Décisions | Sommaires
ACJC/1285/2024 du 15.10.2024 sur JTPI/117/2024 ( SML ) , JUGE
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||
POUVOIR JUDICIAIRE C/2071/2023 ACJC/1285/2024 ARRÊT DE LA COUR DE JUSTICE Chambre civile DU MARDI 15 OCTOBRE 2024 |
Entre
Madame A______, domiciliée ______, recourante contre un jugement rendu par la 11ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 22 décembre 2023, représentée par Me Marcel BERSIER, avocat, quai Gustave-Ador 4, case postale 3082, 1211 Genève 3,
et
Monsieur B______, domicilié ______, intimé, représenté par Me Laurent WINKELMANN, avocat, NOMEA Avocats SA, avenue de la Roseraie 76A, 1205 Genève.
A. Par jugement JTPI/117/2024 du 22 décembre 2023, communiqué aux parties pour notification le 28 juin 2024 et reçu par A______ le 1er juillet 2024, le Tribunal de première instance (ci-après : le Tribunal), statuant par voie de procédure sommaire, a débouté la précitée de ses conclusions en mainlevée provisoire (ch. 1 du dispositif), arrêtés les frais judiciaires à 1'000 fr., compensés avec l'avance fournie et laissés à la charge de A______ (ch. 2 à 3), condamné la précitée à payer à B______ 5'811 fr. TTC à titre de dépens (ch. 4) et débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 5).
B. a. Par acte expédié à la Cour de justice le 8 juillet 2024, A______ a formé recours contre ce jugement, dont elle a sollicité l'annulation. Cela fait, elle a conclu au prononcé de la mainlevée provisoire de l'opposition formée à la poursuite n° 1______, à hauteur de 250'000 fr. avec intérêts à 5% dès le 13 mars 2021 et de 400'000 fr. avec intérêts à 5% dès le 13 mars 2022, et à ce qu'il soit dit que cette poursuite irait sa voie, sous suite de frais et dépens de première et seconde instances.
b. Dans sa réponse, B______ a conclu, à la forme, à l'irrecevabilité du recours en ce qu'il portait sur la quotité des dépens de première instance, et, au fond, au rejet du recours et à la confirmation du jugement attaqué, sous suite de frais et dépens.
c. Les parties ont répliqué et dupliqué, persistant dans leurs conclusions respectives.
d. La cause a été gardée à juger le 30 août 2024, ce dont les parties ont été avisées le jour même.
C. Les faits pertinents suivants résultent de la procédure :
a. C______ SA, société inscrite au Registre du commerce de Genève le ______ 1981, a pour but social, notamment, le commerce, la représentation, le courtage et la création d'articles de bijouterie, joaillerie, horlogerie, maroquinerie, accessoires de mode et objets d'ornement et de décoration.
A______ a été administratrice de la société, avec signature individuelle jusqu'à fin mars 2019, puis avec signature collective à deux jusqu'à fin mai 2020. B______ a été administrateur de la société, avec signature individuelle, de fin mars 2019 jusqu'à début janvier 2021.
La faillite de la société a été prononcée par jugement du Tribunal du 12 avril 2021. La procédure de faillite a ensuite été suspendue faute d'actif par jugement du Tribunal du 4 octobre 2021.
b. Le 26 février 2019, A______ "et/ou" D______, en qualité de cédants, et B______, en qualité d'acquéreur, ont signé une "convention de cession du capital-actions de la société C______ SA".
Aux termes de cette convention, les époux A______/D______ s'engageaient à céder à B______ l'entier du capital-actions, composé de 130 actions au porteur d'une valeur nominale de 1000 fr. chacune, pour un prix total de 900'000 fr. Selon l'art. 3 de la convention, intitulé "PRIX ET MODALITES DE PAIEMENT", le prix de vente devait être payé de façon échelonnée, soit 250'000 fr. au jour de la signature de la convention (al. 2) et 650'000 fr. selon les modalités fixées à l'alinéa 3, à savoir :
"PAIEMENT DU SOLDE
3) Le solde de CHF 650'000.- […] devra être versé […] selon l'échéancier suivant :
a) Au moment où un investisseur rachète 50% de parts de la société, le montant de CHF 650'000.- […] dus à Madame A______ et/ou D______ devra lui/leur être payé dans le mois suivant réception des fonds dudit investisseur.
b) Si cependant les parts ne sont pas vendues à un investisseur, Monsieur B______ devra payer CHF 250'000.- […] à la date anniversaire (un an après l'acquisition de la société) et CHF 400'000.- […] à la date anniversaire (deux ans après l'acquisition de la société).
c) D'autre part, si le stock existant détenu par C______ SA est vendu à hauteur de CHF 650'000.- net […] avant le rachat de 50% des parts de l'investisseur, Madame A______ et/ou D______ sera/seront payé(e)(s) en priorité sur cette vente.
d) Dans le cas où Monsieur B______ ne respecte pas l'échéancier énoncé dans ce contrat, Madame A______ et/ou D______ aura/auront la discrétion, à l'échéance des deux ans après la vente de leur société, de dénoncer le contrat et garder les sommes intermédiaires reçues.
e) Dans le cas précis, Monsieur B______ aura l'obligation d'accepter de céder la société en retour à Madame A______ et/ou D______."
c. La convention du 26 février 2019 a été modifiée à deux reprises, parallèlement aux négociations successives menées par B______ avec deux investisseurs potentiels, E______ et F______.
c.a Le 5 juillet 2019, B______ et les époux A______/D______ ont signé une "attestation" stipulant que le solde du prix de vente des actions en 650'000 fr. devait être payé selon l'échéancier suivant (annulant et remplaçant celui mentionné à l'art. 3 al. 3 de la convention) : 250'000 fr. à la signature de la vente de 50% des actions de C______ SA à E______, 250'000 fr. le 28 février 2020 et 150'000 fr. le 1er juillet 2020.
c.b La vente de 50% des actions à E______ ne s'est pas concrétisée.
c.c Par courrier du 12 mai 2020 adressé à A______ – D______ étant entretemps décédé –, B______ s'est engagé à "solder le montant dû à A______ stipulé dans le contrat signé le 26 février 2019" à "la réception des fonds de l'investisseur, F______, [selon] contrat de vente d'actions de la société C______ SA […] signé le 13 janvier 2020".
c.d Le 23 juillet 2021, A______ et B______ ont signé un avenant n° 1 à la convention, rédigé en ces termes :
"IL A PREALABLEMENT ETE CONVENU CE QUI SUIT :
Etant considéré que le Cédant et l'Acquéreur ont conclu en date du 26 février 2019 une Convention de cession du capital-actions de la société C______ SA.
Etant considéré qu'une convention de vente d'achat d'actions a été signée […] le 13 janvier 2020 entre Monsieur B______ et Monsieur F______ prévoyant la vente de 75% actions de la société C______ SA faisant ainsi de Monsieur F______ le principal investisseur.
Etant considéré qu'à l'issue de cette vente d'actions, le paiement du solde dû à Madame A______ devait être effectué dans le même mois suivant la réception dudit investisseur.
IL A AINSI ETE ARRETE ET CONVENU CE QUI SUIT :
Nouvel article remplaçant l'actuel article 3. de a) à e)
Les fonds de l'investisseur n'ayant pas été reçus et l'affaire étant en cours auprès des juridictions compétentes, le paiement du solde préalablement prévu à la première et deuxième date d'anniversaire de la signature de la convention de cession du capital-actions de la société C______ SA est étendu à une année supplémentaire espérant ainsi trouver avec Monsieur F______ une issue favorable au litige qui les oppose.
Les termes du présent Avenant n° 1 ont le même sens et définition que dans la Convention de cession du capital-actions. En outre, les dispositions de la Convention s'appliquent au présent Avenant n° 1. Le contrat est inchangé pour le surplus".
d. Dès novembre 2021, les conseils des parties ont échangé des courriers au sujet du paiement du solde dû en 650'000 fr. et des démarches effectuées par B______ pour être payé par son investisseur (i.e. F______).
e. Le 25 octobre 2022, A______ a fait notifier à B______ un commandement de payer, poursuite n° 1______, portant sur les sommes de 250'000 fr. avec intérêts à 5% dès le 13 mars 2021 et de 400'000 fr. avec intérêts à 5% dès le 13 mars 2022, réclamées au titre de la "convention de cession de capital-actions du 26 février 2019 [et son] avenant du 13 [recte : 23] juillet 2021".
Ce commandement de payer a été frappé d'opposition totale.
f. Par requête formée le 6 février 2023 devant le Tribunal, A______ a sollicité le prononcé de la mainlevée provisoire de cette opposition.
g Lors de l'audience du Tribunal du 12 juin 2023, B______ a conclu au rejet de la requête de mainlevée. Il a fait valoir qu'à l'époque de la conclusion de la convention, C______ SA, en difficulté financière, valait nettement moins que le prix de vente convenu (i.e. 900'000 fr.), dont le paiement était soumis à certaines conditions. L'objectif des parties était de trouver un investisseur prêt à injecter des liquidités dans la société afin d'assainir ses finances et relancer ses activités. S'il trouvait un investisseur, B______ pouvait soit vendre l'entier du capital-actions (et conserver le produit de la vente après avoir payé 650'000 fr. à A______), soit en vendre une partie (et conserver les actions non vendues après avoir payé 650'000 fr. à A______). Les deux investisseurs approchés par B______ s'étaient finalement "dérobés", raison pour laquelle la convention avait été modifiée. Le premier s'était désisté sans rien signer et le second n'avait pas honoré le contrat de vente conclu le 13 janvier 2020. Dans le cadre de leur projet commun, les parties étaient convenues que A______ ne pourrait prétendre au paiement de 650'000 fr. que si la transaction avec l'investisseur était couronnée de succès. Or cette condition ne s'était pas réalisée. Les titres produits ne valaient donc pas titre de mainlevée provisoire.
A______ a contesté ces explications et persisté dans ses conclusions.
B______ a produit plusieurs pièces à l'audience, notamment :
- Le bilan et le compte de pertes et profits de C______ SA, dont il ressort, notamment, que la société avait subi une perte de 110'875 fr. au 28 février 2019, que son principal actif était un stock de marchandises de 401'457 fr. et qu'elle était débitrice envers ses actionnaires d'une somme totale de 824'593 fr., dont 470'000 fr. avaient fait l'objet d'une postposition de créance.
- La convention de vente et d'achat d'actions signée par B______ et F______ le 13 janvier 2020, aux termes de laquelle celui-ci s'était engagé à acquérir 100 actions de C______ SA au prix de 2'295'918 fr. et à prêter 3'000'000 fr. à la société pour lui permettre de développer ses activités.
- Une attestation du 9 juin 2023 signée par G______, dont la teneur est la suivante:
"Je soussigné, G______, ancien employé de la société H______ SA atteste avoir participé aux discussions contractuelles, négocié et préparé le contrat de vente de la société C______ SA et ses avenants successifs, respectivement des 26 février 2019, 5 juillet 2019 et 23 juillet 2021, conclus entre Madame A______ et/ou Monsieur D______ (les Cédants) et Monsieur B______ (l'Acquéreur).
J'atteste par la présente que ce qui a été signé dans le contrat de vente de H______ SA du 26/02/2019 et ses avenants concernant le paiement du solde de CHF 650'000.- […] est exclusivement régi par l'article 3, alinéa a), lequel fait seul foi jusqu'à ce jour".
La cause a été gardée à juger à l'issue de l'audience.
h. Dans le jugement entrepris, le Tribunal a retenu que la convention du 26 février 2019 avait fait l'objet de modifications successives, lesquelles étaient sujettes à interprétation. Or il n'appartenait pas au juge de la mainlevée d'interpréter une reconnaissance de dette qui n'était pas claire. In casu, le Tribunal n'avait pas à interpréter la convention des parties pour déterminer si le paiement du solde du prix de vente en 650'000 fr. était soumis ou non à une condition suspensive. Les titres produits ne valaient donc pas reconnaissance de dette au sens de l'art. 82 al. 1 LP.
1. 1.1 S'agissant d'une procédure de mainlevée, seule la voie du recours est ouverte (art. 319 let. a et 309 let. b ch. 3 CPC). La procédure sommaire s'applique (art. 251 let. a CPC).
Aux termes de l'art. 321 al. 1 et 2 CPC, le recours, écrit et motivé, doit être introduit auprès de l'instance de recours dans les dix jours à compter de la notification de la décision motivée, pour les décisions prises en procédure sommaire.
En l'espèce, interjeté dans le délai et selon la forme prescrits par la loi (art. 130, 131 et 142 al. 1 CPC), le recours est recevable.
1.2 Le recours étant instruit en procédure sommaire, la preuve des faits allégués doit être apportée par titres (art. 254 CPC). Les maximes des débats et de disposition s'appliquent (art. 55 al. 1, 255 let. a a contrario et art. 58 al. 1 CPC).
1.3 Dans le cadre d'un recours, le pouvoir d'examen de la Cour est limité à la violation du droit et à la constatation manifestement inexacte des faits (art. 320 CPC).
2. La recourante reproche au Tribunal d'avoir considéré que les titres produits ne valaient pas reconnaissance de dette au sens de l'art. 82 al. 1 LP.
2.1.1 Selon l'art. 82 LP, le créancier dont la poursuite se fonde sur une reconnaissance de dette constatée par acte authentique ou sous seing privé peut requérir la mainlevée provisoire (al. 1). Le juge la prononce si le débiteur ne rend pas immédiatement vraisemblable sa libération (al. 2).
2.1.2 Le juge de la mainlevée provisoire doit vérifier d'office l'existence matérielle d'une reconnaissance de dette (ATF 142 III 720 consid. 4.1; 139 III 444 consid. 4.1.1; arrêts du Tribunal fédéral 5A_940/2020 du 27 janvier 2021 consid. 3.1), l'identité entre le poursuivant et le créancier désigné dans ce titre, l'identité entre le poursuivi et le débiteur désigné et l'identité entre la prétention déduite en poursuite et la dette reconnue (ATF 139 III 444 consid. 4.1.1).
La procédure de mainlevée provisoire est une procédure sur pièces (Urkundenprozess), dont le but n'est pas de constater la réalité de la créance en poursuite, mais l'existence d'un titre exécutoire. Le juge de la mainlevée provisoire examine seulement la force probante du titre produit par le créancier, sa nature formelle – et non la validité de la créance – et lui attribue force exécutoire si le débiteur ne rend pas immédiatement vraisemblables ses moyens libératoires (ATF 145 III 160 consid. 5.1).
De jurisprudence constante, la procédure de mainlevée, qu'elle soit provisoire ou définitive, est un incident de la poursuite. La décision qui accorde ou refuse la mainlevée est une pure décision d'exécution forcée dont le seul objet est de dire si la poursuite peut continuer ou si le créancier est renvoyé à agir par la voie d'un procès ordinaire. En d'autres termes, le prononcé de mainlevée ne sortit que des effets de droit des poursuites et ne fonde pas l'exception de chose jugée (res iudicata) quant à l'existence de la créance. La décision du juge de la mainlevée provisoire ne prive pas les parties du droit de soumettre à nouveau la question litigieuse au juge ordinaire (art. 79 et 83 al. 2 LP; arrêt du Tribunal fédéral 5A_595/2021 du 14 janvier 2022 consid. 6.1 et les arrêts cités).
2.1.3 Constitue une reconnaissance de dette au sens de l'art. 82 al. 1 LP, en particulier, l'acte sous seing privé, signé par le poursuivi – ou son représentant –, d'où ressort sa volonté de payer au poursuivant, sans réserve ni condition, une somme d'argent déterminée, ou aisément déterminable, et exigible (ATF 145 III 20 consid. 4.1.1; 139 III 297 consid. 2.3.1 et les références).
Une reconnaissance de dette peut résulter d'un ensemble de pièces dans la mesure où il en ressort les éléments nécessaires (ATF139 III 297 consid. 2.3.1; arrêt du Tribunal fédéral 5A_388/2019 du 7 janvier 2020 consid. 4.1.2). Cela signifie que le document signé doit clairement et directement faire référence ou renvoyer aux documents qui mentionnent le montant de la dette ou permettent de le chiffrer. Il doit exister un lien manifeste et non équivoque entre la reconnaissance de dette et les autres pièces, et le montant réclamé doit pouvoir être calculé facilement sur la base de ces pièces. La référence ne peut être concrète que si le contenu des documents auxquels il est renvoyé est connu du débiteur et visé par la manifestation de volonté signée. Cela implique que le montant de la dette doit être fixé ou aisément déterminable dans les pièces auxquelles renvoie le document signé, et ce au moment de la signature de ce dernier (ABBET/VEUILLET, La mainlevée de l'opposition, 2022, n. 27 ad art. 82 LP et les références citées).
2.1.4 Il n'est pas nécessaire que le titre contienne une promesse de payer la dette; il suffit qu'il atteste du fait que le poursuivi se considère obligé de payer cette dette. Il en va ainsi de la lettre par laquelle le débiteur sollicite la remise de tout ou partie de sa dette ou un délai de paiement sans contester la dette elle-même. Le fait de proposer au créancier un plan de paiement revient également à reconnaître que le montant en cause est dû (ABBET/VEUILLET, op. cit., n. 37 ad art. 82 LP et les références citées).
Selon la jurisprudence, il y a lieu de distinguer entre la reconnaissance de dette conditionnelle, qui ne permet au créancier d'obtenir la mainlevée de l'opposition que s'il prouve par titre que la condition est réalisée ou est devenue sans objet, et la reconnaissance de dette avec modalité de paiement, par laquelle le débiteur indique comment il envisage de rembourser la dette et qui vaut reconnaissance de dette pure et simple au sens de l'art. 82 LP (arrêts du Tribunal fédéral 5A_940/2020 du 27 janvier 2021 consid. 3.2.1 et les références; 5A_83/2011 consid. 5.1, publié in SJ 2012 I 49; VEUILLET, op. cit., n. 40a et 65 ad art. 82 LP et les références).
Si la prestation en argent promise dans une reconnaissance de dette est subordonnée à l'avènement d'une condition suspensive, il appartient au créancier d'établir par titre que la condition est réalisée ou devenue sans objet, à moins que cela ne soit notoire ou reconnu sans réserve par le débiteur (arrêt du Tribunal fédéral 5A_1015/2020 du 30 août 2021 consid. 3.2.2).
2.1.5 Le juge de la mainlevée provisoire peut procéder à l'interprétation objective du titre, fondée sur le principe de la confiance; il s'agit en effet d'une question de droit qui, en elle-même, ne nécessite aucune administration de preuve. Il convient ainsi de tenir compte non seulement du texte mais également du but de l'acte. Le juge ne peut toutefois prendre en compte que les éléments intrinsèques au titre; des éléments extrinsèques – en particulier les circonstances ayant entouré la signature du titre ou le comportement des parties – échappent à son pouvoir d'examen. Une détermination exhaustive de la volonté des parties ou l'interprétation exhaustive du contrat ne sont pas de la compétence du juge de la mainlevée. Si le sens ou l'interprétation du titre de mainlevée invoqué est source de doutes ou si la reconnaissance de dette ne ressort que d'actes concluants, la mainlevée provisoire doit être refusée. La volonté de payer du poursuivi doit ressortir clairement des pièces produites, à défaut de quoi elle ne peut être déterminée que par le juge du fond (ABBET/VEUILLET, op. cit., n. 35 ad art. 82 LP et les références citées).
2.1.6 Un contrat bilatéral parfait, dans lequel les prestations sont promises l'une en échange de l'autre et dépendent l'une de l'autre pour leur naissance et leur exécution, ne contient pas une reconnaissance de dette inconditionnelle de la part du débiteur de la prestation pécuniaire. Il est toutefois admis qu'il justifie la mainlevée provisoire de l'opposition pour la somme d'argent incombant au poursuivi si les conditions d'exigibilité de cette dette sont établies (ABBET/VEUILLET, op. cit., n. 144 et 152 ad art. 82 LP et les références citées).
Dans le contrat de vente, sauf usage ou convention contraire, les prestations du vendeur et de l'acheteur doivent être exécutées simultanément. Le contrat de vente en la forme écrite vaut ainsi titre de mainlevée provisoire pour le montant du prix de vente si l'acheteur ne prétend pas que le vendeur n'aurait pas exécuté sa propre prestation, si l'acheteur soulève l'exception d'inexécution mais que le vendeur peut prouver qu'il a livré la chose ou régulièrement offert sa livraison, ou encore si le contrat prévoit, en dérogation aux art. 184 al. 2 ou 213 al. 1 CO, que le prix est payable avant la livraison (ABBET/VEUILLET, op. cit., n. 152 ad art. 82 LP et les références citées).
2.2 En l'espèce, il est constant qu'en date du 26 février 2019, les parties ont signé une convention portant sur la vente du capital-actions de C______ SA. Aux termes de cette convention, l'intimé s'est porté acquéreur de l'entier du capital-actions de cette société au prix de 900'000 fr., montant qu'il s'est engagé à verser à la recourante de façon échelonnée, en s'acquittant de 250'000 fr. à la signature de la convention et en payant le solde de 650'000 fr. selon l'échéancier stipulé à l'art. 3 al. 3 de la convention. L'intimé a par ailleurs reconnu qu'il n'avait pas réussi à revendre 50% du capital-actions à un investisseur potentiel, E______ s'étant désisté sans signer de contrat (ce qui a eu pour effet de rendre inopérant l'échéancier prévu dans l'attestation du 5 juillet 2019) et F______ n'ayant jamais honoré la convention de vente signée le 13 janvier 2020.
Or, il ressort clairement de la convention du 26 février 2019 signée par les parties, plus précisément de l'art. 3 al. 3 let. b), que l'intimé s'est engagé – s'il ne trouvait pas d'investisseur – à payer à la recourante le solde dû en 650'000 fr. dans un délai de deux ans suivant la "date d'anniversaire" de la conclusion de la vente, en s'acquittant de 250'000 fr. d'ici le 26 février 2020 et de 400'000 fr. d'ici le 26 février 2021 ("Si cependant les parts ne sont pas vendues à un investisseur, Monsieur B______ devra payer 250'000.- […] à la date anniversaire (un an après l'acquisition de la société) et CHF 400'000.- […] à la date anniversaire (deux ans après l'acquisition de la société)".
Les parties ont ensuite prolongé ce délai d'une année, ainsi que cela ressort de l'avenant n° 1 signé le 23 juillet 2021, aux termes duquel l'intimé s'est engagé à payer 250'000 fr. d'ici le 26 février 2021 et 400'000 fr. d'ici le 26 février 2022, sans que ce paiement soit subordonné à l'encaissement des fonds promis par l'investisseur F______ ("le paiement du solde préalablement prévu à la première et deuxième date d'anniversaire de la signature de la convention de cession du capital-actions de C______ SA est étendu à une année supplémentaire").
Contrairement à ce qu'a retenu le Tribunal, il ressort ainsi des titres produits, en particulier de la convention du 26 février 2019 et de l'avenant du 23 juillet 2021, l'engagement ferme de l'intimé de payer à la recourante les sommes de 250'000 fr. et 400'000 fr. visées par la poursuite n° 1______. Ces titres valent dès lors reconnaissance de dette sens de l'art. 82 LP.
De son côté, l'intimé ne prétend pas que la recourante n'aurait pas exécuté sa propre prestation. Il échoue par ailleurs à rendre vraisemblable que l'exigibilité des créances déduites en poursuite aurait été conditionnée à la vente effective d'une partie des actions à un investisseur. L'attestation d'G______ du 9 juin 2023, dont on peine à saisir la portée, ne lui est d'aucun secours à cet égard. Il suit de là que l'intimé ne rend pas immédiatement vraisemblable sa libération.
En définitive, c'est à tort que le Tribunal a rejeté la requête de mainlevée.
Le jugement attaqué sera dès lors annulé et il sera statué à nouveau (art. 327 al. 3 let. b CPC), en ce sens que la mainlevée provisoire de l'opposition formée à la poursuite n° 1______ sera prononcée.
3. 3.1 Lorsqu'elle statue à nouveau, l'instance de recours se prononce sur les frais de la première instance (art. 318 al. 3 CPC).
3.2 Les frais judiciaires de première instance et de recours, arrêtés respectivement à 1'000 fr. et 1'500 fr. (art. 48 et 61 OELP), seront mis à la charge de l'intimé, qui succombe (art. 106 al. 1 CPC) et compensés avec les avances fournies, acquises à l'Etat de Genève (art. 111 al. 1 CPC). L'intimé sera condamné à rembourser à la recourante la somme de 2'500 fr.
Eu égard à l'activité déployée par le conseil de la recourante, il versera en outre à cette dernière, à titre de dépens de première instance et de recours, 6'500 fr., débours et TVA compris (art. 23 al. 1, 25 et 26 al. 1 LaCC; art. 84, 85, 89 et 90 RTFMC).
* * * * *
PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :
A la forme :
Déclare recevable le recours interjeté le 8 juillet 2024 par A______ contre le jugement JTPI/117/2024 rendu le 22 décembre 2023 par le Tribunal de première instance dans la cause C/2071/2023–11 SML.
Au fond :
Annule ce jugement et, cela fait, statuant à nouveau :
Prononce la mainlevée provisoire de l'opposition formée au commandement de payer, poursuite n° 1______.
Déboute les parties de toutes autres conclusions.
Sur les frais :
Arrête les frais judiciaires de première instance et de recours à 2'500 fr., les met à la charge de B______ et les compense avec les avances versées, acquises à l'Etat de Genève.
Condamne B______ à verser 2'500 fr. à A______ à titre de remboursement de ses avances.
Condamne B______ à verser 6'500 fr. à A______ à titre de dépens de première instance et de recours.
Siégeant :
Monsieur Laurent RIEBEN, président; Madame Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, Madame Nathalie RAPP, juges; Madame Marie-Pierre GROSJEAN, greffière.
Le président : Laurent RIEBEN |
| La greffière : Marie-Pierre GROSJEAN |
Indication des voies de recours :
Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.
Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.