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C/1165/2025

ACJC/1245/2025 du 15.09.2025 sur JTPI/7978/2025 ( SML ) , CONFIRME

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/1165/2025 ACJC/1245/2025

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU LUNDI 15 SEPTEMBRE 2025

 

 

Pour

A______ AG, sise ______ [ZG], recourante contre un jugement rendu par le Tribunal de première instance le 25 juin 2025, représentée par Me B______, avocat.

 

 


EN FAIT

A. Par jugement JTPI/7978/2025 rendu le 25 juin 2025 dans la présente cause et par jugement JTPI/7981/2025 rendu le même jour dans la cause C/1______/2025, reçus le 30 juin 2025 par A______ AG, le Tribunal de première instance a déclaré irrecevables les deux requêtes en mainlevée d'opposition formées le 16 janvier 2025 par celle-ci à l'encontre de C______ et condamné A______ AG à verser 200 fr. à titre de frais judiciaires.

Dans chacun des jugements, le Tribunal a constaté qu'il avait fixé à A______ AG un ultime délai au 21 avril 2025 pour verser une avance de frais de 4'000 fr. et que celle-ci n'avait pas fourni cette avance dans le délai imparti.

Le Tribunal a considéré, en se référant aux art. 59 al. 2 let. f CPC, 101 al. 3 CPC et 2 RTFMC, qu'il n'y avait donc pas lieu d'entrer en matière sur les requêtes.

B. a. Par actes expédiés le 30 juin 2025 à la Cour de justice, A______ AG recourt contre les jugements précités. Elle conclut, avec suite de frais judiciaires et dépens, à l'annulation des jugements. Principalement, elle reprend ses conclusions au fond de première instance. Subsidiairement, elle conclut au renvoi de la cause au Tribunal pour nouvelle décision.

Elle allègue que les avances de frais ont été débitées du compte en Suisse de son conseil le 22 avril 2025, que le Tribunal a été averti le 22 mai 2025 du fait que les paiements avaient été débités dans le délai imparti et qu'elle ignore si les montants débités, qui ne lui ont pas été retournés, ont finalement été crédités sur le compte du Tribunal.

b. Par arrêts du 2 juillet 2025, la Cour a rejeté les requêtes formées à titre préalable par A______ AG, tendant à suspendre l'effet exécutoire attaché aux jugements attaqués et dit qu'il serait statué sur les frais dans l'arrêt au fond.

c. A______ AG a été informée le 29 juillet 2025 de ce que la cause était gardée à juger.

C. Les faits pertinents suivants résultent du dossier:

a. Le 16 janvier 2025, A______ AG a formé devant le Tribunal deux "requête[s] de mainlevée définitive (art. 80 ss LP) et demande[s] de reconnaissance et d'exécution d'une décision étrangère (art. 25 ss LDIP)" dirigées contre C______, en indiquant sur chacune une valeur litigieuse de 37'230'838 fr.

Les procédures ont été enregistrées sous les numéros C/1165/2025 et C/1______/2025.

b. Dans les deux causes, par décisions du 23 janvier 2025, le Tribunal a imparti à A______ AG un délai au 24 février 2025 pour fournir une avance de frais de 4'000 fr., en l'informant notamment qu'en cas de jugement d'irrecevabilité pour non-paiement de l'avance un émolument de 100 fr. à 200 fr. pourrait être perçu.

Les deux versements devaient intervenir sur le compte bancaire IBAN 2______ de l'"Etat de Genève - PJ - Tribunal de Première instance" auprès de [la banque] D______, selon les bulletins de versement annexés aux décisions.

c. Sur demandes de A______ AG, le Tribunal a prolongé à quatre reprises le délai pour le paiement, en dernier lieu, par décision du 8 avril 2025, "une ultime fois au 21 avril 2025". Les huit décisions rappelaient l'information précitée et mentionnaient au verso la teneur de l'art. 101 CPC.

d. Par courrier électronique adressé le 22 avril 2025 au Tribunal, le conseil de A______ AG s'est référé à un entretien téléphonique du 16 avril 2025, lors duquel il lui avait été "aimablement confirmé que les paiements relatifs aux deux avances de frais (…) pouvaient être effectués jusqu'au mardi 22 avril 2025".

Ledit conseil a exposé au Tribunal que les paiements avaient été effectués le jour même et a annexé à son message deux documents datés du 22 avril 2025, établis sur papier en-tête de [la banque] G______, intitulés "QR-facture". L'un, relatif à la cause C/1165/2025, mentionnait que 4'000 fr. étaient payables sur le compte D______ de l'Etat de Genève susmentionné par débit du compte IBAN 3______ ("Compte courant [Étude d’avocats] E______, Genève"). Le second, relatif à la cause C/1______/2025, indiquait que le montant de 4'000 fr. était payable sur ledit compte de l'Etat de Genève par débit du compte IBAN 4______ ("Compte courant Me B______ [Étude] E______, Genève"). Les deux avis comprenaient en outre les mentions suivantes: "payable par A______ AG Case postale 5______ 1211 Genève ______ Suisse", "Date d'exécution 22.04.2025" et "Statut Exécuté Reçu par la banque bénéficiaire, 02:00:00 CET".

e. Par courrier du 24 avril 2025, le conseil de A______ AG a informé le Tribunal que des courriels du conseiller bancaire de [la banque] F______ reçus le même jour et figurant en annexe faisaient référence aux deux paiements en question et indiquaient que la banque avait décidé de les bloquer. La banque "n'a[vait] pas pu exclure, ce qui [était] incompréhensible, que les paiements en question ne tomb[aient] pas sous le coup de sanctions économiques. Le conseil de A______ AG avait transmis à F______ les informations complémentaires qu'elle sollicitait, destinées à "débloquer la transaction", et allait tenir le Tribunal "informé de toute évolution concernant cette situation".

Les messages de la banque, datés du 22 avril 2025, mentionnaient que les paiements étaient toujours en attente ("the payment is still pending") et que lesdites informations étaient nécessaires pour les effectuer ("to effect the payment").

f. Le service concerné de la banque a confirmé le 15 mai 2025 au "conseiller F______" de l'avocat que les paiements avaient été "libérés".

Le conseil de A______ AG a informé le Tribunal du déblocage par courriel du 16 mai 2025.

g. Par message électronique du 22 mai 2025, il a fait parvenir aux Services financiers du Pouvoir judiciaire (ci-après: les Services financiers) "les preuves des paiements exécutés". Il s'agissait de deux "QR-Factures" identiques à celles mentionnées ci-dessus sous let. C.d, mais portant la date du 15 mai 2025.

Sur ce, les Services financiers se sont adressés le même jour à la Trésorerie générale du Département des finances, des ressources humaines et des affaires extérieures (ci-après: la Trésorerie), qui leur a répondu que "malgré le statut de paiement exécuté, celui-ci n'avait finalement pas eu lieu" et qu'il appartenait à l'étude concernée de contacter sa banque. Le conseil de A______ AG a été informé de cette réponse le même jour.

h. Par courrier du 28 mai 2025, ledit conseil, en se référant à un entretien téléphonique de la veille avec le greffe du Tribunal, a fait parvenir à celui-ci deux avis de débit des deux comptes G______ mentionnés ci-dessus sous let. C.d, portant chacun sur 4'000 fr. (versés "selon ordre du 22.4.2025").

Par message électronique du même jour, le conseil de A______ AG a informé les Services financiers qu'il avait "obtenu la confirmation écrite ainsi que les avis de débit bancaires relatifs" aux paiements en question. [La banque] F______ lui avait confirmé que les montants étaient "bien partis".

EN DROIT

1. 1.1 S'agissant d'une procédure de mainlevée, seule la voie du recours est ouverte (art. 319 let. a et 309 let. b ch. 3 CPC). Selon l'art. 251 let. a CPC, la procédure sommaire est applicable aux décisions rendues en matière de mainlevée d'opposition.

Aux termes de l'art. 321 al. 1 et 2 CPC, le recours, écrit et motivé, doit être introduit auprès de l'instance de recours dans les dix jours à compter de la notification de la décision motivée, pour les décisions prises en procédure sommaire (art. 251 let. a CPC).

En l'espèce, le recours, dirigé contre une décision finale d'irrecevabilité (art. 236 al. 1 CPC), a été formé dans le délai et la forme prévus par la loi. Même si la recourante prend à tort des conclusions au fond, l'on comprend qu'elle conclut à la recevabilité de sa requête du 16 janvier 2025. Le recours est ainsi recevable.

1.2 Selon l'art. 321 al. 1 CPC, le recours doit être introduit par un acte écrit et motivé. La motivation d'un recours doit, à tout le moins, satisfaire aux exigences qui sont posées pour un acte d'appel (art. 311 al. 1 CPC; arrêts du Tribunal fédéral 4A_462/2022 du 6 mars 2023 consid. 5.1.1; 5A_206/2016 du 1er juin 2016 consid. 4.2.1). La cognition de la Cour est limitée à la violation du droit et à la constatation manifestement inexacte des faits (art. 320 CPC). Si la Cour applique le droit d'office (art. 57 CPC), elle doit en principe se limiter à statuer sur les critiques formulées dans la motivation écrite contre la décision de première instance, hormis les cas de vices manifestes (ATF 142 III 413 consid. 2.2.4; arrêt du Tribunal fédéral 5A_111/2016 du 6 septembre 2016 consid. 5.3).

2. La recourante fait grief au Tribunal d'avoir considéré qu'elle n'avait pas effectué l'avance des frais dans le délai imparti et d'avoir déclaré sa requête irrecevable pour ce motif.

2.1 Le tribunal n'entre en matière que sur les demandes qui satisfont aux conditions de recevabilité de l'action, notamment lorsque les avances de frais ont été versées (art. 59 al. 1 et 2 let. f CPC). Il examine d'office si les conditions de recevabilité de l'action sont remplies (art. 60 CPC).

Le tribunal impartit un délai pour la fourniture des avances et des sûretés (art. 101 al. 1 CPC). Si celles-ci ne sont pas fournies à l'échéance d'un délai supplémentaire, le tribunal n'entre pas en matière sur la demande ou la requête (art. 101 al. 3 CPC).

Aux termes de l'art. 143 al. 3 CPC, un paiement au tribunal est effectué dans le délai prescrit lorsque le montant est versé en faveur du tribunal à la poste suisse ou débité d'un compte bancaire ou postal en Suisse le dernier jour du délai au plus tard.

Le moment déterminant pour constater l'observation ou l'inobservation du délai est celui auquel la somme a été versée en faveur de l'autorité à la poste suisse (que ce soit au guichet d'un bureau de poste ou lors d'un transfert depuis l'étranger) ou celui auquel l'ordre de paiement en faveur de l'autorité a été débité du compte postal ou bancaire de l'intéressé ou de son mandataire (ATF 139 III 364 consid. 3.2.1; arrêt du Tribunal fédéral 7B_392/2025 du 11 juillet 2025 consid. 2.2.3). Le fait que la somme en cause n'a pas été créditée dans le délai imparti sur le compte de la juridiction concernée n'est pas décisif au regard du droit fédéral si le montant requis a effectivement été débité du compte bancaire de l'intéressé ou de son avocat avant l'échéance du délai prévu. Le fardeau de la preuve s'agissant du respect des délais pour le versement d'avances ou de sûretés incombe à la partie qui entend s'en prévaloir (ATF 143 IV 5 consid. 2.4; arrêt du Tribunal fédéral 9C_40/2024 du 13 juin 2024 consid. 3.2).

2.2 En l'espèce, la recourante prétend qu'elle aurait apporté au Tribunal, le 22 mai 2025, la preuve du fait que le montant de l'avance de frais de 4'000 fr. avait été débité du compte bancaire en Suisse de son conseil le 22 avril 2025. Comme elle le soutient à bon droit, le délai de l'art. 101 al. 3 CPC venait à échéance le mardi 22 avril 2025, dans la mesure où le dernier jour du délai imparti ("une ultime fois") était un jour férié cantonal, soit le lundi de Pâques (art. 142 al. 3 CPC; art. 1 al. 1 LJF).

L'argumentation de la recourante ne résiste pas à l'examen des pièces du dossier. L'avocat a lui-même indiqué au Tribunal le 24 avril 2025 que le paiement avait été bloqué par sa banque. Celle-ci lui avait confirmé que le paiement n'avait pas été effectué le 22 avril 2025. Les fonds n'ont été libérés que le 15 mai 2025, ce dont le Tribunal a été informé le lendemain. La "QR-Facture" déposée en première instance le 22 mai 2025, invoquée par la recourante comme preuve du débit, est en effet datée du 15 mai 2025. L'avis de débit transmis au Tribunal le 28 mai 2025, même s'il porte la mention "selon ordre du 22.4.2025", ne change rien à ce qui précède.

Dans la mesure où le montant requis n'a pas effectivement été débité du compte du conseil de la recourante avant l'échéance du délai prévu, il est superflu de rechercher si la somme en cause a été créditée sur le compte du Tribunal.

En définitive, c'est à juste titre que le Tribunal a déclaré la requête. Le recours sera ainsi rejeté.

3. Les frais judiciaires de recours seront arrêtés à 1'200 fr. (art. 48 et 61 OELP), y compris 200 fr. pour l'arrêt sur effet suspensif. Ils seront laissés à la charge de la recourante, qui succombe (art. 106 al. 1 CPC) et compensés avec l'avance versée, laquelle demeure acquise à l'Etat de Genève (art. 111 al. 1, 1ère phrase CPC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable le recours interjeté le 30 juin 2025 par A______ AG contre le jugement JTPI/7978/2025 rendu le 25 juin 2025 par le Tribunal de première instance dans la cause C/1165/2025 SML.

Au fond :

Le rejette.

Déboute A______ AG de toutes autres conclusions de recours.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires de recours à 1'200 fr., les met à la charge de A______ AG et les compense avec l'avance fournie, qui demeure acquise à l'Etat de Genève.

Siégeant :

Madame Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, présidente; Monsieur Laurent RIEBEN, Monsieur Ivo BUETTI, juges; Madame Mélanie DE RESENDE PEREIRA, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.