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ACJC/1239/2025 du 10.09.2025 sur JTPI/358/2025 ( SML ) , JUGE
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||
POUVOIR JUDICIAIRE C/21339/2024 ACJC/1239/2225 ARRÊT DE LA COUR DE JUSTICE Chambre civile DU MERCREDI 10 SEPTEMBRE 2025 |
Entre
Monsieur A______, domicilié ______ [GE], recourant contre un jugement rendu par la 25ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 9 janvier 2025, représenté par Me Christian JOUBY, avocat, PBM Avocats SA, boulevard Georges-Favon 26, case postale 48, 1211 Genève 8,
et
ETAT DE GENEVE, SOIT POUR LUI L'ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE (AFC), Direction des, affaires juridiques, rue du Stand 26,
case postale 26, 1211 Genève 3, intimé.
A. Par jugement JTPI/358/2025 du 9 janvier 2025, reçu par A______ le 20 janvier 2025, le Tribunal de première instance, statuant par voie de procédure sommaire, a prononcé la mainlevée définitive de l'opposition formée par le précité au commandement de payer, poursuite n° 1______ (chiffre 1 du dispositif), arrêté à 1'000 fr. les frais judiciaires, compensés avec l'avance fournie par l'ETAT DE GENEVE et mis à la charge de A______, condamné ainsi à verser 1'000 fr. à l'ETAT DE GENEVE (ch. 2 et 3) et dit qu'il n'était pas alloué de dépens (ch. 4).
Le Tribunal a considéré que la décision de demande de sûretés du 15 juillet 2024 que l'Administration fiscale cantonale (AFC) avait notifié à A______ valait titre de mainlevée définitive, même si elle n'avait pas acquis force de chose jugée vu le recours formé au Tribunal administratif de première instance (procédure pendante A/2______/2024). Ce recours n'avait pas effet suspensif et la demande de sûretés était immédiatement exécutoire.
B. a. Par acte expédié le 30 janvier 2025 à la Cour de justice, A______ a recouru contre le jugement précité, dont il a requis l'annulation. Il a conclu, avec suite de frais judiciaires et dépens des deux instances, principalement, au rejet de la requête de mainlevée définitive déposée à son encontre le 16 septembre 2024 par l'ETAT DE GENEVE et, subsidiairement, au renvoi de la cause au Tribunal pour nouvelle décision.
b. Par arrêt ACJC/182/2025 du 6 février 2025, la Cour a rejeté la requête préalable de A______ tendant à la suspension de l'effet exécutoire attaché au jugement attaqué, arrêté les frais à 400 fr., mis à la charge de A______, dit qu'il n'était pas alloué de dépens et débouté les parties de toutes autres conclusions.
c. Dans sa réponse du 13 février 2025, l'ETAT DE GENEVE a conclu au rejet du recours.
d. Dans sa réplique du 3 mars 2025, A______ s'est référé à l'arrêt du Tribunal fédéral 4A_435/2024 du 4 février 2025 (destiné à la publication), dans lequel notre Haute Cour a jugé que les demandes de sûretés fondées sur l'art. 169 de la loi fédérale du 14 décembre 1990 sur l'impôt fédéral direct (LIFD) ne donnent droit à la mainlevée définitive que lorsqu'elles sont formellement entrées en force.
e. Dans ses déterminations du 17 mars 2025, l'ETAT DE GENEVE a admis que le Tribunal fédéral, dans l'arrêt précité, qui avait été "publié le 19 février 2025", avait tranché la question qui était litigieuse dans la présente procédure. La demande de sûretés du 15 juillet 2024 n'était pas encore entrée en force.
L'ETAT DE GENEVE a ainsi conclu à la suspension de la cause jusqu'à droit connu dans la procédure A/2______/2024.
f. A______ s'y est opposé par acte du 28 mars 2025.
g. Les parties se sont encore déterminées sur la suspension les 14 avril, 28 avril et 12 mai 2025, en persistant dans leurs conclusions respectives.
h. Par arrêt du 9 juillet 2025, la Cour a rejeté la requête de suspension de la présente procédure, statué sur les frais judiciaires et dépens et débouté les parties de toutes autres conclusions.
i. Les parties ont été informées le 16 juillet 2025 de ce que la cause était gardée à juger.
C. Les faits pertinents suivants résultent du dossier de première instance:
a. Le 15 juillet 2024, l'Administration fiscale cantonale (ci-après: AFC) a décidé de demander à A______ des sûretés, fondées sur l'art. 169 de la loi fédérale du 14 décembre 1990 sur l'impôt fédéral direct (LIFD - RS 642.11), à hauteur de 662'768 fr. 15 avec intérêts à 4.75 % l'an dès le 15 juillet 2024 en garantie de l'impôt fédéral direct, dû pour les années fiscales 2010 à 2023, au motif que les "droits du fisc [étaient] menacés".
Le même jour, elle a adressé à l'Office des poursuites de Genève (ci-après: l'Office) une ordonnance de séquestre, pour exécution, fondée sur la décision précitée, le cas de séquestre mentionnée étant la menace aux droits du fisc (art. 170 al. 1 en relation avec l'art. 169 LIFD). Le procès-verbal de séquestre, portant le n° 3______, a été communiqué le même jour à l'AFC.
b. Le 15 août 2024, A______ a recouru au Tribunal administratif de première instance (TAPI) à l'encontre de la décision relative à la demande de sûretés. La procédure, enregistrée sous le n° A/2______/2024, est toujours pendante.
c. Sur réquisition de l'AFC du 21 août 2024, l'Office a notifié le 6 septembre 2024 à A______ un commandement de payer, poursuite n° 1______, en prestation de sûretés, et en validation du séquestre n° 3______, portant sur 662'768 fr. 15 avec intérêts à 4.75 % l'an dès le 15 juillet 2024, dus sur la base de la décision de sûretés du 15 juillet 2024.
Le poursuivi y a formé opposition.
d. Le 16 septembre 2024, l'AFC a saisi le Tribunal d'une requête en mainlevée définitive de l'opposition formée au commandement de payer, poursuite
nº 1______.
Elle a fait valoir que la demande de sûretés était immédiatement exécutoire, et qu'elle était assimilée à un jugement exécutoire au sens de l'art. 80 LP. Le recours interjeté au TAPI n'avait pas d'effet suspensif (art. 169 al. 4 LIFD).
e. Lors de l'audience du Tribunal du 16 décembre 2024, l'AFC a persisté dans ses conclusions.
A______ a soulevé le caractère non définitif de la décision du 15 juillet 2024.
Le Tribunal a gardé la cause à juger à l'issue de l'audience.
1. 1.1 S'agissant d'une procédure de mainlevée, seule la voie du recours est ouverte (art. 319 let. a et 309 let. b ch. 3 CPC). La procédure sommaire s'applique (art. 251 let. a CPC).
1.2 Aux termes de l'art. 321 al. 1 et 2 CPC, le recours, écrit et motivé, doit être introduit auprès de l'instance de recours dans les dix jours à compter de la notification de la décision motivée (art. 142 al. 1 CPC), pour les décisions prises en procédure sommaire.
En l'espèce, déposé selon la forme et dans le délai légal, le recours est recevable.
1.3 Dans le cadre d'un recours, le pouvoir d'examen de la Cour est limité à la violation du droit et à la constatation manifestement inexacte des faits (art. 320 CPC).
1.4 Les maximes des débats et de disposition s'appliquent (art. 55 al. 1, 255 lit. a a contrario et 58 al. 1 CPC).
2. Le recourant fait grief au Tribunal d'avoir considéré que l'intimé était au bénéfice d'un titre de mainlevée définitive, alors que la procédure administrative relative aux sûretés était toujours pendante.
2.1 Le créancier qui est au bénéfice d’un jugement exécutoire peut requérir du juge la mainlevée définitive de l’opposition. Sont assimilées à des jugements les décisions des autorités administratives suisses (art. 80 al. 1 et 2 ch. 2 LP).
En règle générale, une décision devient exécutoire au moment où elle entre en force de chose jugée formelle ("formelle Rechtskraft"), ce qui se produit lorsqu'elle ne peut plus être attaquée par une voie de recours ordinaire. En particulier, une décision de taxation n'entre en force qu'à l'échéance du délai - non utilisé - de réclamation, de recours à l'autorité cantonale de recours, ou au terme du délai de recours au Tribunal fédéral - si cette voie de droit ordinaire n'est pas utilisée - et, dans le cas contraire, lors du prononcé de l'arrêt du Tribunal fédéral (arrêt du Tribunal fédéral 5A_838/2017 du 19 mars 2018 consid. 3.1 et les références citées; BOVEY/CONSTANTIN, Commentaire romand, Poursuite et faillite, 2ème éd, 2025, n. 51 ad art. 80 LP).
2.2 Afin de garantir le paiement des créances fiscales, les administrations fiscales compétentes sont en droit de réclamer des sûretés de la part des contribuables, dans les cas prévus par la loi (OBERSON, Droit fiscal suisse, 5ème éd. 2021, p. 699, n. 51).
Si le contribuable n'a pas de domicile en Suisse ou que les droits du fisc paraissent menacés, l'administration cantonale de l'impôt fédéral direct peut exiger des sûretés en tout temps, et même avant que le montant de l'impôt ne soit fixé par une décision entrée en force. La demande de sûretés indique le montant à garantir; elle est immédiatement exécutoire. Dans la procédure de poursuite, elle produit les mêmes effets qu'un jugement exécutoire (art. 169 al. 1 de la loi fédérale du
14 décembre 1990 sur l'impôt fédéral direct (LIFD - RS 642.11).
Le recours contre une demande de sûretés n’a pas d’effet suspensif (art. 169 al. 4 LIFD).
La décision de sûretés est une décision administrative (OBERSON, op. cit, p. 699, n. 54).
Les autorités fiscales, lorsque la loi le prévoit, peuvent obtenir un séquestre fiscal pour garantir l'exécution de leurs créances. Il en va ainsi, notamment, lorsqu'une décision de demande de sûretés a été prise. Le séquestre repose sur cette décision, dont le prononcé est assimilé à une ordonnance de séquestre au sens de l'art. 274 LP (art. 170 al. 1 LIFD; art. 39 al. 1 LPGIP), dont un double est envoyé à l'office des poursuites compétent (OBERSON, op. cit, p. 701 s, n. 62-63).
2.3 Dans un arrêt 5A_41/2018 du 18 juillet 2018, le Tribunal fédéral a jugé que la mainlevée définitive de l'opposition formée à un commandement de payer en validation de la demande de sûretés émanant des autorités fiscales ne devait pas être prononcée, tant que celle-ci faisait l'objet d'un recours cantonal, puisqu'elle n'était alors pas entrée en force ("rechtskräftig").
Il a confirmé récemment que les demandes de sûretés prises sur la base de l'art. 169 LIFD ne donnent droit à une mainlevée définitive que lorsqu'elles ont acquis force de chose jugée formelle ("wenn sie in formelle Rechtskraft erwachsen sind") (arrêt du Tribunal fédéral 4A_435/2024 du 4 février 2025, destiné à la publication, notamment consid. 6.4.1).
Cette position est défendue par la doctrine qui est d'avis que pour le prononcé de la mainlevée dans le cadre d'une poursuite en prestation de sûretés en vue de l'exécution de la demande de sûretés, l'entrée en force ("Rechtskraft") de celle-ci est nécessaire (Krüsi, in Kren Kostkiewicz, Kommentar zum SchKG, 4ème éd. 2017, n. 19 ad art. 38 SchKG; Curchod, CR-LIFD, n. 64 ad art. 169).
Les tribunaux cantonaux des Grisons et de Bâle (KGer GR KSK 18 56 du 23 novembre 2018 consid. 4.1; KGer BS BEZ.2018.56 du 28 juin 2019
consid. 2.4) ont suivi la jurisprudence précitée en refusant de prononcer la mainlevée définitive de l'opposition formée au commandement de payer en validation d'une demande de sûretés faisant encore l'objet d'un recours cantonal. Il en va de même de la Cour de céans (ACJC/1546/2021 du 15 novembre 2021).
2.4 En l'espèce, il est admis que l'intimé a requis la mainlevée de l'opposition, en se fondant sur une décision de demande de sûretés qui n'est pas encore en force.
Ainsi, la mainlevée définitive ne pouvait pas être prononcée, comme le reconnaît finalement l'intimé dans ses dernières écritures d'appel.
Le recours sera donc admis.
Le jugement entrepris sera annulé (art. 327 al. 3 let. b CPC) et il sera statué à nouveau en ce sens que la requête de mainlevée sera rejetée.
3. 3.1 Lorsque l'instance de recours statue à nouveau, elle se prononce sur les frais de la première instance (art. 318 al. 3 CPC par analogie; Jeandin, in Commentaire romand, Code de procédure civile, 2019, n. 9 ad art. 327 CPC).
La quotité des frais judiciaires de première instance (1'000 fr.) n'est à juste titre pas contestée (art. 48 OELP). Compte tenu de l'issue de la procédure, ces frais seront mis à la charge de l'intimé, qui succombe (art. 106 al. 1 CPC). Ils seront compensés avec l'avance effectuée par celui-ci, laquelle demeure acquise à l'Etat de Genève, Services financiers du Pouvoir judiciaire (art. 111 al. 1, 1ère phrase CPC).
L'intimé sera condamné à verser au recourant 1'500 fr., débours et TVA compris, à titre de dépens de première instance (art. 84, 85 et 89 RTFMC; art. 23 al.1, 25 et 26 LaCC).
3.2 Les frais judiciaires du recours seront arrêtés à 1'500 fr. (art. 48 et 61 OELP), plus 400 fr. pour la décision sur effet suspensif. Ce dernier montant est à la charge du recourant (cf. arrêt du 6 février 2025) et sera compensé à due concurrence avec l'avance de 1'900 fr. effectuée par celui-ci (art. 111 al. 1, 1ère phrase CPC). Les Services financiers du Pouvoir judiciaire lui restitueront donc 1'500 fr. (art. 111 al. 1, 2ème phrase CPC). L'intimé sera condamné à verser 1'500 fr. à ce même Service.
L'intimé sera en outre condamné à verser au recourant la somme de 1'000 fr., débours et TVA compris, à titre de dépens de recours (art. 84, 85, 89 et 90 RTFMC; art. 23 al.1, 25 et 26 LaCC).
* * * * *
La Chambre civile :
A la forme :
Déclare recevable le interjeté le 30 janvier 2025 par A______ contre le jugement JTPI/358/2025 rendu le 9 janvier 2025 par le Tribunal de première instance dans la cause C/21339/2024-25 SML.
Au fond :
Annule le jugement attaqué et, statuant à nouveau:
Rejette la requête de mainlevée définitive formée le 16 septembre 2024 par l'ETAT DE GENEVE, Administration fiscale cantonale, à l'encontre de A______.
Arrête les frais judiciaires de première instance à 1'000 fr., les met à la charge de l'ETAT DE GENEVE, Administration fiscale cantonale, et les compense avec l'avance fournie, qui demeure acquise à l'Etat de Genève, Services financiers du Pouvoir judiciaire.
Condamne l'ETAT DE GENEVE, Administration fiscale cantonale, à verser à A______ 1'500 fr. à titre de dépens de première instance.
Déboute les parties de toutes autres conclusions.
Sur les frais :
Arrête les frais judiciaires de recours à 1'900 fr. et les met à la charge de l'ETAT DE GENEVE, Administration fiscale cantonale, à concurrence de 1'500 fr.
Condamne l'ETAT DE GENEVE, Administration fiscale cantonale, à verser 1'500 fr. à l'Etat de Genève, Services financiers du Pouvoir judiciaire.
Compense les frais judiciaires de 400 fr. mis à la charge de A______ par l'arrêt ACJC/182/2025 du 6 février 2025 avec l'avance de 1'900 fr. versée par celui-ci, laquelle demeure acquise à due concurrence à l'Etat de Genève, Services financiers du Pouvoir judiciaire.
Invite les Services financiers du Pouvoir judiciaire à restituer 1'500 fr. à A______.
Condamne l'ETAT DE GENEVE, Administration fiscale cantonale, à verser 1'000 fr. à A______ à titre de dépens de recours.
Siégeant :
Madame Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, présidente; Monsieur Laurent RIEBEN, Monsieur Ivo BUETTI, juges; Madame Laura SESSA, greffière.
Indication des voies de recours :
Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.
Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.