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C/2047/2025

ACJC/953/2025 du 09.07.2025 sur OTPI/193/2025 ( SP ) , JUGE

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/2047/2025 ACJC/953/2025

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU MERCREDI 9 JUILLET 2025

 

Entre

HOPITAUX UNIVERSITAIRES DE GENEVE, sis rue Gabrielle Perret-Gentil 4, 1211 Genève 14, appelants d'une ordonnance rendue par le Tribunal de première instance de ce canton le 21 mars 2025, représentés par Me Marc HOCHMANN FAVRE, avocat, Harari Avocats, rue Ferdinand-Hodler 23, case postale, 1211 Genève 3,

et

Madame A______, domiciliée ______ (VD), intimée, représentée par
Me Annette MICUCCI, avocate, Merkt & Associés, rue Général-Dufour 15, case postale, 1211 Genève 4.


EN FAIT

A.           Par ordonnance OTPI/193/2025 du 21 mars 2025, reçue par A______ le 25 mars 2025, le Tribunal de première instance, statuant sur mesures provisionnelles par voie de procédure sommaire, a ordonné aux HOPITAUX UNIVERSITAIRES DE GENEVE (ci-après les HUG) de restituer à A______ son placenta expulsé lors de son accouchement du ______ 2025 à ______h54 pratiqué par la Dresse B______ (chiffre 1 du dispositif), rejeté la requête de A______ pour le surplus (ch. 2), dit que le chiffre 1 de l'ordonnance ne serait exécutoire qu'après expiration du délai d'appel et, en cas d'appel, pour autant que l'effet suspensif n'ait pas été accordé (ch. 3), imparti à A______ un délai de 60 jours à compter de la notification de l'ordonnance pour faire valoir son droit en justice (ch. 4), dit que l'ordonnance déploierait ses effets jusqu'à droit jugé ou accord entre les parties (ch. 5), mis les frais judiciaires à la charge des HUG et condamné ceux-ci à payer 1'000 fr. à ce titre à l'Etat de Genève (ch. 6 à 8), ordonné la restitution à A______ de la somme de 500 fr. (ch. 9), condamné les HUG à payer à celle-ci 1'000 fr. à titre de dépens (ch. 10) et débouté les parties de toute autre conclusion (ch. 11).

B.            a. Par acte déposé le 4 avril 2025, les HUG ont formé appel de cette ordonnance, concluant principalement à ce que la Cour de justice l'annule et déboute A______ de toutes ses conclusions avec suite de frais et dépens.

b. Par arrêt ACJC/556/2025 du 25 avril 2025, la Cour a admis leur requête tendant à la suspension de l'effet exécutoire attaché au chiffre 1 du dispositif de l'ordonnance précitée.

c. Dans sa réponse du 28 avril 2025, A______ a conclu à ce que la Cour déclare l'appel irrecevable, voire le rejette, avec suite de frais et dépens.

d. Les parties ont répliqué, respectivement dupliqué, persistant dans leurs conclusions.

e. Les HUG ont encore transmis à la Cour des déterminations spontanées le 5 juin 2025, persistant dans leurs conclusions.

f. Par plis du 12 juin 2025 du greffe de la Cour, les parties ont été informées de ce que la cause était gardée à juger.

C.           Les faits pertinents suivants résultent du dossier :

a. Le ______ 2025, A______ a donné naissance aux HUG à une fille, prénommée C______.

b. Son projet de naissance, préparé avec la sage-femme ayant suivi sa grossesse, était d'accoucher en maison de naissance et de conserver son placenta après expulsion. Ce souhait était motivé par des "croyances culturelles" et des "raisons médicales".

En raison de complications, ce projet n'a pas pu être réalisé, de sorte qu'elle a finalement accouché aux HUG.

c. Dès l'expulsion du placenta et alors qu'elle se trouvait encore en salle d'accouchement, A______ a indiqué aux personnes présentes, en particulier à la Dresse B______, qui avait pratiqué l'accouchement, qu'elle souhaitait conserver son placenta, demandant qu'il lui soit remis dans les conditions appropriées pour qu'il puisse être congelé.

Sa demande a été refusée.

d. A______ a réitéré sa demande auprès de la Dresse B______ le lendemain de son accouchement.

Cette dernière l'a informée qu'elle ne pouvait pas y donner suite, en raison des directives internes des HUG.

e. Par courriel du 31 janvier 2025 adressé au service juridique des HUG, A______ a demandé la restitution immédiate de son placenta, et/ou la prise de mesures pour le préserver.

f. Le 31 janvier 2025, A______ a déposé par devant le Tribunal une requête de mesures superprovisionnelles et provisionnelles concluant principalement à ce que celui-ci ordonne aux HUG de lui restituer son placenta ou, subsidiairement, leur enjoigne de prendre les mesures nécessaires à sa préservation, notamment en procédant à sa congélation et son étiquetage.

Elle a notamment fait valoir que de nombreux établissements médicaux à Genève et en Suisse remettaient à la mère le placenta après l'accouchement. Le refus des HUG, fondé sur de simples directives internes, n'était pas justifié.

Elle a produit un article paru dans [le journal] D______ le ______ 2023, faisant état des disparités de pratiques entre les différents établissements médicaux en la matière. Ainsi, le CHUV, le Centre hospitalier du Valais Romand, l'hôpital fribourgeois et le réseau hospitalier neuchâtelois permettaient en principe aux femmes de récupérer leur placenta. La politique des HUG se distinguait en Suisse romande par sa sévérité.

g. Par ordonnance du 31 janvier 2025, le Tribunal, statuant sur mesures superprovisionnelles, a ordonné aux HUG de prendre les mesures nécessaires et utiles à la préservation et à l'identification du placenta de A______, notamment en procédant à sa congélation immédiate et à son étiquetage.

h. Les HUG ont conclu au rejet de la requête.

Ils ont exposé que, conformément à la réglementation sur la gestion des placentas, les établissements médicaux n'étaient autorisés à remettre les déchets spéciaux médicaux – tels que les placentas – qu'à des entreprises d'élimination agréées par le Canton. La seule exception qui existait consistait en la remise d'une biopsie du placenta à certaines conditions. L'ensemble de la réglementation applicable en la matière visait à éviter tout risque infectieux.

i. Lors de l'audience du Tribunal du 17 mars 2025, les HUG ont proposé de restituer 2 cm de placenta à A______. Cette proposition n'a pas été acceptée.

Au surplus, les parties ont persisté dans leurs conclusions respectives.

A l'issue de l'audience, le Tribunal a gardé la cause à juger.

EN DROIT

1. 1.1.1 Les décisions de première instance, statuant sur mesures provisionnelles, dans une affaire non pécuniaire, sont susceptibles de faire l'objet d'un appel écrit et motivé auprès de la Cour de justice dans un délai de 10 jours à compter de leur notification (art. 308, 311 al. 1 et 314 al. 1 CPC; art. 120 al. 1 let. a LOJ).

Un litige doit être considéré comme non pécuniaire lorsqu'il porte sur des droits qui, par nature, ne peuvent pas être évalués en argent. Il doit s'agir de droits qui ne font pas partie du patrimoine d'une personne, ni ne sont étroitement liés à un rapport juridique pécuniaire (arrêt du Tribunal fédéral 4A_235/2014 du 2 juillet 2014 consid. 2.3).

Selon la doctrine, les "entités humaines" sont toutes les entités tangibles constituées de matière d'origine humaine, vivante ou inanimée. Un placenta expulsé constitue, ainsi, à l'instar d'une personne physique, une "entité humaine". Une telle entité, une fois séparée de sa source, reste empreinte de la personnalité de celle-ci et est qualifiée par la doctrine "d'objet humain". De tels objets se caractérisent par leur extra-commercialité (Ducor, Statut juridique des parties détachées du corps humain, Une approche anatomique et fonctionnelle, RDS 2016 p. 251ss, p. 262).

1.1.2 A teneur de l'art. 59 al. 1 et 2 let. a CPC, le tribunal n'entre en matière que sur les requêtes qui satisfont aux conditions de recevabilité de l'action, à savoir, notamment, que le requérant a un intérêt digne de protection. L'absence d'un intérêt digne de protection doit être relevée d'office, à tous les stades de la procédure (ATF 140 III 159 consid. 4.2.4; 140 III 355 consid. 2.4, SJ 2014 I 445).

Celui qui entend attaquer une décision doit être atteint par celle-ci et disposer d'un intérêt digne de protection à sa modification (arrêt du Tribunal fédéral 5A_589/2015 du 1er février 2016 consid. 5.4).

L'intérêt doit être personnel et actuel. Il n'est donné que si l'admission des conclusions du demandeur peut lui être d'utilité concrète et lui évite un dommage économique ou idéal. En revanche, la procédure judiciaire n'est pas à sa disposition pour répondre à des questions juridiques abstraites (arrêt du Tribunal fédéral 5A_190/2019 du 4 février 2020 consid. 2).

Il peut être dérogé exceptionnellement à l'exigence d'un intérêt actuel lorsque la contestation à la base de la décision attaquée est susceptible de se reproduire en tout temps dans des circonstances identiques ou analogues, que sa nature ne permet pas de la trancher avant qu'elle ne perde son actualité et que, en raison de sa portée de principe, il existe un intérêt public suffisamment important à la solution de la question litigieuse (arrêt du Tribunal fédéral 4A_122/2019 du 10 avril 2019 consid. 2.6).

La possibilité de bénéficier d'une protection judiciaire étatique en deuxième instance n'est donnée que lorsque l'on se trouve en présence d'une lésion. Il y a lésion formelle lorsque la partie au procès n'a pas obtenu ce à quoi elle avait conclu en première instance (ATF 120 II 5 consid. 2a; arrêt du Tribunal fédéral 4A_513/2015 du 13 avril 2016 consid. 1).

1.2 En l'espèce, la cause porte sur la restitution d'un placenta, soit un "objet humain" extra-commercial, à la femme l'ayant expulsé, soit une affaire non pécuniaire. L'appel, interjeté auprès de l'autorité compétente, dans la forme prescrite par la loi et dans le délai utile de 10 jours, est recevable sous cet angle.

L'intimée fait valoir que l'appel est irrecevable au motif que les appelants n'ont pas d'intérêt digne de protection à celui-ci. Ils ne prétendaient pas avoir un droit préférentiel sur son placenta et ne faisaient valoir aucun avantage factuel ou juridique à l'annulation de la décision querellée. Le simple fait d'obtenir la validation d'une directive interne ne constituait pas un intérêt suffisant. Les appelants font pour leur part valoir qu'ils ont un intérêt à agir, puisqu'ils ont pris part à la procédure devant l'instance précédente. Une remise à l'intimée de son placenta violerait les dispositions de la Loi fédérale sur la protection de l'environnement (LPE), constituerait un risque pour la santé publique et les exposerait à une condamnation pénale. En outre, l'irrecevabilité de l'appel empêcherait le prononcé d'une décision au fond.

In casu, l'intérêt des appelants à obtenir une décision de seconde instance sur la question litigieuse n'est pas manifeste, dans la mesure où ils ne prétendent pas avoir de droit préférable à celui de l'intimée sur le placenta concerné. La remise à l'intimée de son placenta ne constituerait vraisemblablement pas un risque pour la santé publique. Les appelants ne s'exposeraient par ailleurs vraisemblablement pas à une condamnation pénale de ce fait.

Cela étant, il se justifie d'entrer en matière sur le fond du litige, car la contestation à la base de la décision attaquée est susceptible de se reproduire en tout temps dans des circonstances analogues. Les appelants ont ainsi un intérêt à obtenir une décision de principe sur la question litigieuse, qui revêt un certain intérêt public.

L'appel sera par conséquent déclaré recevable.

1.3 La Cour revoit la cause en fait et en droit avec un plein pouvoir d'examen (art. 310 CPC) et applique le droit d'office (art. 57 CPC).

Conformément à l'art. 311 al. 1 CPC, elle le fait cependant uniquement sur les points du jugement que l'appelant estime entachés d'erreurs et qui ont fait l'objet d'une motivation suffisante – et, partant, recevable –, pour violation du droit (art. 310 let. a CPC) ou pour constatation inexacte des faits (art. 310 let. b CPC).

En outre, dans le cadre de mesures provisionnelles, instruites selon la procédure sommaire (art. 248 let. d CPC), la cognition du juge est circonscrite à la vraisemblance des faits allégués ainsi qu'à un examen sommaire du droit (ATF 131 III 473 consid. 2.3; 127 III 474 consid. 2b/bb; arrêt du Tribunal fédéral 5A_442/2013 du 24 juillet 2013 consid. 2.1 et 5). Les moyens de preuve sont, en principe, limités à ceux qui sont immédiatement disponibles (art. 254 CPC; Hohl, Procédure civile, Tome II, 2ème éd., 2010, p. 283 n. 1556).

2. Le Tribunal a considéré que le placenta était une chose mobilière pouvant faire l'objet de droits réels et que sa maîtrise appartenait à la personne de laquelle il était issu, soit l'intimée. Ce n'était que dans l'hypothèse où le placenta n'était pas utilisé à d'autres fins qu'il devenait un déchet médical voué à l'élimination. Les dispositions légales et les directives des autorités sur l'élimination de tels déchets n'avaient pas vocation à s'appliquer dans les cas où le placenta était utilisé à une autre fin, comme en l'espèce. Il n'existait aucune base légale comportant une interdiction de remettre le placenta à l'intimée après son accouchement. Le bien-fondé de la prétention était dès lors rendu vraisemblable. La durée de conservation du placenta congelé étant de six mois et celui-ci ayant été congelé le 31 janvier 2025, il apparaissait peu probable qu'une décision au fond puisse être rendue avant que ce dernier ne soit plus utilisable, de sorte que le risque de préjudice difficilement réparable était rendu hautement vraisemblable. La restitution était la seule mesure susceptible de prémunir l'intimée du risque de préjudice difficilement réparable dont elle se prévalait, de sorte que le principe de proportionnalité était respecté. Enfin, la mesure d'exécution anticipée requise n'apparaissait pas de nature à porter atteinte, ni, a fortiori, une atteinte grave, à la situation juridique des appelants.

Les appelants soutiennent que le placenta doit être qualifié "d'objet humain" auquel les règles sur les droits réels ne s'appliquent pas. Il s'agissait d'un "déchet médical" au sens de la LPE et de ses ordonnances d'exécution. Ils étaient tenus de détruire un tel déchet par incinération selon les filières prévues à cet effet, ce qui impliquait que le placenta ne pouvait être remis. Ce refus se justifiait afin d'éviter un risque de contamination infectieuse. Les seules exceptions à ce principe étaient liés à l'utilisation du placenta à des fins de recherche ou à des fins médicales. L'intimée n'avait ainsi pas rendu vraisemblable l'existence de sa prétention. La décision querellée avait pour effet d'épuiser le litige sur le fond puisqu'une fois le placenta restitué sur mesures provisionnelles, l'intimée pourrait renoncer à introduire son action au fond, ce qui les empêcherait de faire valoir leurs droits.

2.1
2.1.1
Le juge ordonne les mesures provisionnelles nécessaires lorsque le requérant rend vraisemblable qu'une prétention dont il est titulaire est l'objet d'une atteinte ou risque de l'être et que cette atteinte risque de lui causer un préjudice difficilement réparable (art. 261 al. 1 CPC).

Le tribunal peut ordonner toute mesure provisionnelle propre à prévenir ou à faire cesser le préjudice et notamment ordonner la cessation d'un état de fait illicite (art. 262 let. d CPC).

Le requérant doit rendre vraisemblable tant l'existence de sa prétention matérielle de nature civile que sa mise en danger ou atteinte par un préjudice difficilement réparable, ainsi que l'urgence (Huber, Kommentar zur Schweizerischen Zivilprozessordnung, 3ème éd. 2016, n. 23 ad art. 261 CPC). Ainsi, le requérant doit rendre vraisemblable que le droit matériel invoqué existe et que le procès a des chances de succès, la mesure provisionnelle ne pouvant être accordée que dans la perspective de l'action au fond qui doit la valider (cf. art. 263 et 268 al. 2 CPC; ATF 131 III 473 consid. 2.3; arrêt du Tribunal fédéral 5A_1016/2015 du 15 septembre 2016 consid. 5.3; Bohnet, Commentaire romand, Code de procédure civile, 2ème éd. 2019, n. 7 ad art. 261 CPC). Il doit en outre rendre vraisemblable une atteinte au droit ou son imminence, sur la base d'éléments objectifs (Bohnet, op. cit., n. 10 ad art. 261 CPC).

Doit également être rendue vraisemblable l'existence d'un préjudice difficilement réparable, qui peut être de nature patrimoniale ou immatérielle (Message relatif au CPC, FF 2006 p. 6961; Bohnet, op. cit., n. 11 ad art. 261 CPC; Huber, op. cit., n. 20 ad art. 261 CPC). Le requérant doit rendre vraisemblable qu'il s'expose, en raison de la durée nécessaire pour rendre une décision définitive, à un préjudice qui ne pourrait pas être entièrement supprimé même si le jugement à intervenir devait lui donner gain de cause. En d'autres termes, il s'agit d'éviter d'être mis devant un fait accompli dont le jugement ne pourrait pas complètement supprimer les effets (arrêt du Tribunal fédéral 4A_611/2011 du 3 janvier 2012 consid. 4.1).

Le risque de préjudice difficilement réparable implique l'urgence (Bohnet, op. cit., n. 12 ad art. 261 CPC). L'urgence est une notion relative qui comporte des degrés et s'apprécie moins selon des critères objectifs qu'au regard des circonstances. Elle est en principe admise lorsque le demandeur pourrait subir un dommage économique ou immatériel s'il devait attendre qu'une décision au fond soit rendue dans une procédure ordinaire (ATF 116 Ia 446 consid. 2 in JdT 1992 I p. 122; Bohnet, op. cit., n. 12 ad art. 261 CPC).

Le juge doit procéder à une pesée des intérêts entre les deux préjudices difficilement réparables, celui du demandeur à l'action si la mesure n'était pas exécutée immédiatement et celui qu'entraînerait pour le défendeur l'exécution de cette mesure (ATF 138 III 378 consid. 6.3).

Rendre vraisemblable signifie qu'il n'est pas nécessaire que le juge soit convaincu de l'exactitude de l'allégué présenté, mais qu'il suffit que, sur la base d'éléments objectifs, le fait en cause soit rendu probable, sans qu'il doive pour autant exclure la possibilité que les faits aient aussi pu se dérouler autrement (ATF 130 III 321 consid. 3.3, JdT 2005 I 618, SJ 2005 I 514; 120 II 393 consid. 4c; 104 Ia 408).

La vraisemblance requiert plus que de simples allégués: ceux-ci doivent être étayés par des éléments concrets ou des indices et être accompagnés de pièces (ATF 138 III 636 consid. 4.3.2 et 4.4; arrêt du Tribunal fédéral 5A_893/2013 du 18 février 2014 consid. 3).

Lorsque la décision de mesures provisionnelles constitue une mesure d'exécution anticipée provisoire susceptible d'avoir un effet définitif – à savoir lorsque le litige n'a plus d'intérêt au-delà du prononcé de la mesure requise –, il y a lieu de tenir compte du fait que de telles mesures portent une atteinte particulièrement grave à la situation juridique de la partie citée (ATF 131 III 473 consid. 2.3). Celles-ci ne sont en effet admises que de façon restrictive et sont soumises à des exigences beaucoup plus élevées. Ces exigences portent aussi bien sur l'existence des faits pertinents que sur l'ensemble des conditions d'octroi des mesures en cause, en particulier sur l'appréciation de l'issue du litige sur le fond et des inconvénients respectifs pour le requérant et pour le requis, selon que la mesure soit ordonnée ou refusée. Dans de tels cas, la protection juridique provisoire ne doit ainsi être accordée que lorsque la demande apparaît fondée de manière relativement claire, au vu de l'état de fait rendu vraisemblable (ATF 138 III 378 consid. 6.4).

2.1.2 Le droit réel a avant tout pour objet les choses, à savoir un objet matériel, délimité, susceptible d'appropriation, impersonnel et non-animal (Foëx, Commentaire romand, 2016, CC II, n. 1 ad Intro. aux art. 641-645 CC).

Chaque être humain a sur son corps un droit de la personnalité qui le protège à tous égards. Le droit de propriété sur le corps humain vivant est exclu. Cela vaut pour toutes les parties du corps tant qu'elles font partie intégrante du corps humain (Wolf/Wiegand, Basler Kommentar, ZGB II, 7ème éd., 2023, n. 17 ad Vor Art. 641ff. ZGB).

En revanche, les parties détachées du corps (organes, appendice, phanères [dents, cheveux], etc.), les tissus et le matériel biologique issus de celui-ci (sang, sperme, etc.) sont des choses (Foëx, op. cit., n. 23 ad Intro. aux art. 641-645 CC). Ces parties détachées du corps humain constituent, dès la séparation, des choses mobilières au sens de l'art. 713 CC, c'est-à-dire des "portions délimitées et impersonnelles de l'univers matériel sur lesquelles la maîtrise humaine est possible" (Wolf/Wiegand, op. cit., n. 17 ad Vor Art. 641ff. ZGB; Boldi, Avis de droit sur la gestion du placenta, Bâle, 2023, p. 2; Steinauer, Les droits réels, tome I, 6ème éd., 2019, p. 27; Ducor, op. cit., p. 262). Une partie de la doctrine estime qu'après leur séparation, la grande majorité des parties détachées du corps humain restent imprégnées, à des degrés divers, de la dignité et de la personnalité du sujet de droit qui en a été la source (Ducor, op. cit., p. 262) et sont ainsi soumises à un statut juridique particulier (Foëx, op. cit., n. 23 ad Intro. aux art. 641-645 CC).

Selon l'opinion dominante actuelle, certaines parties détachées du corps humain peuvent faire l'objet de droits réels, comme la possession et la propriété. La propriété de parties du corps détachées revient, en application du principe énoncé à l'art. 643 CC, à la personne dont elles proviennent. Cette conception purement matérielle ne pose pas de difficultés dans les cas traditionnels tels que les cheveux coupés ou les dents arrachées (Wolf/Wiegand, op. cit., n. 18 ad Vor Art. 641ff. ZGB). La question est plus complexe pour d'autres parties du corps humain. En effet, le lien que ces choses entretiennent avec la personne physique dont elles proviennent fait obstacle à l'application des règles traditionnelles des droits réels, et en particulier du droit de la propriété. Les objets humains font fréquemment l'objet de lois spéciales adaptées à leur nature, lesquelles visent également à protéger la dignité et la personnalité de la personne qui en est la source ou un intérêt public, telle la santé publique. Il en résulte qu'il existe une multitude de statuts juridiques, modulés notamment selon l'intensité du lien rattachant l'objet humain à la personne source. Le statut juridique de la partie séparée du corps humain découle de l'intensité de ce lien, de sa nature anatomique et fonctionnelle ainsi que de sa destination (Ducor, op. cit., p. 262, 265 et 268).

2.1.3 Le placenta est un tissu qui se développe sur la paroi utérine pendant la grossesse; il fait partie de l'organisme embryonnaire, est formé par celui-ci et est parcouru par des vaisseaux sanguins de la mère et de l'embryon. Par le biais du placenta, l'embryon (plus tard le fœtus) est indirectement en contact avec la circulation sanguine de la mère, reçoit ainsi des nutriments et de l'oxygène et se débarrasse des déchets (Boldi, op. cit., p. 2).

L'expulsion du placenta est une conséquence nécessaire de la naissance, qui est pour l'essentiel un processus spontané. Pendant de nombreuses années, les placentas expulsés ont été considérés comme abandonnés par les parturientes et récupérés par de nombreux hôpitaux en vue de leur revente à l'industrie. Le plus souvent, aucune information à propos de cette réutilisation n'était donnée aux intéressées, qui ignoraient que leur placenta était récupéré dans un but commercial (Donzallaz, Traité de droit médical, Volume II, 2021, p. 2055-2056; Ducor, op. cit., p. 284). Aujourd'hui, la principale utilisation des placentas humains concerne le prélèvement de sang de cordon ombilical et de gelée de Wharton, sources précieuses de cellules souches non embryonnaires, en vue de transplantation ou de recherche médicale. Le placenta peut également être utilisé pour la recherche sur l'être humain (Ducor, op. cit., p. 285, 306, 307 et 327).

2.1.4 Selon l'art. 641 CC, le propriétaire d'une chose a le droit d'en disposer librement, dans les limites de la loi (al. 1). Il peut la revendiquer contre quiconque la détient sans droit et repousser toute usurpation (al. 2).

Le propriétaire d'une chose l'est également des fruits naturels de celle-ci (art. 643 al. 1 CC).

La propriété mobilière a pour objet les choses qui peuvent se transporter d'un lieu dans un autre, ainsi que les forces naturelles qui sont susceptibles d'appropriation et ne sont pas comprises dans les immeubles (art. 713 CC).

Selon l'art. 729 CC, la propriété mobilière ne s'éteint point par la perte de la possession, tant que le propriétaire n'a pas fait abandon de son droit ou que la chose n'a pas été acquise par un tiers.

Cette disposition vise le cas de la déréliction, à savoir un acte juridique unilatéral consistant à abandonner son droit de propriété sur une chose. Cela nécessite comme condition objective l'abandon ou la perte de la possession de la chose et, cumulativement, comme condition subjective, la perte de la volonté d'être propriétaire. La seule perte de possession n'équivaut pas à une déréliction. Celle-ci se concrétise par le fait par exemple d'abandonner un objet dans un lieu public ou de le jeter aux ordures (Pannatier Kessler, Commentaire romand, 2016, n. 4 ad art. 729 CC).

2.1.5 Dans la mesure où le placenta n'est pas utilisé à d'autres fins, il devient un déchet médical. Dans ce cas, il convient de l'éliminer conformément aux principes applicables audits déchets, en particulier de l'incinérer dans un crématoire officiel en considération de la nature particulière de cet objet humain (Ducor, op. cit., p. 285, 306 et 307).

Selon son art. 1 al. 1, la LPE a pour but de protéger les hommes, les animaux et les plantes contre les atteintes nuisibles ou incommodantes, et de conserver durablement les ressources naturelles.

Par déchets, on entend les choses meubles dont le détenteur se défait ou dont l’élimination est commandée par l’intérêt public (art. 7 al. 6 LPE).

Le Conseil fédéral édicte des prescriptions sur les mouvements de déchets dont l’élimination exige la mise en œuvre de mesures particulières pour être respectueuse de l’environnement (déchets spéciaux) (art. 30f al. 1 LPE).

Sur cette base, le Conseil fédéral a édicté une ordonnance sur les mouvements de déchets (OMoD, RS 814.610) et une ordonnance du Département fédéral de l'environnement (DETEC) sur les listes de mouvements de déchets (RS 814.610.1).

Cette dernière ordonnance a été concrétisée par un document rédigé par l'Office fédéral de l'environnement, intitulé "Aide à l'exécution relative à l'élimination des déchets du secteur de la santé", produit sous pièce 4 appelants. Selon ce document, le placenta est placé dans la catégorie des "déchets présentant un danger de contamination". L'élimination de ces déchets est soumise à des exigences particulières, notamment pour des raisons éthiques. Ils peuvent être stockés congelés jusqu'à six mois. Ils doivent être incinérés dans des crématoires spéciaux.

Le Service genevois de géologie, sols et déchets (GESDEC) a édicté des "Fiches d'informations relatives à l'élimination des déchets médicaux à destination des établissements médicaux et hospitaliers" récapitulant les principes énoncés par les textes fédéraux précités. Ces fiches précisent que l'établissement médical peut décider d'autoriser la remise du placenta aux parents (note 18).

La médecin-cheffe du service d'obstétrie des HUG, a édicté un "Ordre de service", daté du 7 octobre 2020, prévoyant que, en tant que déchet spécial provenant des soins médicaux, le placenta devait être éliminé selon les procédures prévues par la législation fédérale et cantonale. La remise du placenta à la parturiente ou à ses proches était donc prohibée, à l'exception de la remise d'une biopsie, à certaines conditions.

2.1.6 En soi, les règles de droit public ne trouvent pas directement application dans les litiges de droit civil. Toutefois, comme en matière d'immiscions excessives, il y a lieu, selon un principe général, d'appliquer les différentes normes de l'ordre juridique de façon cohérente et non contradictoire : dans l'application des règles de droit pertinentes pour trancher un litige, le juge doit tenir compte des éventuelles règles qu'un autre domaine du droit consacre au même objet, dans toute la mesure possible (ATF 126 III 223 consid. 3c et les références citées).

2.1.7 La liberté personnelle et la garantie de la propriété sont ancrées aux art. 10 al. 2 et 26 al. 1 Cst. Elles ne sont toutefois pas absolues. Comme tout droit fondamental, elles peuvent être restreintes aux conditions fixées à l'art. 36 Cst. La restriction doit ainsi reposer sur une base légale (al. 1), être justifiée par un intérêt public (al. 2) et respecter le principe de la proportionnalité (al. 3). Ce principe exige qu'une mesure restrictive soit apte à produire les résultats escomptés (règle de l'aptitude), que ceux-ci ne puissent être atteints par une mesure moins contraignante (règle de la nécessité) et qu'il existe un rapport raisonnable entre le but visé et les intérêts publics ou privés compromis (règle de la proportionnalité au sens étroit; ATF 141 I 20 consid. 6.2.1; 140 I 168 consid. 4.2.1; 135 I 233 consid. 3.1).

2.2 En l'espèce, il y a tout d'abord lieu de déterminer si l'intimée a rendu vraisemblable être titulaire d'une prétention à l'égard des appelants.

Les appelants contestent que le placenta soit une "chose mobilière" et qu'il soit susceptible de faire l'objet de droits réels mais s'abstiennent de le qualifier.

La Cour retiendra, avec le Tribunal, que le placenta expulsé par l'intimée à la naissance de son enfant est un "objet humain", soit une "chose mobilière", puisqu'il s'agit d'une portion délimitée et impersonnelle de l'univers matériel sur lequel la maîtrise humaine est possible. Cette chose mobilière peut faire l'objet de droits réels, en particulier de droits de possession et de propriété, lesquels reviennent à l'intimée puisque le placenta provient de son corps, en application du principe énoncé à l'art. 643 CC.

En tant que propriétaire, l'intimée peut donc disposer librement, dans les limites de la loi, de son placenta (art. 641 al. 1 CC).

Contrairement à ce que font valoir les appelants, les dispositions de la LPE et de ses ordonnances d'application ne leur imposaient pas de confisquer le placenta de l'intimée dès l'expulsion de celui-ci pour le détruire.

En effet, ces dispositions s'appliquent à l'élimination de déchets, à savoir une chose mobilière dont le détenteur s'est défait, selon l'art. 7 al. 6 LPE. Or l'intimée n'a pas fait déréliction de son placenta, puisqu'elle a, au contraire, immédiatement fait savoir au personnel médical qu'elle souhaitait le conserver.

La doctrine précitée confirme sur ce point que le placenta ne devient un déchet médical que s'il n'est pas utilisé à d'autres fins.

Par ailleurs, les appelants ne rendent vraisemblable l'existence d'aucun intérêt public qui commanderait l'élimination du placenta de l'intimée. Le risque abstrait de contamination infectieuse qu'ils invoquent, qui n'est étayé par aucun élément concret et convaincant, est insuffisant à cet égard. Un tel risque ne ressort en particulier pas des textes légaux dont ils se prévalent. En particulier, lesdits textes ne contiennent aucune interdiction de remettre le placenta expulsé lors de l'accouchement à la patiente à laquelle il appartient. Les fiches d'informations cantonales d'application desdits textes relèvent au contraire expressément que l'établissement médical concerné peut autoriser la remise du placenta aux parents.

L'absence de risque pour la santé publique est confirmée par le fait que la pratique des appelants à ce sujet est isolée en Suisse romande et que plusieurs établissements médicaux permettent aux femmes de récupérer leur placenta. Si cette manière de procéder créait un danger concret pour la santé publique, cela aurait vraisemblablement fait l'objet d'une intervention des autorités chargées du maintien de la santé publique, ce qui n'a pas été le cas.

Il résulte de ce qui précède que les appelants détiennent vraisemblablement sans droit le placenta de l'intimée et que celle-ci est autorisée à le revendiquer en application de l'art. 641 al. 2 CC.

L'intimée a dès lors rendu sa prétention vraisemblable.

Le Tribunal a retenu à juste titre que la condition du risque de préjudice difficilement réparable était réalisée. Il ressort de la procédure, notamment du document "Aide à l'exécution relatives à l'élimination des déchets du secteur de la santé", que le placenta congelé peut en principe être conservé jusqu'à six mois dans les établissements sanitaires. Le placenta de l'intimée ayant été congelé le 31 janvier 2025, l'intimée a rendu vraisemblable qu'elle s'exposait, en raison de la durée nécessaire pour rendre une décision définitive sur le fond, très probablement supérieure aux six mois précités, à un préjudice qui ne pourrait pas être entièrement supprimé même si le jugement à intervenir au fond devait lui donner gain de cause. L'urgence à ordonner la restitution du placenta à l'intimée, sur mesures provisionnelles déjà, est en conséquence rendue vraisemblable.

Le fait que la mesure requise constitue une mesure d'exécution anticipée provisoire susceptible d'avoir un effet définitif n'empêche pas de la prononcer. En effet, à l'instar de ce qu'a retenu le Tribunal, la mesure requise, à savoir la restitution du placenta, ne porte pas atteinte aux droits des appelants et encore moins une atteinte particulièrement grave.

En particulier, il n'est pas rendu vraisemblable que les appelants seraient poursuivis pénalement s'ils donnaient suite à une décision de justice prononcée par une autorité judiciaire civile, les condamnant à restituer son placenta à l'intimée.

Contrairement à ce qu'ils font valoir, il n'y a pas non plus lieu d'examiner in casu la question de savoir s'il convient ou non de "permettre à chaque patient ayant fait l'objet d'une amputation d'un membre ou de l'ablation d'organe d'en revendiquer la propriété". Cette question excède de toute évidence l'objet du présent litige.

De son côté, l'intimée, à qui les appelants refusent de restituer son placenta, subit une atteinte à ses droits fondamentaux, notamment à sa liberté personnelle. Cette atteinte ne repose vraisemblablement sur aucune base légale valable, pour les raisons qui viennent d'être exposées.

La pesée des intérêts en présence ne s'oppose par conséquent pas à ce que la restitution du placenta à l'intimée soit ordonnée.

A la lumière des éléments qui précèdent, l'appel est infondé, de sorte que l'ordonnance querellée sera confirmée.

3. 3.1 Les frais judiciaires d'appel seront arrêtés à 1'000 fr. (art. 26 et 37 RTFMC), mis à la charge des appelants, qui succombent intégralement (art. 106 al. 1 CPC), et compensés avec l'avance effectuée par leurs soins, qui reste acquise à l'État de Genève (art. 111 al. 1 CPC).

3.2 Les appelants seront en outre condamnés à verser à l'intimée 2'000 fr. à titre de dépens d'appel, débours et TVA compris (art. 111 al. 2 CPC; art. 84, 86, 88 et 90 RTFMC; art. 25 et 26 LaCC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté le 4 avril 2025 par les HOPITAUX UNIVERSITAIRES DE GENEVE contre l'ordonnance OTPI/193/2025 rendue le 21 mars 2025 par le Tribunal de première instance dans la cause C/2047/2025-SP.

Au fond :

Confirme l'ordonnance entreprise.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires d'appel à 1'000 fr., les met à la charge des HOPITAUX UNIVERSITAIRES DE GENEVE et les compense avec l'avance versée, qui reste acquise à l'État de Genève.

Condamne les HOPITAUX UNIVERSITAIRES DE GENEVE à verser 2'000 fr. à A______ à titre de dépens d'appel.

Siégeant :

Monsieur Laurent RIEBEN, président; Madame Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, Madame Nathalie RAPP, juges; Madame Marie-Pierre GROSJEAN, greffière.

Le président :

Laurent RIEBEN

 

La greffière :

Marie-Pierre GROSJEAN

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.