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C/23873/2024

ACJC/147/2025 du 30.01.2025 sur OTPI/667/2024 ( SQP ) , JUGE

Normes : CL.53; CL.54; LP.271.al1.ch6; CPC.327a.al3
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/23873/2024 ACJC/147/2025

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU JEUDI 30 JANVIER 2025

 

Entre

Monsieur A______, domicilié ______, France, recourant contre une ordonnance rendue par le Tribunal de première instance de ce canton le 23 octobre 2024, représenté par Me Alain DE MITRI, avocat, rue Rothschild 50, case postale 1444, 1211 Genève 1,

et

B______, c/o C______, ______ [GE], intimée.

 


EN FAIT

A. a. Par requête formée le 15 octobre 2024, la [banque] B______ (ci-après : la B______) a requis auprès du Tribunal de première instance (ci-après : le Tribunal) le séquestre des salaires versés à A______ par D______, société sise à E______ [GE], à hauteur de 211'690 fr. 20 avec intérêts à 1.30% dès le 11 février 2021.

Elle a exposé que sa créance découlait d'un jugement du 30 juillet 2021, désormais exécutoire, par lequel le Tribunal judiciaire de F______ (France) avait condamné A______ à lui verser les sommes de 113'689.44 euros et 112'402.45 euros, intérêts en sus. Ce jugement valait titre de mainlevée définitive au sens de l'art. 271 al. 1 ch. 6 LP.

A l'appui de sa requête, elle a produit une photocopie du jugement précité, une photocopie de l'arrêt de la Cour d'appel de G______ (France) du 13 juin 2023 déclarant irrecevable l'appel formé par A______ contre ce jugement, ainsi qu'une photocopie d'un certificat de non-pourvoi en cassation du 10 novembre 2023.

B. a. Par ordonnance OTPI/667/2024 du 23 octobre 2024, reçue le 26 octobre 2024 par A______, le Tribunal a déclaré exécutoire en Suisse le jugement du 30 juillet 2021 du Tribunal judiciaire de F______ (RG 21/1______) rendu entre la B______ et A______ (ch. 1 du dispositif), arrêté les frais judiciaires à 500 fr., mis ces frais à la charge du précité (ch. 2) et condamné A______ à verser à la B______ la somme de 750 fr. [sic] à titre de remboursement des frais judiciaires (ch. 3).

Le Tribunal a retenu qu'aucun certificat conforme à l'annexe V de la Convention de Lugano n'avait été versé au dossier. Toutefois, il ressortait des pièces produites que le créancier [sic] avait valablement participé à la procédure ayant donné lieu au jugement du 30 juillet 2021, désormais exécutoire. A titre exceptionnel, il convenait de retenir que les conditions du prononcé de l'exequatur étaient réunies.

b. Par ordonnance du même jour, le Tribunal a ordonné le séquestre requis.

C. a. Par acte expédié à la Cour de justice le 6 novembre 2024, A______ a formé recours contre cette ordonnance, concluant principalement à son annulation et à l'irrecevabilité de la requête de séquestre du 15 octobre 2024, subsidiairement au rejet de ladite requête de séquestre, le tout sous suite de frais et dépens.

b. Par décision du 18 novembre 2024, la Cour a constaté que la requête d'effet suspensif de A______ était sans objet vu l'art. 327a al. 2 CPC.

c. La B______ n'a pas répondu au recours dans le délai fixé à cet effet.

d. Par pli daté du 26 novembre 2024, reçu au greffe de la Cour le 3 décembre 2024, la B______ a informé le Tribunal qu'elle avait donné "contrordre" au séquestre requis le 15 octobre 2024 auprès de l'Office des poursuites.

Le 4 décembre 2024, la Cour a fixé un délai de 10 jours à la B______ pour lui communiquer si elle retirait sa requête en exequatur.

La précitée ne s'est pas déterminée dans le délai ainsi fixé.

e. Le 3 janvier 2025, A______ a informé la Cour qu'il maintenait son recours.

f. La cause a été gardée à juger le 6 janvier 2025, ce dont les parties ont été avisées le même jour.

EN DROIT

1. 1.1 La présente cause ayant pour objet la déclaration de force exécutoire d'une décision rendue par les juridictions françaises, elle relève de la compétence du tribunal de l'exécution (art. 335 al. 3 CPC) et est soumise à la Convention de Lugano du 30 octobre 2007 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (CL; RS 0.275.12), à laquelle la Suisse et la France sont parties.

L'appel étant irrecevable contre les décisions du tribunal de l'exécution, seule la voie du recours est ouverte (art. 309 let. a et 319 let. a CPC).

Le délai de recours contre la déclaration constatant la force exécutoire est d'un mois à compter de sa signification (art. 327a al. 3 CPC et 43 par. 5 CL).

1.2 Interjeté en temps utile et selon la forme requise par la loi (art. 130 al. 1, 131 et 321 al. 1 CPC), le recours est recevable.

2. Le recourant reproche au Tribunal d'avoir considéré que les conditions de reconnaissance et d'exécution en Suisse du jugement rendu le 30 juillet 2021 par le Tribunal judiciaire de F______ étaient réunies.

2.1.1 Selon l'art 53 CL, la partie qui invoque la reconnaissance d'une décision ou sollicite la délivrance d'une déclaration constatant sa force exécutoire doit produire une expédition de celle-ci réunissant les conditions nécessaires à son authenticité (par. 1); la partie qui sollicite la délivrance d'une déclaration constatant la force exécutoire d'une décision doit aussi produire le certificat visé à l'art. 54 CL, sans préjudice de l'art. 55 CL (par. 2).

Selon l'art. 54 CL, la juridiction ou l'autorité compétente d'un Etat lié par la Convention de Lugano dans lequel une décision a été rendue délivre, à la requête de toute partie intéressée, un certificat en utilisant le formulaire dont le modèle figure à l'annexe V de la Convention de Lugano.

La requête tendant à faire produire des effets à une décision rendue dans un autre Etat partie à la Convention de Lugano doit être accompagnée des documents indispensables à son examen par l'autorité compétente dans l'Etat requis. A cet effet, conformément à l'art. 53 par. 1 CL, le requérant doit fournir une "expédition" de la décision réunissant les conditions nécessaires pour prouver son authenticité,
c'est-à-dire pour démontrer que son contenu correspond à celui de l'original
(cf. Message du Conseil fédéral concernant la Convention de Lugano du
16 septembre 1988, FF
1990 II 329 ch. 236.2). Ce document doit remplir les conditions propres à lui conférer la force probante. A l'original de la décision peut donc se substituer une copie certifiée conforme par l'autorité compétente de l'Etat d'origine. La production d'une simple photocopie ne suffit pas, même si l'intimé ne conteste pas la conformité avec l'original (arrêts du Tribunal fédéral 5A_241/2009 consid. 2 du 24 septembre 2009; 5A_818/2014 du 29 juillet 2015 consid. 3; BUCHER, in CR CL, 2ème éd. 2025, n. 1 ad art. 53 CL).

Selon l'art. 55 par. 1 CL, si le certificat visé à l'art. 54 CL fait défaut, l'autorité compétente de l'Etat requis peut impartir un délai pour le produire, accepter un document équivalent ou, si elle s'estime suffisamment éclairée, s'en dispenser.

En revanche, la Convention de Lugano n'autorise pas l'autorité, en cas de défaut de production de la décision à reconnaître dans les formes prévues par l'art. 53
par. 1 CL, d'accepter un document équivalent ou de s'en dispenser si elle s'estime suffisamment éclairée (FOUNTOULAKIS/GELZER, in Basler Kommentar,
3ème éd. 2024, n. 3b ad art. 55 CL et les références citées).

2.1.2 L'art. 271 al. 1 ch. 6 LP prévoit que le créancier d'une dette échue et non garantie par gage peut requérir le séquestre des biens du débiteur qui se trouvent en Suisse lorsque le créancier possède contre le débiteur un titre de mainlevée définitive.

Le juge qui entend prononcer le séquestre requis sur la base d'un jugement "Lugano" doit statuer sur l'exequatur de celui-ci, soit par une ordonnance distincte, soit directement dans le dispositif de l'ordonnance de séquestre, même si aucune requête spécifique n'a été faite sur ce point (ATF 147 III 491 consid. 6.2.1).

Le prononcé du séquestre peut être attaqué par la voie de l'opposition dans les dix jours à compter de celui de sa connaissance (art. 278 al. 1 LP), puis, comme le refus du séquestre, par celle d'un recours selon les art. 319 ss CPC (art. 278 al. 3 LP). En revanche, la question du caractère exécutoire de la décision "Lugano" fondant la requête de séquestre ne peut être examinée que dans le recours prévu à
l'art. 327a CPC, disposition mettant en œuvre l'art. 43 CL. L'opposition à un séquestre prononcé à titre de mesure conservatoire (art. 47 par. 2 CL cum
art. 271 al. 1 ch. 6 LP) ne permet en effet d'invoquer que les objections spécifiques au séquestre. Les deux procédures - opposition et recours - doivent donc, le cas échéant, être menées en parallèle. Le débiteur séquestré qui entend soulever l'un des motifs de refus d'exequatur prévus par la CL (art. 45 par. 1 cum art. 34 ss CL) ou s'en prendre aux conditions que le premier juge peut examiner (i.e. les formalités selon l'art. 53 CL, l'existence d'une décision exécutoire selon les art. 32 et 38
par. 1 CL et l'application de la CL selon l'art. 1 CL) ne peut le faire que dans le cadre du recours de l'art. 327a CPC (ATF 147 III 491 consid. 6.2.1).

2.2 En l'espèce, le recourant reproche à juste titre au Tribunal d'avoir prononcé l'exequatur du jugement français du 30 juillet 2021. En effet, l'intimée - qui s'est contentée de produire de simples photocopies à l'appui de sa requête de séquestre - n'a fourni ni expédition originale de ce jugement ni copie certifiée conforme de celui-ci par l'autorité française compétente. Elle n'a pas non plus accompagné sa requête du certificat visé aux art. 53 par. 2 et 54 CL.

Il suit de là que les conditions de reconnaissance et d'exécution du jugement litigieux en Suisse n'étaient pas réunies, de sorte que le Tribunal n'était pas fondé à en prononcer l'exequatur. L'ordonnance querellée sera par conséquent annulée.

Au surplus, la Cour n'entrera pas en matière sur la conclusion du recourant tendant à ce que la requête de séquestre du 15 octobre 2024 soit déclarée irrecevable. S'il y a lieu, cette question devra être examinée par le juge de l'opposition à séquestre.

3. Les frais judiciaires de première instance et de recours, arrêtés à 1'200 fr.
(500 fr. + 700 fr.) (art. 26 et 38 RTFMC), seront mis à la charge de l'intimée, qui succombe pour l'essentiel (art. 106 al. 1 CPC). Ils seront compensés avec les avances versées à hauteur de 500 fr. par l'intimée et de 700 fr. par le recourant, lesquelles restent acquises à l'Etat de Genève à due concurrence
(art. 111 al. 1 aCPC, en relation avec l'art. 407f CPC a contrario).

L'intimée sera condamnée à verser 700 fr. au recourant, à titre de remboursement des frais judiciaires de recours, ainsi que 1'000 fr. à titre de dépens de recours
(art. 84, 85, 88 à 90 RTFMC; art. 23 LaCC), débours compris (art. 25 LaCC), mais sans TVA, compte tenu du domicile du recourant à l'étranger (ATF 141 IV 344 consid. 4.1; arrêt du Tribunal fédéral 4A_623/2015 du 3 mars 2016).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable le recours interjeté le 6 novembre 2024 par A______ contre l'ordonnance OTPI/667/2024 rendue le 23 octobre 2024 par le Tribunal de première instance dans la cause C/23873/2024 SQP.

Au fond :

Annule cette ordonnance.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires de première instance et de recours à 1'200 fr., les met à la charge de la B______ et les compense avec les avances versées, qui restent acquises à l'Etat de Genève à due concurrence.

Condamne la B______ à verser à A______ 700 fr., à titre de remboursement des frais judiciaires de recours, et 1'000 fr., à titre de dépens de recours.

Siégeant :

Monsieur Laurent RIEBEN, président; Madame Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, Madame Nathalie RAPP, juges; Madame Barbara NEVEUX, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.