Décisions | Sommaires
ACJC/325/2025 du 07.03.2025 sur OTPI/591/2024 ( SP ) , CONFIRME
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||
POUVOIR JUDICIAIRE C/14707/2024 ACJC/325/2025 ARRÊT DE LA COUR DE JUSTICE Chambre civile DU VENDREDI 7 MARS 2025 |
Entre
A______/B______ SA, sise ______, appelante d'une ordonnance rendue par la 12ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 20 septembre 2024, représentée par Me Daniel TUNIK, avocat, LENZ & STAEHELIN, route de Chêne 30, case postale 615, 1211 Genève 6,
et
SOCIETE COOPERATIVE C______, sise c/o Me D______, ______, intimée, représentée par Me Pierre DUCRET, avocat, CMS VON ERLACH PARTNERS SA, esplanade de Pont-Rouge 9, case postale 1875, 1211 Genève 26.
A. Par ordonnance OTPI/591/2024 du 20 septembre 2024, reçue par les parties le 24 septembre 2024, le Tribunal de première instance, statuant sur mesures provisionnelles, a ordonné au Registre du commerce de Genève de surseoir à l'inscription de toute réquisition tendant à la radiation de E______ et du Dr F______ en qualité d'administrateurs de A______/B______ SA, fondée sur l'extrait de l'assemblée générale de celle-ci du 24 juin 2024 (chiffre 1 du dispositif), ainsi qu'à l'inscription de G______ en qualité d'administrateur de la précitée (ch. 2), ordonné audit Registre de procéder à la radiation du Dr H______ en qualité d'administrateur de A______/B______ SA (ch. 3) et dit que la présente ordonnance déploierait ses effets jusqu'à droit jugé ou accord entre les parties (ch. 4).
Le Tribunal a arrêté les frais judiciaires à 2'500 fr., mis à charge de A______/B______ SA à raison de deux tiers et à charge de SOCIETE COOPERATIVE C______ à raison d'un tiers, et compensés avec l'avance fournie par celle-ci (ch. 5), condamné A______/B______ SA à verser 1'666 fr. à SOCIETE COOPERATIVE C______ à titre de restitution de ladite avance (ch. 6), ainsi que 2'500 fr. à titre de dépens (ch. 7), et rejeté la requête pour le surplus (ch. 8).
B. a. Par acte expédié le 4 octobre 2024 au greffe de la Cour de justice, A______/B______ SA a formé appel contre cette ordonnance, sollicitant l'annulation des chiffres 1, 5, 6 et 7 de son dispositif. Cela fait, elle a conclu au déboutement de SOCIETE COOPERATIVE C______ des fins de sa requête de mesures provisionnelles formée le 27 juin 2024, sous suite de frais judiciaires et dépens de première et seconde instances.
b. SOCIETE COOPERATIVE C______ a conclu au rejet de cet appel, sous suite de frais judiciaires et dépens de première et seconde instances.
c. Par avis du greffe de la Cour du 20 novembre 2024, les parties ont été informées de ce que la cause était gardée à juger.
C. Les faits pertinents suivants résultent du dossier:
a. SOCIETE COOPERATIVE C______ (ci-après: C______), auparavant SOCIETE COOPERATIVE I______, a pour but de promouvoir et de favoriser des soins médicaux de qualité, dans l'intérêt de la santé publique et de ses membres, notamment de collaborer à la bonne marche des établissements médicaux qu'elle détient par le biais de sa participation au capital social de A______/B______ SA.
b. A______/B______ SA a pour but la participation à des entreprises industrielles, commerciales, immobilières et financières, notamment dans le domaine des soins hospitaliers et dans d'autres domaines d'activités médicales et paramédicales.
Son capital-actions est composé de 7'500 actions, soit 5'800 actions A d'une valeur de 50 fr. chacune et 1'700 actions B d'une valeur de 1'300 fr. chacune.
c. C______ détient 454 actions A et la totalité des 1'700 actions B de A______/B______ SA, soit 2'154 actions sur 7'500.
d. La société suisse J______ SA détient 5'213 actions A de A______/B______ SA.
Elle a acquis cette participation de sa filiale, K______ SA, en avril 2021.
e. Les statuts de A______/B______ SA prévoient que les actionnaires exercent leur droit de vote proportionnellement au nombre d'actions qui leur appartiennent, chaque action donnant droit à une voix.
A teneur de l'art. 20 1er paragraphe desdits statuts, le conseil d'administration est composé de neuf à douze membres, pris parmi les actionnaires et nommés par l'assemblée générale. Le conseil d'administration doit comporter au moins deux médecins ou chirurgiens.
Selon l'art. 20 2ème paragraphe, dans sa version adoptée le 29 juin 2023 par l'assemblée générale de A______/B______ SA, le groupe formé des actionnaires titulaires des actions B a droit à quatre représentants au sein du conseil d'administration. L'assemblée des actionnaires de ce groupe choisit ses représentants que l'assemblée générale ne peut refuser d'élire sans justes motifs valables dans l'intérêt de la société.
Cet article, dont la précédente teneur ne faisait pas mention des termes "dans l'intérêt de la société", fait actuellement l'objet d'une action en annulation déposée par C______ à la suite de l'assemblée générale du 29 juin 2023. Cette procédure a été enregistrée sous n° C/1______/2023.
f. Le 13 mai 2019, l'assemblée générale de A______/B______ SA a refusé d'élire au conseil d'administration la Dresse L______, Me D______ et E______, dont l'élection avait été proposée par C______.
Seul le Dr M______, précédemment élu le 17 avril 2018, a continué à siéger au conseil d'administration, en tant que représentant de C______.
Sur requête de C______, le Tribunal a, par jugement du 29 juin 2022, confirmé par arrêt de la Cour du 16 mai 2023, annulé cette décision, au motif qu'il n'existait pas de justes motifs permettant de refuser l'élection des précités. Cette procédure a été enregistrée sous n° C/2______/2018.
g. Le 18 juin 2020, l'assemblée générale de A______/B______ SA a adopté la proposition visant à la modification de l'art. 20 2ème paragraphe des statuts, en ce sens que le nombre de représentants de C______ au conseil d'administration soit réduit à un membre.
Sur requête de C______, le Tribunal a, par jugement du 14 décembre 2021, confirmé par arrêt de la Cour du 23 août 2022, puis par arrêt du Tribunal fédéral du 13 juillet 2023, annulé cette décision, au motif qu'elle était constitutive d'un abus de droit. Cette procédure a été enregistrée sous n° C/3______/2020.
h. En avril 2021, le conseil d'administration de A______/B______ SA a décidé d'approuver l'échange d'actions détenues par celle-ci dans A______/N______ SA contre des actions de K______ SA.
Sur requête de C______, le Tribunal a ordonné au conseil d'administration de A______/B______ SA de convoquer une assemblée générale ayant pour ordre du jour la nomination d'un expert, afin d'enquêter sur les démarches entreprises en lien avec l'échange d'actions susvisé.
i. Lors de l'assemblée générale du 25 juin 2021, sur proposition de C______, Me O______ a été élu au conseil d'administration en remplacement du Dr M______.
j. Lors de l'assemblée générale du 29 juin 2023, la réélection de Me O______ et l'élection de Me D______, proposée par C______, ont été refusées.
E______ et le Dr F______, dont l'élection avait été proposée par C______, ont été élus.
L'action en annulation, enregistrée sous n° de cause C/1______/2023 (cf. consid. e supra), porte également sur la décision susvisée de ne pas réélire Me O______, respectivement de ne pas élire Me D______.
k. Le 4 juin 2024, C______ a reçu la convocation pour l'assemblée générale de A______/B______ SA du 24 juin 2024.
L'ordre du jour prévoyait, au point n° 4, la réélection de dix des onze membres du conseil d'administration, dont les deux représentants de C______, soit E______ et le Dr F______.
Le Dr H______ ne souhaitant pas renouveler son mandat, il était proposé d'élire G______, CEO de J______ SA.
l. Par courrier du 18 juin 2024, C______ a sollicité la réélection de E______ et du Dr F______, ainsi que l'élection de Me O______ et de Me D______, au conseil d'administration de A______/B______ SA.
m. Lors de l'assemblée générale du 24 juin 2024, sur 7'500 actions, 7'367 étaient représentées par deux actionnaires, soit J______ SA (5'213 actions) et C______ (2'154 actions).
Par 5'213 voix contre 2'154, E______ et le Dr F______ n'ont pas été réélus au conseil d'administration de A______/B______ SA.
Par 5'213 voix contre 2'154, Me O______ et Me D______ n'ont pas été élus.
Par 5'213 voix contre 2'154, G______ a été élu.
Les huit autres membres du conseil d'administration, dont les noms figuraient à l'ordre du jour et représentant J______ SA, ont été réélus.
D. a. Par acte du 27 juin 2024, C______ a formé une requête de mesures superprovisionnelles et provisionnelles à l'encontre de A______/B______ SA.
Sur mesures superprovisionnelles, elle a conclu à ce qu'il soit ordonné au Registre du commerce de surseoir à l'inscription de toute réquisition tendant à la modification de l'extrait de A______/B______ SA, fondée sur les décisions de l'assemblée générale du 24 juin 2024, jusqu'à droit jugé sur mesures provisionnelles, à l'exception de la radiation du Dr H______.
Sur mesures provisionnelles, elle a conclu à ce qu'il soit ordonné au Registre du commerce de surseoir à l'inscription de toute réquisition tendant à la radiation de E______ et du Dr F______, en tant qu'administrateurs de A______/B______ SA, de procéder à l'inscription de Me O______ et de Me D______, en tant qu'administrateurs de la précitée, de procéder à la radiation du Dr H______, de surseoir à l'inscription de toute réquisition tendant à l'inscription de G______ en tant qu'administrateur de A______/B______ SA, à ce que le Tribunal dise que les mesures ordonnées seraient immédiatement exécutoires et demeureraient en vigueur jusqu'à ce qu'une action en annulation des décisions de l'assemblée générale du 24 juin 2024 soit introduite et qu'une décision définitive et exécutoire soit rendue, et à ce qu'il lui soit fixé un délai de deux mois pour déposer une action au fond.
Elle a allégué que J______ SA abusait de sa position d'actionnaire majoritaire et refusait, sans droit, l'élection des administrateurs qu'elle proposait. Les décisions votées lors de l'assemblée générale du 24 juin 2024 violaient ses droits, notamment l'art. 20 2ème paragraphe des statuts de A______/B______ SA. De plus, en votant pour l'élection de G______, J______ SA cherchait à faire élire neuf représentants au conseil d'administration, alors que les statuts ne lui permettaient d'en faire élire que huit. Elle s'exposait à un préjudice difficilement réparable, dès lors qu'elle ne serait plus représentée au conseil d'administration. Or, cet organe - déjà composé en violation de ses droits - avait notamment accepté l'échange d'actions de A______/N______ SA contre celles de K______ SA, sur la base d'informations incomplètes et malgré un conflit d'intérêt évident. Si ses droits avaient été respectés, une telle transaction ne se serait pas déroulée de cette manière. En outre, J______ SA rencontrait des difficultés financières et pouvait être amenée à disposer des actifs de A______/B______ SA.
b. Par ordonnance du 27 juin 2024, le Tribunal a fait droit à la requête tendant au prononcé de mesures superprovisionnelles.
c. Dans sa réponse, A______/B______ SA a conclu au rejet de la requête de mesures provisionnelles.
Elle a fait valoir que les mesures requises ne pouvaient pas être prononcées, celles-ci ayant pour conséquence de statuer sur la composition du conseil d'administration de A______/B______ SA, soit une prérogative essentielle et intransmissible de l'assemblée générale (art. 698 al. 2 ch. 2 CO). Par ailleurs, les mandats d'administrateur de E______ et du Dr F______ avaient pris fin, dès lors qu'ils n'avaient pas été réélus. En outre, C______ ne subissait pas de préjudice difficilement réparable et J______ SA ne rencontrait aucune difficulté financière.
d. Dans sa réplique spontanée, C______ a persisté dans ses conclusions.
e. Lors de l'audience du 19 août 2024, les parties ont plaidé et persisté dans leurs conclusions, sur quoi le Tribunal a gardé la cause à juger.
E. Dans la décision entreprise, le Tribunal a retenu que l'atteinte au droit de C______ à être représentée au conseil d'administration de A______/B______ SA, ainsi que l'existence d'une prétention en annulation de la décision prise par l'assemblée générale le 24 juin 2024 de ne pas réélire, sans motif, ses deux représentants, étaient rendues suffisamment vraisemblables. Il en allait de même de l'existence d'un préjudice difficilement réparable du fait qu'en l'absence de représentants de C______ au conseil d'administration, l'actionnaire majoritaire contrôlerait plus aisément les décisions prises par cet organe. Enfin, A______/B______ SA étant susceptible de requérir la radiation des administrateurs concernés, il y avait urgence à statuer.
Les conditions d'octroi de mesures provisionnelles étant réalisées, il se justifiait de maintenir le statu quo et d'ordonner au Registre du commerce de surseoir à l'inscription de la radiation de E______ et du Dr F______. En effet, la jurisprudence, notamment l'arrêt ATF 148 III 69 invoqué par A______/B______ SA, n'empêchait pas le juge des mesures provisionnelles de prononcer le blocage temporaire audit registre.
F. Il ressort encore de la procédure le fait pertinent suivant :
a. Par acte du 11 novembre 2024, C______ a formé une requête à l'encontre de A______/B______ SA tendant à l'annulation des décisions prises lors de l'assemblée générale du 24 juin 2024, assortie de mesures superprovisionnelles et provisionnelles. Cette procédure a été enregistrée sous le n° C/4______/2024.
1. 1.1 L'ordonnance querellée constitue une décision sur mesures provisionnelles (art. 308 al. 1 let. b CPC) susceptible de faire l'objet d'un appel pour autant que la valeur litigieuse, au dernier état des conclusions prises devant l'autorité de première instance, atteigne 10'000 fr. (art. 308 al. 2 CO).
L'action en annulation d'une décision de l'assemblée générale est de nature pécuniaire (ATF 133 III 368 consid. 1.3.2; arrêt du Tribunal fédéral 4A_404/2011 du 7 novembre 2011 consid. 1.1). La valeur litigieuse est déterminée de façon concrète d'après les objets des décisions de l'assemblée générale dont l'annulation est requise. Le Tribunal fédéral a notamment retenu que l'intérêt d'une société à la nomination de son administrateur unique ne saurait être inférieur à la valeur de son capital-actions (arrêt du Tribunal fédéral 4P.344/2006 du 27 février 2007 consid. 5.2, in RSPC 2007 p. 399; 4C.47/2006 du 30 mai 2006 consid. 1.2).
En l'espèce, le capital-actions de l'appelante étant supérieur à 10'000 fr., la voie de l'appel est ouverte.
1.2 L'appel a été formé dans le délai utile de 10 jours (art. 142 al. 3, 248 let. d et 314 al. 1 CPC) et respecte les exigences de forme prescrites par la loi (art. 130, 131 et 311 CPC), de sorte qu'il est recevable.
2. La Cour revoit le fond du litige avec un plein pouvoir d'examen (art. 310 CPC) et applique le droit d'office (art. 57 CPC), dans la limite des griefs suffisamment motivés qui sont formulés (cf. art. 311 al. 1 CPC).
Dans le cadre de mesures provisionnelles, instruites selon la procédure sommaire (art. 248 let. d CPC), la cognition du juge est circonscrite à la vraisemblance des faits allégués, ainsi qu'à un examen sommaire du droit (ATF 131 III 473 consid. 2.3; 127 III 474 consid. 2b/bb; arrêt du Tribunal fédéral 5A_442/2013 du 24 juillet 2013 consid. 2.1 et 5).
3. L'appelante fait grief au Tribunal d'avoir ordonné au Registre du commerce de surseoir à l'inscription de la radiation de E______ et du Dr F______ en qualité d'administrateurs. Elle fait valoir que l'intimée n'aurait pas rendu vraisemblable l'existence d'un préjudice difficilement réparable et que cette mesure consacrerait une atteinte au droit inaliénable de l'assemblée générale de choisir les membres du conseil d'administration.
3.1.1 A teneur de l'art. 261 al. 1 CPC, le juge ordonne les mesures provisionnelles nécessaires lorsque le requérant rend vraisemblable qu'une prétention dont il est titulaire est l'objet d'une atteinte ou risque de l'être (let. a) et que cette atteinte risque de lui causer un préjudice difficilement réparable (let. b). Ces conditions sont cumulatives (Bohnet, Commentaire romand CPC, 2019, n° 3 ad art. 261 CPC).
Le tribunal peut ordonner toute mesure provisionnelle propre à prévenir ou à faire cesser le préjudice, ce qui inclut la possibilité de donner un ordre à une autorité qui tient un registre (art. 262 let. c CPC).
Les mesures provisionnelles servent à accorder à une partie une protection provisoire, jusqu'à ce qu'un jugement définitif soit prononcé ou puisse l'être. Toutefois, elles ne peuvent pas préjuger d'un procès déjà pendant ou à venir dans la cause principale (arrêt du Tribunal fédéral 5A_687/2015 du 20 janvier 2016 consid. 4.3).
L'octroi de mesures provisionnelles suppose notamment l'existence d'un préjudice difficilement réparable, qui peut être de nature patrimoniale ou immatérielle (Message relatif au CPC, FF 2006 p. 6961; Bohnet, op. cit., n° 11 ad art. 261 CPC; Huber, Kommentar zur Schweizerischen Zivilprozessordnung, 2016, n° 20 ad art. 261 CPC). Le requérant doit rendre vraisemblable qu'il s'expose, en raison de la durée nécessaire pour rendre une décision définitive, à un préjudice qui ne pourrait pas être entièrement supprimé même si le jugement à intervenir devait lui donner gain de cause. En d'autres termes, il s'agit d'éviter d'être mis devant un fait accompli dont le jugement ne pourrait pas complètement supprimer les effets. Est difficilement réparable le préjudice qui sera plus tard impossible ou difficile à mesurer ou à compenser entièrement (arrêt du Tribunal fédéral 4A_611/2011 du 3 janvier 2012 consid. 4.1).
En matière de blocage du registre, le préjudice difficilement réparable découle de l'inscription dans le registre du commerce. En règle générale, il existe un tel préjudice lorsqu'il s'agit d'une inscription avec effet constitutif. Les inscriptions avec effet déclaratif peuvent également y conduire (Fontanet/Jeandin, Le blocage du registre du commerce et sa validation, in : Notalex 2016, p. 59 et les références citées). A cet égard, les actes effectués par des organes non valablement élus peuvent avoir des conséquences autres que purement patrimoniales (Hari/Haenni, Quelques procédures particulières du droit de la société anonyme, in La personne morale et l'entreprise en procédure, 2014, p. 103 ss, et p. 124).
3.1.2 Aux termes de l'art. 709 al. 1 CO, s'il y a plusieurs catégories d'actions en ce qui concerne le droit de vote ou les droits patrimoniaux, les statuts assurent à chacune d'elles l'élection d'un représentant au moins au conseil d'administration. Les statuts peuvent prévoir des dispositions particulières pour protéger les minorités ou certains groupes d'actionnaires (al. 2).
Un groupe d'actionnaires, dont la condition juridique est différente de celles des autres groupes, a le droit d'être représenté au conseil d'administration, quelle que soit son importance. Ce droit est de nature impérative et une société ne peut pas le rendre illusoire par une disposition statutaire. Les groupes d'actionnaires ont le droit de proposer eux-mêmes leur représentant au conseil d'administration. Ce droit s'impose à l'assemblée générale, qui ne peut refuser de nommer la personne présentée que s'il existe de justes motifs de refus (ATF 66 II 43 consid. 6).
Si le représentant désigné par la catégorie d'actionnaires concernée n'est pas élu (sans juste motif), ou si un représentant autre que celui qui est proposé est élu, la décision de l'assemblée générale est annulable (Peter/Birchler, Commentaire romand CO II, 2024, n° 12 ad art. 709 CO).
En effet, selon l'art. 706 al. 1 CO, le conseil d'administration et chaque actionnaire peuvent attaquer en justice les décisions de l'assemblée générale qui violent la loi ou les statuts; l'action est dirigée contre la société.
Si l'action aboutit à l'annulation de la décision, le jugement est un jugement formateur résolutoire, entraînant l'annulation rétroactive de la décision de l'assemblée générale contestée. La décision a donc en principe un effet ex tunc (Peter/Birchler, op. cit., n° 45 ad art. 706 CO).
Il a été longtemps considéré que le juge pouvait déclarer l'annulation totale ou partielle des décisions de l'assemblée générale (effet cassatoire), mais qu'il ne pouvait en revanche pas se substituer à l'assemblée générale, ni condamner cette dernière à prendre une décision déterminée. Cette opinion du Tribunal fédéral a été contestée par la doctrine. Le Tribunal fédéral a récemment nuancé son opinion et affirmé que "l'action en constatation de décision positive en tant qu'action formatrice est recevable lorsqu'il est établi sans aucun doute qu'en raison de la prise en compte des votes illicites, une proposition de décision a été considérée comme refusée alors que, selon les rapports de vote réels, elle aurait dû être inscrite au procès-verbal comme acceptée" (Peter/Birchler, op. cit., n° 45b ad art. 706 CO et la référence: ATF 147 III 561 consi. 6.2, in JdT 2022 II 390). L'objectif de cette action positive en constatation de décision est donc de substituer une décision conforme au droit à celle qui a été prise illégalement. Ainsi, il ne s'agit pas d'une action en constatation de droit, mais d'une action formatrice tendant à l'établissement d'un résultat conforme au droit de la décision, à la modification du contenu de la décision, et, ainsi, à la régularisation judiciaire de la situation juridique de la société (ATF 147 III 561 consi. 6.2).
3.1.3 L'assemblée générale des actionnaires est le pouvoir suprême de la société. Elle a notamment le droit intransmissible de nommer les membres du conseil d'administration et de l'organe de révision (art. 698 al. 2 ch. 2 CO).
Jurisprudence et doctrine retiennent qu'une réélection tacite d'un administrateur à la fin de son mandat n'est pas admissible. Il n'est pas non plus admissible de considérer qu'en cas de situation de "pat" à l'assemblée générale (cas où il est impossible de dégager une majorité), les administrateurs en place conservent leurs fonctions. A cet égard, le Tribunal fédéral a, dans son arrêt ATF 148 III 69, déclaré nulles les clauses statutaires qui (i) prévoyaient la reconduction automatique d'un mandat d'administrateur lorsque l'assemblée générale n'était pas tenue, car la désignation des membres du conseil d'administration constituait un droit inaliénable de l'assemblée générale, ou (ii) prévoyaient la reconduction automatique d'un mandat d'administrateur dans le cas où l'assemblée générale s'était réunie, mais que celle-ci avait refusé de réélire les administrateurs candidats à leur propre succession, car il fallait considérer que, dans cette hypothèse, l'assemblée s'était prononcée en refusant de nommer les candidats concernés (ATF 148 III 69 consid. 3.3; Peter/Birchler, op. cit., n° 23a ad art. 698 CO).
Le Tribunal fédéral a souligné que la compétence inaliénable de l'assemblée générale serait contournée si le conseil d'administration pouvait prolonger son mandat en ne convoquant pas l'assemblée générale. Cela serait d'autant plus choquant dans le cas où l'élection n'était pas simplement oubliée, mais empêchée dans le but de conserver le mandat. Dans son arrêt ATF 140 III 349, le Tribunal fédéral a accordé une grande importance à la prise en compte de la volonté exprimée par l'assemblée générale en mettant fin au mandat si l'élection n'a pas eu lieu en raison d'une situation de blocage. Dans le même sens, il faut exiger que l'assemblée générale puisse exercer son droit de nomination en exprimant explicitement sa volonté, et donc que la poursuite du mandat d'administrateur ne s'applique qu'en cas d'expression positive de sa volonté (ATF 148 III 69 consid. 3.3).
3.2.1 En l'espèce, conformément à l'ordre du jour reçu par l'intimée le 4 juin 2024 et à ses prérogatives, l'assemblée générale de l'appelante a, lors de sa séance du 24 juin 2024, procédé à la réélection de plusieurs membres du conseil d'administration.
Elle a toutefois décidé de ne nommer aucun représentant de l'intimée, ce qui semble contraire à l'art. 709 CO, qui est de nature impérative, ainsi qu'à l'art. 20 2ème paragraphe de ses statuts. En effet, à teneur de ces disposition, l'intimée, actionnaire minoritaire détentrice notamment de l'entier des actions B, a droit à un représentant, au moins, respectivement quatre, au sein du conseil d'administration de l'appelante.
Comme retenu par le premier juge, les droits de l'intimée semblent ainsi faire l'objet d'une atteinte, ce que l'appelante ne remet pas en cause.
L'appelante soutient, en revanche, que l'intimée ne subirait aucun préjudice difficilement réparable, celle-ci n'ayant pas rendu vraisemblable que le conseil d'administration, tel qu'élu le 24 juin 2024, aurait l'intention de prendre des décisions contraires à ses intérêts ou à ceux de la société.
Cela étant, le seul fait que l'intimée ne bénéficierait plus d'aucun représentant au conseil d'administration, jusqu'à droit jugé dans l'action au fond initiée le 24 novembre 2024, suffit, sous l'angle de la vraisemblance, à retenir l'existence d'un préjudice difficilement réparable. En effet, durant cette période, l'intimée ne pourrait plus intervenir dans le processus décisionnel de la société, ni exercer ses droits, notamment requérir la convocation immédiate du conseil d'administration (art. 715 CO) ou encore obtenir des renseignements sur la société (art. 715a CO), ce qui ne pourrait pas être supprimé, même si elle obtenait gain de cause dans la procédure au fond.
En tout état, il est suffisamment rendu vraisemblable que le conseil d'administration, qui serait exclusivement composé de représentants de l'actionnaire majoritaire de l'appelante, ne serait pas enclin à sauvegarder les intérêts de l'intimée. En effet, à deux reprises déjà, l'actionnaire majoritaire a refusé, sans droit, d'élire les représentants proposés par l'intimée au conseil d'administration, ce qui a donné lieu aux procédures n° C/2______/2018 et C/1______/2023. Il a également modifié, de manière abusive, les statuts de l'appelante pour réduire à un le nombre de représentant de l'intimée au conseil d'administration, ce qui a donné lieu à la procédure n° C/3______/2020. Enfin, il semble avoir procédé, en avril 2021, à un échange d'actions le favorisant, auquel l'intimée s'était opposée.
Dans ces circonstances, il se justifie de retenir, sous l'angle de la vraisemblance, que l'atteinte subie par l'intimée risque de lui causer un préjudice difficilement réparable. Contrairement à ce que soutient l'appelante, le fait que le juge saisi de l'action en annulation ne pourrait pas ordonner l'inscription au Registre du commerce des administrateurs non-réélus, soit E______ et le Dr F______, ne modifie pas ce qui précède, les mesures provisionnelles ayant vocation à accorder une protection provisoire et non à préjuger de l'issue du litige au fond.
L'appelante ne remet pas en cause les autres conditions nécessaires au prononcé de mesures provisionnelles au sens de l'art. 261 al. 1 CPC, de sorte que celles-ci sont toutes réalisées.
3.2.2 L'appelante fait grief au premier juge d'avoir violé le droit inaliénable de l'assemblée générale à choisir les membres du conseil d'administration, soit l'art. 698 al. 2 ch. 2 CO, ainsi que la jurisprudence du Tribunal fédéral.
A cet égard, elle soutient que les mandats d'administrateur de E______ et du Dr F______ ont pris fin, ces derniers n'ayant pas été réélus lors de l'assemblée générale du 24 juin 2024. Ces mandats ne pouvaient donc pas être tacitement prolongés par le prononcé des mesures provisionnelles litigieuses, qui étaient contraires à la volonté de l'assemblée générale.
Le raisonnement de l'appelante ne saurait être suivi.
Le Tribunal fédéral a, certes, considéré, dans son arrêt ATF 148 III 69, qu'une réélection tacite d'un administrateur, à la fin de son mandat, n'était pas admissible, tel n'est toutefois pas le cas en l'espèce. En effet, l'ordre donné au Registre du commerce de surseoir à inscrire la radiation de E______ et du Dr F______, en tant qu'administrateurs, constitue une mesure conservatoire, conforme à l'art. 262 let. c CPC. Celle-ci a pour unique but la sauvegarde provisoire des droits de l'intimée à disposer de représentants au sein du conseil d'administration. Il s'agit de maintenir le statu quo jusqu'à droit connu dans l'action au fond, pouvant aboutir à l'annulation de la décision de ne pas réélire E______ et le Dr F______ et ce, avec effet ex-tunc. Il n'est donc pas question d'une reconduction tacite de ces derniers dans leurs fonctions au sens de la jurisprudence susvisée, qui violerait le droit inaliénable de l'assemblée générale à choisir les membres du conseil d'administration.
A nouveau, contrairement à ce que soutient l'appelante, le fait que le juge du fond ne pourrait pas ordonner l'inscription des précités au Registre du commerce en qualité d'administrateurs n'est pas déterminant, les mesures provisionnelles n'ayant pas vocation à préjuger du futur dispositif du jugement au fond, mais, en l'espèce, à conserver provisoirement une situation, compte tenu du risque du préjudice difficilement réparable évoqué ci-dessus.
Il s'ensuit que l'art. 698 al. 2 ch. 2 CO, ainsi que la jurisprudence citée par l'appelante, en particulier l'arrêt ATF 148 III 69, ne semblent pas faire obstacle au prononcé des mesures provisionnelles litigieuses.
3.2.3 Les conditions de l'art. 261 al. 1 CPC étant réalisées et le maintien du statu quo n'étant pas contraire à la loi ou la jurisprudence, le premier juge a, à bon droit, ordonné au Registre du commerce de surseoir à l'inscription de toute réquisition tendant à la radiation de E______ et du Dr F______ en qualité d'administrateurs de l'appelante, jusqu'à droit jugé dans la procédure au fond.
Partant, le chiffre 1 du dispositif de l'ordonnance entreprise sera confirmé.
4. 4.1 La décision querellée étant confirmée, il ne se justifie pas de revoir les frais de première instance, de sorte que les chiffres 5 à 7 du dispositif de celle-ci seront également confirmés.
4.2 Les frais judiciaires d'appel seront arrêtés à 2'000 fr. (art. 26 et 37 RTFMC) et mis à la charge de l'appelante, qui succombe (art. 106 al. 1 CPC). Ils seront entièrement compensés avec l'avance de frais de même montant fournie par celle-ci, laquelle reste acquise à l'Etat de Genève (art. 111 al. 1 CPC).
L'appelante sera également condamnée à verser à l'intimée 3'000 fr. à titre de dépens d'appel, débours et TVA compris (art. 84, 85, 88 et 90 RTFMC; art. 23 al. 1, 25 et 26 LaCC).
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La Chambre civile :
A la forme :
Déclare recevable l'appel interjeté le 4 octobre 2024 par A______/B______ SA contre l'ordonnance OTPI/591/2024 rendue le 20 septembre 2024 par le Tribunal de première instance dans la cause C/14707/2024.
Au fond :
Confirme cette ordonnance.
Déboute les parties de toutes autres conclusions.
Sur les frais :
Arrête les frais judiciaires d'appel à 2'000 fr., mis à la charge de A______/B______ SA et entièrement compensés avec l'avance fournie par celle-ci, acquise à l'Etat de Genève.
Condamne A______/B______ SA à verser 3'000 fr. à SOCIETE COOPERATIVE C______ à titre de dépens d'appel.
Siégeant :
Madame Pauline ERARD, présidente; Madame Sylvie DROIN, Madame
Nathalie LANDRY-BARTHE, juges; Madame Mélanie DE RESENDE PEREIRA, greffière.
La présidente : Pauline ERARD |
| La greffière : Mélanie DE RESENDE PEREIRA |
Indication des voies de recours :
Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.
Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.