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C/29852/2024

ACJC/1276/2025 du 19.09.2025 sur JTPI/7455/2025 ( SML ) , JUGE

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/29852/2024 ACJC/1276/2025

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU VENDREDI 19 SEPTEMBRE 2025

 

Entre

La mineure A______, représentée par sa mère, Madame B______, domiciliée ______, recourante contre un jugement rendu par le Tribunal de première instance de ce canton le 17 juin 2025, représentée par Me C______, avocat,

et

Monsieur D______, domicilié ______, intimé.

 


EN FAIT

A.           Par jugement JTPI/7455/2025 du 17 juin 2025, expédié pour notification aux parties le 23 juin 2025, le Tribunal de première instance a débouté A______ des fins de ses conclusions en mainlevée définitive (ch. 1), a arrêté les frais judiciaires à 400 fr., compensés avec l'avance opérée, et mise à la charge de la précitée (ch. 2 et 3), et dit qu'il n'était pas alloué de dépens (ch. 4).

En substance, il a retenu que les titres produits pour le poste du commandement de payer qui avait trait aux allocations familiales ne valaient pas titre de mainlevée définitive; il ne s'est pas prononcé sur l'autre poste du commandement de payer frappé d'opposition.

B.            Par acte du 4 juillet 2025 à la Cour de justice, A______, représentée par sa mère, a formé recours contre ce jugement. Elle a conclu à l'annulation de celui-ci, cela fait au prononcé de la mainlevée définitive de l'opposition formée au commandement de payer, poursuite n° 1______, subsidiairement au renvoi de la cause au Tribunal, sous suite de frais et dépens.

D______ a conclu au rejet du recours. Dans le corps de son acte, il n'a pas contesté le principe du versement d'allocations familiales, mais a fait valoir que le montant de celles-ci ne résultait ni des décisions produites ni "du dossier".

A______ a répliqué, persistant dans ses conclusions. Elle a déposé un tirage intégral de l'arrêt ACJC/1345/2018 du 28 septembre 2018, faisant valoir qu'il s'agissait d'une pièce notoire.

Il résulte des attendus en fait de cet arrêt que, d'avril à septembre 2017, D______ a perçu 12'796 fr. à titre de "Dependency Allowance (Child)", et qu'il a déclaré au Tribunal qu'en 2018 le montant de cette prestation serait de 540 fr. par enfant, tandis que les considérants de droit de l'arrêt comportent le passage suivant: "Des charges de l'enfant, il convient de déduire les allocations familiales, qui s'élèvent désormais à 540 fr. par mois (bien que lesdites allocations aient été légèrement inférieures auparavant, il n'y a pas lieu de procéder à un calcul différencié, l'augmentation accordée dès le mois de janvier 2018 n'étant pas significative)".

C.           Il résulte de la procédure de première instance les faits pertinents suivants:

a. A______, née le ______ 2013, est la fille de B______ et de D______.

b. Selon le dispositif de l'arrêt ACJC/1345/2018 rendu le 28 septembre 2018 par la Cour de justice (sur appel de D______ contre le jugement de divorce rendu par le Tribunal le 29 janvier 2018), D______ a notamment été condamné à verser à B______, "par mois et d'avance, allocations familiales non comprises, à titre de contribution d'entretien de l'enfant A______ […] 655 fr. du 1er avril 2023 jusqu'au 31 mars 2029".

Par arrêt 5A_963/2018 du 23 mai 2019, le Tribunal fédéral a annulé l'arrêt et, sur réforme, condamné D______ à verser à B______ notamment "par mois et d'avance, allocations familiales non comprises, à titre de contribution à l'entretien de l'enfant A______, […] 655 fr. à compter du 1er avril 2023 jusqu'au 31 mars 2028".

c. Par courrier du 23 juillet 2024, le conseil de B______ s'est adressé aux services des ressources humaines de E______ [organisation internationale] pour requérir confirmation que celle-ci versait à son employé D______ des allocations familiales mensuelles pour trois enfants en 1'256 fr. 25, soit 534 fr. 17 pour l'enfant A______. Il a par ailleurs prié l'employeur de rappeler au précité que celui-ci demeurait devoir un solde "un solde de CHF 155.- x 15 = 2'325 fr. du 1er juin 2023 au 31 juillet 2024" à titre de contribution d'entretien, et "une somme de CHF 534,17 x 71 = 37'926,07 du 30 septembre 2018 au 31 juillet 2024" à titre d'allocations familiales.

d. Le 15 novembre 2024, l'Office cantonal des poursuites, à la requête (datée du 1er novembre 2024) de A______, a fait notifier à D______ un commandement de payer, poursuite n° 1______, portant sur 2'790 fr. avec intérêts moratoires à 5% l'an dès le 23 mai 2019 (poste 1) et 39'528 fr. 58 avec intérêts moratoires à 5% l'an dès le 23 mai 2019 (poste 2). Les titres respectifs des créances étaient: "contribution d'entretien (TF 5A_963/2018 du 23.06.2019) CHF 155 x 16 = CHF 2'790.-" et "Alloc. Fam. (TF 5A_963/2018 du 23.06.2019), CHF 534,17 x 74 = CHF 39'528,58".

Le poursuivi a formé opposition.

e. Le 16 décembre 2024, A______, représentée par B______, a formé une requête de mainlevée définitive de l'opposition formée au commandement de payer précité, dirigée contre D______, sous suite de frais et dépens.

Elle a allégué que de 2022 à 2024, D______ avait versé 500 fr. par mois et non 655 fr. pour son entretien.

Elle a notamment produit la première page et le dispositif des arrêts ACJC/1345/2018 et 5A_963/2018, ainsi qu'une fiche de salaire de D______ pour le mois de mars 2016, laquelle fait état d'un montant de 1'256 fr. 25 versé à titre de "Dependency Allowance (Child)" pour trois enfants, et un extrait de compte bancaire faisant état de crédits de 500 fr. par mois.

A l'audience du Tribunal du 16 juin 2025, A______ a persisté dans ses conclusions. D______ s'est rapporté à justice.

Sur quoi, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1. S'agissant d'une procédure de mainlevée de l'opposition, seule la voie du recours est ouverte (art. 319 let. b et 309 let. b ch. 3 CPC). La procédure sommaire s'applique (art. 251 let. a CPC).

Le recours, écrit et motivé, doit être introduit auprès de l'instance de recours dans les dix jours à compter de la notification de la décision motivée (art. 251 let. a et 321 al. 1 et 2 CPC).

Déposé selon la forme et le délai prescrits, le recours est recevable.

2. Le recours étant instruit en procédure sommaire, la preuve des faits allégués doit être apportée par titres (art. 254 CPC). Les maximes des débats et de disposition s'appliquent (art. 55 al. 1, 255 a contrario et art. 58 al. 1 CPC).

Dans le cadre d'un recours, le pouvoir d'examen de la Cour est limité à la violation du droit et à la constatation manifestement inexacte des faits (art. 320 CPC). L'autorité de recours a un plein pouvoir d'examen en droit, mais un pouvoir limité à l'arbitraire en fait, n'examinant par ailleurs que les griefs formulés et motivés par le recourant (HOHL, Procédure civile, Tome II, 2ème éd., 2010, n. 2307).

3. La recourante a produit, avec sa réplique, un tirage complet de l'arrêt de la Cour ACJC/1345/2018, dont elle n'avait versé que la première page et le dispositif en première instance, soutenant qu'y figurait le montant, reconnu par l'intimé, des allocations familiales.

Les faits qui sont immédiatement connus du tribunal ("gerichtsnotorische Tatsachen"), notamment parce qu'ils ressortent d'une autre procédure entre les mêmes parties, constituent des faits notoires qui n'ont pas à être allégués ni prouvés (art. 151 CPC; ATF 143 II 224 consid. 5.1; arrêt du Tribunal fédéral 5A_252/2021 du 8 novembre 2021 consid. 2.3).

Ni la pièce nouvelle ni les faits qu'elle sous-tend ne se heurtent donc à la règle de l'art. 326 CPC, de sorte qu'ils sont recevables.

4. La recourante fait grief au Tribunal d'avoir écarté la requête s'agissant du poste 2 du commandement de payer, sans aucune motivation, alors que selon elle le montant dû reposait sur un titre au sens de l'art. 80 LP et n'avait pas fait l'objet d'une contestation. Elle lui reproche aussi de l'avoir déboutée de sa conclusion relative au poste 1 dudit commandement de payer, considérant que le montant était déterminable de par les attendus et considérants de l'arrêt de la Cour ACJC/1345/2018.

4.1 Le créancier au bénéfice d'un jugement exécutoire peut solliciter la mainlevée définitive de l'opposition (art. 80 al. 1 LP).

Le juge ordonnera la mainlevée définitive de l'opposition, à moins que l'opposant ne prouve - par titre - que la dette a été éteinte ou qu'il a obtenu un sursis, postérieurement au jugement valant titre de mainlevée définitive, ou qu'il ne se prévale de la prescription (art. 81 al. 1 LP).

De jurisprudence constante, saisi d'une requête de mainlevée définitive de l'opposition, le juge n'a ni à revoir ni à interpréter le titre qui lui est produit (ATF 140 III 180 consid. 5.2.1; arrêt du Tribunal fédéral 5A_8/2016 du 21 juin 2016 consid. 4.3). Si le jugement est peu clair ou incomplet, il appartient au juge du fond de le préciser ou le compléter (ATF 136 III 624 consid. 4.2.3; 135 III 315 consid. 2.3; 134 III 656 consid. 5.3.2 et les références; arrêts du Tribunal fédéral 5D_81/2012 du 12 septembre 2012 consid. 3.1; 5A_487/2011 du 2 septembre 2011 consid. 3.1 et les références). Il suffit cependant que ce qui est exigé de la partie condamnée résulte clairement des considérants. En effet, la limitation susmentionnée du pouvoir d'examen du juge de la mainlevée ne signifie pas que celui-ci doive se fonder exclusivement sur le dispositif du jugement invoqué. Il peut aussi se référer aux considérants du jugement pour déterminer si celui-ci vaut titre de mainlevée définitive au sens de l'art. 80 al. 1 LP; ce n'est que si le sens du dispositif est douteux et que ce doute ne peut être levé à l'examen des motifs que la mainlevée doit être refusée (ATF 143 III 564 consid. 4.3.2).

4.2 En l'espèce, en ce qui concerne les contributions d'entretien dues, il résulte du dispositif de l'arrêt du Tribunal fédéral du 23 mai 2019 – dont le caractère de titre de mainlevée définitive au sens de l'art. 80 LP est indiscutable - que le montant de celles-ci est de 655 fr. à partir du 1er avril 2023 (et jusqu'au 31 mars 2028), dû par mois et d'avance. La recourante, qui admet que 500 fr. ont été versés par l'intimé mensuellement, réclame le solde de 155 fr. par mois.

Dans le commandement de payer, établi suite à sa réquisition de poursuite du 1er novembre 2025, elle a fait figurer un total de 2'790 fr., ce qui correspond à 18 mois (et non 16 comme mentionné) de solde de 155 fr. impayé. Au jour de la réquisition de poursuite, ce solde était en effet exigible pour au moins 18 mois (à compter du 1er avril 2023), portant intérêts moratoires dès le jour de la réquisition de poursuite (ATF 145 III 345 consid. 4).

L'intimé, pour sa part, n'a pas prouvé s'être acquitté du solde réclamé, étant rappelé qu'au Tribunal il s'est rapporté à justice s'agissant de la requête de mainlevée soumise par la recourante, et qu'il ne s'est pas prononcé sur ce point dans sa réponse au recours.

Les conclusions de la recourante sont donc fondées en ce qui concerne le capital du poste 1 dudit commandement de payer, de sorte que le premier juge les a, sans indication du moindre motif, écartées à tort.

S'agissant des allocations familiales, il est exact que le montant dû ne résulte pas du dispositif de l'arrêt du Tribunal fédéral précité (dont les considérants, connus tant du juge que des parties, ne traitent pas la question qui ne faisait pas l'objet du recours). En revanche, les considérants de l'arrêt de la Cour ACJC/1345/2028 du 28 septembre 2018, sont clairs quant à ce montant, en ce qu'ils reprennent la propre déclaration de l'intimé sur la quotité de ces allocations pour 2018, soit 540 fr. Or, selon la jurisprudence rappelée ci-dessus, le juge de la mainlevée est fondé à se référer aux considérants de la décision pour déterminer si celle-ci vaut titre de mainlevée définitive au sens de l'art. 80 al. 1 LP, lorsque le dispositif n'en est pas suffisamment précis. L'arrêt de la Cour susmentionné représente donc un titre.

La recourante, à teneur du commandement de payer, a limité le montant mensuel dû à 534 fr. 17 (soit un montant inférieur à celui résultant de l'arrêt précité), et la période considérée à 74 mois. Cette période, à bien la comprendre, s'étend d'octobre 2018 à novembre 2024.

A nouveau, l'intimé, devant le premier juge, n'a pas fait valoir s'être acquitté des montants dus, ni n'a fait valoir de moyens tirés de l'art. 81 LP. Dans sa réponse au recours, il ne conteste au demeurant pas le principe du versement des allocations familiales, se limitant à soutenir, à tort, que les décisions de justice produites ne permettrait pas d'en déterminer le montant.

Les conclusions de la recourante, s'agissant du poste 2, sont ainsi fondées, en capital, les intérêts dus courant dès le 1er novembre 2024 (ATF 143 III 564 consid. 4.3.2).

Le recours sera ainsi partiellement admis, en ce sens que la décision attaquée sera annulée. Il sera statué à nouveau (art. 327 al. 3 let. b CPC), dans le sens de ce qui précède. Les frais de première instance en 400 fr. seront mis à la charge de l'intimé, compensés avec l'avance opérée, acquise à l'Etat de Genève. L'intimé sera condamné à en rembourser la recourante.

5. La recourante obtient gain de cause sur le principe du recours, de même que sur le capital, seule la date des intérêts moratoires étant modifiée. Dès lors, il se justifie que les frais du recours, arrêtés à 600 fr. (art. 48, 61 OELP), soient supportés par l'intimé. Ce dernier sera condamné à verser ce montant à l'Etat de Genève, la recourante étant au bénéfice de l'assistance judiciaire.

Il versera en outre 400 fr. à la recourante à titre de dépens de recours (art. 84, 85, 88, 90 RTFMC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :


A la forme :

Déclare recevable le recours formé le 4 juillet 2025 par A______ contre le jugement JTPI/7455/2025 rendu le 17 juin 2025 par le Tribunal de première instance dans la cause C/29852/2024–10 SML.

Au fond :

Annule ce jugement. Statuant à nouveau:

Prononce la mainlevée définitive de l'opposition formée au commandement de payer, poursuite n° 1______, à concurrence de 2'790 fr. avec intérêts moratoires à 5% l'an dès le 1er novembre 2024 et à concurrence de 39'528 fr. 58 avec intérêts moratoires à 5% l'an dès le 1er novembre 2024.

Arrête les frais judiciaires de première instance à 400 fr. et les met à la charge de D______.

Condamne D______ à verser 400 fr. à A______.

Déboute les parties de toute autre conclusion.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires du recours à 600 fr, et les met à la charge de D______.

Condamne D______ à verser 600 fr. à l'Etat de Genève.

Condamne D______ à verser à A______ 400 fr. à titre de dépens de recours.

Siégeant :

Madame Pauline ERARD, présidente; Madame Sylvie DROIN, Madame
Nathalie LANDRY-BARTHE, juges; Madame Laura SESSA, greffière.


 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.