24 janvier 2020.

À cette occasion, C______ SARL a exposé être actionnaire et a fourni, pour se légitimer, l'original du certificat d'actions au porteur et l'avis de débit du compte bancaire du 21 septembre 2017 de 1'200'000 fr. en faveur de F______. Celui-ci a contesté la qualité d'actionnaire de la société de participation, faisant valoir que, suite à la liquidation de la société simple dont I______ était associé, les actions devaient lui être retournées, de sorte qu'il en était désormais le seul ayant droit.

Après délibération, A______ SA a retenu que la société de participation et I______ n'avaient pas établi leurs qualités d'actionnaires. Ils ont été invités à quitter l'assemblée, ce qu'ils ont fait.

L’assemblée générale a réélu F______, G______ et H______ au poste d’administrateurs de la société.

A la suite d’une procédure initiée devant le Tribunal de première instance par C______ SARL (C/1______/2020), le Tribunal fédéral, par arrêt 4A_522/2023 du 28 août 2024, a constaté la nullité des décisions prises lors de l'assemblée générale de A______ SA du 24 janvier 2020. Le Tribunal fédéral a considéré que C______ SARL s'était légitimée à l'assemblée générale au moyen de l'original du certificat d'actions, de sorte qu’elle était présumée titulaire desdites actions et autorisée à exercer le droit de vote. Dès lors que A______ SA entendait contester la légitimité matérielle de C______ SARL, il lui incombait de prouver que celle-ci n'était pas en droit d'exercer les droits sociaux liés aux actions litigieuses au moment de l'assemblée générale litigieuse, ce qu’elle n’avait pas fait.

g. Comme indiqué, le 1er mai 2021, les actions au porteur de A______ SA ont été converties de plein droit en actions nominatives.

Le registre des actionnaires de A______ SA au 3 mai 2021 mentionne que F______ détient 60 actions nominatives (n° 1 à 60), "la société simple en liquidation suite à l'échec du transfert de la société (convention du 1er septembre 2017), F______, G______, I______ et/ou C______ SÀRL (propriété en main commune, art. 690 al. 1 CO)" 120 actions nominatives (n° 61 à 180) et G______ 20 actions nominatives (n° 181 à 200).

h. Des assemblées générales de A______ SA se sont tenues les 17 mai 2021, 22 avril 2022 et 28 juillet 2023.

Les décisions prises à ces occasions, soit notamment la reconduction du conseil d’administration dans sa composition actuelle (F______, G______ et H______), font l’objet de procédures en annulation initiées par C______ SARL, pendantes devant le Tribunal (C/2______/2021, C/3______/2022 et C/4______/2023).

Par ailleurs, F______ et G______ ont saisi le Tribunal d’une action en liquidation de la société simple et en nomination d’un liquidateur, dirigée contre I______ et C______ SARL. Cette procédure est pendante sous le n° C/5______/2022.

i. Par acte du 29 novembre 2024, C______ SARL a formé devant le Tribunal contre A______ SA une action en carence organisationnelle fondée sur l’art. 731b CO.

Elle a conclu, principalement, à la constatation de la situation de carence, à la nomination de I______ en qualité d’administrateur de la société et à la fixation à celle-ci d’un délai pour rectifier le registre des actions. Subsidiairement, elle a conclu à la nomination d’un commissaire (Me E______) ayant pour mission de rectifier le registre des actions et de convoquer une assemblée générale avec à l’ordre du jour l’élection du conseil d’administration.

Préalablement, elle a requis la nomination de Me E______ en qualité de commissaire avec pour mission de représenter A______ SA dans le cadre de la procédure jusqu’à l’achèvement de celle-ci ou à la nomination de l’organe manquant.

j. Par ordonnance du 13 janvier 2025, le Tribunal a imparti à A______ SA un délai pour se déterminer par écrit sur la requête, en particulier, comme cela résulte des considérants, « sur les faits invoqués à l’appui de la carence alléguée qui justifierait qu’un commissaire de procédure soit nommé ».

k. Me B______, avocat, s’est constitué pour la défense des intérêts de A______ SA, en produisant une procuration, signée par H______, laquelle mentionne que la cliente est « représentée par H______ (délégation à l’administrateur) ». L’avocat a contesté la légitimation active de C______ SARL.

Celle-ci a contesté la capacité du conseil précité à représenter A______ SA.

l. Me B______, pour A______ SA, a conclu, préalablement, à la suspension de la procédure jusqu’à droit jugé dans la cause C/5______/2022 et, principalement, à l’irrecevabilité de l’action en carence.

Il a fait valoir que la convention d’actionnaires du 1er septembre 2017 revêtait les caractéristiques d’un contrat de société simple et que celle-ci avait été dissoute de plein droit, de sorte que les actions litigieuses, qui avaient été acquises par I______, étaient entrées dans la masse en liquidation. Il s’agissait donc d’actions en propriété commune, dont C______ SARL ne pouvait pas se prévaloir.

Il a produit le procès-verbal de l’assemblée générale de A______ SA du 29 janvier 2025, qui s’était tenue en l’absence de I______ et/ou C______ SARL lors de laquelle F______, G______ et H______ avaient été reconduits dans leurs fonctions d’administrateurs.

m. Le 19 mars 2025, le Tribunal a informé les parties de ce que la cause serait gardée à juger sur la nomination d’un commissaire de procédure, subsidiairement sur le fond, dans les 15 jours dès notification.

Les parties ont répliqué le 27 mars 2025, respectivement dupliqué le 15 avril 2025, en persistant dans leurs conclusions. C______ SARL a conclu en outre à l’irrecevabilité de la réponse, au motif que Me B______ n’avait pas la capacité de représenter A______ SA.

B. a. Par ordonnance ORTPI/532/2025 du 25 avril 2025, le Tribunal a désigné Me E______, avocat, en qualité de commissaire de A______ SA (chiffre 1 du dispositif), avec pour mission de représenter la société dans la présente procédure jusqu’à droit jugé définitif (ch. 2), imparti à A______ SA un délai pour verser à l’État de Genève, soit pour lui les Services financiers du Pouvoir judiciaire, 5'000 fr. à titre de provision pour les frais et honoraires de commissaire, sous peine de dissolution (ch. 3), invité d’ores et déjà le commissaire à informer le Tribunal si la provision fixée ne devait plus suffire à couvrir le coût de son intervention, afin qu’un complément soit fixé (ch. 4) et réservé la suite de la procédure à réception de l’avance de frais (ch. 5).

Il est indiqué au pied de la décision que celle-ci pouvait faire l’objet d’un appel formé devant la Cour de justice dans les 10 jours suivant sa notification, la suspension des délais légaux prévue à l’art. 145 al. 1 CPC ne s’appliquant pas.

L’ordonnance a été transmise également à Me B______, qui l’a reçue le 28 avril 2025.

b. Le Tribunal a considéré que la nullité des décisions prises lors de l’assemblée générale de A______ SA du 24 janvier 2020, et notamment l’élection aux postes d’administrateurs de F______, G______ et H______, avait été constatée par le Tribunal fédéral par arrêt 4A_522/2023 du 28 août 2024.

Par la suite, lors des assemblées générales convoquées par F______, G______ et/ou H______ qui s’étaient tenues les 17 mai 2021, 22 avril 2022 et 28 juillet 2023, il avait été décidé de renouveler les mandats des trois précités. Ces décisions faisaient l’objet de procédures en constatation de nullité, actuellement pendantes.

Ainsi, il n’était pas établi qu’au jour du dépôt de la requête, les mandats d’administrateurs de F______, G______ et H______ étaient encore en cours et que, par conséquent, H______ avait, effectivement, les pouvoirs de représenter, seul ou sur délégation, A______ SA dans les actes juridiques à l'égard des tiers, y compris de mandater un avocat afin que la société soit représentée dans le cadre de la présente procédure.

Au vu de la finalité de l'action intentée par C______ SARL, fondée sur l'article 731b CO, il incombait dès lors au Tribunal de désigner à A______ SA un commissaire pour agir dans la présente procédure.

c. Me B______, agissant pour le compte de A______ SA, a requis la récusation de la juge ayant prononcé ladite ordonnance, lui reprochant d’avoir préjugé l’issue du litige au fond.

Par ordonnance du 6 mai 2025, le Tribunal a suspendu la présente procédure jusqu’à droit jugé sur la demande de récusation.

C. a. Par acte expédié le 8 mai 2025 par messagerie sécurisée, A______ SA, représentée par le conseil précité, a formé « appel » devant la Cour de justice contre l’ordonnance du Tribunal du 25 avril 2025, dont elle requiert l’annulation. Elle a conclu, avec suite de frais, principalement, au déboutement de C______ SARL « de toutes ses conclusions préalables » et, subsidiairement, au renvoi de la cause au Tribunal pour nouvelle décision.

Préalablement, elle a demandé à la Cour de suspendre, « en tant que de besoin », le caractère exécutoire de l’ordonnance attaquée, et, cela fait, de suspendre l’instruction jusqu’à droit jugé sur la requête de récusation.

C______ SARL a conclu, avec suite de frais, principalement, au refus d’entrer en matière sur la requête d’effet suspensif, subsidiairement, à son irrecevabilité et, plus subsidiairement, à son rejet.

b. Par arrêt ACJC/778/2025 du 11 juin 2025, la Cour a admis la requête de A______ SA tendant à la suspension de l’effet exécutoire attaché à l’ordonnance du Tribunal du 25 avril 2025 et dit qu’il serait statué sur les frais dans la décision à rendre sur le fond.

c. C______ SARL a conclu, avec suite de frais, principalement, au refus d’entrer en matière sur l’appel, subsidiairement, à son irrecevabilité et, plus subsidiairement, à son rejet.

d. Les parties se sont déterminées à plusieurs reprises, en persistant dans leurs conclusions. Elles ont déposé des pièces nouvelles.

e. Invité à se déterminer, Me E______ s’en est rapporté à justice.

f. Les parties ont été informées le 15 septembre 2025 de ce que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1. A______ SA soutient que l’ordonnance du 25 avril 2025 - par laquelle le Tribunal lui a désigné un commissaire pour la procédure en carence organisationnelle de l’art 731b CO - serait une décision de première instance sur mesures provisionnelles au sens de l’art. 308 al. 1 let. b CPC, alors que selon l’intimée il s’agirait d’une décision ou d’une ordonnance d’instruction de première instance au sens de l’art. 319 let. b CPC.

1.1 L'art. 731b CO confère à tout actionnaire ou créancier le droit de requérir du tribunal qu'il prenne les mesures nécessaires lorsque l'organisation de la société anonyme présente l'une des carences qui sont énumérées à son al. 1 [notamment lorsqu’un des organes prescrits fait défaut ou n’est pas composé correctement]. Cette disposition de droit matériel a institué une réglementation uniforme afin de sanctionner et de remédier à ces carences. Elle vise les cas dans lesquels une disposition impérative de la loi n'est pas respectée (ATF 138 III 407 consid. 2.2 ; 138 III 294 consid. 3.1.2).

La requête doit être dirigée contre la société exclusivement (ATF 138 III 213 consid. 2.1 à 2.3). La procédure sommaire est applicable: le tribunal n'est pas lié par les conclusions des parties (art. 58 al. 2 CPC). Il dispose d'une large marge d'appréciation dans le choix des mesures appropriées et proportionnées au vu des circonstances concrètes, le catalogue figurant à l'art. 731b al. 1bis CO n'étant qu'exemplatif (ATF 147 III 537 consid. 3.1.1; 142 III 629 consid. 2.3.1;
138 III 407 consid. 2.4, 138 III 294 consid. 3.1.3 et les arrêts cités). Il peut notamment nommer un commissaire, déterminer la durée pour laquelle la nomination de celui-ci est valable et astreindre la société à supporter les frais et à verser une provision à la personne nommée (art. 731b al. 1bis ch. 2 et al. 2 CO).

Une décision prise en application de l'art. 731b CO est une décision finale (art. 90 LTF), qui peut faire l'objet d'un recours en matière civile au Tribunal fédéral, si la valeur litigieuse est d'au moins 30'000 fr. (art. 74 al. 1 let. b LTF), pour violation du droit fédéral (art. 95 let. a LTF) (arrêt du Tribunal fédéral 4A_179/2024 du 20 juin 2024 consid. 1.1.2).

1.2 L’action doit être dirigée contre la société; si cette dernière n’a pas de représentant, le juge doit préalablement lui désigner un commissaire pour agir dans la procédure (ATF 138 III 213 consid. 2.1; 147 III 537 consid. 3.1.2 ; WATTER/DUSS, Basler Kommentar, Obligationenrecht II, 6ème éd. 2024, n. 14 ad art. 731b CO).

Ainsi, la question de la nomination d'un commissaire se pose à deux reprises. Dans la procédure au fond, il s'agira de déterminer les mesures qui doivent être prises sur la base de l'art. 731b CO, notamment de décider si un commissaire doit être nommé pour gérer les affaires sociales. Au préalable, il s'agit de définir qui peut s'exprimer pour la société, et partant, si elle ne possède pas de représentant, de lui désigner un commissaire pour la procédure (arrêt du Tribunal fédéral 4A_396/2012 du 24 septembre 2012 consid. 1.2).

Dans cette affaire, le Tribunal fédéral était saisi d’un recours en matière civile dirigé contre un arrêt de la Cour (ACJC/756/2012 du 25 mai 2012) qui renvoyait la cause au Tribunal pour qu’il nomme un commissaire de procédure et statue sur le fond. Le Tribunal fédéral a considéré que cet arrêt n’était ni une décision finale au sens de l’art. 90 LTF, ni une décision partielle au sens de l’art. 91 LTF. Il s’agissait d’une décision incidente qui ne pouvait donner lieu à un recours au Tribunal fédéral que si l’une des deux hypothèses prévues par l’art. 93 LTF était réalisée (arrêt du Tribunal fédéral 4A_396/2012 précité consid. 1.2).

1.3 La notion de décision finale de l'art. 236 CPC correspond à celle de l'art. 90 LTF. Une décision est finale lorsqu'elle met fin à la procédure, que ce soit par une décision au fond - pour un motif tiré du droit matériel - ou par une décision d'irrecevabilité - pour un motif de procédure (cf., à propos de l'art. 90 LTF, ATF 134 III 426 consid. 1.1).

La décision est incidente, à teneur de l'art. 237 al. 1 CPC, si l'instance de recours pourrait prendre une décision contraire qui mettrait fin au procès et permettrait de réaliser une économie de temps ou de frais appréciable. Une telle décision ne statue pas définitivement sur l'action, mais elle préjuge de la décision finale en ce sens qu'elle influe sur celle-ci au point qu'une décision contraire pourrait entraîner une décision finale immédiate et qu'elle lie l'instance qui l'a rendue de telle sorte que celle-ci ne la reverra plus lorsqu'elle rendra sa décision finale. Il s'agit normalement de décisions rendues sur des conditions de recevabilité de la demande ou de la reconvention, ou sur des questions de fond jugées séparément, à la condition que l'instance de recours puisse mettre fin à l'action elle-même et que cela permette d'économiser du temps et des frais (arrêt du Tribunal fédéral 4A_545/2014 du 10 avril 2015 consid. 2.1).

Sur le plan terminologique, les décisions incidentes au sens de l’art. 237 CPC correspondent à une partie des décisions incidentes ou préjudicielles des art. 92 s. LTF, mais non à toutes: ces dernières dispositions visent aussi des décisions qui ne relèvent pas de l’art. 237 CPC, mais que le CPC qualifie par exemple d’« autres décisions et ordonnances d’instruction » (art. 319 let. b CPC) ou de « mesure » ou de « décisions provisionnelles » (art. 261 ss, 308 al. 1 et 319 let. a CPC) (TAPPY, Commentaire romand, Code de procédure civile, 2019, n. 5 ad art. 237 CPC).

A titre d’exemple, une décision concernant la désignation d’un représentant de l’enfant (art. 299 al. 1 CPC; art. 314abis al. 1 CC), qui est une décision préjudicielle ou incidente au sens de l’art. 93 LTF (cf. arrêt du Tribunal fédéral 5A_13/2025 du 15 janvier 2025 consid. 1.1), doit être qualifiée d’ordonnance d'instruction au sens de l’art. 319 let. b CPC (cf. parmi d’autres ACJC/515/2022 du 5 avril 2022 consid. 1.1; MEIER, Commentaire romand, Code civil I, n. 34 ad art. 314abis CC).

1.4 Les mesures provisionnelles (art. 261 ss CPC) sont des décisions provisoires (ATF 133 III 399 consid. 1.5, JdT 2007 II 46, SJ 2007 I 512; ATF 135 III 670 consid. 1.3, JdT 2011 II 564), qui ne tranchent une question de droit que provisoirement, jusqu’au prononcé définitif à prononcer dans une procédure principale ultérieure (arrêt du Tribunal fédéral 4A_640/2009 du 2 mars 2010 consid. 3 non publié in ATF 136 III 178; 137 III 193 consid. 1.2, JdT 2012 II 147 ; ATF 133 III 393 c. 5.1, JdT 2007 I 622, SJ 2007 I 480). Par définition, elles servent à accorder à une partie une protection juridique provisoire jusqu'à ce qu'un jugement définitif soit rendu ou puisse être rendu; elles ne doivent toutefois pas préjuger d'un procès principal déjà en cours ou à venir (arrêt du Tribunal fédéral 5A_687/2015 du 20 janvier 2016 consid. 4.3).

1.5 Une fausse indication des voies de droit ne saurait créer une voie de droit inexistante (ATF 129 III 88 consid. 2.1; 119 IV 330 consid. 1c; 117 II 508 consid. 2; arrêt du Tribunal fédéral 4D_82/2012 du 30 octobre 2012 consid. 2.2; 5A_545/2012 du 21 décembre 2012 consid. 5.1).

Le 1er janvier 2025 est entré en vigueur le nouvel art. 52 al. 2 CPC (RO 2023 491; FF 2020 2607). Selon cet article "les indications erronées relatives aux voies de droit sont opposables à tous les tribunaux dans la mesure où elles sont avantageuses pour la partie qui s'en prévaut". La disposition ne s'applique pas aux procédures en cours à son entrée en vigueur (art. 407f CPC a contrario) (arrêt du Tribunal fédéral 4A_479/2024 du 25 août 2025 consid. 6.3.2).

  1.6 En l’espèce, l’ordonnance attaquée ne fait pas suite à une requête de mesures provisionnelles qui aurait été émise par l’intimée. Le Tribunal n’a d’ailleurs, à juste titre, pas fait application des art. 261 ss CPC. L’objet de l’ordonnance était de déterminer qui pouvait s’exprimer pour A______ SA dans le cadre de la procédure et non pas s’il se justifiait, à titre provisionnel, de nommer un commissaire sur la base de l’art. 731b al. 1bis ch. 2 CO. Les prétentions de l’intimée ne sont pas jugées et la décision entreprise n’est pas sujette à validation dans la procédure au fond.

Par ailleurs, l’ordonnance attaquée n’est pas une décision incidente au sens de l’art. 237 CPC, puisqu’une décision contraire de la Cour - qui par hypothèse considérerait que les administrateurs inscrits au registre du commerce pourraient s’exprimer pour la société dans la présente procédure - ne permettrait pas de vider le litige. Le procès devrait de toute façon se poursuivre sur le fond, afin de déterminer si des mesures (éventuellement la nomination d’un commissaire ayant pour mandat de gérer la société) doivent être prises sur la base de l’art. 731b CO (cf. arrêt du Tribunal fédéral 4A_396/2012 précité consid. 1.3).

En définitive, la décision du 25 avril 2025, qui désigne un commissaire pour la procédure, doit être qualifiée d’ordonnance d’instruction au sens de l’art. 319 let. b CPC, comme l’est par exemple la décision concernant la désignation d’un représentant de l’enfant.

La procédure de première instance était en cours le 1er janvier 2025, de sorte que le nouvel art. 52 al. 2 CPC n’entre pas en considération.  

Il s’ensuit que seul le recours est recevable, en dépit de l’indication des voies de droit figurant au pied de la décision attaquée. L’acte de A______ SA du 8 mai 2025 sera donc considéré comme un recours, en dépit de sa dénomination, et la précitée sera désignée ci-après comme la recourante.

2. Le recours contre une décision qui désigne un commissaire provisoire pour la procédure n'étant prévu par aucune disposition légale spécifique (art. 319 let. b ch. 1 CPC), la recourante doit démontrer qu’elle subit un préjudice difficilement réparable (art. 319 let. b ch. 2 CPC).

2.1 La notion de "préjudice difficilement réparable" au sens de l'art. 319 let. b ch. 2 CPC est plus large que celle de "préjudice irréparable" au sens de l'art. 93 al. 1 let. a LTF (ATF 138 III 378 consid. 6.3; 137 III 380 consid. 2; arrêt du Tribunal fédéral 5A_24/2015 du 3 février 2015).

Constitue un "préjudice difficilement réparable" au sens de l'art. 319 let. b ch. 2 CPC toute incidence dommageable, y compris financière ou temporelle, qui ne peut être que difficilement réparée dans le cours ultérieur de la procédure. L'instance supérieure devra se montrer exigeante, voire restrictive, avant d'admettre l'accomplissement de cette dernière condition, sous peine d'ouvrir le recours à toute décision ou ordonnance d'instruction, ce que le législateur a clairement exclu : il s'agit de se prémunir contre le risque d'un prolongement sans fin du procès (parmi d'autres: ACJC/1015/2025 du 22 juillet 2025 consid. 2.1; ACJC/1294/2018 du 25 septembre 2018 consid. 2.2.1; ACJC/1311/2015 du 30 octobre 2015 consid. 1.1; ACJC/351/2014 du 14 mars 2014 consid. 2.3.1).

En résumé, la notion de préjudice difficilement réparable doit être interprétée restrictivement puisque la personne touchée disposera le moment venu de la faculté de remettre en cause la décision ou ordonnance en même temps que la décision au fond: il incombe au recourant d'établir que sa situation procédurale serait rendue notablement plus difficile et péjorée si la décision querellée était mise en œuvre, étant souligné qu'une simple prolongation de la procédure ou un accroissement des frais ne suffisent pas. On retiendra l'existence d'un préjudice difficilement réparable lorsque ledit préjudice ne pourra plus être réparé par un jugement au fond favorable au recourant, ce qui surviendra par exemple lorsque des secrets d'affaires sont révélés ou qu'il y a atteinte à des droits absolus à l'instar de la réputation, de la propriété et du droit à la sphère privée (JEANDIN, Commentaire romand, Code de procédure civile, n. 22 et 22a ad art. 319 CPC).

Il appartient au recourant d'alléguer et d'établir la possibilité que la décision attaquée lui cause un préjudice difficilement réparable, à moins que cela ne fasse d'emblée aucun doute (par analogie ATF 134 III 426 consid. 1.2 et 133 III 629 consid. 2.3.1).

2.2 Il s'agit de savoir si la décision attaquée peut causer un préjudice irréparable à la société, celle-ci étant la partie recourante, et non si elle touche les intérêts des administrateurs qui prétendent pouvoir représenter la société dans la procédure (cf. arrêt du Tribunal fédéral 4A_396/2012 précité consid. 1.4). En effet, il ne s'agit pas d'une problématique de représentation au procès (art. 68 s. CPC), mais de formation de la volonté sociale en lien avec le présent procès. Le commissaire provisoirement désigné devra prendre les décisions qui s'imposent pour la société dans le contexte de la présente procédure, en lieu et place des administrateurs contestés (cf. arrêt du Tribunal fédéral 4A_234/2023 du 8 août 2023 consid. 1.2.2).

2.3 En l’espèce, le commissaire a été désigné pour représenter la société dans le contexte de la présente procédure. La société n'est pas privée de la faculté de confier ses intérêts à l'avocat de son choix. Le fait que l'avocat mandaté jusqu'à présent par les administrateurs contestés risque d'être déchargé de sa fonction n’est pas déterminant.

L’on ne discerne pas où pourrait résider le risque de préjudice difficilement réparable, si la société n'agit plus par les administrateurs contestés, mais par un commissaire provisoire, dans le cadre de la présente procédure. Aucun élément du dossier ne permet de retenir que les décisions que pourrait prendre ledit commissaire seraient susceptibles de causer à la recourante un tel préjudice. On ne voit d'ailleurs pas a priori quel pourrait être concrètement le risque de préjudice difficilement réparable, étant rappelé qu'il n'est pas question des intérêts des administrateurs, ni de ceux du conseil mandaté par ceux-ci.

Un accroissement des frais ne suffit pas, de sorte que le fait que la recourante devra avancer les frais et honoraires du commissaire provisoire ne saurait fonder un préjudice difficilement réparable.

En définitive, le recours est irrecevable.

Il est donc superflu d’examiner la requête de la recourante tendant à la suspension de la présente procédure jusqu’à droit jugé dans la procédure de récusation pendante en première instance.

3. Les frais judiciaires du recours seront arrêtés à 1'500 fr., y compris 300 fr. pour l’arrêt sur effet suspensif (art. 41 RTFMC). Ils seront répartis à hauteur de 1'200 fr. à charge de la recourante et de 300 fr. à charge de l’intimée, qui a succombé sur effet suspensif (art. 106 al. 1 CPC). Ils seront compensés à concurrence de 1'200 fr. avec l'avance de frais fournie, laquelle reste acquise à l'Etat de Genève dans cette mesure (art. 111 al. 1 1ère phrase CPC). Le montant de 300 fr. sera restitué à la recourante (art. 111 al. 1 2ème phrase CPC) L’intimée sera condamnée à verser 300 fr. aux Services financiers du Pouvoir judiciaire (art. 111 al. 1 3ème phrase CPC).

La recourante sera condamnée à verser des dépens de recours à l'intimée (art. 106 al. 1 et 111 al. 2 CPC). Ceux-ci seront arrêtés à 1’500 fr., débours et TVA compris, compte tenu de la difficulté de la cause, du travail qu'elle a impliqué et du fait que l’intimée a succombé sur effet suspensif (art. 84, 85, 87 et 90 RTFMC, art. 23, 25 et 26 LaCC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :


A la forme :

Déclare irrecevable le recours interjeté le 8 mai 2025 par A______ SA contre l’ordonnance ORTPI/532/2025 rendue le 25 avril 2025 par le Tribunal de première instance dans la cause C/29373/2024-5 SFC.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires de recours à 1'500 fr. et les met à la charge de A______ SA à concurrence de 1'200 fr. et à la charge de C______ SARL à concurrence de 300 fr.

Les compense à due concurrence avec l’avance de frais versée, laquelle demeure acquise à l’Etat de Genève à hauteur de 1'200 fr.

Invite les Services financiers du Pouvoir judiciaire à restituer 300 fr. à A______ SA.

Condamne C______ SARL à verser 300 fr. aux Services financiers du Pouvoir judiciaire.

Condamne A______ SA à verser à C______ SARL 1'500 fr. à titre de dépens de recours.

Siégeant :

Madame Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, présidente; Monsieur Laurent RIEBEN, Monsieur Ivo BUETTI, juges; Madame Mélanie DE RESENDE PEREIRA, greffière.

 

La présidente :

Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ

 

La greffière :

Mélanie DE RESENDE PEREIRA

 

 

 

 


 

 

Indication des voies de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière civile; la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 72 à 77 et 90 ss de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110). Il connaît également des recours constitutionnels subsidiaires; la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les
art. 113 à 119 et 90 ss LTF. Dans les deux cas, le recours motivé doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué. L'art. 119 al. 1 LTF prévoit que si une partie forme un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF indéterminée.