Décisions | Sommaires
ACJC/771/2025 du 10.06.2025 sur JTPI/2889/2025 ( SML ) , RENVOYE
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||
POUVOIR JUDICIAIRE C/22865/2024 ACJC/771/2025 ARRÊT DE LA COUR DE JUSTICE Chambre civile DU MARDI 10 JUIN 2025 |
Entre
Madame A______, domiciliée ______, recourante contre un jugement rendu par la 25ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 20 février 2025, représentée par Me Thomas BÜCHLI, avocat, WLM Avocats, place Edouard-Claparède 5, case postale 292, 1211 Genève 12,
et
Monsieur B______, domicilié ______, intimé, représenté par Me Camille LOPRENO, avocate, OA Legal SA, place de Longemalle 1, 1204 Genève.
A. Par jugement JTPI/2889/2025 du 20 février 2025, le Tribunal de première instance, faisant application de l'art. 253 CPC et considérant que le for de la poursuite n'était plus à Genève et que partant il n'était pas compétent à raison du lieu, a rejeté la requête de mainlevée formée par A______ (ch. 1), arrêté les frais judiciaires à 500 fr., compensés avec l'avance opérée, laissés à la charge de la précitée (ch. 3).
B. Par acte du 7 mars 2025 à la Cour de justice, A______ a formé recours contre ce jugement. Elle a conclu à l'annulation de celui-ci, cela fait au renvoi de la cause au Tribunal pour admission de sa compétence et continuation de la procédure.
Elle a produit des pièces nouvelles, à savoir une correspondance échangée entre son conseil et l'Office cantonal de la population et des migrations (ci-après : OCPM) à compter du 16 janvier 2025, ainsi qu'un courrier de l'OCPM du 24 février 2025 se référant à la demande de renseignement qui lui avait été soumise le 16 janvier 2025, dont résulte que B______ a annoncé son départ de Genève au 31 octobre 2024.
B______ a conclu au rejet du recours. Il a allégué que A______ avait eu "très rapidement" connaissance de son changement de domicile, dûment annoncé à l'autorité compétente, puisque leurs enfants avaient passé un week-end sur deux chez leur père (pour la première fois les 9-10 novembre 2024), ainsi que la moitié des vacances scolaires.
Aux termes de leurs brèves réplique et duplique, les parties ont persisté dans leurs conclusions respectives.
Par avis du 22 avril 2025, elles ont été informées de ce que la cause était gardée à juger.
C. Il résulte de la procédure de première instance les faits pertinents suivants:
a. Le 3 octobre 2024, A______ a saisi le Tribunal d'une requête de mainlevée provisoire de l'opposition formée au commandement de payer poursuite, n° 1______, sous suite de frais et dépens, dirigée contre B______, domicilié à Genève.
Elle a allégué qu'elle était au bénéfice d'une décision de divorce, exécutoire, rendue le 25 mars 2016 par le Tribunal de première instance (Kantonsgericht) du canton de Zoug, dont résultait notamment des contributions d'entretien mensuelles à charge de B______, en faveur de leurs enfants D______ (né le ______ 2009) et E______ (né le ______ 2012) ainsi qu'en sa propre faveur. Elle en a produit un tirage, accompagné des diverses autres pièces. Elle a également déposé le commandement de payer susmentionné, établi le 31 mai 2024 par l'Office cantonal des poursuites, portant sur 81'396 fr. 80 plus intérêts moratoires à 5% l'an dès le 21 mai 2024, frappé d'opposition.
b. Le pli comportant la requête et les pièces susvisées, envoyé par le Tribunal à B______ à l'adresse genevoise indiquée par A______ a été retourné au greffe, avec la mention postale "destinataire introuvable".
Par courrier du 17 décembre 2024, le Tribunal a imparti à A______ un délai pour lui communiquer la nouvelle adresse de B______, ajoutant ce qui suit: "ou à défaut, la preuve attestant des démarches […] entreprises en vain pour obtenir ces renseignements. Si, en dépit de recherches raisonnables, l'adresse demeure introuvable, nous vous informons que nous procéderons à vos frais, à une notification par voie édictale".
Par courrier du 16 janvier 2025, A______ a requis une prolongation du délai imparti, précisant qu'elle était en train de procéder à des recherches, dont le résultat n'était pas encore "disponible".
Le dossier du Tribunal ne comporte pas d'élément permettant d'établir s'il a été accédé à cette demande.
Le 30 janvier 2025, A______ a communiqué au Tribunal une nouvelle adresse de B______ à C______ (ZG), sans autre détail.
Sur quoi, le Tribunal a rendu le jugement attaqué.
1. 1.1 La présente procédure de recours est régie par le CPC dans sa version révisée, entrée en vigueur le 1er janvier 2025, dès lors que le jugement attaqué a été communiqué aux parties après cette date (art. 405 al. 1 CPC).
1.2 Seule la voie du recours est ouverte en matière de mainlevée d'opposition (art. 319 let. a et 309 let. b ch. 3 CPC). La procédure sommaire s'applique (art. 251 let. a CPC).
Aux termes de l'art. 321 al. 1 et 2 CPC, le recours, écrit et motivé, doit être introduit auprès de l'instance de recours dans les dix jours à compter de la notification de la décision motivée, pour les décisions prises en procédure sommaire.
En l'espèce, le recours a été formé dans le délai et selon la forme prescrits par la loi, de sorte qu'il est recevable.
1.3 Le recours peut être formé pour violation du droit (art. 320 al. 1 CPC) et constatation manifestement inexacte des faits (art. 320 al. 2 CPC).
La Cour ne revoit la cause que dans la limite des griefs suffisamment motivés qui sont formulés (arrêt du Tribunal fédéral 4A_462/2022 du 6 mars 2023 consid. 5.1.1 et les arrêts cités). Les parties doivent formuler leurs griefs de façon complète dans le délai de recours ou de réponse au recours; l'exercice d'un droit de réplique ne peut servir à compléter une critique insuffisante ou à formuler de nouveaux griefs (ATF 142 III 413 consid. 2.2.4 in fine et les arrêts cités).
1.4 Le recours étant instruit en procédure sommaire, la preuve des faits allégués doit être apportée par titres (art. 254 CPC; cf. infra consid. 2.1.1) et les maximes des débats et de disposition sont applicables (art. 55 al. 1, 58 al. 1 et 255 let. a a contrario CPC).
1.5 Les conclusions, les allégations de faits et les preuves nouvelles sont irrecevables devant l'autorité de recours (art. 326 al. 1 CPC).
La recourante produit des titres nouveaux.
L'intimé, qui n'a pas participé à la procédure de première instance, soumet des allégués nouveaux, des pièces et des conclusions nouvelles.
Rien de cela n'est recevable.
2. La recourante fait grief au premier juge d'avoir violé son droit d'être entendue, d'avoir commis un déni de justice, et d'avoir contrevenu aux art. 46 et 53 LP, ainsi que 251 et 253 CPC.
2.1 Le for de la poursuite est au domicile du débiteur (art. 46 al. 1 LP).
Si le débiteur change de domicile après l’avis de saisie, après la commination de faillite ou après la notification du commandement de payer pour effets de change, la poursuite se continue au même domicile (art. 53 LP).
A contrario, avant cet acte, le for ordinaire de poursuite suit le débiteur à chaque nouveau domicile, de sorte que la poursuite requise à l'ancien domicile doit être continuée au nouveau domicile (ATF 136 III 373 consid. 2.1; 134 III 417 consid. 4).
2.2 Le juge du for de la poursuite statue sur les requête en mainlevée (art. 84 al. 1 LP).
Lorsque le débiteur a transféré son domicile entre la notification du commandement de payer et le dépôt de la requête de mainlevée et que le créancier en a eu une connaissance certaine, la demande de mainlevée doit s'adresser au tribunal du nouveau domicile du débiteur (art. 53 LP a contrario), lequel ne peut pas décliner sa compétence à raison du lieu en se référant à l'ancien for de la poursuite. La procédure de mainlevée peut en revanche valablement se dérouler à l'ancien domicile du poursuivi si celui-ci n'a pas communiqué son changement de domicile au créancier, si celui-ci n'en a pas eu connaissance par un autre biais ou si le débiteur n'a pas soulevé l'exception d'incompétence dans la procédure de mainlevée (ABBET, La mainlevée de l'opposition, 2ème éd., 2022, ad art. 84 n. 10).
2.3 Selon l'art. 253 CPC, lorsque la requête ne paraît pas manifestement irrecevable ou infondée, le tribunal donne à la partie adverse l'occasion de se déterminer oralement ou par écrit.
2.4 En l'occurrence, il est établi que le commandement de payer a été notifié et reçu au domicile genevois de l'intimé, et que la présente procédure a été initiée le 4 octobre 2024.
Rien n'indique que la recourante aurait connu le départ du canton de l'intimé (daté, selon des pièces qui ne sont pas recevables, de fin octobre 2024) avant de recevoir le courrier du Tribunal du 17 décembre 2024; le fait qu'elle ait requis un délai aux fins de procéder aux recherches qui lui étaient demandées tend d'ailleurs à accréditer son ignorance.
Au vu du dossier de première instance, le Tribunal ne disposait pas des éléments lui permettant de retenir que l'intimé n'aurait pas été domicilié à Genève au moment de sa saisine, respectivement de déterminer quand le transfert de domicile s'était produit, quelle en était la connaissance de la recourante et quelle serait la position de l'intimé dans la procédure. Il lui appartenait d'entendre les parties sur ces questions avant de statuer, les conditions de l'art. 253 CPC n'étant pas réalisées. Faute de l'avoir fait, il a violé le droit d'être entendues des parties. Au demeurant, vu le motif d'incompétence retenu, c'est une décision d'irrecevabilité et non de rejet qui aurait dû être rendue.
Le recours est ainsi fondé. Le jugement sera dès lors annulé.
La cause sera renvoyée au Tribunal (art. 327al. 3 let. a CPC) pour qu'il procède dans le sens qui précède, puis rende une nouvelle décision.
3. Les frais du recours, arrêtés à 750 fr. (art. 48, 61 OELP) seront laissés à la charge de l'Etat (art. 107 al. 2 CPC). L'avance versée sera restituée à la recourante.
Il ne sera pas alloué de dépens de recours.
* * * * *
La Chambre civile :
A la forme :
Déclare recevable le recours formé le 7 mars 2025 par A______ contre le jugement JTPI/2889/2025 rendu le 20 février 2025 par le Tribunal de première instance dans la cause C/22865/2024–25 SML.
Au fond :
Annule ce jugement.
Renvoie la cause au Tribunal de première instance pour nouvelle décision.
Déboute les parties de toute autre conclusion de recours.
Sur les frais :
Arrête les frais du recours à 750 fr. et les met à la charge de l'Etat de Genève.
Invite les Services financiers du Pouvoir judiciaire à restituer à A______ son avance de 750 fr.
Dit qu'il n'est pas accordé de dépens de recours.
Siégeant :
Madame Nathalie LANDRY-BARTHE, présidente; Madame Sylvie DROIN, Monsieur Ivo BUETTI, juges; Madame Mélanie DE RESENDE PEREIRA, greffière.
La présidente : Nathalie LANDRY-BARTHE |
| La greffière : Mélanie DE RESENDE PEREIRA |
Indication des voies de recours :
Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.
Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.